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BAROUND GAGNANT !

BAROU(N)D AU FBI, DAVID BERNETT
ÉDITIONS BAUDELAIRE / CHAT NOIR ESPIONNAGE, 1959

Encore une arnaque éditoriale signée André Guerber, et une belle. Baround au FBI. Oui, je sais, le titre se lit Baroud Au FBI sur la couverture mais à l'intérieur, page après page, un "N" solitaire s'incruste entre monsieur "U" et monsieur "D" et l'œuvre devient un véritable barouf du tonnerre.
D'ailleurs, comme nous l'affirme le résumé de quatrième de couverture (après nous avoir gracieusement révélé le nom de l'assassin mystérieux qui sévira entre ses pages) :
" BAROUND AU FBI : MIEUX QUE DE LA DYNAMITE, C'EST DE LA DYNAMITE A LA PUISSANCE MILLE QUE VOUS LIREZ ! "
Une accroche qui déchire et donne envie. Mais puisqu'il s'agit, je me répète, d'une arnaque Guerber, on n'est pas dupe.
Avant même d'ouvrir le roman, on lui sent déjà une fâcheuse tendance à pétarder humide. On se l'imagine tout autre, la soit disant dynamite puissance mille. Et on a pas tout à fait tord.
Mettons donc les choses au clair : dans Baround Au FBI, il n'y a ni baroud, ni baround, ni ba-quoi-que-ce-soit, ni FBI.
Mais alors, il y a quoi, demande le lecteur incrédule ?
Eh bien, il y a Laura, une fille dont le corps " fait ressembler celui de Rita Hayworth à un bloc de ciment mal équarri ! " Contactez Orson Welles, ça devrait l'intéresser !
En fait, Laura est la sœur jumelle de Marion, qui se fait tuer par Fred alors qu'elle comptait se marier avec Mike, un ami de Bob, journaliste qui travaille au New News, équivalent américain du Journal Journal. Laura prend donc l'identité de la défunte Marion, se marie avec Mike, mais Fred tente de la faire chanter et Bob de la tuer.
T'as rien compris ? C'est pas grave ! Comme l'affirme elle-même l'héroïne en page 52 : "cette histoire ne tient pas debout."

N'empêche - et là, je vais te surprendre - Baround Au FBI est un roman policier assez sympa, quelque part entre Vivian P.Marcy (pour les romances dégoulinantes à deux balles), Terry Stewart (pour le punch à l'américaine) et un James Hardley Chase en petite forme, revu et corrigé par la collection Turquoise (soit : de la cruauté et de l'amour, tout mélangé.)
On se posera tout de même quelques questions quant au roman en lui-même car, avec sa gueule de truc filou, Baround Au FBI fait méchamment penser à la combine Cesar Valentino de Agent Secret Contre X.
Rien que le nom de l'auteur a le don d'intriguer : David Bernett, ça sent le pseudonyme de pseudonyme - c'est à dire le pseudonyme maquillé en loucedé par l'éditeur pour mieux resortir, et en ayant l'air de rien, un bouquin de ses fonds de tiroirs sans passer par la case "paiement du scribouillard d'origine."
En gros : je réédite ton texte, avec un nouveau titre et un nouveau nom d'auteur, donc tu ne le sais pas, donc je ne te donne pas de thunes.
C'est une supposition gratuite mais, André Guerber nous ayant habitué à beaucoup de choses farfelues, elle me semble tout à fait plausible.

FRANCE TÉLÉCOM PRESENTE...

CADAVRE A L'AMBASSADE, DIEGO MICHIGAN
LA FEMME AUX DEUX CIGARETTES, A. G. MURPHY
ÉDITIONS JACQUIER / LA LOUPE, 1958

Le sujet avait déjà été abordé ici-même, plusieurs mois auparavant, mais j'y reviens, bille en tête, et en feignant de juger ça important.
(Enfin, à mes yeux, c'est du sérieux !)
Donc, je récapitule pour les cancres au feed RSS mal ajusté : il y a deux manières extrêmement distinctes de débuter son mauvais roman d'espionnage ou policier. J'éjecte la première direct, elle est trop subtile. Et puis, soyons clair (j'ai fait vœu de concision, cf. post précédent), aujourd'hui c'est la seconde qui nous intéresse. C'est à la fois la plus paresseuse et, logique, la plus rependue dans les collections à moins de 200 anciens francs le volume. Elle consiste tout connement à faire sonner un téléphone dans l'appartement du héros.
Ainsi, première ligne, premier chapitre de Cadavre à L'Ambassade : "Le téléphone sonna sur mon bureau." Simple, rapide et efficace pour les attardés de la narration.
Donc le mec décroche et à l'autre bout du fil, c'est son patron du FBI qui lui propose une mission pas très passionnante de 250 pages. Ouch ! 250 pages ! Nous ne remercierons jamais assez les éditions Jaquier pour leur générosité. Les caractères ont beau être bien gros et bien espacés, je dois admettre que les 8 cahiers qui composaient vaillamment ce chemin de croix pour insomniaque me furent difficiles à la boite à neurone, section "conserver son attention". Donc, évitons le résumé et, hop, passons directement au point majeur de cet ouvrage, la révélation de l'identité du Diego Michigan qui se cache derrière ce triste roman de Diego Michigan.
(Ça, c'est du scoop mes cocos !)
"Il ouvrit le sac et en retira successivement : un poudrier, un fume cigarette, un paquet de Players, un petit mouchoir de soie, un bâton de rouge, un ticket de cinéma, une paire de lunette aux verres fumés, une pince à épiler, deux épingles à cheveux et une minuscule coupure de presse annonçant que Willy De Spens était candidat aux Prix Goncourt."
C''est un bien bel inventaire du matérialisme féminin que Diego nous offre là. D'ailleurs, c'est le passage le plus glorieux (littérairement parlant) de ce roman.
Quant au coupable signataire des nos 8 cahiers de l'ennui, il ne s'agit pas des deux épingles à cheveux, ni du rouge à lèvres - ça, j'en suis certain. Pour le reste, débrouillez-vous - moi, j'ai des choses plus importantes à faire, comme, par exemple, définir approximativement les divers degrés de médiocrité du roman de gare Jacquier.

Nos travaux pratiques du jour porteront donc sur La Femme Aux Deux Cigarettes d'A. G. Murphy, qui est tout ce qu'il faut de mauvais pour rester simplement mauvais - exactement comme Cadavre à L'Ambassade. Ce n'est pas du "tellement mauvais que c'est bon", c'est du mauvais mauvais, 250 pages à sauter du paragraphe sans rien sauver de l'infâme bouillon.
Et pourtant, La Femme Aux Deux Cigarettes est bien plus mauvais que Cadavre à L'Ambassade. C'est plus mou et plus con. Mais ça ne l'empêche pas de rester tout aussi nul. En quelque sorte, c'est du mauvais qui stagne, avec un écriteau péremptoire : BAIGNADE INTERDITE, MÊME EN CAS D'INSOMNIE. Je suis sérieux. Et je peux même vous le prouver : c'est un roman à télécommunication introductive.
Donc, premières phrases, premier chapitre :
"Dan Hugues atteignit avec effort la petite table sur laquelle reposait le téléphone. Celui-ci ne cessait de sonner et il semblait au jeune homme que ces appels duraient depuis un éternité."
Nous noterons ici une certaine inventivité dans la mise en scène de l'appel téléphonique. Après, bien entendu, c'est le tout tralala habituel. Notre héros est un super-agent du FBI chargé d'une enquête super-débile. Bon, cette fois-ci, il est aussi membre à plein-temps des alcooliques pratiquants. Ça explique pourquoi il met tant de mots pour décrocher ce foutu combiné : il est bourré comme un coin le saligaud. Heureusement, une tétra-chiée de chapitres plus loin, l'amour (ah ! L'amour !) le sauvera de l'autodestruction par fermentation.
Car La Femme Aux Deux Cigarettes n'est pas un polar mais un ersatz de roman des éditions Nous Deux. J'imagine facilement Anthony Murphy rouler sa bosse en parallèle (tendance diagonale hésitante) pour la collection Delphine ou les romans Murielle. C'est de la guimauve bien coulante, une soupe extrêmement fade dont je ne garderais en mémoire que cette magnifique déclaration d'amour à la virilité toute contenue, page 140, "Je suis en train de penser que vous feriez une délicieuse maîtresse de maison, murmura l'inspecteur presque inconsciemment, avec un abandon inusité chez lui."
Ah, c'est beau, c'est frais, c'est direct. Comme le disait si bien Herbert Léonard : ça donne envie d'aimer.
Ici, l'envie ne fut que fugace.

PSEUDONYME-PARTIE

PITIÉ ACHEVEZ-MOI, DIEGO MICHIGAN
LES EDITIONS DE LA SEINE / COLLECTION RAFALE, 1954

A propos de ses polars, Mickey Spillane disait : c'est la première ligne du premier paragraphe qui vend le bouquin. Ce jour-là, il surestimait un tout petit peu son lectorat.
Je sais de quoi je parle, je suis censé représenter le lectorat visé.
Un bouquin (de ce type, s'entend), ça se vend principalement parce qu'une poupée bien pulmonée et joliment illustrée s'affiche fièrement sur la couverture. C'est logique. Toutes ces salades salaces, c'est pour les gonzes qui ont des goûts esthétiques bien fermes et tranchés. Rajoutez un titre qui s'incruste à vie dans le cervelet et vous tenez dans vos petits doigts boudinés et suants un chef-d'œuvre intemporel du gare jetable.
Et tant pis si l'intérieur est rédigé par un tâcheron anonyme fortement anisé.

Bref, je savais pourquoi j'investissais mes maigres euros dans Pitié Achevez-Moi. Pour la couverture. Et pour le titre. Et aussi pour Diego Michigan. Mais cette dernière attention est plus personnelle.
Pour rester dans le Spillane, je dirais que les dernières phrases des derniers paragraphes de Diego Michigan m'ont vendues ses bouquins suivants...
Car Diego Michigan a beau être un cache-misère collectif, un pseudonyme pour auteurs infortunées aux ambitions plus nobles (genre, la poésie, mais on y mange moins bien que dans le polar bas de gamme), il ne faut pas pour autant sous estimer sa prose facile. Ce n'est peut être pas du André Hélena des grands jours, mais c'est tout de même assez proche d'un George Maxwell ronronnant, le George Maxwell de la Sogedide par exemple. Pour dresser le tableau grossièrement, c'est un truc de mec, avec du sang, des tripes et du cul, mais pas trop sauvage quand même, limite édulcoré.
L'analogie culinaire du Hardboiled étant l'œuf dur, il s'agirait donc là d'un œuf mollet : Ce n'est pas de la littérature à la coque pour vieilles filles toquées de mystères policiers ennuyeux et ce n'est pas non plus un sommet de l'extrême cuisson à eau bouillante façon George Maxwell période le Condor, pour rester dans le comparatif.
Pitié Achevez Moi, c'est le juste milieu. C'est du roman d'hommes écrit par un indécrottable romantique aux passions un peu tordues. C'est un roman d'amour violent. Un Arabesque collection Parme mais sans la guimauverie, le sirop et les considérations sophistiquées. Tout ces trucs de nénettes y sont remplacés par des mitraillettes et des grenades, avec un couple à la Bonnie & Clyde qui dézingue tous azimuts, de la torture soft, du sexe suggéré et, chose toujours appréciable, un peu de misogynie par endroits.
"Il était déchaîné et Minou ne pensait qu'à une chose : se protéger des coups. [...] Ne sachant plus où elle était, ni quel homme la frappait, elle gémissait, puis subitement cria :
- Rudy... Je t'en supplie...
Ce prénom fit à Fred l'effet d'une bombe [...]. Il s'acharna, frappant de toutes ses forces sur Minou complètement nue qui, à plat ventre sur le lit, ne bougeait plus que rarement. Quand elle ne bougeat plus du tout, il se laissa tomber sur elle et, comme un primitif qu'il était devenu, il la prit et tout deux sombrèrent dans un plaisir qu'ils avaient ignorés jusqu'alors."
Notons au passage qu'ils sombrent TOUT DEUX dans le plaisir.
Ah, c'est beau l'amour cruel d'hommes virils et violents, n'est ce pas les filles ?



DU VITRIOL SUR SA TOMBE, PETER VIANE
LE TROTTEUR / LES GRANDS ROMANS NOIRS, 1953

Je continue dans le Diego Michigan avec Du Vitriol Sur Sa Tombe. La couverture (d'Alex Pinon, tout de même) est moins jolie, le titre pas autant tapageur mais le roman (signé Peter Viane) est bien meilleur.
Ou alors était-ce une question de perception.
Car Du Vitriol Sur Sa Tombe, je l'ai lu quelques jours après Pitié Achevez-Moi. Et le rapprochement avec Diego Michigan, je l'effectuais une fois le premier tiers du texte passé : il s'agit en effet des même protagonistes, plus jeunes d'un ou deux volumes. Et l'aventure vécue dans Du Vitriol Sur Sa Tombe était relatée rapidement dans Pitié Achevez-Moi.
Vous parlez d'une surprise - surtout connaissant l'éditeur, le 5 rue des Moulins, pas avare en collections particulières pour ses divers feuilletons romancés.
Mais l'élément le plus troublant de ce mic-mac reste cet emploi du double pseudonyme. Je me gratte le crâne et j'avance un début d'explication. On va bien voir si ça colle...

En 1953, Peter Viane signe coup sur coup trois textes pour les éditions du Trotteur. Trois textes qui se suivent, publiés dans la collection Les Grands Romans Noirs : Ça Va Être Ta Fête, Du Vitriol Sur Sa Tombe et Ne Les Tue Pas Tous.
Fin 53 début 54, la censure et George Maxwell aidant, c'est la fermeture du 5 rue des Moulins. Les Editions de La Seine (futur Editions Baudelaire, Bel-Air, Internationnal Pocket et compagnie, bref, des filous spécialisés dans la réédition masquée) récupèrent une partie du catalogue, principalement du Diego Michigan (comme Bagarre à Macao, re-titré La Belle de Macao), et font de ce dernier leur auteur fourre-tout maison pour les manuscrits restants. Dont quelques histoires de truands romantiques signés Peter Viane.
La liste non-confirmée (car pas lus) des Vianes / Michigan : Un Paquet de Bastos, Pitié Achevez-Moi, Le Tueur Sans Mémoire et Arrête Le Cinéma.
Et si vous avez de plus amples informations, n'hésitez pas à me corriger...

Pour le reste, ce que j'écrivais au sujet de Pitié Achevez-Moi est aussi valable mot pour mot pour Du Vitriol Sur Sa Tombe. C'est du bon noir alimentaire qui, de par son mélange de sentimental et de sensationnel, s'élève quelque peu au dessus de l'habituelle production du Trotteur.
Mais j'en parlerais certainement avec plus de détails une fois l'ensemble de la série dégottée et lue.

SEMAINE NOIRE # 6 : ESPIONNAGE AU RABAIS POUR LECTEURS EN DETRESSE


BOITE DE NUIT POUR ESPIONS, FRANKIE BELINDA
COLLECTION LA LOUPE ESPIONNAGE, 1957

Chers amis, voici une perle bien périmé comme il faut, à la limite de l'illisibilité et du non-sens. Les aventures du colonel John Kallum, en de très nombreux volumes, tous signées par un certain Frankie (F.P.) Belinda, faux américain, vrai Belge, auteur discount mono-terrain officiant uniquement dans les latrines francophiles de l'espionnage made in années 50, quelque part entre du Paul Kenny ravagé et du Jean Bruce alourdi. Une classe à part, indiscutablement. Le plus beau fleuron de l'espionnage au rabais. Mais je reviendrais là dessus très bientôt, avec plus de détails.
(j'en fremis d'avance !!!)
Car Boite de Nuit pour Espions, c'est pas uniquement du Frankie Belinda. C'est même du demi Belinda. Moitié Belinda et moitié... on ne le saura jamais vraiment. 80 pages d'un scribouillard anonyme télescopées avec 80 pages en provenance directe du cervelet malade de ce cher Frankie.
À l'arrivée, ça donne un truc insensé - surtout que le lecteur, trop heureux d'obtenir ce splendide ouvrage avec une blonde pulmonée en couverture, n'était pas prévenu pour un sou. Il est où John Kallum dans cette histoire, bordel ? Et pourquoi c'est presque bien écrit pour une fois ?
Car, en effet, Boite de Nuit pour Espions, dans ses 80 premières pages, n'a rien à voir avec l'approximative diarrhée littéraire que nous distille habituellement Frankie. Pour tout dire, ça ressemble presque à un remake un peu branque de Comme Une Fleur de Richard Stark - avec un ex-boxeur au passé un peu louche qui règle ses affaires financières crapoteuses avec la toute finesse de son direct du droit. Pas très original, tout juste distrayant - et pour du roman poubelle, c'est assez exceptionnel.

Puis, page 86, enter Frankie Belinda. Et rien ne va plus.
Après une longue digression inter-textuelle au comique balourd et indigeste (merci Frankie), John Kallum débarque de nulle part et dégage sans ménagement le précédent narrateur. La suite n'a alors plus rien à voir avec la première moitié du bouquin. Un vrai massacre. Tout les personnages deviennent des espions à la solde d'une cinquième colonne germano-coco, n'entretenant plus d'autre rapport que nominatif avec leurs analogues de la partie Belinda-free. Forcement, l'auteur n'ayant rien d'autre à raconter, John Kallum fait le ménage à coup de fer à repasser les gens, versant dans l'action une petite larme émue pour la poupée pulmonée qui a dû y passer because, malgré ses accointances idéologiques pas très nettes, elle était quant même bien foutue la garce ("Son short, c'était voulu, était tellement étroit qu'on l'aurait cru peint sur ses fesses nerveuses").
Mais pour mieux conclure, autant laisser la parole à Frank :
"[...] l'auteur, ce splendide, ce formidable, cet auteur admirable qu'est l'auteur... vous l'aviez deviné... qui se trouve être dans un juste milieu entre les lecteurs et l'éditeur, ne conçoit plus de livre sans changement de rythme, sans atermoiements divers, judicieusement choisis, qui lui permettent d'allonger son texte, car le spectre des minimums de trois cent mille signes plane au dessus de la rotative qui l'imprimera et il adore la conscience professionnelle des typographes à qui sont confiés ses manuscrits alors... zut ! L'auteur ne sait plus où il en est [...] Qui est-ce qui m'a foutu un auteur pareil ?"
En effet...


DEUXIÈME BUREAU CONTRE X, CESAR VALENTINO
ÉDITIONS DE LA SEINE, 1954 ou 55 (?)

Non mais c'est quoi ce titre ? Deuxième Bureau contre X ? Pour un roman à l'eau de rose soporifique et sans l'ombre d'un quelconque agent, même retraité, de notre grand deuxieme bureau français ? Vous parlez d'une arnaque !
L'auteur, qui crut malin de se dissimuler sous le ridicule pseudonyme de Cesar Valentino (on t'a encore reconnu Maurice !), aurait mieux fait d'appeler son ouvrage Martine dans les Vosges. Du vrai torchon pour fillettes, à peine digne d'un bibliothèque verte défraîchi, avec une gamine bon chic bon genre qui gaspille ses vacances d'été dans cette passionnante région pleine de sapins et de barbus, fait la connaissance d'un beau péon un peu rebelle car braconnier, perd sa virginité au bord d'un lac suisse et, finalement, après moultes aventures que l'auteur aurait certainement adoré nous raconter si il en avait eu les signes necessaires, regagne Paris.
Bon, après, ça devient encore plus passionnant. Le braconnier se retrouve en prison. Martine se retrouve enceinte. Seule et sans emploi, elle décide alors de se prostituer pour élever sa fillette. Cette dernière meurt néanmoins d'une grippe foudroyante. Bon. Martine n'ayant rien d'autre à faire, elle continue à tracer sa voie dans la prostitution mais le braconnier, finalement sorti de prison, la retrouve, la sauve de la rue et après, c'est un happy-end grâce à l'argent qu'il a extorqué aux espions communistes.
...Je me disais bien que j'avais oublié quelque chose dans mon résumé.
Car, en effet, trois espions, dont un petit chinois pervers, se cachent dans les pages de cet extravagant roller-coaster émotionnel qu'est Deuxieme Bureau Contre X.
Si la couverture n'était pas aussi jolie, j'aurais certainement exigé un remboursement.


CETTE FILLE EST DANGEREUSE !, DIEGO SUAREZ
EDITIONS DE LA SEINE, 1954

Encore un titre mensonger et un pseudo craignos. Ça, c'est bien les éditions de la Seine. À une époque où n'importe quel scribouillard s'attribuait un blaze anglo-saxon bien viril pour mieux vendre sa soupe, notre super-éditeur de seconde zone préférait le charme suranné de l'Amérique du sud dans la ligné de l'hypercephalé Diego Michigan. Je sais pas si, commercialement parlant, ça fonctionnait si bien que ça. Cesar Valentino et Diego Suarez, c'est pas tip top comme marque. D'ailleurs, ni l'un ni l'autre n'ont fait long feu.
Mais attention, la comparaison s'arrête là. Diego Suarez, ça n'a rien à voir avec la guimauve Harlequin de Valentin. Diego Suarez, c'est aussi André Duquesne pour les lecteurs de la Série Noire, Peter Randa du coté du Fleuve Noir Special Police et Herbert Ghilen aux éditions de la Seine, qui de toute manière ne faisait pas très gaffe à l'identité de ses auteurs. Bref, Diego Suarez, à tout les niveaux, c'est pas du tendre.
Le bouquin débute à Paris, avec un dur un peu truand sur les bords qui se fait engager par un drôle de gus aux accointances louches pour escorter une poupée (la soi-disante dangereuse du titre) au Caire. En fait, tout ça n'est qu'un prétexte à des imbroglios d'espions sous le soleil du moyen orient, un genre qui faisait fureur dans les années 50, avec des ruskoffs qui suent, des allemands qui magouillent, des chintoks qui exécutent, des frenchies qui bastonnent et des arabes qui violent en groupe de trente notre pauvre héroïne jusqu'à ce que mort s'en suive.
Car cette fille n'était pas dangereuse du tout. Et notre auteur plutôt raciste, ce qui n'était pas vraiment à prouver - les serviteurs dans ce roman sont tous noirs, illettrés et se font quérir à coup de "négro, vient par ici." Charmant.
"Nous ne répondons même pas. Nous marchons droit à la porte d'entrée. Plus il y en aura et plus nous en tuerons. Nous sommes des machines, plus des hommes, et surtout pas des êtres humains."
Après un climax de violence froide façon polar italien des années 70 (chapitre 7), le roman s'essouffle peu à peu, jusqu'à se terminer sur une suite de coups de théâtre pas très passionnants. Mais l'intérêt est résolument ailleurs : dans le style, les descriptions et les propos des personnages, reflets de l'étrange personnalité de l'auteur. André Dusquene. Peter Randa. Diego Suarez. Un romancier populaire marginal, anarchiste d'extrême-droite, raciste, misanthrope, misogyne. Un incompris volontaire, à la fois militariste, individualiste et révolté. Une étrange combinaison pour des lectures au gout fort rance, écrites avec les tripes et gonflées de contradictions.
Du noir corsé, pas très recommandable - tout l'intérêt de la chose, non ?

SEMAINE NOIRE # 3 : TRAGEDIES NOIRES ET NAVET SCIENCE-FICTIF

BAGARRES A MACAO, DIEGO MICHIGAN
EDITIONS DU GLOBE, DATE INCONNUE

Voici une petite bizarrerie de la littérature jetable des années 50. Bagarres à Macao, dernier numéro de la Collection Noire Franco-Américaine aux éditions du Globe avant leur retitrage en éditions du Trotteur au fameux 5 rue des moulins. J'ai déjà évoqué ces imbroglios de façades éditoriales avec les MômesDouble-Shot de George Maxwell il y a un peu plus de deux semaines. Inutile de s'y appesantir d'avantage. Par contre, ça permet de dater le roman - Probablement 1951.
La vrai énigme, c'est Diego Michigan, pseudonyme faussement américain comme il était de coutume à l'époque. Bagarres à Macao en est la première apparition éditoriale, sous la plume de Françoise d'Eaubonne (masqué en traductrice). A priori, c'est le seul roman de Diego Michigan qu'elle signa.
Par la suite, le nom fut récupéré par Willy de Spens, Gerard Prevot ou encore sa soeur Jehanne d'Eaubonne. Diego Michigan devint alors un pseudonyme récurrent aux éditions de la Seine, qui eurent la fâcheuse tendance de l'attribuer à tord et à travers, avant de terminer sa carrière aux éditions de l'Arabesque.
Mais revenons à Françoise d'Eaubonne - sur laquelle je ne savais strictement rien. Google m'apprend qu'il s'agit d'une écrivaine française, fondatrice de l'écofeminisme, du Front homosexuel d'action révolutionnaire et amie de Simone de Beauvoir avec qui elle fut à l'origine du Manifeste des 343. Bref, pas vraiment le profil que l'on pourrait se faire de l'auteur d'un roman noir burné destiné à des mâles en manque de virilité.
"Le saisissant par ses cheveux noirs et crêpus, elle le secoua en vociferant :
- Nous allons lui peler le dos jusqu'à ce qu'il soit à vif. Nous la frotterons de poivre rouge. Nous mettrons des méches entre ses orteils, et nous les allumerons. Nous lui couperons les oreilles avec une lame de rasoir. Tu entendra ses cris. Tu entendra craquer ses os. Tu verras son sang couler et faire une mare au milieu de cette pièce. Dis, veux-tu voir tout ça ? Dis, veux tu te mettre à table, espèce d'ordure ?"
Car Bagarre à Macao, c'est 230 pages d'aventures orientales dans les milieux interlopes de la drogue et du jeu avec son lot de contrebande, de règlements de comptes et de coups fourrés.
Le héros, Duke O'Conan, ridiculement surnommé Oppossum, débarque à Macao après quelques ennuis continentaux et une carrière journalistique en berne. Le bonhomme a le plus pur style Eddie Constantine. C'est un malabar rigolo, bagarreur et séducteur. En moins d'un chapitre, il est embauché par une vieille connaissance, Sullivan, un ancien agent secret désormais faux barman et véritable patron de la pègre locale, qui le charge de s'occuper de sa rivale, la magnifique et dangereuse Mei Wen. Reconverti agent double, Oppossum fait la connaissance de toute une faune pas très fréquentable, tombe amoureux à deux reprise et se retrouve coincé dans un engrenage tragique et implacable.
Ça ressemble à un film hollywoodien des années 40, une adaptation de Hemmingway façon le Port de l'Angoisse ou Key Largo, en plus brutal. Se jouant des clichés du roman noir colonialiste, mais sans pour autant tourner le genre en dérision. L'intrigue est commune, le style classieux, appliqué, avec quelques audaces stylistiques comme un ciel d'un rose chimique de bonbon ou de gaz asphyxiant.
Du très beau pulp, dur et désespéré... pour nous les hommes.


CHAMPAGNE OBLIGATOIRE, NOEL VEXIN
DITIS / LA CHOUETTE, 1956

Deuxième aventure de Valentin Roussel, jeune avocat sans le sou, tête brûlée de la justice civique et tombeur de ces dames. Le précèdent roman, Ces Messieurs de la Famille, l'avait opposé à une bande de corbillards pas très net menés par une dangereuse veuve noire lesbienne. Cette fois, le voici aux prises avec quatre corses et un marseillais, souteneurs de leur état dans des boites de pigalle et organisateurs de braquages le dimanche. Bref, l'habituelle histoire du coup foireux dans lequel s'enfoncent des petits truands pathétiques. Un genre dans lequel Noël Vexin excelle. A ce titre, la peinture qu'il fait du milieu est véritablement succulente.
"- Et mon zob ? clama Orsoni. Non mais vous me prenez pour qui ?
- Pour un cave, répondit durement César. Pour un demi-sel mal affranchi, un coureur de gonzesses et un bavard dangereux. Voila ce que t'es, Orsoni. Moi, je te le dis, puisque les autres n'ont pas le cran de te le dire. Qu'ils se démerdent avec toi."
Le roman est rapide, enjoué, moins sombre que le précèdent malgré une belle monté tragique sur les 20 dernieres pages. Valentin est un personnage attachant, atypique même. Bref, cette serie, c'est un peu Les Nouveaux Mystères de Paris par Noel Vexin. Et malgré un certain aspect routinier, ça reste du divertissement de premier choix.


L'HOMME AUX HUIT TETES, MARC MINERATH
EDITIONS DE LA FLAMME D'OR, 1953

Pour finir, de la vraie saloperie littéraire publié sur du papier bien poreux comme on n'en fait plus depuis fort longtemps. L'Homme à Huit Tête, l'unique roman d'un dénommé Marc Minerath, mais certainement pas le seul de l'auteur qui se cache derrière ce pseudonyme. Mais encore faudrait-il savoir de qui il s'agit. Pendant cette lecture, éprouvante mais heureusement brève, outre avoir quelque peu souri, j'ai beaucoup pensé à Maurice Limat. Mais un Maurice Limat fatigué, avec un style bien plus pataud qu'à l'habitude, des personnages transparents, presque interchangeables, et surtout, des descriptions édifiantes comme ce club de boxe dans lequel nos inspecteurs pénètrent en page 55 :
"Comme personne ne se présentait, ils poussèrent une porte. Une salle spacieuse s'offrit à leur regard.
Deux rings occupés l'un et l'autre par des mordus qui bataillaient ferme et suaient leur courage pour le plaisir de s'ébattre. Disséminés, à terre ou debout, des gars en slip soumettaient leurs muscles à l'exercice quotidien.
Un bruit d'eau sympathique venait de quelque part : des veinards qui goûtaient la volupté de la douche !
"
Voila qui est bien viril. Mais reprenons notre sérieux. L'Homme à Huit Têtes est un roman policier bâtard, du mystère lourdingue à l'ancienne qui vire dans son dernier quart à la science-fiction du pauvre. Je vais tenter de résumer cette grosse bouillie le plus clairement possible.
Une suite de disparitions, celles de trois sportifs renommés, accompagné par le meurtre sordide d'une jeune femme sentimentalement lié à l'un des disparus, met la France en émoi. La police parisienne est en état d'alerte. Du coup, Un inspecteur, un journaliste et un boxeur se lancent mollement dans l'enquête et, 180 pages plus loin, découvrent qu'un super-scientifique mondialement reconnu est à l'origine de tout ce remu-ménage.
En fait, notre savant fou enlève ce qu'il nomme les spécimens parfait de la race humaine actuelle (c'est à dire : des sportifs) pour leur faire subir des bonds évolutifs de quelques centaines d'années et, par conséquence, les transformer en über-sportifs. Et tout ça, inspiré par Léonard de Vinci.
Prends donc ça dans ta gueule, Dan Brown !