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LE MÉDIOCRE, CE N'EST PAS SI MAL...

GRACIAS GRINGO !, HENRY LEWIS
PRESSES NOIRES ESPIONNAGE # 162, 1968

Selon une source aussi infaillible qu'essentielle (le forum À propos de littérature populaire), derrière le pseudonyme d'Henry Lewis se cache Henri Trémesaigues, écrivain Coursannais plus connu sous l'alias d'H.T. Perkins. À la lecture de ce Gracias Gringo, le doute n'est d'ailleurs jamais vraiment permis. On le reconnaitrait entre mille : c'est bien son style alimentaire aux tournures tragiquement peu alimentées qui sévit tout le long de ces 220 pages.
Car l'homme noircit ses feuillets d'une façon toute économique. On est très proche du synopsis de bande dessinée dépouillé de toute préciosité comme de ses plus simples artifices.
La prose est grossiere, brute, sans grâce ni intérêt. Sujet verbe compliment est le cocktail favori de notre auteur. Pourquoi faire compliqué lorsqu'on s'adresse à des simples d'esprit ?
Tout au plus rajoute-t-il de-ci de-là quelques éléments de syntagme en guise d'accompagnement, quelques fioritures lexicales plus utilitaires que décoratives. Pour reprendre l'analogie avec la BD, si l'écriture est l'équivalent du trait, alors Henri Trémesaigues dessine du petit-format importé d'Italie et publié à l'emporte-pièce par André Guerber et ses potes.


Étonnant, du coup, de remarquer qu'il fut grand ami avec Roger Maury, allant même jusqu'à collaborer avec ce dernier sous le pseudo de Henri Trey.
Pareille combinaison laisse rêveur. Trémesaigues, le grossiste de la phrase en kit et Maury, le besogneux Toulousain qui tressait à la truelle d'insensés romans d'espionnage aux envolées (forcement) lyriques et aux images pataudes. L'un se voyait en Lamartine du gare et l'autre usinait tranquillement en mode télégraphique.
Les deux extrêmes du spectre populaire bas de gamme...

Mais ne nous égarons pas. Nous recauserons de Trémesaigues (et de sa clique) très prochainement. En attendant, revenons-en au bouquin du jour.

Dans Gracias Gringo, le héros se nomme Richard Beaumont, agent au service du A.A.A., un sub-bureau ultra-secret de la C.I.A.
Le nom de code de notre homme ? Agent 0777.
"Un matricule de robot attribué par un ordinateur [...]
0 notait le sens de la morale de l'agent.
7 son aptitude aux différents sports de combat et à la survie dans des conditions determinées...
7 son intelligence, son sens des possibilités, sa confiance en soi...
7 sa notion d'homme libre, son attachement à sa patrie et à son idéal..."
Doté d'un quart de sang Français et propriétaire d'une riche demeure sudiste (entourée de champs de cotons dans lesquels des noirs très 'banania-style' s'activent), 0777 est l'agent numéro UNO de son service.
Dans cet épisode, le dernier de sa série, il est envoyé à Cuba. Sa mission ? Sauver la couenne du père Castro qu'une bande de vils arrivistes instrumentalisés par Pékin aimerait bien trouer. Le plan de nos gugusses est hyper-machiavélique, le héros patauge dans les grandes largeurs, l'auteur narre nonchalamment et le lecteur trouve le temps un peu long.

Gracias Gringo, ce n'est ni plus ni moins que de la lecture facile pour dimanches gueule de bois. On notera quelques (rares) apparitions d'une jeune et jolie espionne dotée d'une "opulente poitrine qui gonflait [ses robes] à la limite de l'éclatement" et un final qui rejoue l'assassinat de Kennedy à la sauce cubaine.
En bref : c'est du Henri Trémesaigues typique, ni trop inspiré ni trop ennuyeux.
La routine
, en quelque sorte.



LES FEUX DE SAINT-JEAN, JEAN CLERC
PRESSES NOIRES ESPIONNAGE # 165, 1969

Mais - il faut bien le reconnaitre - la routine n'est pas foncièrement une mauvaise chose. Surtout dans un genre tel que l'espionnage, trop souvent embourbé dans des romans au style balourd et dont les intrigues incompréhensibles peinent à impliquer sur plus de quelques lignes un hypothétique lecteur.
Par exemple, ce bouquin enfourné dans la foulée : Les Feux de Saint-Jean, signé d'un certain Jean Clerc.
Recit grotesque, écriture surchargée.
Un communiste toulonnais projète de faire sauter un sous-marin atomique US stationnant dans la rade. Le héros, Saint-Jean, mi-flic mi-militaire, est lancé à ses trousses.
"Je voudrais bien que nous mettions la main sur le fils de tante qui mijote un pareil projet " grince-t-il en page 37.
De son coté, l'auteur expérimente les fonctions 'MAJUSCULE' et 'italique' de sa machine à chier du texte.

Confronté à pareil régime (corps du texte formaté en depis du bon sens et intrigue soporifique), il est impossible de tenir plus de 40 pages.
J'opère donc ma lecture en mode 'sauts intempestifs de pages' avant de la terminer, sans remords ni pitié, par quelques 'sauts intégraux de chapitres' - ce qui ne m'a pas empêché le moins du monde de gouter pleinement aux tenants et aboutissants de cette aventure passionnante.


Ainsi, chapitre 8, le communiste et ses potes du syndic', une belle brochette de salopards, mettent la main sur un laser acoustique, l'arme ultime pour TOUT FAIRE PÉTER.
Chapitre 9, le coco meurt, doublé par ses potes. Par ailleurs, je me rends compte que ce roman est encore plus chiant que du Service Action. C'est dire le désastre. Je ne pensais pas tel exploit possible.
S'en suivent donc quelques nouveaux sauts de chapitres. Heureusement pour moi, les dernières pages sont en vue. Les méchants marxo-russkoffs se font dessouder dans les rues de Toulon par les gentils espionno-flics et l'auteur nous révèle enfin que le chef du réseau sovieto-vilains, c'est en fait le gonze sexuellement impuissant entrevu lors du chapitre 11.
Voila qui me fait une belle paire de gambettes. Voila surtout qui me permet de relativiser. Car comparé à cette bouillie innommable, le Henry Lewis était vachement génial !

Et c'est un peu ça, l'espionnage populaire français des petites collections sixties. La médiocrité y est constamment réévaluée à l'aune des ratages absolus qui, semble-t-il, caractérisaient majoritairement sa folle production industrielle.

L'ANGE ET SES DETTES

NUAGES DE SANG, ANGE GABRIELLI
LES PRESSES NOIRES / ESPIONNAGE # 98, 1967

N'y allons pas par quatre chemins. J'ai déjà écrit tout le mal que je pensais des charlatans littéraires qui s'acharnent sans relâche sur la dépouille d'Ange Bastiani.
Je ne reviendrais pas là dessus.
En tout cas, pas directement.

Le cadavre, par contre, a toujours son mot à dire. Il s'exprime à travers le temps. Au detour d'un paragraphe, dans un roman oublié, Bastiani jette ainsi le doute.

Dans Nuages De Sang, second roman d'espionnage qu'il signa sous le pseudonyme transparent d'Ange Gabrielli (le premier étant Les Sirènes D'Anvers), l'auteur met en scène un certain Vic Vorlier. Le nom ne vous sera peut être pas inconnu. Il servit en effet de masque à Bastiani pour un seul et unique polar, Nous Irons En Enfer Ensemble, publié en 58 par Ferenczy en collection Feux Rouges.
Mais ici, Vic Vorlier n'est plus parure de plume. Il est protagoniste principal, agent secret français, " bâti en force, carré de coffre et de visage, le crâne passé à la pierre ponce, l'oeil bleu tour à tour féroce et candide, les lèvres charnues, sensuelles, découvrant volontiers pour un sourire d'homme qui ne sourit qu'aux femmes une double rangée de dents éblouissantes. "
Envoyé par son patron à Toulon, il est chargé de mettre le grappin sur une bande d'espions ennemis sévissant dans une base de recherche militaire française mais, pris au piège du moule géographique de son auteur, il passera finalement la majeure partie de ses phrases à se la trainer dans les mauvais lieux de la cote d'Azur.
Comme roman d'espionnage purement alimentaire, Nuages De Sang assure un spectacle hautement divertissant. Le style est effacé mais efficace, les personnages bien campés, l'action présente et le décor, forcement truculent.
Mais l'intérêt réside ailleurs.

Chapitre 2, Vic Vorlier fait la connaissance d'Irène, une indicatrice. Elle est censée lui servir de guide dans Toulon mais permet surtout à l'auteur d'évoquer une période sombre de l'histoire de France. Ainsi, questionnée par Vic Vorlier sur ses faits d'armes, elle répond : "je n'ai jamais eu affaire qu'à certains messieurs de la rue Lauriston, qui m'ont tailladé les seins au rasoir."
La rue Lauriston, et son numéro 93, de sinistre mémoire. C'était la que se trouvait la Carlingue, pendant l'occupation. Un repère de truands devenus collabos.
Certains oiseaux ont longtemps affirmé que Bastiani en était. Certains l'affirment encore. Comme si notre homme était de la même race que Loutrel, Masuy ou Lafont...

Mais reprenons.
Page 81, Vorlier rencontre un scientifique faisant l'objet de menaces de mort - des séries de petits mots sur lesquels sont écrits " SALE BOCHE ! ON AURA TA PEAU ! "

" une croix gammée paraphée la menace."
Et l'intéressé de s'exclamer :
"Sale Boche, [...] je n'ai jamais été nazi, monsieur, mon frere aîné, qui était colonel dans l'Afrika-Korps avec Rommel, a été fusillé par les S.S. en juillet 44. Pendant que j'étais prisonnier en France, ma femme, qui avait vingt ans à l'époque a été arrêté par la Gestapo, quelque mois avant la débâcle. Elle a eu de la chance, on l'a relâchée au bout d'une semaine. On avait dû la traiter sans doute avec de grands égards, elle a préféré se suicider dans les premières qui ont suivi sa remise en liberté. Voila le sale Boche dont on veut avoir la peau."

"Vic le regardait vitupérer, frappant la table de son poing. En si peu d'instants, il y avait eu un tel changement d'attitude chez cet homme qu'il se demandait jusqu'à quel point il ne se livrait pas à quelque comédie."
De tout cela, je ne tirerai aucunes conclusions. Aucune n'est d'ailleurs nécessaire. Ange Gabrielli ré-évoquera les troubles de l'occupation deux années plus tard, dans Le Trésor Des Nazis, et une seule certitude doit être à retenir. L'homme était une sacrée plume. Il s'agit désormais d'oublier ce que quelques connards essayent de nous faire gober.
Puis se plonger, avec angoisse et ravissement, dans ses œuvres.

Lisez Coup De Typhus. Lisez Arrêtes Ton Char Ben-Hur. Lisez Maurice Raphael. Lisez les deux Mauvais Lieux ou bien même, si vous avez un train à prendre prochainement, lisez Nuages De Sang.
Un écrivain de talent, on ne pinaille pas dessus.

AINSI SOIT ANGE BASTIANI !

NOUS IRONS EN ENFER ENSEMBLE, VIC VORLIER
FERENCZI / FEUX ROUGES # 14, 1958
LE TRÉSOR DES NAZIS, ANGE GABRIELLI
LES PRESSES NOIRES / POLICE # 13, 1969

Aujourd'hui, lorsque quelqu'un, un bloggeur, un hotu, un pauvre type en demande d'attention parle d'Ange Bastiani, c'est pour lui casser automatiquement du sucre sur le dos et faire gentiment reluire, après lecture du fameux article en ligne du Matricule Des Anges, la belle panoplie du Didier Daeninckx en kit, modèle ultime du Torquemada socialiste des préhauts de la littérature populaire.
Les gars qui s'attardent vaguement sur Bastiani, c'est toujours le même refrain, c'est la java des mecs outrés, c'est ennuyeux. On ressasse du vent, du vide, on s'ingénie à créer de toutes pièces un génie à bruler que, de toute manière, on ne lira jamais puisque, voyez vous, cette littérature ne porte désormais plus la digne odeur de poussière des greniers, cette littérature sent le charnier des caves où l'on torturait, elle sent la merde, l'abominable cruauté rampante des salauds ordinaires. Et Bastiani était un salaud. Un beau, un vrai qui, avec la bande à Bony-Lafont, se chargeait des sales besognes de l'occupant. Enfin, c'est ce qu'on dit. C'est donc que ça doit être vrai. Impossible de se tromper, non ? Comment ? Aucunes preuves ? D'autres sons de cloches ? Vous savez, Pierre Genève, ce n'est pas Patrick Modiano.

(pause)
Aux enflures dans le champ de tir : Ange Bastiani vous fait un bras d'honneur. Certains feraient d'ailleurs bien de (re)lire la lettre anonyme ouvrant le Ainsi Soit-Il de Maurice Raphaël. "On vous entend chialer et c'est pas drôle." Oui, je l'imagine bien, l'anonyme Bastiani, l'archangélique Raphaël, "quelqu'un qui vous veut du bien" signe-t-il en bas de sa missive, déféquant à la figure de ce non-lectorat en mal de scandale, de croustillant, de glauque, de graveleux, d'outrageant dans la culture. "Au demeurant, qu'ils aillent se faire foutre..." Ben Hur expédie les affaires courantes. Je le laisse s'exprimer.
" Moi, j'en ai marre d'être attendu au tournant, même par Dieu, si il croit me faire honneur...
...Des comptes, des jugements derniers ou pas, mais, foutre, des comptes, on cesse pas d'en rendre, toute sa vie. A tout, à tous. A l'état civil, à sa nourrice, aux pions, aux juteux, aux zautorités, aux gabelous, aux condés, aux curés, à l'État c'est moi, aux armes citoyens, aux marchands de soupe, aux dire son nom après dix heures, aux passons la monnaie...
Des comptes à qui ?... De quoi ?... Pourquoi ?...
On finira jamais d'être jaugé, jugé, pesé, étiqueté, toisé, arpenté, condamné, pestiféré, traqué, talonné, étouffé, embrigadé, caporalisé, imposé, contribualisé, stérilisé, azimuté, tondu, battu, cocu... alors, mille bastringue, c'est mon droit d'être pas content et de le dire.
- Ton droit, tu rigoles, quel droit ? Tu en as toi, des droits ?... en images, au cinéma, au musée Grévin, à la fête à Neuneu. Le droit d'être un trou-duc que tu as et celui de te faire bourrer jusqu'à l'os. Jusqu'à l'os, tu réalises, pas d'espoirs. "
à bon entendeur salut et classons le dossier. Parlons plutôt d'Ange et de ses petits polars de gare qu'il signa pour l'argent (et alors ?) après avoir remisé au vestiaire ses ambitions littéraires.
La semaine dernière, je m'en suis tartiné deux, sous pseudonyme. (Ange Bastiani sous pseudonyme, c'est un joli comble, pas ?)
Le premier, Nous Irons En Enfer Ensemble, signé Vic Vorlier, était plutôt médiocre. Un roman téléguidé mettant en scène le héros typique des œuvres Bastianiennes, narrateur première personne aux expressions méridionales, voyou reconverti et embarqué dans une sale affaire par une nana - quarantaine radieuse, froide et sensuelle, ancienne meneuse de revue reconvertie en femme du monde et marié à un gogo industrieux. La femme typique des œuvres Bastianiennes donc. C'est par elle que les pires malheurs arrivent mais Bastiani la décrit avec une étonnante déférence, une certaine fascination que l'on ne retrouve nulle part dans le roman noir à l'ancienne, qu'il soit français ou US.
Les femmes de Bastiani / Raphael, ce ne sont ni les nobles gagneuses soumises de Lebreton, ni les vamps homicidaires et venimeuses des polars à la Spilanne. Les femmes de Bastiani / Raphael respirent un amour vache étouffant et passionnel dans lequel le héros se piège de son plein gré, et c'est autour de cette impression que ses romans s'articulent. Il suffit de lire sa trilogie au Scorpion pour s'en convaincre. Ses quatre en Série Noire aussi. Ici, c'est un peu plus dilué, mais tout de même notable.
A part ça, je tranche, rien à sauver. L'intrigue est hautement prévisible, les retournements de situations se voient venir dix pages plus tôt et le final, forcement bâclé, laisse au lecteur l'impression d'inachevé typique de l'écrivain bouclant ses feuillets en catastrophe.

Inutile de perdre son temps, passons au suivant.
Le Tresor Des Nazis, donc. Signé Ange Gabrielli. J'en sens certains frémir d'avance. Bastiani + nazis, c'est un mauvais combo non ? Que nenni !
Moi, déjà, j'adore les nazis. Hola, attention ! Je parle des nazis dans la littérature. Que les esprits grincheux aillent se pendre dans la section commentaire, ici, on parle culture populaire débridé. Faudrait pas confondre, merci.

Ensuite, le roman est excellent - en tout cas, excellent en ce qui concerne le domaine du polar de gare vite écrit et vite lu, publié aux Presses Noires et calibré selon les attentes d'un lectorat en manque d'histoires de détectives privés sans trop de personnalité.
L'intrigue fonctionne d'ailleurs au minimum-syndical, reprenant jusqu'au final les grandes lignes de Nous Irons En Enfer Ensemble (un héros démêlant l'écheveau des sombres affaires d'un couple bourgeois) et accentuant le trait par une suite de scénettes classiques et éculées du polar à l'américaine : à tel instant, notre privé découvre un cadavre dans une pièce; à tel autre il se reçoit un coup sur le crane; le voila ensuite soupçonné de meurtre par la police; plus loin, une voiture roulant tous phares éteints le mitraille dans une ruelle sombre...
Tout a déjà été lu, des centaines de fois, archi-rabattu, digéré, ruminé, régurgité jusqu'à en perdre ses spécificités, sa couleur, presque son charme. Et pourtant, ça fonctionne. Le Tresor Des Nazis, fort d'un récit bien serré, swingue joliment, évite tous les écueils qui coulaient Nous Irons En Enfer Ensemble et fait montre d'un entrain assez peu commun en enchainant actions et retournements à une vitesse plus qu'acceptable tout en soignant savoureusement ses décors et ses seconds rôles.

Parole ! Voila un roman qui semble tout droit sortir d'une page des Mauvais Lieux de Paris. Entre les fetichistes de colifichets nazis hantant les puces de Saint Ouen, les goudous sadiques de montparnasse, les diseuses de bonne aventures aux halles, les escrocs, les jeunesses perdues, le lecteur en a pour sa galette. Et si l'histoire retient honnêtement l'attention, exactement comme un Richard S. Prather (idéal pour les grands trajets donc,) l'intérêt principal de ce bon Presses Noires réside indubitablement dans la description, mineure mais au ton assez juste, que donne Bastiani d'une faune marginale et de l'époque qui l'a engendrée.
Bref, une réussite étonnante pour un roman de gare aux accents extrêmement "campy", c'est à dire jamais sérieux, parfois grotesque mais toujours délicieux (et je parlais de Richard S. Prather, alors voila, Le Tresor Des Nazis, c'est du Richard S. Prather français !)
Quant aux 50 premieres pages et cette plongée dans une minable messe noire pour nazi de pacotille, si elles ne vous donnent pas le sourire typique du lecteur témoin d'un grand moment de littérature populaire, alors, dans ce cas, la preuve est faite que vous êtes un bien triste personnage. Nous n'avons donc plus rien à faire ensembles, adieu.

" Les seuls écrivains noirs que je connaisse et salue sont ceux qui, anonymes, furtifs, clandestins, calligraphient "Merde pour celui qui le lit" dans les pissotières, chiottes de gare, de caserne ou de bistrot. "
(Les deux extraits cités sont tirés de Ainsi Soit-Il, Maurice Raphaël, 1946-1947.)

RAPIAT SUR LA CHNOUF !

LES CORRUPTIBLES, JIMMY G QUINT
RHAPSODIE EN ROUGE, JIMMY G QUINT
LES PRESSES NOIRES, 1967

L'espionnage, vous le savez, c'est mon dada. Pas vraiment ma faute au demeurant. J'y suis tombé par hasard, sans vraiment le vouloir, certainement par flemme intellectuelle et depuis, je ne lis plus que ça.
J'exagère un peu mais j'en lis tout de même beaucoup. Beaucoup trop.
Beaucoup trop pour ma santé intellectuelle, of course. Paraîtrait d'ailleurs que l'espionnage rend con très exactement comme la masturbation rend sourdingue.
Double coup dur.
L'avantage, par contre - l'avantage d'en lire beaucoup, j'entends, pas l'avantage de ma connerie en instance d'accomplissement ou celle du manque d'attention auditif des potes à la veuve poignet - l'avantage donc c'est que, je reprends ma phrase, de temps à autre, j'en dégotte un vraiment très bon de bouquin d'espionnage. Pas un chef-d'oeuvre, non, puisque cette littérature-là, très précisément, est imperméable au sublime (ah, le vilain mot bourgeois, je me marre !) mais un fort bon bouquin pas très éloigné du niveau du petit Série Noire vite écrit et vite lu, pas emmerdant pour un sou, bref, le jambon-beurre de l'esprit lors des trajets en train.
Manque de pot, vous le sentiez peut être venir, les deux romans que je vais aborder aujourd'hui, deux Presses Noires Espionnage estampillés Jimmy G. Quint (un pseudonyme cachant mollement Jimmy Guieu et Georges Pierquin), n'appartiennent pas à cette dernière et bien trop rare catégorie. Pour être honnête, leur catégorie à eux, ce serait plutôt celle des déceptions et des fausses promesses, des lourdeurs en tout genre et de l'absence globale d'intensité.
Bref, du jambon-beurre hautement périmé et dont la couleur caca d'oie enrichie de mousses blanchâtres signale une bien belle ancienneté dans le registre de l'impropre à consommer.
Ça augure mal, n'est-ce pas ?
Rassurez-vous. Par endroits, on rigole un peu quand même.

Commençons logiquement, avec Les Corruptibles et sa magnifique pineupe habillée en paco rabanne de la bonne époque, celle des robes en cartes de crédit et des cotes de mailles pour poulettes dévergondées. Pour information, mon exemplaire (en haut à gauche, coucou toi) s'est mangé une dégurgitation mal maîtrisée du tampon d'imprimerie et voila notre belle poupée toute barbouillée d'encre bleu. Si c'est pas un drame, ça, hein...
L'autre drame, puisqu'on en parle, c'est le roman en lui-même. Vous vous en doutiez.
Pourtant, Les Corruptibles commençait fort bien. J'avais même l'impression de toucher le gros lot. Les trois bananes qui s'alignent en un TING! retentissant. Enfin un espionnage du tonnerre, un bouquin rivalisant avec la connerie des meilleurs promodifia, un truc si exceptionnel que, entre chaque paragraphe, je me frottais les mains d'un plaisir aussi vigoureux que salace tandis que ma baveuse rependait en cascade sa salive sur mon menton et que mes petits yeux malsains, d'ordinaire si étroits et profondément enfoncés sous mes sourcils broussailleux, pétillaient de mille feux comme sous le coup d'une gorgée de roteuse premier prix - bref, la ganache typique du pervers tendance voyeur, jubilant le soir au fond des bois de boulogne lorsque la voiture d'un couple libertin s'arrête à portée de regard.
Ça ou tout autre exemple de votre choix - ne soyons pas sectaires.
Donc, le truc épatant dans Les Corruptibles, la bath accroche à faire maxi-mousser le lectorat, c'est le prologue. Normal. Jimmy G. Quint nous y présente les méchants dans leur repère secret sur la cote d'azur. De vrais salauds sans morale ni remords et qui forment une sorte de secte terroriste internationale, mi-maçoniste, mi-machin-chose. Bon point : ça change de la routine communiste. Mais le mieux est à venir, car nos méchants (dont un impuissant cornu) ont décidés de tester leur version modifiée du LSD sur des jeunes histoire de vérifier si les buvards au père Hofmann permettent vraiment de contrôler les gens. Important, ça, contrôler les gens - surtout lorsque l'on est une organisation qui veut dominer le monde.
Et voila donc nos méchants qui chargent un jeune gosse de riche de pervertir ses semblables en organisant des boums à Cannes.
"Dans ces surprises-parties, tu t'arrangera pour amener tes invités à la marijuana d'abord, puis au peyotl et enfin au LSD... toi, tu fera semblant, naturellement... le LSD que je te procurerai ne sera pas pur, je lui ai associé diverses substances, mais ceci est mon affaire."
(rire démoniaque)
Mais ce n'est pas tout. En plus de pervertir les cancres du coin, les méchants franc-maçons du dimanche volent, avec la participation sexuelle d'une meneuse de revue héroïnomane super-gironde, la moelle épinière des premiers de la classe. Et une fois leur moelle épinière subtilisée, ne voila-t-il pas que nos premiers de la classe (déniaisés, merci pour eux, par la gisquette de petite vertu) deviennent de gros cancres paresseux et sans aucune volonté.
Expérience réussie, professeur ! Aujourd'hui, le lycée polyvalent de Cannes. Demain, le monde !
(nouveau rire démoniaque)
Bref, jusqu'ici, tout va bien. Jusqu'ici. Car voila justement qu'arrivent nos héros. Ils sont deux, ils ressemblent vaguement à leurs créateurs (le maigre et le gros, Gallard et Rocky, Guieu et Pierquin) et ils sont extrêmement, attention gros mot, ils sont extrêmement chiants. Holala oui, mais qu'est-ce-qu'ils sont chiants les gonzes ! Et puis qu'est-ce-qu'ils sont mous. On dirait deux vieux-beaux alcooliques, tendance mollusques corses croisés escargots bourguignons, tout juste bons à sortir des vannes de sous-sous-San-Antonio du pauvre, de Colonel Ceruse quoi, entre deux réflexions non-sensiques et de très nombreux et très appliqués coups d'oeil à leurs montres Breitling "Cosmonaute" à cadrant 24 divisions, coups d'oeils justifiant le contrat publicitaire (certainement mirobolant) que l'éditeur avait validé avec le fabriquant suisse.
Bande de filous, va !
Surtout que, pendant ce temps-là, pendant que nos deux zozos font fièrement reluire le seul gadget disponible dans leur panoplie d'espion, pendant que des foules incrédules de protagonistes/acheteurs potentiels apprécient l'idée d'une grande aiguille indiquant midi à l'emplacement habituellement réservé aux coups de 9 heure, bref, pendant que le rien se rempli peinardement de vide et que la publicité affiche de précoces tendances virales, nos auteurs se trompent de route et passent à coté de tout le sel potentiel du roman.
Les surboums carabinées à coup de LSD ? oubliées ! Les séances de jerk déchaîné ? à la trappe. La strip-teaseuse Mata-Harisée ? chômage technique. Les petites lycéennes camées ? des bêcheuses bien trop sages !
Inutile, donc, de s'étaler sur la suite des événements (quelques mollassons échanges de gnons, de nouveaux coups d'oeils appuyés aux montres et l'habituel retournement de situation incohérent) ni même sur le volume suivant de la série, Rhapsodie En Rouge, exactement la même chose que le précèdent mais sans la drogue et les filles (donc la même chose en pire) et que je m'étais envoyé dans la foulée, voulant faire du zèle et le regrettant rapidement, grosso-modo en page 13, celle là même où Jean Pierre Foucault fait une apparition surprise (feignons d'être enjoués) et nous gratifie d'une blague fécale extrêmement vaseuse (normal pour du Foucault).
D'ailleurs, tout ce que je puis dire de positif sur ce dernier ouvrage, outre la presence de JPF, c'est que le roman se termine bel et bien en page 220. Et c'est pas rien ! Rapprochons ça au soulagement du coureur de fond en vue de la ligne d'arrivée. Ou de celui que j'éprouve en concluant cet article.

Vous qui n'avez pas cessé votre lecture dès le premier paragraphe et êtes parvenus jusqu'ici, vous me comprenez très certainement.
Je ferais donc mieux la prochaine fois.