Méridional par vocation, bien qu'originaire de l'ouest du septentrion français, Ange Bastiani, dit Victor Maurice Lepage, dit Maurice Raphael, dit beaucoup d'autres choses - dont certaines assez peu plaisantes - Ange Bastiani aimait chanter les mauvais coinstos de Toulon.
Sa rade, ses rades et ses putes.
Surtout ses putes - celles qui officiaient dans le petit Chicago, soit le Pavé d'amour, et à qui l'auteur dédia, dans son Mauvais Lieux de la Cote D'Azur (Balland, 1969) ce magnifique chant d'amour, plein d'une tendresse vaseuse, entre fascination poétique, extase de connaisseur et gueule de bois du consommateur :"Ah ! cet ancien quartier des claques ! Successivement baptisé le 'Chapeau rouge', puis le 'Pavé d'amour', en aura-t-il fait couler de l'encre et de la salive, entre autres liquides.Le Pavé d'amour, Bastiani lui dédia aussi une piece de theatre, Le Pain Des Jules, qui devint par la suite un roman, puis un film.
Il n'est certes plus un mauvais lieu, ou si peu, mais son souvenir demeure encore si vivace auprès de ceux qui l'ont connu ou en ont rêvé, son existence a si profondément marqué la ville de son sceau, qu'il serait dommage et malhonnête de ne pas le rappeler à la vie pour quelques instants.
C'était l'époque où Toulon ne portait ni cache-sexe, ni ceinture de chasteté et ne s'en portait pas plus mal.
Quartier réservé, mais pourquoi l'appeler quartier quand il était une ville et combien davantage. Une ville qui vibrait, vivait intensément, hurlait ses charmes, ses appâts et possédait, selon les moments, tout à la fois la douceur et l'âpreté de certains petits villages d'Estrémadure.
La ville de luxure... au sud, au nord, à l'est, à l'ouest. Boxons, claques, bouis-bouis,... dans tous les sens, tous azimuts, sous toutes les longitudes.
Ville dans la ville, avec ses placettes intérieures bruissantes de minuscules fontaines feuillues où de petits ânes gris allaient boire. Toute imprégnée de mystère discret, avec ses rites, ses lois, son univers particulier.
Le jour, c'était le grand sommeil. De vieilles sorcières dépeignées, hirsutes, drapées dans des peignoirs à ramages multicolores, traînaient leurs savates de porte en porte, tandis que des gamins efflanqués, noirs de crasse, les yeux brillants, les jambes grêles, jouaient aux billes et à touche-pipi devant les lupanars. Par instants fusaient des cris, des rires gras, des bribes d'altercations par les fenêtres aux persiennes closes. Puis le quartier faisait sa toilette, jetait ses eaux de bidet et se fardait pour la parade nocturne.
Et, chaque nuit, cette parcelle d'infini, ce monde en fleur, brûlait de son désir de vivre, d'aimer, de faire l'amour et de se soûler à mort. Vibrant de tous ses feux, des cuisses des filles, jambons blafards, jambes tordues de varices des sous-maquées aux doigts bouffis cerclés de bijoux faux.
Symphonie des cuisses, des ventres et des fesses. Usines à gonos, temples du tréponème... blennos à la grosse, on ne détaillait pas, dans ces cathédrales de l'amour tarifé à la goutte de semence, serviette en sus.
Ah ! ces petites vendeuses de joie, amies très chères qu'on retrouvait toujours entre deux coupes de champagne vinasseux et de bière à la sciure de bois, dans des décors d'Alcazar, de fête foraine et de mille et une nuits au rabais.
Toi, Fifine-la-boscode qui racolait à l'angle de la rue Traverse-Lirette, qu'il vent ou qu'il pleuve, toujours sur pied, toujours d'attaque. Elle y allait à la besogne, la vipère et le mistral lui auraient plutôt dévissé sa bosse que de lui faire perdre une passe. elle ne manquait d'ailleurs jamais de pratique, une clientèle régulière, fidèle, de celles qui font la prospérité des négoces. Il n'y en avait pas pour tout le monde. Elle jouait à guichets fermés.
Toi qui débarquait tout droit de la poissonnerie où tu criais les moules et les violets.
Toi, la brune aux fesses vertes et toi, décolorée à l'eau de javel, qui cueillait si bien les pièces de cent sous entre les lèvres de ta vulve prenante.
Et la Bretonne de l'Assistance publique, placée en pleine campagne, près de Douarnenez, chez un nourricier qui l'éduquait à coups de fourche et força, dès ses neuf ans, tout ce qui pouvait être forcé en elle.
Et les négresses cafres, bantous, niam-niam, avec leurs nichons en forme de poire à lavement.
Quoi qu'on en dise, vous demeurez la conscience de ce siècle, sa conscience et sa seule poésie...
Poésie de vos bidets, de vos dessus de lit brodés à la main, des roses en papier gaufré de vos chambres, les mêmes qui ornent les tirs forains et les statues en plâtre de la petite Thérèse de Lisieux.
Havres de grâce. Grâces de vos havres. Grâces à prix réduits...
Pouffiasses de mon coeur, filles à matafs, à dockers à nègres, à gnacoués, en avez-vous connus de ces hommes qui suaient la peine, l'effort, la crève, la fièvre, le désespoir et qui, un soir, à la sauvette, venaient jeter entre vos bras humides de blanc gras le poids de leurs chaînes.
Esclaves à la demi-heure des esclaves à perpétuité, courtisanes à galériens, cléopâtres des bastringues, petites soeurs des très pauvres, des damnés, des tordus, des bagnards. Filles de peine de la joie, sur lesquelles se penchaient ces gueules aux yeux vitreux, déjà morts, ces mufles aux dents pourries qui vous hoquetaient dans les narines leur haleine lourde et bavaient des glaires sur vos épaules.
Vos pauvres défroques de travail, oripeaux de fêtes atroces, vos lingeries douteuses, vos déshabillés qui se voulaient coquins et qui n'étaient que lugubres.
Tristesse truculente des boxifs, frénésie désespérée de vos étreintes en série. Apothéose suprême de la fesse."
Des truands s'y entre-tuaient pour des histoires de gagneuses tandis que les respectueuses en question degoisaient sur leur vie quotidienne aux comptoirs de troquets à gogos du petit Chicago Toulonais."Ah ! nota Toussaint, il faut bien dire que les femmes, si on les corrige pas de temps en temps, y a quelque chose qui manque à leur bonheur."Mais avant le film, avant le roman, avant même la pièce de theatre, il y eu une nouvelle, écrite pour France-Dimanche, publiée dans le numéro 451 du 17 avril 1955, puis reprise dans le Mystere Magazine # 341 de l'été 76.
C'est l'ébauche de la seconde partie du Pain Des Jules, juste après le mauvais coup porté au beau Toussaint par Pascal l'Élégant.
Ce n'est certes pas ce que le grand Bastiani écrivit de mieux mais c'est un document assez passionnant pour qui
petit 1 : a lu Le Pain des Jules
petit 2 : aime cet auteur par trop mésestimé.
Et puis, je l'ai déjà écrit précédemment, du Bastiani, on ne crache pas dessus.
Alors, arrêtes ton char et ouvres tes chasses.
Merci.
THE DESTROYER / L'IMPLACABLE # 1 - 5
Il y a 11 ans
8 commentaires:
Bon, je vais me lire tout ça ce soir. Merci.
Vachement intéressant, ce que vous avez retrouvé là. On va faire comme m'sieur Dada, on lira ça à la veillée.
Au rayon anecdotes, on peut aussi mentionner la belle couverture de l'édition Carré Noir et notre grand regret d'être né trop tard pour voir Pascale Roberts et Dora Doll créer la pièce.
Dans l'ensemble, je goute assez peu aux couvertures de Carré Noir (étrange, de ma part, je sais...)
Par contre, j'aimerai bien lire le texte original de la pièce, histoire de faire la comparaison avec le bouquin...
Et quelqu'un aurait-il vu le film ?
Non, hélas.
Le film est référencé ici :
http://www.imdb.com/title/tt0239769/
C'est Bella Darvi qui jouait Gina Beau-Sourire.
alors, cher Pop, je m'excuse mais il semblerait que la tourmente blogger relative au vendredi 13 de l'année 2012 ait fait passer votre commentaire à la trappe :
"Non, hélas.
Le film est référencé ici :
http://www.imdb.com/title/tt0239769/
C'est Bella Darvi qui jouait Gina Beau-Sourire. "
M'sieur Trente-Deux, z'êtes un hôte fort délicat.
Chais pas exactement de quoi Blogger a souffert, mais c'est un sérieux bordel, j'arrête pas de remettre des trucs en ligne.
Sinon, vous saviez que Bella Darvi était polonaise ?
Vrai que c'est loin d'être le titre le plus passionnant de Ange, mais quand bien même, pour être passé par Toulon il y a peu, je confirme que le langage utilisé et l'ambiance/ l'atmosphère est toujours au poil. Le film est actuellement la propriété de studio canal. Ne peut être pour l'instant visionné qu'à Bois d'Arcy. A quand un dvd rené Chateau? Histoire de couper les poils en dix-huit, lors de la création de la pièce, Pascale Roberts ne faisait pas partie de la distribution; c'était Rosine Luguet qui jouait Gina. Pascale Roberts apparaît lors de la première reprise (au théâtre des Capucines) en 1959 avant de laisser la place à nouveau à Rosine Luguet pour la seconde reprise (de retour au théâtre des Arts) en novembre de la même année. On trouve dans l'avant-scène théatre n°186 quelques photos de la pièce dont quelques unes de la sublime Dora Doll -avec vue sur ses bas- alors encore brune mais déjà séparée de Raymond Pellegrin. Quant à Bella Darvi, je viens de revoir "Le gorille vous salue bien" où elle est suintante de sensualité. Auncun homme n'y aurait résisté...surtout pas Dsk!
Pop : je ne savais pas pour Bella. Et à mon goût, sa carrière cinématographique fut bien trop brève...
Bête Mahousse : merci pour toutes ces infos, c'est époustouflant !
...mais bon, on ne s'appelle pas Bête Mahousse pour des prunes, que je sache ;)
Bon, il ne me reste plus qu'à trouver ce numéro 186 de l'Avant-Scène !
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