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EROSCOPE EN VRAC

AH! LES BELLES CARABINIERES, FRANCIS TIGRONE
EPP / EROSCOPE # 54, 1977

Cela faisait un sacré bout de temps que je n'avais pas parlé des petits romans de cul de la maison Eroscope et qui constitue, vous le savez probablement, mon éditeur porno favori puisque, outre leur maquette et les sublimes accroches de couvertures au dessus des titres, leur production apparait, dans l'ensemble, comme bien moins fleur bleue que du Euredif Aphrodite et étrangement plus imprévisible que le Bébé Noir / Brigandine de base, celui qui donne dans la fiction mollassonne de détective privé sexuellement actif et non pas dans le délire d'acide lysergique appliqué à la litt' pop' cochonne.

Car question substances psychotropiques, on est pas toujours à plaindre lorsque l'on s'attaque à du Eroscope. Pour preuve ce Ah Les Belles Carabinières..., recit comico-porcin signé Francis Tigrone, coureur de fond de la litt'porno fin 70 début 80 et dont je n'avais jusqu'à présent lu aucun roman.
Honte à moi car son Ah Les Belles Carabinières est un Eroscope génial, exceptionnel, éminemment grisant au point d'en oublier ses nombreux défauts.

"C'est frais, c'est bon, ça détend, ça délasse" déclare la narratrice, une gendarmette d'un pays imaginaire, embringuée sans le savoir dans une sordide affaire de prostitution.
L'intrigue est classique mais le traitement détonne. Ah Les Belles Carabinières ressemble à du théâtre de boulevard sous cocaïne. C'est grotesque, décapant et Tigrone fait preuve d'un réel talent pour ce qui est de pousser la folie furieuse dans ses derniers retranchements. Son style n'est d'ailleurs pas sans agréablement rappeler le Ricardo Vanguardia de L'Une Dans L'Autre, morceau de choix du porno de commande qui dérape dans les territoires résolument autres de la déconnade déchaînée. Le ton est naïf, excessif, décalé, l'écriture semble parfois automatique, jamais bridée - et surtout pas par des effets de bons goûts.
Bref, c'est du roman paillard par excellence. Tigrone a le verbe haut et ses personnages resplendissent d'absurdité. Ils se pourchassent, se hurlent dessus, s'exterminent et s'amourachent dans des suites de scènettes agressivement fanfaronnes. On pense aux sexy comédies italiennes. En mieux. On imagine Lino Banfi et Alvaro Vitali bouffant du lion et s'embarquant dans d'infernaux numéros de cabotinages - jusqu'à l'apoplexie finale.
Au bout de 120 pages, d'ailleurs, Tigrone montre quelques signes de faiblesses. On ne peut l'en blâmer. Il a improbablement exterminé la moitié de son casting. Le reste est occupé en grivoiseries de tout genre.

"Mon gars," lance un docteur lubrique, "les nénés, la fesse, c'est le principal. Rien de mieux. Vous m'entendez ? Rien de mieux ! La fesse avant tout ! "
Face à un tel étalage d'excentricités, le lecteur est de toute manière bel et bien terrassé, sourire aux lèvres, la bave jusqu'au menton. Le diagnostique est simple. Ah Les Belles Carabinières est une lecture porno-dingo essentielle. Je n'en dirai pas plus. Voila un roman qui va rejoindre sans plus tarder la pile des dix meilleurs Eroscope.


BROOKLYN BLUES, RICARDO VANGUARDIA
EPP / EROSCOPE # 51, 1977

De Ricardo Vanguardia, j'ai déjà, et à de très nombreuses reprises, dis beaucoup de bien. Il y eu son Paire De Femme, une découverte décapante, un polar ultra-sombre aux fondations improbables mais avec quelques grands moments et une écriture sublime derrière le masque de la commande quasi-anonyme.
Il y eu ensuite Poupées de Vinyle, qui confirmait certaines choses, comme les structures bancales et l'écriture merveilleuse mais qui gâchait une intrigue géniale à base de 33 tours kraut-noise érotiques.
Il y eu enfin L'Une Dans L'Autre, dont je vous rabâche sans cesse les oreilles et que je considère comme ma meilleure lecture porno-dingo de ses deux dernières années, juste au dessus de Ah Les Belles Carabinières.
Un bouquin fou, un peu comme si les grands humoristes de la litt'pop' anglo-saxonne percutaient les clichés du road-movie polardeux, un peu comme si John Sladek s'attaquait, à la manière de ses pastiches sur Un Garçon A Vapeur, à l'intégrale de Jim Thomson avec en fond musical le yakiti sax de Benny Hill et à la traduction l'adaptateur anonyme des presses André Guerber.
Combinaison détonante.
Il ne me restait donc plus qu'un Ricardo Vanguardia à me farcir. Brooklyn Blues, son deuxième Eroscope juste après L'Une Dans L'Autre, juste avant Paire De Femmes. je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre, déchaînement humoristique ou ambiance plombée... la seconde réponse fut la bonne. Brooklyn Blues est le bouquin avec lequel Vanguardia marqua enfin son territoire, celui d'un Série Noire parsemé de pornographie brutale pour publication alimentaire, celui du polar fantasmé par un auteur ayant trop lu de David Goodis et de Charles Williams.
Plutôt post-polar que néo-polar, donc, pour m'exprimer en terminologie snobineuse. D'ailleurs, le résumé affiche explicitement la couleur.
"Floyd Kramer. Pianiste. Tape l'ivoire dans une boite de strip-tease. Fauché. Paumé. Minable. Rien pour faire un héros."
Vanguardia ressort des rengaines fatiguées sans les dépoussiérer. Tout juste les écrit-il différemment, de façon plus moderne et pour le compte d'un éditeur de porno. C'est du Manchette licencieux, obscène, littérairement abâtardi. Le résultât est prodigieux.
Phrasé court, nerveux, excellemment rythmé, l'écriture de Brooklyn Blues est étourdissante. Qu'importe si le roman ne raconte rien de véritablement essentiel ou nouveau, qu'importe si sa structure se révèle parfois fumeuse, qu'importe si des sexes émergent de leurs futes respectifs toutes les 6 pages. Ici, le style justifie tout et il a bien raison.

"Le dégout, ils jouissent," écrit Vanguardia en page 55. Les mots tombent comme des couperets. Le lecteur ralenti la cadence. Le bouquin impose son impérieuse volonté d'être savouré signe par signe. Des choses sont racontées. Des gens meurent. La fin est légèrement tragique. Page 219, avant de faire la promotion des Eroscope à paraître prochainement, Ricardo Vanguardia se permet une courte notule biographique :
"Quoique d'expression espagnole, Ricardo Vanguardia est l'un des derniers héritiers du roman noir américain. Le depouillement, la brutalité, l'économie du langage et des sentiments, alliés à une tendresse profonde et rare, sont les pans de l'univers qu'il batit minutieusement livre après livre. Suivant L'Une Dans L'Autre, Brooklyn Blues est son second roman. Le troisieme, Carré de Femmes, sera publié l'année prochaine. Lorsqu'il n'écrit pas, Ricardo Vanguardia, qui partage sa vie entre New York, Paris et Mexico, s'adonne à ses deux autres passions : la peinture et la pêche à l'espadon."

LE GANG DES VIOLEUSES, LOPEZ JERGA
EPP / EROSCOPE # 19, 1976

De Lopez Jerga, j'avais déjà lu son second (et dernier) Eroscope, Silvia Et Ses monstres, récit agréable mais peinant à honorer les attentes du lectorat. La couverture et le résumé laissaient entrevoir un Freaks en version pornographique mais le résultât final se révélait bien trop gentillet.
Au sujet du Gang Des Violeuse, je pourrai réécrire exactement la même chose.
Titre exceptionnel, accroche de couverture totalement bis ("un commando de filles prêtes à tout pour satisfaire leurs désirs..."), sujet racoleur traité comme un fait-divers authentique... mais un texte bien trop lâche, bien trop peureux, hésitant constamment entre sérieux tragique de roman policier bien propre sur lui et délire total pour publication populaire bas de gamme.

Sur une durée de 220 pages, la sensation de cul entre deux chaise est un peu pénible. Le Gang Des Violeuses est à la fois médiocre et sympathique, en tout cas jamais mémorable, sauf pour sa conclusion anti-climatic à souhait. En effet : Jamais je n'avais vu un scribouillard de gare traiter son œuvre avec autant de désinvolture. Car il n'y a pas de conclusion. Le roman s'arrête en plein milieu d'une scène. Une phrase reste en suspens, un dialogue inachevé, comme si l'auteur disait "terminus tout le monde ! j'ai rempli mes 220 feuillets, inutile d'aller plus loin."
A noter aussi les deux pages de prologue, qui révèlent l'intégralité du récit sous la forme d'une fausse coupure de presse, avec tout de même une légère différence quant à la conclusion - un peu comme si, entre la page 6 et la page 196, Lopez Jerga avait changé d'avis sans pour autant retoucher les pages introductives à son texte.
Bref, un bel exemple de je-m'en-foutisme et un joli gâchis.


LA CHAIR DE L'ETOILE, ALAN FLOOR
EPP / EROSCOPE # 121, 1980

De Alan Floor - et bien que possédant divers de ses ouvrages en Eroscope (la série L'Innocent), en Fleuve Noir Spécial Police (Le Trucker) et même en Denoël Super Crime Club (un premier roman sous le nom de Al. P. Floor, Temps de Chiens) - je n'avais jusqu'à présent rien lu. Difficile donc de dire si La Chair De L'Etoile est représentatif de sa production.
Dans l'ensemble, et pour faire vite, l'écriture est bien foutue mais l'intrigue et son traitement sont affligeants. Le récit, qui aurait pourtant pu donner un très bon ethno-SF à la Ursula Le Guin revu et corrigé sous le prisme légèrement dépressif d'un Suragne ou d'un Jeury, se traîne en longueur. Chapitre 6, les choses semblent s'accélérer mais tout s'écroule en quelques pages. Il semble qu'Alan Floor à une histoire à raconter mais qu'il ne sait pas par quel bout la saisir.
Et puis il y a les sacro-saintes scènes porno, nécessaires pour une publication en Eroscope et casées à la va-vite, en songes ou en divagations virtuelles. Largement inutiles, elles ne font qu'alourdir un récit pourtant déjà bien mal en point. La Chair De L'Etoile ressemble à un Anticipation période fin-70, saboulé sexy à l'emporte-pièce pour honorer la commande d'une collection de cul.
Le résultât est attristant - d'autant plus qu'Alan Floor semble assez doué pour tous les protocoles de la SF moderne : le futur éclairé au néon, les conglomérats intergalactiques, les divertissements synthétiques, les intérêts économiques à grande échelle. Ça ne l'empêche pas pour autant de rater sa cible. Il va même jusqu'à faire mentir son accroche de couverture. La Chair De L'Etoile ne contient aucun rapport extra-sexuel.
Et si ce n'est pas aussi mauvais que certains Jean-Marc Ligny, c'est tout de même assez ennuyeux pour qui s'attendait à du Dominique Verseau...

BILAN FINAL
1 découverte délicieuse et épatante, 1 très bon Ricardo Vanguardia et 2 déceptions aux aboutissements plus insatisfaisants que véritablement nuls.
Bref, dans l'ensemble, une assez bonne pioche.

VANGUARDIA OVERDRIVE

L'UNE DANS L'AUTRE, RICARDO VANGUARDIA
EPP / EROSCOPE # 27, 1976

Après deux romans - lus, appréciés, recommandés ici-même - j'avais l'impression de bien connaitre Ricardo Vanguardia.
À mes yeux, Vaguardia était un gars un peu frustre, traducteur le jour, écrivain malveillant la nuit, et qui produisait du série noire à l'ancienne, type années 60, violent, sans concession, un peu comme du Richard Stark caricaturé à l'extrême, pour le compte d'une collection de cul bas de gamme - étant donné que les éditeurs populaires honorables ne voulaient certainement pas monnayer ses humbles talents pour d'autres travaux que ceux d'adaptions.

D'un coté, Vanguardia écrivait donc des petit romans noirs plombés, avec une ambiance lourdement americanisé, exactement celle que l'on retrouvera plus tard chez Mazarin/Necrorian en collec' Gore - fantasmes classique d'auteur français de populaire agressif : le désert façon western moderne, la route, les rednecks incultes, la frontière mexicaine, les bars miteux dans lesquels l'aube ne pénètre jamais et puis la guerre (Corée, Vietnam) en blessure qui peine à cicatriser, la chaleur, la sueur, la crasse, la poisse, l'alcool fort.
Territoire balisé mais efficace.
Ensuite, pour convenir avec les normes éditoriales d'Eroscope, il y a le cul, que Vanguardia tartine par dessus ses intentions originelles en doses massives. Il faut que les personnages baisent, que le lectorat bande. C'est la règle.
Chez lui, heureusement, c'est bien intégré au texte et sacrement moins tarte que l'Eroscope-moyen avec ses petites hippies en pèlerinage de dépucelage extrême-oriental. Vanguardia officie dans le paragraphe coïtal misogyne et brutal. Du rapidement envoyé, mais n'empêchant pas pour autant les romans de souffrir des travers inhérents au genre porno-populaire : intrigue bancale et relâchement stylistique en deuxième tiers.

De cette dernière considération, il faut néanmoins soustraire L'Une Dans L'Autre car ici nous touchons à l'absolu de la littérature poubelle farceuse. Je m'en voudrais de verser dans l'apologie facile mais cet Eroscope, tout premier récit de Vanguardia, est certainement le meilleur bouquin que j'ai pu lire en cette année 2009.
Le lecteur attentif (y-en a-t-il ?) me dira, à juste titre, que ce n'est pas véritablement un gage de qualité - les six derniers mois du pulpbot n'ont en effet été marqués que par du Don Pendleton classique dans sa bassesse et un Regis Lary énorme dans ses excès. Et c'est d'ailleurs à Regis Lary qu'il convient ici de penser puisque L'Une Dans L'Autre est un roman ahurissant d'humour, de folie et de mauvais gout à peine contenu. Ahurissant surtout dans des velléités à brusquer les normes astreignantes du roman populaire via l'usage d'un ton bêtement grossier et trivial. Ce Vanguardia fonctionne en effet comme un pastiche de roman porno-populo, de roman noir vulgaire, de roman de mec qui ne se la raconte pas, marche droit dans ses santiags et crache en biais dans le bidet.

Le bouquin débute exactement comme Paire De Femme. West, dit Flash, dit Rock, est un ancien boxer, ancien G.I., ancien taulard, ancien routier qui se retrouve par les facéties d'un shérif belliqueux à remonter sur un ring de province. Il est censé s'allonger au quatrième round mais les doux yeux d'une blonde incendiaire lui font changer d'avis. Et le voila qui, après avoir assené un méchant K.O. à son médiocre adversaire, se fait la malle avec la pépée sur une interstate des U.S. of A.
On ne voit pas le coup venir.
L'Une Dans L'Autre ne fait que commencer. 20 pages sérieuses, on lit du Vanguardia typique puis soudain, ça bascule. Le ridicule pointe son nez d'un coup un seul et l'auteur met la gomme niveau rodomontade enjouée et hilarante.
Ainsi, après avoir baisés dans une guimbarde lancée à grande vitesse sur l'autostrade, West/Flash/Rock et sa greluche s'écrasent dans la cabane d'un néanderthalien au bulbe rachitique surnommé Folk. Un gonze pas très net, avec un gros gourdin entre les deux guiboles et l'envie de monter de gros coups foireux. Le trio se débarrasse d'une bande de hell's angels nazillards encombrants puis se lance dans une des combines minable de Folk. Le polar-porno sérieux se transforme alors en remake paillard et poilant d'une cloche et deux associés. Ou plutôt d'un de ces buddy-movie prout-prout et americanisé à la Terrence Hill et Bud Spencer. On a le grand con et le gros débile, dynamic duo par excellence de la comédie lourde qui se respecte.
Affreux, sales et méchants, nos deux gniasses se vautrent donc dans la bouffonade à longueur de pages - sans pour autant atteindre les degrés de dégénérescence ultime dans laquelle se complaisaient quelques années plus tôt et au grand dam de Marcel Duhamel Luz Inferman et La Cloduque dans la série (noire) de Pierre Siniac - à vrai dire, ces deux innommables-là sont définitivement hors compétition. Ils feraient même passer Beru et Pinuche pour deux blondes californiennes siliconées certifiées playmates de l'année.
Mais le compte Inferman/Cloduque n'est pas loin. Rock et Folk sont doués pour le pathétique de basse-cour et Vanguardia s'en donne à cœur joie dans le registre loufoque, surjouant le ridicule avec un style de haute-volée que n'auraient reniés ni Ron Goulart et ses suites infernales de situations burlesques ni Regis Lary ou Jean-Pierre Bouyxou pour le déchainement sémantique du scribouillard de gare amusé par sa propre condition.
Bref, la came est excellente.
Laissons nous donc aller aux joies de la dithyrambe immodérée et terminons par une brève mise au point enflammée.
L'Une Dans L'Autre est LE morceau de bravoure de Ricardo Vanguardia, un roman grassement licencieux et grotesquement séditieux qui s'affirme pages après pages non seulement comme un Eroscope exceptionnel (et cela à plusieurs centaines de pourcents) mais aussi comme un roman populaire à ne pas laisser moisir dans les étagères de bouquinistes et les cartons des vide-greniers de campagne sous peine de passer à coté d'un joyaux de la littérature marginale (ou inutile) foutraquement débridée et foutrement détraquée.
Et puis comment résister à un roman porno débutant par une citation de Maïakovski ?
Vous voilà prévenus.

UNE AFFAIRE D'ACCROCHE


SILVIA ET SES MONSTRES, LOPEZ JERGA
EPP / EROSCOPE # 33, 1977

Ce que je préfère dans les romans de la collection Eroscope, ce sont les quelques lignes d'accroche en couverture, juste au dessus du titre. Bien entendu, j'aime aussi leurs photographies, le logo panoramique, la typo très années septantes et même certains de leurs bouquins mais l'accroche, c'est véritablement un truc à part.
Prenez Silvia Et Ses Monstres, signé par un énigmatique Lopez Jerga.
"
Ce qui me plait chez toi, Limpito, ce n'est pas ton ardeur. Non, Madre de Dios, ce qui me plait, c'est ta bosse..."
Comment peut-on résister à ça ? Voila une accroche qui mérite pleinement son nom. Le résumé de quatrième de couv' se montre lui aussi assez prometteur et le réflexe se fait automatiquement. Deux mois passés sans Eroscope, j'étais en manque et celui-ci semblait suffisamment douteux pour combler mon petit esprit malsain.
Le résultat fut, malheureusement, en dessous de mes espérances.
Car, si Silvia Et Ses Monstres est un roman fou, de par ses intentions, il ne se montre pas particulièrement déjanté dans son déroulement. Tout au plus l'écriture de Lopez Jerga se joue d'une amusante structure en journal intime, mais le roman en lui-même n'arrive pas, et particulièrement dans sa seconde moitié, à concrétiser les attendes du lecteur.

Pourtant, Silvia, notre douce et intrépide héroïne du jour, débute sur les chapeaux de roue. Tout juste âgée de 14 ou 15 ans, dégoutée des bellâtres trop propres sur eux mais tout de même foutrement dévergondée, elle charge un borgne sadique de s'attaquer à son dépucelage. Puis viennent un travailleur populaire alcoolique et fou, un bossu débilitant et illettré, un communiste bégüe. Tous des amants hors-pairs et hors-categories.
"
Moi, ils m'attirent, ils m'excitent, ils m'attendrissent, mes pauvres tordus, et (sexuellement parlant), je jouis facilement avec eux," déclare-t-elle à son psychanalyste de famille avant de poursuivre ses expériences, optant pour une posture rousseauiste affectée.
Mais les monstres ne sont qu'entre-apperçus et les enjeux ne montent pas. Le résumé nous annonce des Jivaros réducteurs de têtes énervés. Nous n'en verrons qu'à peine la couleur. Silvia leur préfère un jongleur hippie aventureux et casse-cou. Et l'auteur préfèrera une conclusion hâtée par une mauvaise gestion de l'espace paginé. L'ambition artistique se complait difficilement dans les cadres étriqués de la littérature populaire sexy. Mais tant pis. Les deux-cent vingt pages ci-présentes sont plutôt recommandables. Lopez Jerga écrit bien. il se montre même, par endroits, plutôt drôle. Tout juste manqu
e-t-il de punch, de concision, de violence et de stupre. Mais peut être nous a-t-il réservé ce festival de voluptés viriles pour son second roman en territoires Eroscope, Le Gang Des Violeuses. Un titre prometteur et une accroche... holala, cette accroche !


POUPEES DE VINYLE, RICARDO VANGUARDIA
EPP / EROSCOPE # 132, 1980

Et puisque nous en sommes toujours aux accroches de cette géniale collection de romans pornos, que pensez-vous de "La fille jouissait en 33 tours, moi j'écoutais la voix de son maître..."
Ça, c'est Poupées De Vinyle d'un certain Ricardo Vanguardia, pseudonyme de Richard Matas. J'avais déjà, et par hasard, abordé le cas de cet auteur avec le grossier et stupéfiant Paire De Femmes mais, à l'époque, je n'en avais pas dit tout le bien que j'en pensais.
Car Vanguardia, à défaut de proposer des intrigues solides et prenantes, écrit merveilleusement bien. Nous sommes là en présence d'un auteur d'une trempe neo-polardeuse sincère et touchante, et son Poupée De Vinyle ressemble par endroits, surtout dans sa seconde partie en forme de road-movie dans la semoule, à l'inestimable RN86 de Jean Bernard Pouy.

Et puis il y a, dans ce bouquin, des phrases aussi fortes et inutiles qu'un "Je me réveillais à l'heure où les alcooliques se jettent par les fenêtres." Le génie éclot parfois au détour d'un paragraphe, mais le problème reste, encore et toujours, l'histoire. Il semble, dans Poupées De Vinyle, y en avoir une mais elle est incompréhensible, comme générée en écriture automatique, sans aucun plan préalable, avec la volonté de faire dans le nébuleux et, surtout, de frustrer toutes les attentes provoquées par l'accroche.
Car ils sont où, les disques vinyles à caractères sexuels et leur allemande qui jouit en stéréo sur un background rock proto-punk rugissant que l'on me promettait sur les rayonnages de ma librairie poussiéreuse habituelle ? Passé le premier chapitre, il n'en reste plus aucune trace, même si le résumé fait miroiter une intrigue crasseuse et alambiquée à grand coup d'un "J'étais mouillé jusqu'au coup dans une combine de disques pornos et celui qui m'avait envoyé l'enregistrement devait avoir plus d'un 33 tours dans son sac."

L'idée est exceptionnelle mais ne dépasse pas le cadre d'ébauche. C'est con, de gâcher un truc pareil. Des 33T pornographiques. Super ! Mais pas ici. Passez votre chemin ou accrochez-vous aux meubles. Le héros traduit des romans de cul pour le compte d'un éditeur minable. Il boit, il baise, il s'oublie. Le lecteur aussi mais les formulations sont agréables. Et puis Richard Matas semble en avoir marre, d'écrire ça. Probablement qu'il s'agit là de son dernier Eroscope. Alors, c'est le cul entre deux chaises. De la fesse et du personnel. Encore une fois, les ambitions littéraires ont la vie dure. Les scènes pornos se font plus calibrés, plus calculées. Vanguardia les case, à la volée, en fin de chapitre. Lapidaires et brutales, elles sont imposées sans finesse comme un tribu à payer pour être publié, coute que coute. Elle deviennent surtout mécaniques et ridicules. "
Je l'enfourchais, ma colonne de chair, prolongée d'une boule de feu palpitante, se perdit dans son ventre entre ses fesses satinées. Nos cris se confondirent. Elle aimait se faire enculer." Tout un art de la formule. Le mélange, entre volonté d'histoire décomposée, stylisée même, et abattage de chair sexuelle au kilomètre, renforce l'impression d'étrangeté. Poupées De Vinyle est un naufrage. Un roman bâtard sans aucun intérêt sauf pour ceux qui sauront s'y arrêter, perdre leur temps sur 220 pages et découvrir, si ce n'est la satisfaction littéraire, au moins une certaine curiosité.
Il me reste 5, ou peut être 6, Ricardo Vanguardia à lire, en Eroscope. Et pour rien au monde (à part la cécité), je ne manquerais ça.

(PS : petit exemple des facultés colorimétriques de mon nouveau scanner : l'étiquette de prix barrant le poupée de Poupées De Vinyles n'est pas blanche mais bien orange dans la réalité. Quant à la couverture de Silvia Et Ses Monstres, elle arbore une teinte rosée et non pas violette. Mais je vais m'appliquer à améliorer tout ça.)

COCHONNERIES EN VRAC

POUR TOUT L'ÉGOUT, SÉBASTIEN GARGALLO
ÉDITIONS DE LA BRIGANDINE, 1980

Chose promise, chose due : la farouche poitrine de Brigitte Lahaie, accompagnée de son ensemble cuir rouge flashy
so eighties qui ne couvre pas grand chose. Bon, voila, ça, c'est fait. Ensuite, le bouquin - et c'est une autre paire de miches ... pardon, de manches.
Pas que Pour Tout L'Égout soit exécrable, ou juste très mauvais. C'est un Brigandine. ça se lit donc plutôt bien et c'est parfois même marrant.
(En fait, celui-ci fonctionne comme une comédie porno vaguement maquillé en parodie de polar avec tout le tralala habituel : Le détective privé alcoolique, les flics tocards, la secrétaire amoureuse, la veuve éplorée et nymphomane, bref, vous pigez le topo.)
Le problème, c'est que l'ensemble manque cruellement de piquant. L'intrigue est aussi touffue et originale qu'un Nestor Burma - et je ne parle pas des chef-d'œuvres de Leo Malet (hola !!!), je parle de l'adaptation télévisuelle années 90. D'ailleurs, on ne navigue pas très loin de la pitoyable interprétation de Guy Marchand. C'est du stéréotype de stéréotype - la voix-off, l'attitude branleur-dragueur, les rapports taquins avec la maison poulaga, et compagnie.
J'imagine qu'il y a derrière tout cela une volonté de second degré mais elle ne fonctionne pas. C'est donc doublement lourd.
Surtout, Pour Tout L'Égout fait dans la facilité. Gargallo semble se contenter d'une routine plan-plan faite de filatures tranquilles et de petits règlements de comptes pépères. Aucune menace, aucun risque, aucune tension, aucun retournement de situation, tout juste des parties de jambes en l'air en guise de climax de fin de chapitre.
(Ce qui peut constituer un "retournement", mais d'un tout autre genre... sigh...)
Bref, l'ensemble ne décolle jamais. Le lecteur ne s'emmerde pas vraiment mais, dans le genre bouquin de gare, on a connu bien plus palpitant que ce Pour Tout L'Égout en forme de minimum syndical du polar-porno.


SAINTE N'Y TOUCHE, DAN CURTISS
PROMODIFA / MYSTEROTIC # 28, 1977

Mais il y a aussi bien pire. Tiens, par exemple, Sainte N'Y Touche. Un roman signé Dan Curtiss, le grand Dan Curtiss, habitué notoire (pour ceux qui fouinent dans les rébus Emmaüs) des petites collections pas très nettes années 70.
Curtiss, on le trouve coup sur coup chez les rigolos de Transworld (maison établie en Andorre), du Jaguar Rouge (à Nice) et de Promodifa (Marguerittes). Une belle brochette de fortiches de la publication bâtarde. je dirais même plus : les héritiers spirituels des éditions de la Seine, Baudelaire, Bel-Air et compagnie. Ça vous place le bonhomme, ce curriculum-là.
Car Curtiss est à l'image de ses patrons : Ce n'est pas un écrivain, c'est une photocopieuse.

Ainsi, dans ce superbe Sainte N'Y Touche, notre Xerox 9700 en chef nous fait grâce de son imitation raté favorite : le Mickey Spillane à petite définition, cartouche d'encre vide et bourrage papier à la sortie (coté lecteur, donc).
Mais cette fois, Dan Curtiss fait aussi un truc inouï. Il écrit sur les exploits de... Dan Curtiss ! Oui, Dan Curtiss est Dan Curtiss, le détective privé super-dur, super-baiseur, super-efficace. Le mec ultime. Mike Hammer Redux.

"Regardez-moi, je suis Dan Curtiss. Je n'ai jamais fait d'entourloupes de ma vie, sauf pour la bonne cause. On me reproche d'avoir le doigt trop facile sur la détente mais je n'ai jamais descendu que des salopards. [...] J'ai le droit pour moi, et un code d'honneur. On m'a donné un permis port d'arme pour assurer ma protection. Je l'assurerai, ne vous en faites pas. Ce n'est pas moi qui tirerai le premier. Mais je vous jure bien que le gars d'en face me ratera et je ne le louperai pas."
Ouais ouais ouais. Il parle beaucoup, Dan, mais il ne fait pas grand chose. Il saute quelques nanas par-ci par-là, il descend quelques gus dans les mêmes parages et il pompe des verres de whisky avec son pote le flic incompétent. Comme n'importe qui d'autre, quoi.
Sinon, les riches sont corrompus, les pauvres sont bêtes et le coupable est une femme. Vous l'avez compris : c'est à éviter.


LA PERMISSION DE MINUIT, MICHEL BRICE
PLON / BRIGADE MONDAINE # 16, 1978

Je poursuis dans la même catégorie (la catégorie : "à éviter" - qu'est-ce que vous êtes tête-en-l'air, parfois !) avec un Brigade Mondaine, numéro 16, La Permission de Minuit.
Le principe de cette série se pige rapido : il y a du cul (un paragraphe timidement explicite tout les deux ou trois chapitres) et, en toile de fond, une enquête décalquée sur un mauvais San-Antonio. Mais sans l'humour. Tout juste retrouvera-t-on une figure berrurienne en Aimé Brichot, le gros sidekick bien franchouillard et obsédé qui trempe parfois son biscuit pour susciter des effets comiques bien finauds genre "
Ah! Ah! Aimé, il a attrapé la chaude-pisse avec la petite anglaise !"
Donc, si vous êtes clients de ce type de farces hautement distinguées, n'hésitez plus. Lancez-vous. La Brigade Mondaine, c'est pour vous. C'est même du sur-mesure.
Les autres pourront éventuellement se consoler avec les fortes doses de sexualité
barely-legal qui saupoudrent l'ensemble (quand il ne s'agit tout bonnement pas du not legal at all !) tout en étudiant minutieusement les implacables méthodes policières de Boris et Aimé, notre duo de choc.
Ainsi, dans La Permission de Minuit, les deux lascars sont défrayés à La Baule pour démêler l'écheveau d'une sombre affaire de viol. Ils se posent à l'hôtel, boivent du pinard, draguent des touristes, vont en boite et décuvent sec le lendemain. Ils n'enquêtent pas, ils ne foutent rien : ils attendent que ça leur tombe bien chaud dans le bec. Et c'est d'ailleurs ce qui arrive à la fin grâce à un petit futé du Club Mickey régional qui explique à Boris les rouages extrêmement complexe du leetspeak d'époque (cette technique qui consistait à écrire SOLEIL avec une calculatrice).
Après, ils coffrent le méchant (un industriel vicelard) et repartent à Paris recevoir félicitation et primes.
A titre indicatif, je me permettrais de vous rappeler que ces deux corniauds sont financés par le contribuable français.


PAIRE DE FEMMES, RICARDO VANGUARDIA
ÉDITIONS & PUBLICATIONS PREMIÈRES / EROSCOPE 1978

Le meilleur pour la fin - ce qui, je l'avoue, ne veut plus dire grand chose après du Dan Curtiss et du Brigade Mondaine.
Et pourtant, malgré de fortes tendances à la médiocrité irrécupérable, Paire De Femmes (quel titre !) sort indéniablement de notre lot quotidien d'érotisme au rabais.
Contrairement aux trois romans précédents, Ricardo Vanguardia (que je soupçonne de n'être qu'une façade de Richard Matas, traducteur en Série Noire) n'y est pas allé de main morte. Il a écrit son bouquin de cul comme d'autres ont pu tourner des films pornographiques à l'usage de la
42nd street. Ambiance glauque, style nerveux, sexualité brutale. Et une histoire hardboiled ultra-simplifié, avec un ex-avocat qui boit de l'alcool dans des bouges mal famés, passe la nuit avec des putes mexicaines et règle ses comptes avec un pédé camé et sa bande de flics corrompus.
Ça pourrait ressembler à du Charles Necrorian mais ça s'essouffle au bout de 80 pages, devient illogique puis part dans tout les sens. On a un peu l'impression que Ricardo/Richard ne sait pas très bien comment remplir les 140 pages restantes. Ce n'est pas très grave car, parfois, l'espace de quelques paragraphes, l'auteur abandonne son histoire poussive et sort toute une artillerie lourde de vulgarité ampoulée. Nous entrons alors, et de plein pied, dans la vraie (et grande) littérature de baise pour chauffeurs-routiers, celle qui fit la gloire d'Eroscope et qui est à l'image même du fier organe masculin. Puissante. Dévastatrice. Et sans aucune retenue.
Les amateurs de poésie, d'amour et des productions Gerard De Villiers sauront apprécier à sa juste valeur toute la subtilité de ce passage foutrement emblématique du style Paire De Femmes :
"Elle éprouva la pleine sensation d'un phallus géant qui ouvrait avec puissance un chemin de plaisir immense dans les muqueuses palpitantes de son vagin.
Alors il éjacula.
Elle voulut être reprise.
Elle le suça de longs instants, cessa, se retourna; elle voulait être enculée. Il la sodomisa, à la limite de la douleur, il y eut la jouissance."
Tout est dit, je crois...