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LA CARTE DU TENDRE

LE JUDOKA ET LES FILLES AUX YEUX D'OR ERNIE CLERK, LA TABLE RONDE, 1963
RÉÉDITION : SURSIS POUR LE JUDOKA, ERNIE CLERK, ALBIN MICHEL ESPIONNAGE # 4, 1965

L'astuce est plutôt cocasse. Sur le slip de Marc Saint Clair, alias le Judoka, se trouve tracé à l'encre sympathique un document ultra confidentiel, façon schéma de chasse au trésor avec plein de flèches de partout et une grosse croix rouge qui signale la base secrète des méchants.
Ainsi, équipé de son super slibard, notre héros mène l’enquête.
"C'est la plus transportable des cartes que vous puissiez avoir" dixit un colonel de l'U.S. Army au Judoka.
La plus transportable, OK... mais pas forcement la plus pratique. 
Déjà, faut pas déconner. Une érection mal maîtrisée et la carte devient indéchiffrable. C'est ballot !
Ensuite, son utilisation n'est pas des plus simple. Se débraguetter le falzar à chaque embranchement, se le rincer au jus de citron et y vérifier enfin si c'est bien dans la bonne direction que l'on se dirige, tu parles d'une procédure à la gomme !
Quant à affirmer que le service trois-pièces d'un agent secret constitue la meilleure des planques à documents possible, ce serait bien mal connaître les héros de ces bons vieux récits d'espionnage à 8 francs 15 la séance. Avec le nombre de petites poulettes devant lesquelles ils tombent le bénouze, la couleur et les motifs de leur calebar sont aussi secrets que la vie privée d'une vedette télé abonnée aux unes d'Ici Paris, France Dimanche et Voici réunies.
Ou comme le chantait Jean-Pierre Calçon, pardon, Kalfon, "Quel émoi ! Quel ennui !"
Néanmoins, au rayon des idées idiotes employées dans les romans d'espionnage des années 50 et 60, ce sous-vêtement en toc que nous exhibe Ernie Clerk histoire de mieux téléguider son héros vers le repère des méchants (et donc - d'une pierre deux coups - vers la fin du bouquin) est loin, très loin, de valoir certaines coupures du genre, morceaux d'anthologie tellement loufoques et stupides dans leur registre qu'ils en vinrent à me tirer, lors de leur lecture, des larmes d'un bonheur pervers et continuent rétroactivement à me titiller les bas instincts de la matière grise, à la manière d'une remembrance de quelques joyeuses séries Z aux trucages calamiteux et scénarios bouffés aux mites.
Je pense par exemple à l'espion d’Étrange Mission (Éditions de l'Arabesque, Espionnage # 556, 1968), un corse têtu comme une mule et con comme un âne qui se débarrassait de ses adversaires en leur offrant des myrtilles cueillies dans la forêt et sur lesquelles un renard malade avait pissé. Les méchants, inconscients du redoutable stratagème dont ils allaient être victimes, se goinfraient alors des baies avant de tomber raide-morts, foudroyés par une zoonose express !
Dépassé, James Bond et ses gadgets dernier cri. La myrtille imbibée d'urine de canidé valétudinaire, ça c'est du sérieux !
Je pense aussi à Hubert Bonisseur de la Bath qui, dans OSS 117 chez les Hippies (Presses de la Cité, 1970), se trouvait forcé par de vils beatniks maoïstes à gober des buvards de LSD. Le suspense à son comble, laissant le lecteur trembler comme une feuille. Hubert allait-il perdre la boule, se laisser pousser les tifs, plaquer la barbouzerie pour fonder un groupe de rock psychédélique en Californie ? Que nenni ! 
Notre homme résistait vaillamment à la tentation du trip cosmique. Et ce, sans verser la moindre goûte de sueur. Car, c’était bien simple, à l'aide d'une petite pilule made in CIA, Hubert s'était immunisé contre les effets de l'acide lysergique. 
Hell yeah !
Je pense enfin (et en vrac) à la brosse à dents talkie walkie de l'agent spécial Malran dans La Panthère se Rebiffe de Paul Berg (S.E.G. Espionnage # 73, 1966), aux "ologrammes" (sic) plus vrais que nature d'H.T. Perkins dans La Déesse et l'Artiste (une bonne demi-dizaine d'éditions, de 63 à 75), à cette soucoupe volante pilotée par des cow-boys dans Stop Destruction Immédiate (F.P. Belinda, La Loupe Espionnage # 6, 1953), à la moelle épinière des bons élèves d'un lycée français qu'un savant fou subtilise afin de transformer ces derniers en cancres gauchistes (Les Corruptibles, Jimmy G. Quint, Presses Noires Espionnage # , 1967) ou encore à ce four micro-onde géant qui manque de rôtir l'agent X.117 dans Mission D.D.P. Terminé (André Favières, La Loupe Espionnage # 44, 1957).
Bref, face à pareille concurrence, Ernie Clerk et son Judoka peuvent renfiler leur kimono.
Un vieux slip sale qui fait carte michelin ? 
Il en faudra beaucoup plus pour nous épater !

L'AVENTURE ET SES À-CÔTÉS

LE SECRET DU PACIFIQUE, H.J. MAGOG
ÉDITIONS R. SIMON / LA VOILE, 1939

Réédition des Buveurs d'Ocean sous un nouveau titre et agrémenté d'illustrations de Claudel, Le Secret Du Pacifique est un fabuleux petit roman d'aventure teinté de ce merveilleux scientifique si cher aux anticipateurs Français du début du vingtième.
Nous sommes en 2050 et le monde se divise en 5 puissances : la confédération Européenne, les Etats Unis d'Amérique, les républiques Africaine, Océanienne et Asiatique.
Voila pour le décors.
L'histoire, elle, fait preuve d'une légèreté bien plus romantoque dans l'exposition de ses enjeux mais,
hardiment rythmé par ce feuilletoniste génial qu'était H.J. Magog, elle emporte rapidement l'adhésion.
Ainsi, Kasuga, vil arriviste nippon, souhaite la main de mademoiselle Suzanna de Glandève mais cette dernière, soutenue par sa famille (dont l'arbre généalogique se compose à moitié de ricains auto-entrepreneurs, et à moitié d'aristocrates français en exil) s'y oppose.
Primo, Kasuga, c'est un jaune, un bridé, un japonais. Mauvais, ça. Et secundo, Suzanna de Glandève aime Jean d'Entrevaux, un chouette jeune homme bon chic, bon genre, bon teint de peau - bref, un chouette jeune homme tout ce qu'il y a de plus recommandable.
"[...] il était brave et l'aventure l'intriguait beaucoup plus qu'elle ne l'effrayait."
Et il a de la chance, le petit Jeannot. Car l'aventure, il va y gouter. Et pas qu'à moitié. Pénétrer dans le Secret du Pacifique, c'est s'exposer à un torrent d'événements inattendus.
Privé d'amour et aveuglé par de folles ambitions, Kasuga cherche donc à se venger et s'emporte à la manière des mégalomanes machiavéliques de romances à quat'sous : il complote et détruit, saccage et ourdi.
Mais le récit de Magog, comme bon nombre d'œuvres d'époque, ne peut se plier aux caprices d'un résumé. Il faut pleinement s'y plonger pour en savourer toute la folle agitation qui l'habite.
Asiatiques diaboliques aux ruses perfides, intrigues sentimentales qui fleurent l'eau de rose, cataclysmes qui sèment "la mort et l'épouvante" et fins du monde en pagaille...

"Quelle imagination en délire aurait osé rêver cette chose abracadabrante ?"
Et égaré dans les pages du roman, guetté à chaque coin de phrases par d'inimaginables retournements de situations, toute une galerie de personnages savoureusement cocasses : le fidèle Guilledou, majordome de Jean d'Entrevaux, dépressif chronique qui s'imagine persécute par le sort, le marquis de Glandève, père de Suzanna et qui, mis en fâcheuse posture, en vient à évoquer " nos immortels principes de 89 " - " En France, je les condamnais au nom de mes aïeux. Mais à l'étranger, je m'en réclame ! " (rire dans la salle)...
...ou encore le gigantesque et improbable Master Big, scientifique misanthrope à la solde de Kasuga et à l'esprit bien embrumé par de pharamineux projets de destruction totale du globe terrestre.
Et lorsque Jean D'Entrevaux le questionne à ce sujet...
" Pourquoi ? [...] Pourquoi cette volonté atroce ? "
Master Big répond froidement :

"- Parce que je hais les hommes [...]. Parce que je trouve la vie laide et bête et que je crois accomplir une grande œuvre en rendant impossible cette chose incohérente qui se repaît de mouvements vains et de souffrances inutiles et qui, depuis le commencement des mondes, n'a même pas su se trouver un but. "
Derrière la démesure se cache une gravité. Le centre du roman est un puits d'ombre, reflet de l'âme de Kasuga ("Sous ce crâne, de nobles pensées volaient, impatientes de trouver une issue ; mais de vils désirs et d'abominables dessins y rampaient aussi, transformant en cloaque la cage cérébrale qui contenait un peu de ciel."), reflet surtout de cette ville souterraine située "six mille mètres au-dessous du niveau du sol japonais" et où l'on extermine des peuples entiers.
Une visite à glacer l'échine, car ce sont les camps de la mort dont Magog se fait l'haruspice. Description de corps maigres, de souffrances, de charniers et d'une cruauté en plein accomplissement.
"On était trop, là-haut ; nous avons fait de la place " déclare un tortionnaire nippon, avant d'ajouter, sinistre :

"Et nous en ferons davantage !"
L'espace de quelques chapitres, le roman balaye toute naïveté, toute futilité de son horizon. Il y reviendra par la suite , cela fait parti des règles du jeu, mais le ton aura définitivement changé. L'apparition de loups déguisés en hommes laisse une plaie à vif qu'aucun enchantement ne peut cicatriser.
Et c'est certainement là le plus grand accomplissement du Secret de Pacifique.
Être un roman d'aventure qui, en dépit d'un rythme un peu trop épisodique, s'affranchit de son cadre pour faire mouche sur d'autres tableaux.
En bref : Être un roman d'aventure qui, l'air de rien, voit loin.

LE JUDOKA CRISPÉ

LE JUDOKA ET LES SABRAS, ERNIE CLERK
FLEUVE NOIR ESPIONNAGE # 873, 1971

Le méchant de cet épisode, c'est un vrai de vrai, un vrai méchant. Il se nomme le Chacal et "il sait que le ciel est avec lui, contre ces femelles de français."
Le héros, lui, c'est un homme, un vrai de vrai, un vrai français. Marc Saint-Clair, dit le Judoka. "Un physique de jeune premier de western" et des aptitudes martiales hors du commun.
Oui, le Judoka, ce n'est pas Monsieur tout le monde, car...
"...tout le monde n'est pas champion toute catégorie de judo et ne passe pas sept à huit heures par jour à s'entrainer dans ce qu'il y a de plus viril et de plus dangereux en matière de sport."
6eme Dan de judo et free-lance de l'espionnage international, Marc Saint-Clair possède en outre un super bateau baptisée "Le Katana," porte avec classe et distinction ses "quatre-vingt treize kilos de muscles surentrainés" et sort avec un poulette de luxe prénommée Nathalie, un peu cruche sur les bords mais pas bêcheuse pour un sou.
Comme elle l'avoue elle-même en page 85 : "J'ai un fond d'Orientale en moi [...] j'adore être soumise à la volonté d'un homme, pour peu qu'il en vaille la peine, comme Marc."

Brave fille.
L'auteur, de son côté, semble être comme envouté, comme pénétré jusqu'au plus profond de son moi par la puissance ultra-signifiante que son héros dégage dès qu'il entre en scène. Le Judoka et les Sabras, dix-huitième et dernière aventure de Marc Saint-Clair, sonne comme une déclaration d'amour au Judoka, ce mec, ce gonze, cet homme, ce dieu.
"À cette époque de tignasses crasseuses et de laisser-aller, il donnait une impression de netteté raffinée. À cette époque de cas de conscience, de compliqués, il semblait un roc sur lequel les complications n'avaient plus qu'à glisser."
Bien entendu, pour justifier les émoluments enamourés que lui déverse à longueur de pages Ernie Clerk, le Judoka s'active, se démène, se défonce sans regarder à la dépense.
Il a la transpiration généreuse et l'on n'ira surement pas raconter que ses doigts de pieds se roulent des pouces sur la chaise longue du délassement.

Je récapitule : au cours des 230 pages de cette ultime mission, Marc Saint-Clair repêche en pleine mer un faux pilote juif, emballe une journaliste lubrique amatrice de sensations dures, casse des bras dans un rade à Arcans Nord'Af', fait une démonstration de judo dans un dojo de Marseille, s'entraine au tir rapide à coup de 38 spécial, drague une espionne du Mossad amatrice de parties fines, visite Israël en touriste VIP et dézingue à Beyrouth l'assassin de Ben Barka.
Le bouquin est copieusement rempli mais pas exactement de la tambouille attendue. Le Chacal, ce vrai méchant super méchant ? Il passe à la trappe dès le second chapitre. On espère le voir repointer du tarin dans un final retentissant et l'on en est pour ses frais.
Le Judoka Et Les Sabras est un bouquin d'action privé de direction, privé d'enjeux. Marc Saint-Clair étale ses biscotos comme un Atlas de province avec, à ses côtés, un Ernie Clerk transformé pour l'occasion en monsieur Loyal et qui, entre deux crises de flagornite aigüe pour son surhomme, se répandrait en commentaires socio-politiques sur le monde moderne et ses travers.
Un petit exemple ?
Eh bien, selon Ernie, si le système éducatif occidental est défaillant, c'est...

"...la faute aux hommes, ou tout au moins à ceux que l'on appelle encore, improprement, des hommes : ceux qui se promènent chevelure mise en plis et permanentée, ceux qui moulent leurs fesses dans des pantalons de tapisserie, ceux qui vont faire leurs cours l'échine basse, la concession à la bouche et l'angoisse aux tripes, prêts à toutes les insultes, à toutes les humiliations avant même de franchir la porte de leurs amphithéâtres. Évolution des temps ? Non, plutôt recommencement. Une consolation : la décadence n'est jamais définitive, il y a toujours des centurions pour relever le défi."
C'est drôle comme un bon morceau de Sardou (je pense à J'accuse, cet impérissable tube de death-disco) mais, à la longue, ça lasse.
Et c'est cela, le gros problème du Judoka. Dans le genre, ça pourrait être absolument génial et génialement parfait si l'auteur et son héros ne nous paraissaient pas si tendus, si crispés, si raides dans leurs frusques de papier.
C'est ça, le truc.
On aimerait bien, juste l'espace de quelques instants, qu'ils arrêtent de rouler des mécaniques.
Qu'ils relâchent la pression.
Qu'ils prennent le temps de s'abonner à Hara-Kiri, de se décapsuler une petite bière, de placer un morceau de rock planant sur la platine et d'aller faire un tour aux waters, avec une revue d'humour sexy pouet-pouet sous le bras.

Simplement histoire de se vidanger la mécanique interne des méninges.
Car ça n'a jamais fait de mal à personne.
Et puis,
...avouons.
Y a pas que le judo, dans la vie.

TOUT EST POSSIBLE !

LES CHASSEURS DE COMÈTES, JEAN KÉROUAN
HACHETTE / LES GRANDES AVENTURES, 1927

Nous sommes en mai 19... - mai mille neuf cent trois petits points - futur proche bien qu'indéterminé de l'année 1927. Nous sommes dans le quartier des affaires de la ville de New York. Des boursicoteurs y boursicotent comme à leur habitude... lorsque soudain se fait entendre un terrifiant message d'origine inconnue.
"À tous les gouvernements de la Terre !
"Moi, Khan Zagan, je vous ordonne à tous de vous soumettre à mon autorité. Je puis ravager ou détruire le monde entier si l'on ne m'obéit pas aveuglement. Je possède les moyens scientifiques d'approcher de notre planète la comète de Swanley, jusqu'à déterminer un choc. Pendant cinq jours, à titre de démonstration, j'attirerai la comète, dont il sera facile d'observer le trajet rectiligne. Sauf réponse par radio le cinquième jour et soumission absolue, la marche vers vous continuera."
Nous ne sommes qu'en page 4 et déjà, l'affaire est dans le sac. Grand sourire sur la figue, trépignements d'impatience dans les guiboles et les deux yeux, capteurs CCD du cervelet, qui aspirent au plus vite les lignes du roman.
Forcement : un méchant mégalo, probablement asiatique, armé d'un gadget de destruction massive et qui menace de s'en servir pour anéantir le monde civilisé si ce dernier ne devient pas sien, immédiatement ! - voila qui fait toujours son petit effet sur le lecteur friand d'aventures débridés.
D'autant plus que l'auteur, un certain Jean Kérouan, traite son sujet avec grand talent, opposant à Khan Zagan un autre farfelu assoiffé de domination mondiale - mais bien plus sympathique et moins néfaste, lui - c'est le richissime Archibald Griggson, grand patron du Trust Universel, magnat américain un peu balourd mais pétri de bon sens et ne jurant que par le pouvoir de la finance.
" Je protégerai la Terre, moi, parfaitement ! "
...s'écrit-il après avoir pris connaissance de l'ultimatum de son némesis asiatique.
Et de sponsoriser un quintet d'héroïques aventuriers : deux frangins intrépides, Jean et Pierre Lacasagne, un aviateur virtuose, René Brion, une poupée distinguée, Marie Granger, et un detective tête brûlée, Roger Dutreil - quintet à l'origine certifiée 100 % COCORICO ! et auquel se rajoutera par la suite Wang Tsao, un moine thibétain doué d'incroyables facultés psychiques.
"Écoutez, les enfant ! [...] Au point où nous en sommes, il faut aller jusqu'au bout. Pas de demi-mesures avec Khan Zagan : il s'agit de se soumettre à lui, ou, peut-être... d'anéantir son pouvoir, en détruisant le piège à comètes... Voulez vous sacrifier votre jeunesse à cette cause, qui devient celle de toute l'humanité ?"
Résumons : La France à la rescousse du monde, les mysteres de l'Asie en guise de porte bonheur, la muflerie américaine comme manne économique (mais sans en être dupe) et les ingénieuses inventions d'un scientifique tricolore pour enrober le tout.
Pages après pages, Les Chasseurs de Comètes révèle sa vraie nature : celle d'un pur feuilleton 1920 - le marathon de papier, la folie dans les feuillets.
L'ensemble se découpe en 8 parties, équivalentes dans leur pagination, 8 fascicules de 32 pages, regroupés en un même volume et formant une course chronométrée mais vigoureuse, un saut de haies accumulant, parfois vainement mais jamais inopportunément, les rebondissements.
Action, suspense, amour, magie - tout s'enchaine, tout se mélange. Surtout, comme le déclare un personnage en page 163 :
"Tout devient possible dans ce pays merveilleux."
Ce pays merveilleux, oui, celui du papier bas de gamme dans les pores duquel l'encre se noie, entrainant avec elle l'imagination du lecteur.








DEUX AVENTURES DE CATAMOUNT !

Catamount, c'est le héros phare d'Albert Bonneau, l'un des grands spécialistes Français (aux côtés de Gustave Aimard) de la litterature western.
Du début des années 30 à la fin des années 50, Bonneau pondit plus d'une centaine de ces petits romans gonflés aux mythes fictionnels de l'ouest sauvage et lointain.
Le Vagabond du Far West, Kid le Ranger, L'Outlaw du Canon Perdu, Le Ranch Maudit, Le Désert Aux Cent Mirages, etc.
De lui, je n'avais jusqu'à présent lu que sa série Aventures du Far West aux éditions Jules Tallandier - des récits sans Catamount, souvent distrayants, parfois bien troussés et n'ayant (presque) pas à rougir d'une quelconque comparaison avec la production des petits maitres ricains.
Il fallait désormais m'attaquer au versant Catamountien de son œuvre, versant scindé en deux parties distinctes : les Aventures de Catamount (des années 30 aux années 40) et les Nouvelles Aventures de Catamount (années 50) - le hasard aidant, c'est cette seconde qui constitua ma porte d'entrée dans l'univers du Texas Ranger - Catamount, l'homme aux yeux clair, héros intrépide qui,
juché sur un bolide alezan nommé Mezquite, fait régner la justice dans la région d'El Paso.
hélas, ce premier contact ne se déroula pas vraiment comme je l'avais espéré...
Dans Le Signal de Catamount (Tallandier, 1957), le ranger d'El Paso et son compagnon d'armes à temps partiel Jaguar Bill enquêtent sur la disparition d'une troupe de Tuniques Bleues en plein désert - le Wounded Branco, pour être exact - un coinstos mal famé car à la merci de vils apaches sur-armés.
En effet, ces affreux zozos à plumes ont reçus une cargaison de mitraillettes dernier cri - dernier cri pour l'époque, s'entend... c'est de la sulfateuse à moulinette, du genre de celle que Django se trimballe dans son cercueil - si t'as vu ce film tu vois de quoi je cause, hein ?
Bref. Comme tout bon sauvage, nos zigotos ne savent pas vraiment se servir du matos proposé mais ça ne les empêche tout de même pas de dézinguer du civilisé à foison. Taca-taca-tac !
L'écriture de Bonneau est laborieuse, répétitive, et les deux héros, Catamount et Jaguar débile, ne m'ont pas semblé très concerné par leur mission. Ils passent une bonne partie du roman à courir après un clébard tellement bête qu'il en viendrait presque à te faire relativiser la stupidité de Rantanplan.
Reste la question raciale, inévitable dans tout western à l'ancienne qui se respecte. Ici, le chef des Apaches se fait appeler El Lobo et l'un de ses hommes se prénomme Diego. S'agirait-il donc d'Apaches Mexicains ? Nous n'en saurons pas plus - d'autant que le reste de la bande se montre plus classique dans le choix de ses sobriquets : Serpent Jaune, Petite Belette et Grand Aigle - ce dernier, en particulier, est un sacré coquinout qui finira, page 218, avec un allé simple dans les pognes, direction la potence locale et sans passer par la case départ pour y empocher les 20 000 Dollars.
Quant à Catamount Mène L'Affaire (1957), deuxième bouquin de notre série dominicale, ce fut une véritable catamountastrophe. 220 pages sans action aucune, sans fusillades et avec un Catamount quasiment absent du texte - "[...] l'illustre ranger séjournait incognito à Wharton, attendant dans la coulisse l'occasion d'intervenir et de mettre Bull Benda et son gang définitivement hors d'état de nuire..."
Et Albert Bonneau, lui, il met le lecteur hors d'état de lire.
Donc, 220 pages sans bang bang, sans boum boum, sans rien d'excitant à se foutre sous le râtelier. Après la machine à sioux délabrée mais encore vaguement fonctionnelle qu'était Le Signal de Catamount, voici un cavalier qui surgit de l'ennui.
...et mes calembours sont tellement mortels que je ne sais même plus comment conclure ce billet.
Enfin, si, peut être... alors, un peu de sérieux, si'ouplé.
Car on va encore dire que je crache dans la soupe, que je cause que de navets, que je me complais dans les épluchures de sous-litterature et non, non, triple non. Pour le coup, encore une fois, j'ai dû mal tomber. C'est comme ça, c'est la vie mais je suis sûr qu'il y a de bons récits de Catamount ! Faut juste réussir à les trouver. Pour mézigue, ce n'est pas encore le cas.
En attendant, je baisse pas les bras. Je lis toujours du western
, de l'anglo-saxon, du français, du belge, du norvégien, du bel-air, du tout ce que j'arrive à degotter : c'est bon, c'est simple et c'est amusant.
Sincèrement. Essayes toi z'y donc un peu, tu ne devrais pas le regretter.
Parole de robo !

INTERLUDE : 3 HEROS D'AVENTURES





FRANCK SAUVAGE, c'est l'appellation française de Doc Savage, l'homme de bronze, l'über-hero numéro ouno, l'alpha-mâle saventurier (copyright J-LBoutel ) dans toute sa splendeur. On ne le présente plus, inutile donc de s'y appesantir - d'autant plus qu'Artemus Dada lui a consacré quelques billets sur son blog Ici Je Suis Ailleurs.

BILL BANCO, c'est Nick Carter, le roi du récit populaire. J'avais effectué, il y a de cela un an et des poussières, un fort succinct résumé de sa tortueuse carrière... et j'espère bien lui consacrer un jour un long, un très long dossier, probablement dans le cadre d'une auto-publication papier.

PISTOL PETER, eh bien, c'est tout simplement Pistol Peter, dit Pete Rice, un cow-boy des années 30 désormais bien oublié... mais qui fera très prochainement l'objet d'un article sur le Müller-Fokker. J'ai mes notes manuscrites sous les yeux, divers fascicules de ses aventures à portées de main, ne manque plus que l'inspiration.
Affaire à suivre, donc !

LES AVENTURES (PAS TROP) FANTASTIQUES DE VICTOR VINCENT

Le Capitaine Ricardo, ça c'est du Belge ! Du début des années 40 à la fin des sixties, ce nom (qui cachait très certainement une équipe de besogneux à la plume véloce) produisit de la romance pauvrement populaire dans tous les azimuts du genre. C'était l'époque où la Belgique croulait sous le fascicule en 32 pages, 13 par 19 centimètres et imprimé sur papier toilette.
Il y avait les Récits Express de Sacha Ivanov ("Éditions Erasmus, tous les jeudis !") ou l'hebdomadaire des grand récits de Spirou (éditions Dupuis) mais celui qui tenait le haut du pavé, c'était bien évidement le Capitaine Ricardo.
Il était partout, infatigable, inépuisable, increvable.

" EXCELSIOR ! " claironnait-il via le fan-club de ses jeunes lecteurs, 20 à 30 ans avant Stan Lee. Et hop ! Il pondait trois à quatre nouveaux fascicules aux couvertures souvent illustrées par Fred Funcken, dessineux bien connu des amateurs des bédé de cape et d'épée.

Pour les hommes, c'était les Aventures de Victor Vincent, Le Capitaine Ricardo Raconte Une Aventure, Les Nouvelles Aventures de Victor Vincent et divers autres choses encore non identifiées.
Pour les dames, le capitaine se débarrassait de son titre et, redevenant tout simplement Ricardo (" votre écrivain préféré "), il offrait aux poulettes avides de sentiments sirupeux les Contes du Coeur ou Les Romans D'Amour... avant de tardivement s'essayer à un érotisme perclus de rhumatismes dans la Collection Amour - des bouquins de 112 pages propres à faire passer la production olé-olé de l'Arabesque pour de véritables défouloirs ultra-pornographiques.

Mais concentrons nous plutôt sur ses romans pour jeunes garçons. Dans ce genre bien défini, le Capitaine Ricardo éclectisait à tout va, transformant les récits de son héros Belge Victor Vincent en une douce auberge espagnole.
Cow-boys, incas, hindoux, gangsters, cannibales, trappeurs, savants fous, fauves exotiques, détectives privées et demoiselles en détresse. Prends-en une poignée et tu verra : ça se bouscule au portillon.
Ça respire la litterature populaire industrialisé comme on l'aime !

Bien entendu, à l'arrivée, le résultat est bien moins folichon que ce que tu serai en droit d'espérer. Le Capitaine Ricardo, ce n'est ni du Paul D'Ivoi, ni du José Moselli, ni du Albert Bonneau et, à moins d'avoir 12 ans et d'être scout et niais (ou bien d'avoir 95 ans et d'être nostalgique et gâteux), Les Nouvelles Aventures de Victor Vincent, ça ne te bouleversera pas énormément le cervelet.




Et pourtant, un Capitaine Ricardo reste toujours une lecture, si ce n'est plaisante, en tout cas amusante. Le format aide : ça pèse 32 pages et ça se torche en moins d'une demi-heure, pauses comprises. Mais surtout, à tirer dans tous les sens, le Capitaine en arrive à satisfaire tous les goûts.
Par exemple, en ce moment, j'aime lire du fantastique. Des histoires de monstres terrifiants, de châteaux écossais, de sorcières grimaçantes, de bossus sadiques... Et, comme de bien entendu, le Capitaine Ricardo en propose. Du fantastique à 5 francs belge la dose. Je m'en suis donc ligoté cinq d'affilé, dans ce genre précis, mais je ne vais pas faire dans le détail.
Car le fantastique, chez Ricardo, ce n'est pas celui des maitres du genre arpentant les brumes de la mer du nord ou les songes fiévreux d'une nuit des masques à Ostende. Pas du tout. C'est plutôt celui du Scooby-Doo d'Hanna-Barbera.
D'abord, parce que nos héros (Victor, Jenny, Morrison et Épervier Volant l'indien) semblent débarquer tout droit du Mystery Van. Ensuite - et surtout - parce que c'est du fantastique aseptisé. La possibilité d'événements extraordinaires est constamment niée avant de se voir résumé dans la conclusion en une ridicule mascarade d'une bande de mécréant qui ne visait qu'à récupérer un héritage ou se débarrasser d'un voisin trop encombrant.
"Nous avons affaire ici à un bandit, qui exploite vos superstition pour perpétrer ses crimes à son aise " affirme à raison Victor Vincent dans Le Spectre de L'Étalon Blanc.
Bref : pas de monstre, pas de malédiction. Juste un déguisement, du maquillage et une habile mise en scène que nos héros mettront à nue dans les derniers paragraphes de chaque fascicule.
"Voila [...] le mystère est éclaircit. " Et c'est tout.
Ce qui n'empêche néanmoins pas le baston d'éclater.

"Hell ! Gare au body osseux du fantôme, si jamais il me tombe sous la main ! Damned ! Je le renverrai dans le royaume des ténèbres, à l'aide de quelques uppercuts bien placés !"
...hurle Morrison dans l'Horrible Terreur... et dans son style inimitable !
Car, et c'est là le plus grand plaisir que puisse constituer la lecture d'un Capitaine Ricardo, les personnages causent en franglais.

Yes, mille diables !
Plus vite, by Jove ! Hell and Devil ! Gare à l'arret brusque, my boy ! Explique-toi, the devil ! Good, by June ! Nous sommes cuits ! Go on, damned !, le tout ponctué par deux savoureuses exceptions censées mieux caractériser nos héros :
Ainsi, ce bon vieil apache d'Épervier Volant aime à déclarer " HUGH ! " en toute circonstance et Victor Vincent, Belge de naissance, ne se départi jamais de son classique beuglement...
"MILLE MILLIONS DE TONNERRES !"
... beuglement qui, en guise de conclusion, ne saurait mieux tomber car, good bon diou d'good god, je n'ai nothing de plus à vous bonnir tonight, les mates !

DIAMANTS POUR SOLITAIRE

Commençons par la couverture : je ne suis pas un fana de tatouages mais un bon vieux bouzillage à l'ancienne, sur une illustration comme celle là, y'a pas à renauder, ça fait franchement bicher.
Composition sublime aussi. Benvenuti était un as.
Fond rouge typique de la branche "Action" en collection La Chouette / Frederic Ditis, diamants épars sur le sol et des arsouilles énervées en noir et blanc qui s'agitent dans l'absence de décor.

Et le bras du héros, avec sa sirène de marin toulonais sentimental, qui se tend vers le brelica, prêt à riposter.
Maintenant, le roman.
Il est écrit par un futur illustrateur pour la jeunesse, Alain Grée. 22 ans à l'époque et plein d'énergie. Diamants Pour Solitaire est son tout premier bouquin mais cela ne se sent pas du tout. On a plutôt l'impression d'avoir affaire à un habitué du genre, sûr de son art et de ses effets.
Le héros se nomme Sylvain Carigor, un aventurier pas si solitaire que ce que le titre voudrait nous faire croire puisque notre homme est bien souvent accompagné par Jo Pauleon, sympathique gorille aussi baraqué que peu futé.
La combinaison est classique : le héros souple et malin comme un félin et son pote le gros bras, façon armoire à glace, en moins frêle.
Quant à l'intrigue, elle est taillée dans le même bois. Deux bandes rivales se disputent une pochette de diams. Débarque Sylvain Carigor, l'homme qui vole les voleur. Il fout ses pieds dans le plat, combine quelques magouilles puis se met l'intégralité du magot dans la fouille.
Parcours sans surprise, ultra-balisé et vaguement plombé par une résolution finale assez grossière.
Heureusement, le style est enjoué, façon Peter Cheney, mais en bien plus cool, et les formulations, extrêmement imagées, font mouche à tous les coups.
Par exemple, dans Diamants Pour Solitaires, des truands "se marrent comme des crocodiles un jour de naufrage."
Rajoutes à ça quelques charmantes ingénues que notre héros emballe en deux temps trois mouvements et le tour est joué.
Ce Diamants Pour Solitaire, c'est ni plus ni moins que le bondissant Valentin Roussel de Noël Vexin / André Helena carambolant les règlements de comptes virils au père Randa.

Ceux qui visualisent ce dont je cause comprendront que la came, sans être exceptionnelle, n'est pas à négliger pendant les week-end ensoleillés.
D'ailleurs, je vous laisse, il est temps pour moi d'aller bouquiner dans un parc.

( Et les références ? Frederic Ditis, collection La Chouette, millésime 1958.
C'est bon, j'peux sortir ventiler mon odeur de renfermé ? merci. )

LA ZIGOUNETTE TRANSCONTINENTALE

L'ALIBI DU LIBYEN, NORMAN ADAMS
GALLIERA / ADAMS # 8, 1974

Voici une lecture aussi effarante qu'atterrante : la huitième aventure de Norman Adams, docteur, espion, baiseur, loser. Hétéro-héros pathétique, adepte des pratiques sodomites sur la gent féminine et justicier international turbinant pour le compte d'une organisation de super Black Panthers Panafricanisés, le Wakanda version agit-prop du Tier Monde - soucoupes volantes, base secrète et technologies haut de gamme - enfin, ça, c'est ce que l'éditeur te promet dans le résumé des premières pages mais ne bave pas trop, de cette joncaille, tu n'en verra jamais la couleur.
Norman Adams, c'est plutôt du SAS d'extrême-gauche - une extrême gauche à prendre avec de fichues pincettes, je te préviens, puisqu'elle aurait plus tendance, cette extreme de la gauche, à définir la position du pénis au repos dans le bénouze de l'auteur que les possibles postures idéologiques arborées par le héros en titre.
Mais reprenons.

Ainsi, dans cet épisode, notre pauvre hère est contacté par Aldo Melone, un multi-miliardaire italien.
L'auteur, qui avance masqué sous le pseudonyme de son protagoniste principal tout en rédigeant ses exploits à la troisième personne du singulier (vas-y donc trouver une logique dans tout ça), l'auteur, donc, semble très en forme niveau blagounettes vaseuses et, page 29, ouvre les hostilités en nous informant des activités du richissime rital en ces termes (je cite car ça le mérite :)

"La MACA et la RONI constituaient [...] les deux mamelles de l'empire d'Aldo Melone."
On se marre doucement mais rassures-toi, il ne s'agit là qu'un d'un tout petit échauffement. Les choses sérieuses débutent quelques pages plus loin avec l'arrivée d'une pute Romaine (et pas Roumaine, s'il-te-plait), fervente adepte de sodome (normal) et grande dispensatrice en reparties comiques façon mantras obscurs.
"Au lit, coït qui mal y baise [...] mais au nid, coït qui mâle y bande," lance-t-elle finement en clôture du premier chapitre.
Clôture des préliminaires itou.
Car, page 35, on a parfaitement comprit que cet Alibi du Libyen, ça allait être la fête au n'importe quoi d'un bout à l'autre du bouquin. Une avalanche de conneries, un déchaînement d'humour qui tombe à plat, je te l'a fait courte : le second degré du trente-sixième dessous à prix discount, 15 centimes la palette (et encore, je suis pas sûr de tout vendre...)
Chapitre deux et avanti ! Adams et son italienne à gros cul discutent vaguement politique ("Oh ! moi, les partis ! À part celles des hommes !" déclare la charmante enfant) puis partent mollement baiser. Prennent enfin un avion qui se retrouve détourné par des terroristes palestiniens.
Ne t'attends pas à de l'action, il n'y en a pas.
Ne t'attends pas à du cul, il n'y en a pas non plus.
Attends toi uniquement à rencontrer un auteur en roue libre, un scribouillard qui s'emmerde en fignolant sa triste tambouille et choisi donc de prendre son fade en assenant de-ci de-là quelques paragraphes au mauvais goût plus vasouillard que distrayant.
Cf. les exemples donnés plus haut. Cf. aussi (et surtout) toute la kyrielle d'aberrations que tu découvrira si, un jour, par mégarde, tu te décides à chiner cet ouvrage.
Pour les autres, ceux qui n'ont pas que ça à foutre de leur temps, ceux qui s'en foutent dans les grandes largeurs (et les longitudes qui vont avec), ceux qui ont d'autres pains à fouetter sur leurs manches, notons tout de même, page 102, ce magnifique trait d'esprit de l'auteur, juste après que la Romaine sodomite ait traitée les terroristes Palestiniens d'enculés :
"Curieux que ce mot définisse les lâches ! Il faut au contraire, du moins me semble-t-il, un certain courage pour se faire défoncer la rondelle. Combien en ai-je vu pleurer sur leur oignon ravagé !"
Notons aussi, toujours pour les même zigues, page 155, cette profonde cogitation de notre héros au sujet des femmes - cogitation qui, peu à peu, semble se transformer en un explosif délire cosmico-lubrique :
"Que croyait-elle donc ? Qu'elle n'était pas une bonne femme comme les autres ? Bourrée de rêves et de pensées troubles ? Gonflée de désirs ? Ruisselante de plaisir, inondée de jouissance ? ... Rien ne déplaisait davantage à Norman Adams que ces pisseuses qui prétendent garder la tête froide en toutes circonstances. La tête, chez elles, ça veut dire le cul ; cette confusion anatomique suffisait à exaspérer le docteur.
' Quand donc les gens sauront-ils de quoi ils parlent ? ' pensa-t-il en se représentant simultanément les seins d'Antonella comme deux énormes grenades gonflées de suc, deux grenades entre lesquelles il eût bandé à planter comme dans des fesses rebondies le pain de dynamite de sa queue exigeante..."
Notons enfin, histoire de conclure, page 177, l'à-peu-près seule scène de cul du bouquin. Norman Adams fourrageant une terroriste Palestinienne, et cette dernière nous faisant l'honneur de partager une brève mais intense éclaircie réflexive :
"Dire que cette queue a traversé des océans et des continents pour venir se ficher là, dans mon cul !"
Et dire que je me suis tapé 220 pages de cette connerie pour en finir là...

UN SUPER-HEROS QUI FAIT "BOUM"

TERMINUS ELDORADO, MICHAËL BORGIA
LE GRAND CHAPERON NOIR, MICHAËL BORGIA
ROBERT LAFFONT / TNT # 6 & # 7, 1979

Série française produite dans les années 70 par Pierre Rey et Loup Durand sous le pseudonyme collectif de Michaël Borgia, TNT m'avait surpris avec Le Septième Cercle, un premier roman aussi délirant qu'halluciné - deux qualificatifs à prendre bien évidement avec les pincettes de cette litterature de genre qu'est le roman viril.
Délirant, halluciné,... mais viril.
Car TNT, ce n'est pas Le Lombilic des Limbes ou Les Chants de Maldoror. Ce n'est pas non plus Vice Versa ou Les Quatriemes Demeures.
C'est du roman de grande-surface, du roman d'homme frustre, du roman d'homme frustre qui laboure et qui calcine, qui débourre et atomise. Du roman d'homme frustre qui rentre de la mine mais goute néanmoins aux fins plaisirs de la chose littéraire. L'homme frustre qui veut de l'action, de la pénétration, de mystification mais sans non plus négliger la beauté de l'écriture et son échafaudage d'intrigues subtiles.

L'homme frustre éduqué, instruit et briqué, en quelque sorte.
Bref. Vient le week-end et le gars s'en va débourser sa menue monnaie. Il sait ce qu'il veut et ce qu'il veut, ce n'est pas du SAS ou du Brigade Mondaine. Ce qu'il veut, c'est du foie gras discount - celui qu'avec l'alcool aidant, tu ne distingues pas vraiment du foie gras de luxe.
Il veut de la qualité.
Et donc, du TNT.

TNT, c'est l'acronyme de Tony Nicholas Twin. Le héros en titre de cette série, c'est à dire notre héros du jour.
TNT, c'est un type super grand, ultra-balèze et très très déterminé. Un journaliste casse-cou transformé via explosion atomique sur un atoll perdu du pacifique en un individu aux capacités physiques exceptionnelles. Les 5 sens décuplés, façon personnage à la Stan Lee, et la proue raide comme le glaive d'un templier. je veux dire que, sexuellement parlant, notre homme est une force de la nature.
Il peut baiser des heures et des heures sans baisser le pavillon ni même verser la plus petite goute de sueur.

Mais surtout c'est un type doté d'un comportement aussi imprévisible qu'inquiétant.
Du genre qui s'exprime avec autant de verve qu'une borne kilométrique tout en t'observant de ses yeux d'un bleu banquise à l'éclat implacable.

Du genre que, juste en l'apercevant au loin, t'as déjà les grelots aux niveaux des genoux et la pomme d'adam qui imite l'ascenseur de la tour Montparnasse.
Du genre qu'à son approche, tu préfères passer ton chemin tandis que les balourds du coin se voient réduire leur couenne de plusieurs portions en une bidoche sanguinolente à faire la fortune d'un grossiste spécialisé en charcutaille malmenée.
Tu piges le topo.
Et donc TNT effectue des missions. Le plus souvent contre son grès. Lâché sur une piste internationale par Arnold Benedict, mécène mégalomaniaque, magnat despotique, bonne poire comique à la sublime pas très éloignée des protagonistes allumés tapissant les œuvres proto-auto-fictionnelles que Pierre Rey publiait dans la collection grand format Robert Laffont.

Ainsi, dans Terminus Eldorado, sixième volume de la série, TNT est envoyé en Amérique Latine pour y démanteler une mystérieuse Armée Noire, regroupement de mercenaires sanguinaires combattant les intérêts du marxisme-léninisme sous les ordres d'un certain Pizarre, "le Napoléon de la guerre subversive", et financée par un certain Torquemada, illuminé grande classe au passé nébuleux.
Chemin faisant, TNT sera confronté a une machine à enseigner la mort (décalque sans grand intérêt du jeu de l'oie constituant le final du Septième Cercle, sa première aventure) avant de découvrir l'Éldorado, cette contrée secrète aux habitants désinhibés comme de grands enfants hyper-sexués et aux fondations rocheuses faites d'or.
Et c'est bien cette dernière partie du roman qui retient toute l'attention, entre exactions virile et poésie bon marché, militaires qui mitraillent et sauvages qui copulent.

Quant au volume suivant, Le Grand Chaperon Noir, il voit TNT affronter le Cancer, un ennemi aussi impalpable que dangereux (disons : Baader-Meinoff sous transfusion de Docteur No), pour assurer la survie d'un enfant hémophile et dont les veines charrient le très rare sang de Bombay.
"De toutes les missions où il s'est jamais jeté, celle-ci est assurement la plus folle..."
C'est un peu survendre l'ouvrage - il faut bien avouer que, pour notre héros et ses auteurs, surpasser les enjeux dantesques de sa première aventure relève de la gageure - mais l'ensemble tient bien la route.
C'est aussi haut en couleur que distrayant. Il y a le royaume des morts et son Staline zombie, il y a le plus grand cirque du monde et sa parade viennoise, il y a enfin des dizaines d'agents secrets se dézinguant à qui mieux mieux dans leurs berlines pendant que TNT course des infirmiers homicidaires maniant le scalpel comme d'autres le surin.
On ne lésine pas sur les moyens.
C'est du grand spectacle avec comme personnage principal un super-héros sex-machine, un baroudeur commando au piston sur-actif.

Et c'est un peu cela TNT.
Une série bigger-than-life - je dirais même plus : bigger-than-gare. Car le roman de gare, dans toute cette infernale tambouille, le roman de gare se voit méchamment tourneboulé.

TNT, ce n'est pas du SAS, c'est de la dynamite !
C'est Paul Loup Sulitzer sodomisé par Serge Brussolo, c'est L'Implacable de Murphy et Sapir revu et corrigé à la française, c'est Doc Savage délirant en pleine crise pétrolière, entre background financier et défonce musclée, surréalisme bien digéré et frissons populaires largement assurés.

Et je m'en vais conclure là dessus.
Car j'imagine que si Joël Houssin avait ghost-writé un pseudo-Exécuteur fantastique pour le compte de Gérard de Villiers, nous ne serions sûrement pas tombé très loin de TNT.
Alléchant, n'est-il pas ?

YVES DERMÈZE SANS CARTIER

CORRIDA POUR UNE ESPIONNE, YVES DERMÈZE
OPERATION À FROID, YVES DERMÈZE
LIQUIDÉ... L'ESPION, YVES DERMÈZE
S.E.G. / SERVICE-SECRET # 102, 109, 114, 1968/69

Yves Dermèze œuvra beaucoup dans l'espionnage populaire des petites collections années 50 et 60. Je l'expliquais dans le billet précèdent, j'y reviens aujourd'hui sous un autre angle.
Car contrairement à la majorité des auteurs investis dans le genre et fixés sur un seul et unique héros, Dermèze variait aussi les plaisirs en écrivant de temps à autres pour la S.E.G. des romans d'espionnage au générique desquels Archibald Cartier, son super agent secret sixties habituel, ne figurait pas.

C'est le cas de Corrida Pour Une Espionne et dans lequel un certain Tony, espion américain, court après Hilda, une ex-espionne en possession d'un document extrêmement important.
L'action se déroule aux alentours de Caracas, les services Russe font leur apparition sous les traits d'un certain Borodine et Dermèze se concentre sur son habituelle formule de la poursuite infernale comme squelette d'intrigues.
Le décors change à la vitesse (très pointue) des protagonistes et les alliances varient d'un chapitre à l'autre.

Trahisons, bagarres, crocodiles affamés, fusillades.
En dépit de quelques grosses ficelles, d'une certaine lassitude pointant pendant le dernier quart du récit et d'un final expédié sans finesse, le lecteur féru d'aventures trépidantes pourra s'estimer satisfait.

C'est aussi le cas de Liquidé... L'Espion. Le héros s'y prénomme Laurent. Agent Français. Il travaille en collaboration avec Madrier, un gonze qu'aurait fait un assez bon second rôle du coté de chez San Antonio, et Cloclo, une modette twisteuse de bonne famille façon Salut Les Copains - Sylvie Vartan jouant les baroudeuses B.C.B.G.

D'entrée (ou presque), Dermèze cite La Double Vie de Théophraste Longuet, le premier Gaston Leroux, et lance son roman sur des prémices pour le moins interloquant.
Aux habituels imbroglio d'espions, il substitue en effet une histoire à dormir debout d'indicateur fantôme.
Les agents secrets de la SDECE s'adonnant aux joies du spiritisme et à l'invocation d'esprits de l'au-delà. Tables tournantes et ouija en lieu et place des micro-émetteurs et des fréquences radio.
Du jamais lu !

Hélas, la suite rationalise le tout. C'est malheureux. On aurait pu espérer un vrai roman d'espionnage fantastique (à ma connaissance, un sous-genre inexistant) mais, oh ! Dermèze connait suffisamment son boulot pour nous servir une jaffe plus qu'appréciable et le plaisir de lecture, pour peu que l'on se montre indulgent, y est bien présent.


C'est enfin le cas de Opération À Froid, dernier bouquin de notre série et meilleure surprise de cette triple pioche.
Cette fois, le héros se nomme Leo Baumerin, dit Le Canard en raison de sa patte folle, la gauche.
Il ne marche pas, il clopine, notre espion. Qu'importe. Il est envoyé au nord du Groenland, saute en parachute et atterri dans une base US.
Sa mission ? Dénicher un traitre. L'auteur et les évènements aidant, il y dénichera bien plus.

"Tout ceci était parfaitement irréel : le silence, la nuit, cette neige qui ouatait le bruit des pas. Une scène de cinéma de 1925. Manquait le piano d'accompagnement, mais peut-être allait-il se déchainer d'une seconde à l'autre, un piano bien rythmé et fracassant."
La sauce est relevée par un groupe de scientifiques Russes chapeauté par une espionne retorse, Maria Petrovna, "la star classique, l'obligatoire élément féminin."
Reclus dans un paquebot prisonnier des glaces, nos soviétiques mènent sur la population locale d'inquiétantes expériences, droguant et charcutant les esquimaux du coin.
Climat oppressant. Angoissant même. L'isolement dans la nuit infinie du Groenland et le piano qui monte crescendo.
Opération À Froid fonctionne comme
Western polaire. Affrontements tacites puis déchaînement inouï de violence... jusqu'à la mort.
À ce titre, le chapitre final est exemplaire puisqu'il parvient à respecter les règles du roman d'espionnage sans pour autant désamorcer les ressorts dramatiques sous-tendus par le décor et développés par l'intrigue.
Mais faisons simple.
Lorsque le lecteur est captivé par les exploits qui lui sont présenté, se trouve maintenu en position d'équilibre sur le bord de son siège par des effets répétés de tension et en vient à se faire du soucis quant au destin du personnage principal, alors on peut affirmer que l'auteur a abattu son turbin avec un taux de réussite dépassant le 100 %.

Le baromètre de contentement proche de l'explosion, je me permettrai néanmoins de rajouter que, question espionnage d'après guerre, Opération À Froid est à ranger dans le même panier que le Silence, Clinique ! d'Eddy Ghilain.
Ou comment un art de la routine sur papier se découvre de merveilleuses ressources d'efficacité et de rythme, accomplissant sans prétention aucune mais avec classe et assurance le contrat-confiance du divertissement en hall de gare ou fauteuil-club - c'est à dire :
2 HEURES D'ENCHANTEMENT NON-STOP

YVES DERMÈZE, LE ROI DE L'AVENTURE

Si il y eu, en France, un grand spécialiste de la littérature d'aventure et d'action, de la littérature pour garçons qui distrait et fait rêver, de la littérature trépidante et consommable en moins de 2 petites heures dans un fauteuil, ce fut sans aucun doute Yves Dermèze.
De son vrai nom Paul Bérato, Dermèze débuta dans les années 40 avec des feuilletons exotiques et mystérieux publiés dans Coq Hardi ou le journal de Mickey. Il s'essaya parallèlement au roman policier classique et à la romance pour tous puis trébucha enfin sur la littérature d'espionnage.

Début 50, on l'aperçoit ainsi aux éditions Jacquier, collection La Loupe Espionnage avec les aventures du Grand Mec puis, en 56, et alors qu'il vient de donner successivement deux chef-d'œuvres à la SF Française (Le Titan de L'Espace et Via Velpa, tout deux publiés par les éditions Métal en Série 2000), il entre à la S.E.G., petite maison spécialisée dans le petit format - ces livres extrêmement fragiles, constitués de trois cahiers de 16 feuillets à la consistance d'un papier toilette premier prix et agrafés à une couverture légèrement glacée. Une illustration criarde figure en dessous du logo de la collection : 078 Service Secret.
S'en suivront alors, pour Dermèze, et jusqu'à la fin des années 60, une bonne soixante-dizaine de romans - et cela, uniquement dans le genre de l'espionnage. À coté, Bérato poursuit son œuvre dans la littérature d'aventure au sens large.
Il passe de la SF aux récits de cape et d'épée sans sourciller.

Ce n'est pas un homme, ce gars-là, c'est une machine !
On comprend aisément qu'il eut fasciné Michel Jeury, lorsque ce dernier, tout jeunot, aspirait à la profession d'écrivain du merveilleux.

"Paul Bérato-Dermèze habitait en Lot-et-Garonne comme moi ! Mes parents exploitaient une petite métairie dans l'extrême nord du département… Je n'ai pas pensé tout de suite que je pourrais lui rendre visite. Je digérais lentement cette chose ahurissante : on pouvait être un romancier d'aventures et habiter en Lot-et-Garonne. Cela semblait incroyable. Mais tous les espoirs m'étaient permis. Ma vocation date peut-être de ce choc…"
Michel Jeury, entretien uchronique paru dans Opzone # 1, 1979

Mais revenons-en à l'espionnage. De 56 à 61, Bérato allonge du texte sous le pseudonyme de Francis Richard. L'année suivante, il se fixe définitivement sur celui d'Yves Dermèze.
À cette époque, la littérature d'agents secrets truste le marché du divertissement. La concurrence se fait rude sur le secteur et La S.E.G. abandonne alors le fascicule jetable, bien trop démodé, pour le livre de poche. Le nombre de feuillets augmente, la couverture se retrouve imprimée sur du carton souple mais l'illustration tapageuse demeure.
Certaines recettes ne changent pas.

Comme les autres auteurs turbinant dans le genre, Dermèze se crée un héros récurrent, quelque chose d'aussi emblématique que de transparent.
Il lui donne le nom d'Archibald Cartier, le fait travailler pour une branche de la C.I.A. dirigée par un certain Mr Smith. Rien ne distinguera cet espion de ses collègues super-stars si ce n'est que, écrit par Dermèze, sa lecture est mille fois plus passionnante qu'un OSS 117 ou un Francis Coplan lambda.
Bien entendu, les affaires sont routinières. D'un auteur à l'autre, nos hommes de l'ombre se démènent continuellement dans des intrigues aux ficelles identiques.
Ainsi, selon l'humeur du moment, Cartier doit protéger un scientifique, démasquer un traitre, récupérer une formule secrète ou bien encore empêcher une nation ennemie de déclencher une nouvelle guerre mondiale.

Ce qui fait la différence ? Le rythme auquel ces exploits sont narrés. Climax à chaque fin de chapitre et renouvellement constant de l'action et des enjeux.
Si il existe une idée qui résume parfaitement l'art de l'écriture chez Dermèze, ce serait celle du mouvement perpétuel. Ses personnages se courent les uns après les autres jusqu'à épuisement (de l'espace d'impression) et l'histoire s'en trouve parfois réduite à une seule et unique poursuite de 200 pages.
Chasse à l'homme ou course contre la montre.
C'est la fuite en avant, la fuite vers l'aventure.

Toute l'œuvre de Bérato-Dermèze est bâtie sur cette notion, ne laissant à aucune des parties investies dans son déroulement (auteur, lecteur, protagonistes) le temps de récupérer son souffle.

Et c'est bien cela qui constitue la grande force de Dermèze, artisan aussi solide que sublime du récit d'aventure : il roule vite et ne s'arrête jamais. L'intrigue est une route, les incohérences des nids de poule. À la vitesse à laquelle il va, ne se ressentent alors plus que quelques légers cahots.
Et tout le reste n'est qu'illusion de grand spectacle, un tableau d'automates à la mécanique aussi bien huilée que parfaitement saisissante, la littérature d'évasion dans toute sa splendeur.