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AU DESSUS DU TOP !

LA VARIOLE ROUGE, DAVID ROME
FLEUVE NOIR / SCUM # 1, 1986

En matière de testostérone littéraire, je ne connais rien de plus viril qu'un roman de Joël Houssin période Fleuve Noir et (pour continuer dans ce registre) en matière de Joël Houssin, il n'existe rien de plus dopé aux stéroïdes que ses six romans d'action signés David Rome, parus au Fleuve Noir entre 86 et 88 et mettant en scène le groupuscule politiquement malpoli du S.C.U.M., le Special Commando Unlimited Mission (vive les acronymes rigolos !), "le commando le plus cher, le plus redoutable et le moins contrôlé de toutes les unités anti-terroriste," soit une belle brochette d'affreux, de barbouzes ultraviolentes et de francs tireurs déjantés, tous foncièrement sans foi ni loi et n'hésitant devant aucune outrance, aucune saloperie, aucun carnage pour atteindre leurs buts.
"Ils ont le vice et la pourriture dans la peau" balance la quatrième de couverture de La Variole Rouge, premier (et meilleur) tome de la série, à la fois roman d'action ultime opposant le S.C.U.M. à une bande de néo-nazis et super-générique de 200 pages permettant à Houssin de présenter en overdrive puissance maximum, pied au plancher et cheveux au vent, la quasi-intégralité de son casting d'enflures internationales.

Tout d'abord : le lieutenant-colonel Fairfax, sniffeur de chnouf et amateur de "jeunes éphèbes," dandy désabusé servant d'intermédiaire entre le S.C.U.M. et les divers agences gouvernementales susceptibles d'en acheter les services.
Ensuite, notre héros : Mark Ross, chef du S.C.U.M.
, ancien polytechnicien devenu acteur de théâtre porno le week-end et exterminateur ramboïde la semaine. Combinaison aussi stupide que jouissive.
S.C.U.M. fleure bon le mauvais goût années 80. On imagine les coiffures peroxydées des figurants, les cascades d'arpèges synthétiques, les voitures de sport grand-luxe qui explosent, les scènettes porno en papier glacé. On imagine une illustration de Melki et le reste du groupe est à l'avenant. Psychologie de film d'action et caractères grossièrement taillés dans la masse, façon garçon-boucher de la fiction pour mecs.

On y trouve Laeticia Vecci, l'espionne nymphomane ("alors salope, [...] toujours le feu au cul ?") et Tran Phan Thi, l'assassin vietnamien super-silencieux.
On y trouve aussi un hooligan nazillon amateur de rif' dans les stades, les frangins Sig Sauer - flingueurs sauvages debarquant assez tardivement dans ce volume ("à eux deux, ils développaient à peu près la puissance de feu d'un bombardier lourd") - et Kevin Sarto dit l'empalmeur, joueur de carte châtré par des arabes et leur vouant une haine féroce.
D'ailleurs, pour persuader ce dernier à venir bosser pour le S.C.U.M., Mark Ross lui déclare, p. 53 : "si tu travailles avec moi, j' te promets qu'on ira casser du raton. Un jour ou l'autre..."

Andrevon, qui considérait déjà Blue comme un roman à l'idéologie douteuse, a dû s'étrangler en lisant ça. On peut comprendre. Houssin maquillé en David Rome, ce n'est pas pour les engourdis du palpitant. Ni pour les caves qui peinent à lire entre les lignes
("en littérature, on a des scrupules à faire parler les personnages avec des termes injurieux tels que 'bougnoule'. On [en] arrive à lisser les textes, les scénarios, à s'auto-censurer, et cette politique n'a jamais fait flechir quoi que ce soit." entretient avec Joël Houssin, Bifrost # 52, 2008.)


Pour le reste, le bouquin fonctionne comme un jeu d'arcade - forme narrative simple et vigoureuse déjà employé par notre auteur sur certains de ces Anticipation, sublimé avec Game-Over et à l'urgence exacerbée par une situation de crise alarmante.
Ainsi, dans La Variole Rouge, les gars du S.C.U.M. ont trois terroristes à neutraliser avant qu'un virus mortel ne se répande sur l'Europe. Le niveau de difficulté augmente de chapitre en chapitre et chaque terroriste peut faire office de boss de fin de niveau - le dernier étant bien entendu le plus redoutable.

Comme toujours chez Houssin, le rythme est implacable et le phrasé, nerveux et tranchant, se trouve légèrement mâtiné d'un argot rappelant la sècheresse et la noirceur d'Auguste Le Breton.
D'ailleurs, si le Doberman, l'autre série à succès de Houssin, refaisait Du Rififi Chez Les Hommes à la sauce Jacques Mesrine sous-amphet', S.C.U.M. peut être considéré comme une version sauvagement burnée de SAS, lancé à toute berzingue sur l'autoroute du feuilleton machiste et télescopant dans sa course folle toute la cohorte des déficients mentaux sur-armés, sur-musclés, sur-couillus que l'industrie du divertissement littéraire et cinématographique produisait par centaine à l'époque.
Le résultat est d'autant plus exceptionnel qu'aucune autre série d'action ne lui arrive à la cheville.

S.C.U.M. va vite, très vite. Si vite qu'il ferait même passer Don Pendleton et ses suiveurs pour de minables scribouillards de romances pour vieilles filles. Cela n'a rien d'étonnant. Il s'agit d'une production Joël Houssin, l'homme pour qui il n'était jamais trop tard pour aller trop loin.
Avec La Variole Rouge (tout comme avec son deuxième Gore et ses cinq autres S.C.U.M.), il est d'ailleurs allé si loin dans la littérature populaire qui claque et qui fonce que personne ne peut espérer un jour le rattraper.
Avis aux amateurs.

JOËL HOUSSIN ET LE GORE

L'AUTOROUTE DU MASSACRE, JOËL HOUSSIN
L'ECHO DES SUPPLICIÉS, JOËL HOUSSIN
FLEUVE NOIR GORE # 2 & 14, 1985

C'est une récurrence chez Houssin, une sorte d'emblème stylistique. Le sanguinolent, l'éclatage de cervelle, les viscères en bouillie, toute la panoplie des étripages divers et des supplices graphiques dont raffole l'adolescent en quête de divertissement compensatoire, de littérature coup de poing.
Le motif était fortement présent dans Locomotive Rictus, il fut un peu plus effacé au Fleuve mais toujours tacite, à peine masqué. Houssin était l'écrivain brutal et nerveux par excellence.
Et si ses premiers Dobermann faisaient dans l'ultra-violence light ("une pénétration en douceur, très lubrifiée" dixit l'intéressé), les volumes suivants, que ce soit en Spécial Police ou en Anticipation, rattrapèrent bien vite le quota de boucherie généralisée qui caractérisa merveilleusement les débuts hallucinés de l'unique représentant de la génération électrocutée.
Ça tombe donc sous le sens. Lorsque Patrick Siry et Daniel Riche lancèrent au Fleuve Noir la collection Gore, ils ne pouvaient penser qu'à Houssin pour ouvrir le bal des atrocités - ce que l'auteur fit... d'une certaine façon... puisqu'il faudrait pour cela écarter de nos considérations un premier volume de collection à la présence plus symbolique qu'autre chose (il s'agissait de la novelisation par John Russo de La Nuit Des Morts Vivants).

L'Autoroute Du Massacre, premier Gore Français, prenait ainsi la forme d'un acte de naissance. Voire même de renaissance - renaissance de cette littérature horrifique francophone populaire, sans légitimation critique, qui s'était en partie éteinte après la défection d'Angoisse au milieu des années 70.
Commandé par Riche un an avant le lancement de la collection, L'Autoroute Du Massacre devait servir à l'établissement du mètre-étalon, ou plutôt du mode d'emploi du format Gore pour les auteurs francophones à venir. 150 pages, plus court qu'un Anticipation, écrit plus gros aussi, approximativement 200 mille signes. Voila la donne. De la littérature rapide, sans fioriture, sans intrigues poussées et surtout doté d'une dose conséquente d'hémoglobine. Un modèle de série b / x / z crapoteuse, racoleuse et brillante appliqué au roman de gare.
Il est d'ailleurs impossible de parler autrement de Gore qu'en abordant le registre cinématographique des salles de quartier. Avec son récit simple, parfaitement découpé, écrit à l'économie sans pour autant négliger le style, L'Autoroute du Massacre ressemble à un scénario de survival transgenre, quelque chose comme La Colline à Des Yeux de Craven carambolant le premier Humanoid From The Deep de la firme Corman. Des mutants squameux chassant l'homme et violant la femelle dans un no-man's-land moderne - ici, une bordure d'autoroute en plein bouchon du 15 aout. L'ensemble carbure en, permettez-moi, super-chrome 2000 mais - si l'on veut jouer au gars chiant - ça ne se dégage pas pour autant de la masse de bouquins Gore que le Fleuve Noir publia.
Certes, c'est bien mieux troussé qu'un Vila, bien plus dans le ton qu'un Pelot ou qu'un Arnaud et surtout bien moins tartignole qu'un anglo-saxon - ça s'affiche donc sans aucune difficulté dans le palmarès des 15 bouquins marquant de la collec' - mais, oh ! pour du Houssin, ce n'est rien de plus qu'un excellent minimum syndical. Pas un roman d'agrément comme Le Chasseur mais pas non plus une claque comme Blue, City ou Game Over.
Pour cela, pour la claque, pour le retournement de sens, pour (j'affirme, je confirme et je surligne) le meilleur roman de la collection, il vaut mieux se pencher sur le deuxième (et malheureusement dernier) Gore de Joël Houssin. L'Echo Des Suppliciés - apex surchargé et frénétique de la collection, morceau de bravoure dégueulasse où chaque page sur-enchérie la précédente, comme si l'auteur touchait enfin aux limites de son style roller-coaster... et les perçaient, impitoyablement - à l'image de ce skieur-victime, page 54/57, piégé sur un tire-fesse et se faisant flageller par des créatures infernales tout le long de sa montée vers un sommet funeste.

L'Echo Des Suppliciés, c'est donc, encore une fois, un bouquin de villégiature. L'autoroute du soleil a fait place aux montagnes enneigées des alpes. Houssin travaille le gore en fonction des RTT du lecteur populaire - et des siennes. Bouquin écrit sur la plage. Saine initiative.
C'est Les Bronzés deuxième édition, pollué jusqu'au fondement par du zombi rital aux coutumes sauvages.

Car si l'influence de L'Autoroute Du Massacre était purement américaine (Craven / Corman), L'Echo Des Suppliciés lorgne quant à lui sur les charniers de l'exploitation argentique transalpine - plus particulièrement sur le Frayeur et l'Au-Delà de Lucio Fulci.

Fini les planifications typique et téléphonées de la série B à l'américaine. Pour L'Echo Des Suppliciés, l'écriture de Houssin se fait furieusement automatique, retranscrivant sans rémission des cauchemars de plus en plus virulents, exactement comme si la Locomotive Rictus abandonnait ses oripeaux d'avant-garde pour revêtir ceux plus vulgaires mais tout aussi ludiques du divertissement de masse.
Et exactement comme dans la Locomotive, exactement comme dans les deux films Fulci, le récit est fracturé jusqu'à l'excès, jusqu'au trop plein.
L'Echo Des Suppliciés s'éparpille en figures narratives mais garde une progression franche et chronologique.
Car ici, l'éclatement des points de vue n'a pour seule finalité que l'incroyable multiplicité de sévices ultra-créatifs appliqués aux divers personnages...
Tout comme le mélange d'aberrations d'outre-tombe qui hantent cet écho infini (morts-vivants, goules, lombrics, sorcières, nature déchainée, serial-killer) ne vise qu'à une augmentation paroxysmique de la folie jusqu'à ce point de non-sens ultime, tourbillon grand-guignolesque qui, dans ses dernières circonvolutions, en révèle bien plus au lecteur que ce que l'œuvre affichait de prime abord à l'acheteur.

"Je pense qu'on n'est jamais allé aussi loin dans les descriptions cliniques des scènes d'horreur" déclarait Houssin dans son auto-entretien pour le Bel Effet Gore, anthologie didactique de la collection. En effet. On ne peut tomber plus juste. Et il est bien difficile de faire mieux.
L'Echo Des Suppliciés est le one-shot qui grille toutes les cartouches du genre.
"Je voulais faire la totale" rajoute-t-il aujourd'hui.

Objectif atteint. L'Echo Des Suppliciés, c'est l'exérèse ultime. Le roman n'affiche plus que des patins à désarticuler en guise de héros. Du scenario de shocker moderne débridé, nous passons à la poésie charnelle et indicible, forcement morbide, des corps soumis à d'incoercibles supplices - supplices n'ayant aucune autre logique que celle d'un cartoon dégénéré.
C'est Chuck Jones perdu dans des délires homicidaires (le gamin et sa luge, page 42). C'est l'obscénité poussée jusque dans ses derniers retranchements. C'est une suite infinie d'images barbares dont les répercutions oscillent constamment entre rire et effroi.

Exercice de style récréatif. Défouloir décérébré et jouissif. Au choix.
Mais il ne faudrait pas oublier que, derrière la pluie incessante d'organes à vifs, L'Echo Des Suppliciés s'affirme (imperceptiblement) comme un grand roman d'humour noir.
"Des salves d'applaudissements de foules idolâtres explosaient dans l'abdomen du pendu tandis que son anus alésé comme une gueule de loup répandait des fracas d'holocauste en guise de pets."
En abordant ce roman dans son guide du Gore, Jean-Philippe Mochon écrivait "je mets au défi quiconque de lire ce bouquin d'un traite" - mais, bien au contraire, ce ne peut être que dans une lecture sur l'instant, en moins d'une heure trente et sans pause, que L'Echo Des Suppliciés embrasse toutes ses dimensions.
Œuvre excessive autant que populaire, ou plutôt populiste, en tout cas soleil noir indiscutable du roman de gare, L'Echo Des Suppliciés permit à Houssin de dire :
"il n'est jamais trop tard pour aller trop loin."
Et en 150 pages, nous allons loin, très loin. Il aurait d'ailleurs été intéressant de poursuivre l'expérience, au delà, sur un autre volume peut être, mais L'Echo Des Suppliciés fut la dernière offrande de Houssin à la collection. Lui qui reprochait à GJ Arnaud d'avoir quitté Gore après deux volumes n'est finalement pas allé plus loin dans l'exercice.

Qu'importe.
L'essentiel est là. Et puis, aurait-ce été bien raisonnable d'aller plus loin ? Surtout : aurait-ce été possible ? Houssin n'avait-il pas tout dit en ces 150 pages aussi fracassantes que fascinantes ?
Pour reprendre encore une fois ses mots : "gardons nous d'être secs avant l'âge."

TIENS, VOILA DU BOUDIN...

OPÉRATION SATAN, DAVID ROME
FLEUVE NOIR / SCUM # 3, 1987

La couverture annonce la couleur. Sur une peinture de Melki, le spécialiste des affiches d'actionner années 80, le doublement génial Paul Kenny nous présente S.C.U.M. Ce n'est pas le manifeste de Valérie Solanas, c'est la nouvelle série de Joël Houssin sous pseudonyme. Un truc d'action à l'américaine, totalement décérébré. Certains prétendaient d'ailleurs qu'il en avait trop honte pour y apposer sa véritable signature.
Houssin étant plutôt du type sans peurs et sans reproches, je demande confirmation... Mais vu le contenu du machin, ce n'est pas impossible.

Donc, S.C.U.M., ce sont les aventures d'une organisation anti-terroriste ultra-secrète, le Spécial Commando Unlimited Mission. Les acronymes ont la vie dure, mais que serait une agence fictive d'espionnage international sans un sigle improbable ?
Et l'agent
number one du S.C.U.M., c'est Mark Ross, polytechnicien, acteur de théâtre porno et mercenaire impitoyable. Une jolie combinaison, illustration parfaite des enjeux de cette série, alliage implacable de la finesse bis et du bon gout militaire. C'est Rambo III accouplé à SAS, un film de la Cannon en plus crade ou bien encore le pocket Elvifrance Jeff Raimbo en mieux raconté. Ce sont des barbouzes caucasiennes reclassés playmates du mois qui exterminent du moyen-orienté fortement musulman. Vous ne trouverez pas plus débile ET plus jouissif ailleurs.
Ainsi, lors d'un petit briefing de mise en bouche avant de partir exploser du jawa des sables dans leur capitale d'intégristes religieux, le beau Mark Ross (physique imposant, sourire
bright, super intelligence) résume les objectifs de son œuvre littéraire à sa troupe d'ultra-violents officieusement assermentés (deux jumeaux allemands débiles amateurs d'UZI, un américain Woody Strodisé pilote d'hélicoptère et une comtesse bimbo nymphomane blonde factice) : "Je vais vous faire le topo exact. Votre job sera d'abattre un nombre indeterminé de miliciens fanatiques et de gardes du corps... Charmant programme, non ?"
En effet. Et ça n'ira pas plus loin. Amateurs d'intrigues, passez votre chemin. Opération Satan (comme tout le reste de la série, j'imagine) se résume à 190 pages d'abattage en tout genre et sans détail dans la bidoche. Explosifs, fusils mitrailleurs, armes blanches, nos héros occidentaux se font plaisir. On a même droit au saucisson pur porc pour la torture de l'entre-jambe d'une jeune espionne musulmane, chapitre 14. "L'interdit religieux lié au porc avait eu raison de sa résistance." Indubitablement, le passage d'anthologie de ce volume.
Mais le reste est à l'avenant. S.C.U.M. va vite, S.C.U.M. ne fait pas dans la dentelle et la dentelle, de par ici, on appelle ça le politiquement correct.
Une conclusion en guise d'exemple :
Après avoir menés à terme l'overkill final, dézinguant ainsi une petite tonne de musulmans, nos joyeux lurons font la java dans un hôtel quatre étoiles. L'un d'eux déclare alors, coupe de champagne à la main : "
Si les Arabes arrêtent de s'entre-tuer, on va se retrouver chomeurs la moitié de l'année..."
Voila ce que je nomme une attestation extrêmement terre-à-terre.

JOËL HOUSSIN APOCALYPSE


BLUE, JOËL HOUSSIN
FLEUVE NOIR ANTICIPATION # 1144, 1982

Je reprends mes soliloques sur Joël Houssin. Et dans la droite ligne de Locomotive Rictus, voila une triplette de Houssin en mode post-apocalyptique, post-roadwarrior, post-punk : Du Houssin qui déboîte, pour parler franc.

1981. Après ses débuts spéculatifs délirants (évoqués il n'y a pas si longtemps) et un petit interlude campagnard, Joël débarque au Fleuve Noir. Primo, Spécial-Police avec le lancement du célébrissime Dobermann, puis, quelques mois plus tard, Anticipation.
La cadence est soutenue, du 200 pages par mois, et le résultât nickel. En l'espace de trois romans, Houssin marque son territoire. Coup sur coup. Ça donne un prototype parfait de ce qu'Ango
isse aurait pu être si la collection avait survécut aux années 70 (Angel Felina), un polar fantastique un peu mou mais sympa (Le Pronostiqueur) et un space opéra glauque et cyberpunk avant la lettre (Le Champion des Mondes). Un tour de piste brillant qui atteint son premier point culminant l'année suivante avec Blue, certainement le titre le plus emblématique du Fleuve des années 80.

Dans un Paris en ruine et isolé du reste du monde par un mur infranchissable, une demi-dizaine de clans guerriers se foutent sur la tronche pour des histoires de suprématie territoriale. Outre les Patineurs de Blue qui usent leurs rollers à pointes métalliques sur l'esplanade du Trocad s'y trouvent les Bouleurs et leurs plaques d'acier frontale, les Saignants et leurs bananes gominées, les Skins et leur mentalité dévoluée, les Youves et leur arsenal militaire et, au fin fond du tableau des scores, les Errants, franc tireurs partisans du chaos total, suivis de près par les Musuls en pleine décadence byzantine dans leur cité souterraine. Un joyeux panel de barbares dégénérés, reflet à peine masqué de la faune loubarde Parisienne des années 80 qui fascinait tant Houssin.
En gros, c'est plus ou moins certains aspects du Dobermann revus et corrigés en S-F d'après le désastre.
Bref, après s'être gentiment massacrés sur un bon tiers du bouquin (ça s'appelle planter le décor), nos ultra-violents du futur, unifiés tant bien que mal par Blue, se décident à passer le Mur qui encercle la cité. Histoire de voir un peu ce qui se cache derrière. Logique mais pas si facile à accomplir. D'ailleurs, une bonne partie de nos barbares resterons sur le carreau.
Mais n'en dévoilons pas trop : Blue est à lire absolument. C'est l'un des 10 romans essentiels de la
collection Anticipation. Pas forcement le meilleur Houssin mais l'un des plus marquant, tant par l'imagerie retro-destroy que par son rythme effréné 100% roller-coaster. La marque de fabrique Houssin, massivement approuvée par les insomniaques lettrés.
Quant au final, il est d'une beauté et d'un pessimisme à faire pleurer en choeur Brussolo et Suragne... Une perle.


CITY, JOËL HOUSSIN
FLEUVE NOIR ANTICIPATION # 1235, 1983

Une autre perle, un peu moins emblématique mais tout aussi géniale, de la période Fleuve de Joël Houssin, c'est City. Le tout premier Houssin que j'ai ouvert. Et lu.
De très nombreuses fois.
D'ailleurs, mon unique exemplaire, circa-98, a plutôt mauvaise mine. Ça se voit un peu au scan.

Mais trêve de ces considérations égotiques... City, c'est la super zone post-atomique. Du néon clignotant, des consoles première génération, des murs de moisissures et des auto-strates à profusion. Le futur des années 80. La capitale des Etats Unis aux habitants zombies dopés aux jeux vidéos. La ville décharge aux mutants marginaux qui envahissent les rues une fois le couvre-feu tombé. Un no-man's land à peine civilisé par ses immeubles corporatistes et sa politique de sports de combat. Un président champion du ring, un maire sumotori et, perdu dans une conspiration qu'il ne peut comprendre, notre héros, Patrick Stanton, le nettoyeur, le super-vigile à la Vista-Cruiser blindée dernier cri, exterminant par plaisir et par profession les rejets sociaux dans d'interminables rodéos urbains.
La classe.
Car City, c'est Norman Spinrad chez Marvel Comics. Les intercepteurs de Mad-Max refaits à grand coup de Roller-Ball. Watchmen chez les italiens. Ou les bandes de Métal Hurlant moulinées en block-buster de ciné bis.
Je complique un peu l'affaire. C'est du Houssin des grands jours : un foisonnement de personnages larger-than-life, un super-vilain à moto totalement inspiré par le Ghost Rider, une certaine roublardise dans les situations et une écriture froide, tendue, nerveuse. Expéditive, à l'image du final, abrupt. Un coup de poing. Probablement l'apex du Joël Houssin période Anticipation - mieux que du roman d'action : de la SF intelligente derrière une façade d'exploitation en relais de gare. Du 190 pages qui ne s'oublie pas, jamais. Un Anticipation de chevet.
J'ai déjà dis ça pour Blue ? OK, rajoutez City à la liste.


GAME OVER, JOËL HOUSSIN
FLEUVE NOIR ANTICIPATION # 1252, 1983

Mais pendant longtemps, Game Over fut un de mes Houssin favori. Peut être plus que Blue et City. Avec son long crescendo hallucinatif, ses évocations barbares, ses quelques expérimentations narratives entre Ballard et Dick et son argot dégénéré maxi-cave, Game Over était un Anticipation plus atomique, plus étrange et plus fiévreux que les 8 autres Houssin qui le précédaient.
Les dix premières pages - la chute des bombes, observées par différentes personnes, quelques secondes avant impact - sont magistrales. Le final, avec son Nazi fantasmatique, ses nains, ses cancrelats et ses vaisseaux spatiaux perçant un ciel uniformément rouge, totalement délirant. Et entre les deux, une histoire de camionneur à iroquoise qui traverse des zones désolées par une guerre nucléaire avec pour tout chargement un mutant précognitif maintenu en état de stase. Un canevas basique qui se mute lentement en mauvais trip, et un joli message d'adieu promotionnel en dernière page.
Car Game Over, c'est quasiment le chant du cygne de Joël Houssin en Anticipation. Encore deux excellents romans (Voyeur et Les Vautours) et il quittait définitivement le Fleuve pour une hasardeuse aventure éditoriale aux cotés de son ex-éditeur Patrick Siry.
Donc, en quelque sorte, c'est le bout de la piste. Le dépôt-bilan. La rétrospective énervée. Locomotive Rictus reformaté Fleuve Noir après une série de visionnages des trente dernières minutes de Mad Max 2. Soit l'équivalent littéraire (tout aussi clinquant et racoleur, mais bien plus imaginatif) des post-nuke ritals qui polluaient avec bonheur les salles de cinémas de quartier aux début des années 80.
Malheureusement, le gros défaut de Game Over, c'est de susciter des attentes qui ne seront jamais vraiment comblées. De ne rien développer jusqu'à terme. Ou de mettre trop de temps à y arriver.
Surtout, et c'est un comble pour du Houssin, Game Over peine à trouver son rythme. Toute la partie centrale du bouquin, la route, les flics, la drogue, l'orgasme, la folie, est bien trop lâche, presque trop sage, à mille lieu de la perfection narrative de ses précédents tours de force. A mille lieux des visions déferlantes de Locomotive Rictus, auxquelles on ne peut pour autant s'empêcher de penser.
...Mais au niveau Anticipation, ça reste tout de même le haut du panier.
Je sais, j'écris cette phrase presqu'à chaque fois que je parle d'un Anticipation. Mais j'adore Houssin et j'aime beaucoup Game Over. Ça ne vaut pas Blue, ou les Vautours, ou City, mais c'est un très bon roman d'après spéculative française. Et c'est un excellent Fleuve Noir.
Il se peut juste que certains lecteurs blasés par un trop plein de Houssin lui demandent désormais l'impossible.

SCI-FI ((( Z ))) POP # 5 : JOËL HOUSSIN !

LOCOMOTIVE RICTUS, JOËL HOUSSIN
OPTA COLLECTION NEBULA, 1975

Enfin ! Du Joël Houssin ! J'aurais dû aborder cet auteur depuis belle lurette déjà. Car, voyez-vous, sans Joël Houssin, je ne passerais probablement pas mes dimanches à mettre à jour ce blog. J'ai découvert Anticipation, la Spéculative-Fiction et les bouquinistes grâce à ses romans - fin 90, juste avant mon bac, pleins de boutons purulents sous le soleil ... Quelle nostalgie, bordel !
Mais trêve d'auto-fiction. Joël Houssin, au milieu des années 70, c'était la relève francophone, les banlieues rouges, la génération électrocutée - en référence à la hung-up generation de Harlan Ellison, grand manitou des Dangereuses Visions, le double missel de la Spéculative.
Houssin débutait alors dans les colonnes de la revue Fiction, encouragé par un Alain Doremieux en pleine montée New Thing. C'était l'époque d'Espaces Inhabitables et de Nouvelles Frontières, d'Anti-Mondes et de Nebula. La période la plus dingue de la S-F, où tout s'écrivait sous substances avec une petite dose additionnelle de cut-up Burroughsien et quelques mesures d'incartade politique en mode ultra-gauche abstraite.

Dans les anthologies fleurissantes et les revues spécialisées, ça se traduisait par la présence répété au sommaire des habituels Daniel Walther, Bernard Blanc, Jean-Pierre Hubert, Dominique Douay et tous leurs amis du parti. Il n'y avait pas foule mais ça constituait une donne de départ plutôt acceptable. Et quant ils ne passaient pas leur temps à se tirer dessus à boulets rouges via des pamphlets abscons sur la place de la politique dans la S-F, nos auteurs écrivaient des nouvelles. Elles était parfois ennuyeuses, parfois illisibles et parfois décapantes. Certains auteurs n'atteignirent pas le cap du premier roman, ni même celui de la troisième nouvelle. Il semblerait que Doremieux ou Fremion recevait de temps à autres des courriers hostiles d'un lectorat pas forcement conquis par ces avant-gardes.
Mais je commence à déraper hors sujet.
Dans cet ensemble hétéroclite de scribouillards à la cervelle en fusion et au poing en l'air, se trouvait Joël Houssin, le jeune loup aux dents longues.
Joël Houssin sortait du lot de la nouvelle Science-Fiction Française pour deux raisons :
l'influence anglo-saxonne en trinité Dick/Spinrad/Ellison totalement assumée et digérée, et un style coup de poing à la puissance de frappe inégalable.
Houssin, c'était de la Spéculative explosé à l'atome, brutale, déchainée, entre Le Grand Flash de Spinrad et Klimax de Daniel Walther.
Comme comparaison, je ne pense pas que ça vous éclaire beaucoup...

Bref, 1975, une année après sa toute première nouvelle (fiction # 249, septembre 74), Opta sort le premier bouquin de Houssin, Locomotive Rictus. Le format est bâtard, façon Galaxie-Bis avec un long récit et deux nouvelles en clôture.
Concentré en 180 pages, Locomotive Rictus, le récit, a déjà la forme d'un Anticipation du Fleuve, revu et corrigé par un camé à l'imagination débordante et malsaine.
Situant son bordel narratif dans une société déglinguée par l'inévitable holocauste nucléaire des années 60-70, Houssin met en scène l'affrontement sans merci des deux classes survivantes : les Laminés, représentants de la norme vivants à leurs aises dans des forteresses de béton, et les Contaminées, hordes de punks mutants à la dialectique marxiste totalement dégénérée.
Le roman se concentre principalement sur la personne de Joe Apocalyps, un nanti laminé, présentateur télé imbu de lui-même et über-exubérant, un peu comme le Jack Baron de Norman Spinrad, minus l'éthique.
Notre gars a mis au point le Mega-Hallucid, une machine incompréhensible destiné à extraire des prophéties d'un fœtus démoniaque enfermé dans le ventre d'une folle. Tout cela pour faire un max d'audimat et, accessoirement, sauver le monde du soulèvement massif des Contaminés désormais en seconde phase évolutive, tendance loup-garou sanguinaire.
La suite, c'est un bombardement de visions infernales et de situations dérangeantes. Bien qu'Houssin cite le Blue Oyster Cult, Locomotive Rictus est aussi jouissif qu'une intégrale live de Throbbing Gristle. Torture corporelle, dimensions de sperme, torrents de violence graphique. Un roman en perpétuelle descente d'acide, de plus en plus sombre, de plus en plus fou. Un soleil noir sur lequel Houssin nourrira ses succès à venir. Un roman jamais réédité depuis la première mort des éditions Opta (circa 79) et pourtant aussi essentiel que, disons, le Gambit des Étoiles.

Quant aux fill-in de luxe qui comblent les 50 dernières pages, il s'agit de Avez Vous Peur du Noir ? suivi par Errat-Homme.
Je passe là dessus rapido : le premier fait dans l'apocalypse raciale, le second dans l'apocalypse politique. C'est court, sans fioriture et radical. Deux belles cerises radioactives sur un gâteau degoulinant d'humeurs cervicale.