
FLEUVE NOIR / SPÉCIAL-POLICE # 171, 1958
Troisième roman d'Ange Bastiani au Fleuve Noir, deuxième en Spécial Police et dernier sous le pseudonyme de Zep Cassini, À La Vie À La Mort conte l'errance frelaté, meurtrière et nocturne de deux militaires en permission dans une ville qui jamais ne se verra nommer mais en laquelle on reconnait Toulon, sa rade et ses putes.
Il y a P'tit Louis, le bon gars, et Lucien, le mauvais bougre, une brute qui souffre du palu et de la dingue, sale résurgence d'Indochine.
Grandement inquiétant avec son surin et ses attitudes de lunatique en sueur, il hante les pages du bouquin tel un spectre livide avant de très vite se métamorphoser en fou homicidaire.
L'action se déroule principalement en huis-clos. Permission pour un massacre, ou la dernière baraque sur la gauche. Les deux hommes tournent en rond, boivent à s'en rendre malade, le regard fiévreux, la mine hagarde. Même la fuite en plein air leur semble être une nouvelle claustration. Aucune porte de sortie, aucune échappatoire.
Ange, comme de bien entendu, se montre magnifique du début à la fin. Il renouvelle son répertoire (maquereaux et cueilleuses d'asperges n'y font que de la figuration), tire parfois à la ligne (le marathon 220 pages Fleuve Noir, forcement) mais se récupère constamment sur des passages aussi âpres que surprenants.
Surtout, c'est son écriture qui enlève le tout, en captant à merveille cette débauche dans la détresse, la haine, l'accablement.
Deux individus livrés à eux mêmes, une compagne dévoyée, des truands à leurs basques, un amour qui tourne comme le lait frais et un final étouffant dans une villa isolée sur la plage.
Il y avait, dans ce roman, matière à exécuter un grand, un très grand film désespéré, façon adaptation de Frédéric Dard par Robert Hossein. Pourquoi pas une co-production Italienne. Giuliano Gemma dans le rôle de P'tit Louis et quelqu'un d'aussi patibulaire qu'effrayant dans celui de Lucien. Trouves l'acteur toi-même. On remontera le temps, on finalisera la chose ensemble. Cinquante ans plus tard, les critiques s'accorderont à dire que ce fut là une œuvre fondatrice pour tout un genre. Malheureusement, elle n'existe pas.
Reste le bouquin.
Je m'accorde avec moi-même pour t'affirmer qu'il est magistral.

FLEUVE NOIR / SPÉCIAL-POLICE # 234, 1960
Quatrième roman de G.J. Arnaud au Fleuve Noir, deuxième en Spécial-Police, L'Éternité Pour Nous reste un texte phare dans la monstrueuse bibliographie de son auteur.
Imperceptible bien que décisive, la mutation s'y affirme. Arnaud quitte les mornes territoires Simenonesques pour s'aventurer dans des friches populaires propices à l'érection de châteaux vénéneux.
Ce n'est pas encore du proto-Brussolo mais c'est déjà du grand Arnaud. Ce n'est pas encore cette société moderne qui façonne les individus en compressant les âmes mais c'est déjà cette maison aussi hanté que souhaité et dont les murs sont comme des toiles d'araignées, emprisonnant à jamais les êtres, les condamnant à la marginalité et au meurtre, à la folie et au drame.
Surtout, dans L'Éternité Pour Nous, c'est l'érotisme et le social qui prennent le pas sur le criminel et ses intrigues.
L'érotisme, c'est la présence de ces deux femmes qui se disputent le héros - une combinaison classique chez Arnaud. Il y a Brigitte la strip-teaseuse et Agathe, la froide Agathe, calculatrice mais sensuelle, qui se coule entre les jambes de Jean-Marc pour lui déclamer une passion brulante.
Le social, c'est ce couple d'artistes, Jean-Marc et Brigitte, qui, exactement comme Madame Mallet 19 ans plus tard dans un autre bouquin de G.J. Arnaud, souhaite passer noël au chaud.
Ne plus se sustenter de sucre et de farine les jours de disette, ne plus compter la petite monnaie en voyant les jours se rétrécir, ne plus crever de froid dans une mansarde minable.
Le résultat est fascinant, comme cette plage en hiver, ces vagues qui la lèchent et ce pin odoriférant qui semble envouter Jean-Marc.
Puis l'isolement, la survie, l'amour et les basses manigances qui se retournent contre le bonheur durement acquis.
Arnaud enchaine rebondissement sur rebondissement. 120 pages dedans et le lecteur se retrouve tout pantelant. La suite se fait plus calme mais tout aussi plus sournoise.
Quant à la fin, il s'agit de ce coup en traitre, cette habitude chez Arnaud, le couperet qui déboule sans prévenir lors du dernier paragraphe pour faucher les bonnes intentions et ravager les plus sensibles d'entre nous. Ici, le choc se voit atténué par la puissance des 220 pages précédentes mais qu'importe. Car L'Éternité Pour Nous est un superbe roman, peut être l'un des plus beau que cet auteur ait pu écrire.
Deux années plus tard, José Benazeraf en massacrera l'intrigue et les sentiments dans son premier film, Le Cri de la Chair.
Outre Michel Lemoine, le Gérard Philipe du bis, on pouvait s'y payer un jeton de mate sur la splendide Monique Just (son dernier film, quelle misère pour cette beauté) et la bovine Sylvia Sorrente, une fille dotée d'un fort solide parechoc mais dont la triste bobine fit capoter tous les films dans lesquels elle eut le mérite d'apparaitre.
Brigitte, vamp alcoolisée et auto-destructive, aurait méritée un bien meilleur traitement argentique.