IL COURT IL COURT L'ESPION, NICK CARTER
PRESSES DE LA CITE / UN MYSTERE # 765, 1966
Parangon du héros de feuilleton aux multiples incarnations, Nick Carter connu en 1964 sa toute dernière interprétation sous l'impulsion du légendaire book-packager Lyle Kenyon Engel.
Un book-packager, pour résumer rapidement ce que les anglo-saxons désignent sous ce terme, c'est un producteur littéraire, un commercial des idées et de la plume qui conçoit des possibilités de séries fleuves, embauche ensuite des auteurs sous contrat pour en écrire les volumes et termine par vendre le produit fini à des compagnies d'édition.
Lyle Kenyon Engel usinait donc des guides touristiques, des manuels du type 'comment piloter un hors-bord', des romances pour vieilles filles, diverses choses tout aussi bandantes comme Hobbies For Fun and Profit ou The Fred Astaire Dance Book mais son filon se révéla particulièrement fructueux dans les ornières mal-famées du récit de gare pour mecs des années 60 / 70.
Sans scrupules, il s'attaqua aux grosses tendances burnées de l'époque : action para-militariste, vigilantisme urbain, proto-gore bon marché, heroïc fantasy obtuse, espionnage outré et porno clinique. Tout lui convenait. L'homme était éclectique dans le choix de ses matières premières et mélangeait bien souvent l'ensemble en d'improbables cocktails. De ces dosages à l'emporte pièce résultaient d'étranges itérations et Lyle Kenyon Engel s'érigea en une véritable auberge espagnole de la littérature frustre.
Ses multiples franchises se nommaient (liste non-exhaustive) John Eagle Expeditor, The Aquanauts, The Baroness, Blade, The Vigilante, Dracula, Horrorscope, Balzan Of The Cat People, etc, etc, mais il débuta probablement dans le genre en 1964 avec le personnage de Nick Carter, relancé pour l'occasion en agent secret bigger-than-life sous le blaze additionnel de Killmaster.
Premier volume de la série, Il Court, Il Court, L'Espion (Run Spy Run en VO) initie et concentre en 190 pages toute la glorieuse sève à venir des productions Kenyon manufacturées au kilomètre.
Le roman s'ouvre en misant sur la bizarrerie immanente des récits espionnage cinémascope sixties : un homme descend d'avion. Amputé d'une main, il est pourvu d'une prothèse en acier. Soudain, cette dernière cliquette et, sous les yeux incrédules de Nick Carter, l'homme à la main artificielle explose.
Prologue détonant. Le roman est sur les rails. Nick Carter suit donc la piste. Le reste n'est plus qu'une accumulation de poncifs sur lesquels se déchaîne la prose excessive des mercenaires de la maison Kenyon. Pour cet épisode, ce sont donc Michael Avallone (excellent auteur, responsable entre autre d'une très bonne novélisation de Shock Corridor) et Valérie Moolman qui s'y collent. Leur pâte à tartiner n'a pas la consistance du ciment qu'utilisait l'affreux (c'est affectueux) Manning Lee Stokes mais cela fonctionne tout aussi bien. Les phrases ne s'y refusent aucune outrance et les retenues stylistiques sont honteusement bafouées.
Il faut savoir plaire à ces crétins d'illettrés qui bavent en fantasmes imprimés. Nick Carter bâtit ici son ultime mythe d'alpha-mâle. Il dégaine ses armes fétiches en serviette de bain et se fait " merveilleux spécimen d'architecture humaine." De lui, les auteurs écriront même : "En amour comme en guerre, son corps superbe se comportait avec grâce et vigueur." C'est beau, c'est fort, c'est grand. Érigeons une statue à sa gloire !
Car si Nick Carter est maître tueur, il est aussi maître baiseur. Aucune femme ne peut lui résister. D'ailleurs, aucune femme ne lui résiste.
Dans cet épisode, il fait ainsi équipe avec une certaine Julia Baron, de la CIA. " Elle était très décorative, vraiment."
Les plus beaux compliments sont toujours les plus simples.
Ils font l'amour et il la sauve de quelques dangereux périls. La première partie du programme anticipe les futurs dérives porno-charcutière des productions Kenyon, la seconde affirme par contre sa filiation à une litt'pop' moderne et efficace que certains pourraient considérer "sans âme". Car chez notre book-packager favori, les choses se doivent d'être claires et nettes. Balisées et systématisées.
Place au délire lucratif, pas à l'inventivité.
Ainsi, le héros est lisse comme une peau de bébé cadum et son némesis, particulièrement retors et théâtral. Il se nomme Mr Judas. Il est " le personnage numéro un de l'espionnage international." Ou encore : " le génie sans visage du sabotage." Il est surtout pourvu d'une main en acier. C'est le gimmick de l'épisode. Forcement. Il serait bête de gâcher une aussi bonne idée dès le prologue. Elle se doit de durer jusqu'au bout.
Chez Kenyon, on est économe... mais ça n'empêche pas d'être généreux.
Ce roman en est une preuve. Pas la meilleure, pas la pire. C'est du Nick Carter, c'est du Lyle Kenyon Engel, c'est du Michael Avallone : Il y a des longueurs, il y a des lourdeurs mais tout cela m'est foncièrement sympathique.
PRESSES DE LA CITE / UN MYSTERE # 765, 1966
Parangon du héros de feuilleton aux multiples incarnations, Nick Carter connu en 1964 sa toute dernière interprétation sous l'impulsion du légendaire book-packager Lyle Kenyon Engel.
Un book-packager, pour résumer rapidement ce que les anglo-saxons désignent sous ce terme, c'est un producteur littéraire, un commercial des idées et de la plume qui conçoit des possibilités de séries fleuves, embauche ensuite des auteurs sous contrat pour en écrire les volumes et termine par vendre le produit fini à des compagnies d'édition.
Lyle Kenyon Engel usinait donc des guides touristiques, des manuels du type 'comment piloter un hors-bord', des romances pour vieilles filles, diverses choses tout aussi bandantes comme Hobbies For Fun and Profit ou The Fred Astaire Dance Book mais son filon se révéla particulièrement fructueux dans les ornières mal-famées du récit de gare pour mecs des années 60 / 70.
Sans scrupules, il s'attaqua aux grosses tendances burnées de l'époque : action para-militariste, vigilantisme urbain, proto-gore bon marché, heroïc fantasy obtuse, espionnage outré et porno clinique. Tout lui convenait. L'homme était éclectique dans le choix de ses matières premières et mélangeait bien souvent l'ensemble en d'improbables cocktails. De ces dosages à l'emporte pièce résultaient d'étranges itérations et Lyle Kenyon Engel s'érigea en une véritable auberge espagnole de la littérature frustre.
Ses multiples franchises se nommaient (liste non-exhaustive) John Eagle Expeditor, The Aquanauts, The Baroness, Blade, The Vigilante, Dracula, Horrorscope, Balzan Of The Cat People, etc, etc, mais il débuta probablement dans le genre en 1964 avec le personnage de Nick Carter, relancé pour l'occasion en agent secret bigger-than-life sous le blaze additionnel de Killmaster.
Premier volume de la série, Il Court, Il Court, L'Espion (Run Spy Run en VO) initie et concentre en 190 pages toute la glorieuse sève à venir des productions Kenyon manufacturées au kilomètre.
Le roman s'ouvre en misant sur la bizarrerie immanente des récits espionnage cinémascope sixties : un homme descend d'avion. Amputé d'une main, il est pourvu d'une prothèse en acier. Soudain, cette dernière cliquette et, sous les yeux incrédules de Nick Carter, l'homme à la main artificielle explose.
Prologue détonant. Le roman est sur les rails. Nick Carter suit donc la piste. Le reste n'est plus qu'une accumulation de poncifs sur lesquels se déchaîne la prose excessive des mercenaires de la maison Kenyon. Pour cet épisode, ce sont donc Michael Avallone (excellent auteur, responsable entre autre d'une très bonne novélisation de Shock Corridor) et Valérie Moolman qui s'y collent. Leur pâte à tartiner n'a pas la consistance du ciment qu'utilisait l'affreux (c'est affectueux) Manning Lee Stokes mais cela fonctionne tout aussi bien. Les phrases ne s'y refusent aucune outrance et les retenues stylistiques sont honteusement bafouées.
Il faut savoir plaire à ces crétins d'illettrés qui bavent en fantasmes imprimés. Nick Carter bâtit ici son ultime mythe d'alpha-mâle. Il dégaine ses armes fétiches en serviette de bain et se fait " merveilleux spécimen d'architecture humaine." De lui, les auteurs écriront même : "En amour comme en guerre, son corps superbe se comportait avec grâce et vigueur." C'est beau, c'est fort, c'est grand. Érigeons une statue à sa gloire !
Car si Nick Carter est maître tueur, il est aussi maître baiseur. Aucune femme ne peut lui résister. D'ailleurs, aucune femme ne lui résiste.
Dans cet épisode, il fait ainsi équipe avec une certaine Julia Baron, de la CIA. " Elle était très décorative, vraiment."
Les plus beaux compliments sont toujours les plus simples.
Ils font l'amour et il la sauve de quelques dangereux périls. La première partie du programme anticipe les futurs dérives porno-charcutière des productions Kenyon, la seconde affirme par contre sa filiation à une litt'pop' moderne et efficace que certains pourraient considérer "sans âme". Car chez notre book-packager favori, les choses se doivent d'être claires et nettes. Balisées et systématisées.
Place au délire lucratif, pas à l'inventivité.
Ainsi, le héros est lisse comme une peau de bébé cadum et son némesis, particulièrement retors et théâtral. Il se nomme Mr Judas. Il est " le personnage numéro un de l'espionnage international." Ou encore : " le génie sans visage du sabotage." Il est surtout pourvu d'une main en acier. C'est le gimmick de l'épisode. Forcement. Il serait bête de gâcher une aussi bonne idée dès le prologue. Elle se doit de durer jusqu'au bout.
Chez Kenyon, on est économe... mais ça n'empêche pas d'être généreux.
Ce roman en est une preuve. Pas la meilleure, pas la pire. C'est du Nick Carter, c'est du Lyle Kenyon Engel, c'est du Michael Avallone : Il y a des longueurs, il y a des lourdeurs mais tout cela m'est foncièrement sympathique.
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