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LE COW-BOY ET LES FLICARDS

FLASH AU FAR WEST, MICHAEL AVALLONE
SÉRIE NOIRE # 1193, 1968

Le titre n'est pas mensonger, et pourtant, contrairement à ce qu'il annonce, Flash au Far West n'est pas un western, non, c'est un roman policier.
Je dirais même plus : un roman policier de type police procedural - ce genre majeur des fictions actuelles, inauguré à l'orée des fifties par le Dragnet de Jack Webb (Badge 714 en France) et rapidement peaufiné, transformé, perfectionné par Ed McBain et sa série du 87eme District. Deux influences qui, comme de bien entendu, se font fortement ressentir à la lecture de ce roman de Michael Avallone.

Novélisation papier du feuilleton télévisé The Felony Squad, feuilleton qui remplaça éphémèrement Dragnet sur le petit écran US, Flash Au Far West suit une trame pas très éloignée du premier bouquin qu'Evan Hunter signa Ed McBain : Cop Hater - En français : Du Balai ! - une histoire de tueur de flic, simple et tendue, avec une certaine métronomie dans l'exercice de l'homicide.
Chez McBain, le tueur visait les poulets du 87eme District. Chez Avallone, il s'en prend à ceux du 15eme.
Pas de Steve Carella dans les parages, of course, mais un certain Sam Stone, inspecteur de son état. Quant au supporting-cast, il se réduit à trois vagues tronches : Jim Briggs, l'assistant de Stone, Dan Briggs, le paternel du précédent et Frank Nye, le capitaine de la brigade. Un quatuor transparent, sans grand intérêt, purement utilitaire. Ils sont là pour enquêter, pour justifier une intrigue et y apporter une conclusion.

Car l'originalité de Flash au Far West se déniche résolument en dehors de cette partie procédurière. Ça, ce n'est qu'une moitié de roman.
La seconde se développe en parallèle, dramatique et vénéneuse. C'est l'errance d'un môme qui joue au cow-boy - l'errance d'un tueur - ado texan, Billy the Kid réincarné, criminel inconscient totalement paumé dans le New-York des bas quartiers, avec son stetson, son long pardeuss couleur poussière, sa paire de flingots pendue aux hanches et son crâne empli de fantasmes en Technicolor.
Le roman s'ouvre ainsi sur l'un des duels les plus emblématique du septième art. Un cinéma de quartier diffuse L'Homme des Vallées Perdues. Sur l'écran, Alan Ladd fait face à Jack Palance et dans la salle, le gosse s'en rempli les mirettes... avant de partir tuer son premier flic, à la manière de ses idoles, en combat singulier dans une rue déserte.
"Merde, merde, merde ! C'était formidable, non ? Fantastique ! Merveilleux ! Bien plus terrible que la marijuana ou la gnôle. Bien meilleur que de faire l'amour. Meilleur que toutes les gonzesses du monde. Tu parles ! Pas de comparaison entre Rosie et les pistolets. Les merveilleux pistolets qui jaillissent de leurs étuis, rapides comme l'éclair. [...] Il les sentait remuer comme des choses vivantes. Ils étaient vivants. Ils étaient ses amis. Ses deux passeports pour le pays des Merveilles et de l'Immortalité."
D'autres films viendront jalonner le parcours sanglant du mouflet flingueur. Vera Cruz, La Poursuite Infernale, Jesse James et surtout, Une Aventure de Buffalo Bill par Cecil B. DeMille.
Michael Avallone, génial créateur du privé cinéphage Ed Noon et mitrailleur littéraire par excellence - car capable pour payer ses factures de romancer aussi bien Shock Corridor pour Samuel Fuller (Série Noire # 1028, texte essentiel !) que d'écrire du Coxman pour La Warner et du Nick Carter Killmaster pour Lyle Kenyon Engel, Michael Avallone montre une fois de plus son attachement à l'imagerie hollywoodienne sur celluloïd... et ne manque pas de l'égratigner au passage.
En témoigne cette aversion qu'éprouve le jeune tueur en regard de la gente féminine, aversion contre-balancée par la sensation électrique qu'il ressent au contact de sa précieuse paire de pétards et parfaitement résumée en page 183 par Sam Stone :
"Ça signifie que le jeune cinglé qui fait des cartons sur nos uniformes et se prend pour le tireur le plus rapide de la ville est un impuissant pour qui tirer un coup de feu équivaut à l'acte sexuel."
Roman singulier de par la simple présence d'un protagoniste atypique, réflexion sur une figure populaire (le cow-boy) effectuée par l'entremise d'un genre fictionnel entièrement différent (le polar de commissariat), Flash Au Far West, malgré une charpente conventionnelle, apporte aussi la preuve que l'écriture sous commande n'empêche en rien les ambitions d'une litterature, si ce n'est exigeante, en tout cas de qualité.
À ce petit jeu, Avallone fit des merveilles et il ne va sans dire qu'une bonne partie de sa production (principalement ses 9 romans traduits à la Série Noire et ses 2 Ed Noon égarés aux Presses de la Cité) mérite grandement d'être exhumée de nos cimetières de vieux papiers.

NICK CARTER KILLMASTER, ENCORE

IL COURT IL COURT L'ESPION, NICK CARTER
PRESSES DE LA CITE / UN MYSTERE # 765, 1966

Parangon du héros de feuilleton aux multiples incarnations, Nick Carter connu en 1964 sa toute dernière interprétation sous l'impulsion du légendaire book-packager Lyle Kenyon Engel.
Un book-packager, pour résumer rapidement ce que les anglo-saxons désignent sous ce terme, c'est un producteur littéraire, un commercial des idées et de la plume qui conçoit des possibilités de séries fleuves, embauche ensuite des auteurs sous contrat pour en écrire les volumes et termine par vendre le produit fini à des compagnies d'édition.
Lyle Kenyon Engel usinait donc des guides touristiques, des manuels du type 'comment piloter un hors-bord', des romances pour vieilles filles, diverses choses tout aussi bandantes comme Hobbies For Fun and Profit ou The Fred Astaire Dance Book mais son filon se révéla particulièrement fructueux dans les ornières mal-famées du récit de gare pour mecs des années 60 / 70.
Sans scrupules, il s'attaqua aux grosses tendances burnées de l'époque : action para-militariste, vigilantisme urbain, proto-gore bon marché, heroïc fantasy obtuse, espionnage outré et porno clinique. Tout lui convenait. L'homme était éclectique dans le choix de ses matières premières et mélangeait bien souvent l'ensemble en d'improbables cocktails. De ces dosages à l'emporte pièce résultaient d'étranges itérations et Lyle Kenyon Engel s'érigea en une véritable auberge espagnole de la littérature frustre.
Ses multiples franchises se nommaient (liste non-exhaustive) John Eagle Expeditor, The Aquanauts, The Baroness, Blade, The Vigilante, Dracula, Horrorscope, Balzan Of The Cat People, etc, etc, mais il débuta probablement dans le genre en 1964 avec le personnage de Nick Carter, relancé pour l'occasion en agent secret bigger-than-life sous le blaze additionnel de Killmaster.

Premier volume de la série, Il Court, Il Court, L'Espion (Run Spy Run en VO) initie et concentre en 190 pages toute la glorieuse sève à venir des productions Kenyon manufacturées au kilomètre.
Le roman s'ouvre en misant sur la bizarrerie immanente des récits espionnage cinémascope sixties : un homme descend d'avion. Amputé d'une main, il est pourvu d'une prothèse en acier. Soudain, cette dernière cliquette et, sous les yeux incrédules de Nick Carter, l'homme à la main artificielle explose.
Prologue détonant. Le roman est sur les rails. Nick Carter suit donc la piste. Le reste n'est plus qu'une accumulation de poncifs sur lesquels se déchaîne la prose excessive des mercenaires de la maison Kenyon. Pour cet épisode, ce sont donc Michael Avallone (excellent auteur, responsable entre autre d'une très bonne novélisation de Shock Corridor) et Valérie Moolman qui s'y collent. Leur pâte à tartiner n'a pas la consistance du ciment qu'utilisait l'affreux (c'est affectueux) Manning Lee Stokes mais cela fonctionne tout aussi bien. Les phrases ne s'y refusent aucune outrance et les retenues stylistiques sont honteusement bafouées.
Il faut savoir plaire à ces crétins d'illettrés qui bavent en fantasmes imprimés. Nick Carter bâtit ici son ultime mythe d'alpha-mâle. Il dégaine ses armes fétiches en serviette de bain et se fait " merveilleux spécimen d'architecture humaine." De lui, les auteurs écriront même : "En amour comme en guerre, son corps superbe se comportait avec grâce et vigueur." C'est beau, c'est fort, c'est grand. Érigeons une statue à sa gloire !
Car si Nick Carter est maître tueur, il est aussi maître baiseur. Aucune femme ne peut lui résister. D'ailleurs, aucune femme ne lui résiste.
Dans cet épisode, il fait ainsi équipe avec une certaine Julia Baron, de la CIA. " Elle était très décorative, vraiment."
Les plus beaux compliments sont toujours les plus simples.

Ils font l'amour et il la sauve de quelques dangereux périls. La première partie du programme anticipe les futurs dérives porno-charcutière des productions Kenyon, la seconde affirme par contre sa filiation à une litt'pop' moderne et efficace que certains pourraient considérer "sans âme". Car chez notre book-packager favori, les choses se doivent d'être claires et nettes. Balisées et systématisées.
Place au délire lucratif, pas à l'inventivité.

Ainsi, le héros est lisse comme une peau de bébé cadum et son némesis, particulièrement retors et théâtral. Il se nomme Mr Judas. Il est " le personnage numéro un de l'espionnage international." Ou encore : " le génie sans visage du sabotage." Il est surtout pourvu d'une main en acier. C'est le gimmick de l'épisode. Forcement. Il serait bête de gâcher une aussi bonne idée dès le prologue. Elle se doit de durer jusqu'au bout.
Chez Kenyon, on est économe... mais ça n'empêche pas d'être généreux.
Ce roman en est une preuve. Pas la meilleure, pas la pire. C'est du Nick Carter, c'est du Lyle Kenyon Engel, c'est du Michael Avallone : Il y a des longueurs, il y a des lourdeurs mais tout cela m'est foncièrement sympathique.