NOUS IRONS EN ENFER ENSEMBLE, VIC VORLIER
FERENCZI / FEUX ROUGES # 14, 1958
LE TRÉSOR DES NAZIS, ANGE GABRIELLI
LES PRESSES NOIRES / POLICE # 13, 1969
Aujourd'hui, lorsque quelqu'un, un bloggeur, un hotu, un pauvre type en demande d'attention parle d'Ange Bastiani, c'est pour lui casser automatiquement du sucre sur le dos et faire gentiment reluire, après lecture du fameux article en ligne du Matricule Des Anges, la belle panoplie du Didier Daeninckx en kit, modèle ultime du Torquemada socialiste des préhauts de la littérature populaire.
Les gars qui s'attardent vaguement sur Bastiani, c'est toujours le même refrain, c'est la java des mecs outrés, c'est ennuyeux. On ressasse du vent, du vide, on s'ingénie à créer de toutes pièces un génie à bruler que, de toute manière, on ne lira jamais puisque, voyez vous, cette littérature ne porte désormais plus la digne odeur de poussière des greniers, cette littérature sent le charnier des caves où l'on torturait, elle sent la merde, l'abominable cruauté rampante des salauds ordinaires. Et Bastiani était un salaud. Un beau, un vrai qui, avec la bande à Bony-Lafont, se chargeait des sales besognes de l'occupant. Enfin, c'est ce qu'on dit. C'est donc que ça doit être vrai. Impossible de se tromper, non ? Comment ? Aucunes preuves ? D'autres sons de cloches ? Vous savez, Pierre Genève, ce n'est pas Patrick Modiano.
(pause)
Aux enflures dans le champ de tir : Ange Bastiani vous fait un bras d'honneur. Certains feraient d'ailleurs bien de (re)lire la lettre anonyme ouvrant le Ainsi Soit-Il de Maurice Raphaël. "On vous entend chialer et c'est pas drôle." Oui, je l'imagine bien, l'anonyme Bastiani, l'archangélique Raphaël, "quelqu'un qui vous veut du bien" signe-t-il en bas de sa missive, déféquant à la figure de ce non-lectorat en mal de scandale, de croustillant, de glauque, de graveleux, d'outrageant dans la culture. "Au demeurant, qu'ils aillent se faire foutre..." Ben Hur expédie les affaires courantes. Je le laisse s'exprimer.
La semaine dernière, je m'en suis tartiné deux, sous pseudonyme. (Ange Bastiani sous pseudonyme, c'est un joli comble, pas ?)
Le premier, Nous Irons En Enfer Ensemble, signé Vic Vorlier, était plutôt médiocre. Un roman téléguidé mettant en scène le héros typique des œuvres Bastianiennes, narrateur première personne aux expressions méridionales, voyou reconverti et embarqué dans une sale affaire par une nana - quarantaine radieuse, froide et sensuelle, ancienne meneuse de revue reconvertie en femme du monde et marié à un gogo industrieux. La femme typique des œuvres Bastianiennes donc. C'est par elle que les pires malheurs arrivent mais Bastiani la décrit avec une étonnante déférence, une certaine fascination que l'on ne retrouve nulle part dans le roman noir à l'ancienne, qu'il soit français ou US.
Les femmes de Bastiani / Raphael, ce ne sont ni les nobles gagneuses soumises de Lebreton, ni les vamps homicidaires et venimeuses des polars à la Spilanne. Les femmes de Bastiani / Raphael respirent un amour vache étouffant et passionnel dans lequel le héros se piège de son plein gré, et c'est autour de cette impression que ses romans s'articulent. Il suffit de lire sa trilogie au Scorpion pour s'en convaincre. Ses quatre en Série Noire aussi. Ici, c'est un peu plus dilué, mais tout de même notable.
A part ça, je tranche, rien à sauver. L'intrigue est hautement prévisible, les retournements de situations se voient venir dix pages plus tôt et le final, forcement bâclé, laisse au lecteur l'impression d'inachevé typique de l'écrivain bouclant ses feuillets en catastrophe.
Inutile de perdre son temps, passons au suivant.
Le Tresor Des Nazis, donc. Signé Ange Gabrielli. J'en sens certains frémir d'avance. Bastiani + nazis, c'est un mauvais combo non ? Que nenni !
Moi, déjà, j'adore les nazis. Hola, attention ! Je parle des nazis dans la littérature. Que les esprits grincheux aillent se pendre dans la section commentaire, ici, on parle culture populaire débridé. Faudrait pas confondre, merci.
Ensuite, le roman est excellent - en tout cas, excellent en ce qui concerne le domaine du polar de gare vite écrit et vite lu, publié aux Presses Noires et calibré selon les attentes d'un lectorat en manque d'histoires de détectives privés sans trop de personnalité.
L'intrigue fonctionne d'ailleurs au minimum-syndical, reprenant jusqu'au final les grandes lignes de Nous Irons En Enfer Ensemble (un héros démêlant l'écheveau des sombres affaires d'un couple bourgeois) et accentuant le trait par une suite de scénettes classiques et éculées du polar à l'américaine : à tel instant, notre privé découvre un cadavre dans une pièce; à tel autre il se reçoit un coup sur le crane; le voila ensuite soupçonné de meurtre par la police; plus loin, une voiture roulant tous phares éteints le mitraille dans une ruelle sombre...
Tout a déjà été lu, des centaines de fois, archi-rabattu, digéré, ruminé, régurgité jusqu'à en perdre ses spécificités, sa couleur, presque son charme. Et pourtant, ça fonctionne. Le Tresor Des Nazis, fort d'un récit bien serré, swingue joliment, évite tous les écueils qui coulaient Nous Irons En Enfer Ensemble et fait montre d'un entrain assez peu commun en enchainant actions et retournements à une vitesse plus qu'acceptable tout en soignant savoureusement ses décors et ses seconds rôles.
Parole ! Voila un roman qui semble tout droit sortir d'une page des Mauvais Lieux de Paris. Entre les fetichistes de colifichets nazis hantant les puces de Saint Ouen, les goudous sadiques de montparnasse, les diseuses de bonne aventures aux halles, les escrocs, les jeunesses perdues, le lecteur en a pour sa galette. Et si l'histoire retient honnêtement l'attention, exactement comme un Richard S. Prather (idéal pour les grands trajets donc,) l'intérêt principal de ce bon Presses Noires réside indubitablement dans la description, mineure mais au ton assez juste, que donne Bastiani d'une faune marginale et de l'époque qui l'a engendrée.
Bref, une réussite étonnante pour un roman de gare aux accents extrêmement "campy", c'est à dire jamais sérieux, parfois grotesque mais toujours délicieux (et je parlais de Richard S. Prather, alors voila, Le Tresor Des Nazis, c'est du Richard S. Prather français !)
Quant aux 50 premieres pages et cette plongée dans une minable messe noire pour nazi de pacotille, si elles ne vous donnent pas le sourire typique du lecteur témoin d'un grand moment de littérature populaire, alors, dans ce cas, la preuve est faite que vous êtes un bien triste personnage. Nous n'avons donc plus rien à faire ensembles, adieu.
FERENCZI / FEUX ROUGES # 14, 1958
LE TRÉSOR DES NAZIS, ANGE GABRIELLI
LES PRESSES NOIRES / POLICE # 13, 1969
Aujourd'hui, lorsque quelqu'un, un bloggeur, un hotu, un pauvre type en demande d'attention parle d'Ange Bastiani, c'est pour lui casser automatiquement du sucre sur le dos et faire gentiment reluire, après lecture du fameux article en ligne du Matricule Des Anges, la belle panoplie du Didier Daeninckx en kit, modèle ultime du Torquemada socialiste des préhauts de la littérature populaire.
Les gars qui s'attardent vaguement sur Bastiani, c'est toujours le même refrain, c'est la java des mecs outrés, c'est ennuyeux. On ressasse du vent, du vide, on s'ingénie à créer de toutes pièces un génie à bruler que, de toute manière, on ne lira jamais puisque, voyez vous, cette littérature ne porte désormais plus la digne odeur de poussière des greniers, cette littérature sent le charnier des caves où l'on torturait, elle sent la merde, l'abominable cruauté rampante des salauds ordinaires. Et Bastiani était un salaud. Un beau, un vrai qui, avec la bande à Bony-Lafont, se chargeait des sales besognes de l'occupant. Enfin, c'est ce qu'on dit. C'est donc que ça doit être vrai. Impossible de se tromper, non ? Comment ? Aucunes preuves ? D'autres sons de cloches ? Vous savez, Pierre Genève, ce n'est pas Patrick Modiano.
(pause)
Aux enflures dans le champ de tir : Ange Bastiani vous fait un bras d'honneur. Certains feraient d'ailleurs bien de (re)lire la lettre anonyme ouvrant le Ainsi Soit-Il de Maurice Raphaël. "On vous entend chialer et c'est pas drôle." Oui, je l'imagine bien, l'anonyme Bastiani, l'archangélique Raphaël, "quelqu'un qui vous veut du bien" signe-t-il en bas de sa missive, déféquant à la figure de ce non-lectorat en mal de scandale, de croustillant, de glauque, de graveleux, d'outrageant dans la culture. "Au demeurant, qu'ils aillent se faire foutre..." Ben Hur expédie les affaires courantes. Je le laisse s'exprimer.
" Moi, j'en ai marre d'être attendu au tournant, même par Dieu, si il croit me faire honneur...à bon entendeur salut et classons le dossier. Parlons plutôt d'Ange et de ses petits polars de gare qu'il signa pour l'argent (et alors ?) après avoir remisé au vestiaire ses ambitions littéraires.
...Des comptes, des jugements derniers ou pas, mais, foutre, des comptes, on cesse pas d'en rendre, toute sa vie. A tout, à tous. A l'état civil, à sa nourrice, aux pions, aux juteux, aux zautorités, aux gabelous, aux condés, aux curés, à l'État c'est moi, aux armes citoyens, aux marchands de soupe, aux dire son nom après dix heures, aux passons la monnaie...
Des comptes à qui ?... De quoi ?... Pourquoi ?...
On finira jamais d'être jaugé, jugé, pesé, étiqueté, toisé, arpenté, condamné, pestiféré, traqué, talonné, étouffé, embrigadé, caporalisé, imposé, contribualisé, stérilisé, azimuté, tondu, battu, cocu... alors, mille bastringue, c'est mon droit d'être pas content et de le dire.
- Ton droit, tu rigoles, quel droit ? Tu en as toi, des droits ?... en images, au cinéma, au musée Grévin, à la fête à Neuneu. Le droit d'être un trou-duc que tu as et celui de te faire bourrer jusqu'à l'os. Jusqu'à l'os, tu réalises, pas d'espoirs. "
La semaine dernière, je m'en suis tartiné deux, sous pseudonyme. (Ange Bastiani sous pseudonyme, c'est un joli comble, pas ?)
Le premier, Nous Irons En Enfer Ensemble, signé Vic Vorlier, était plutôt médiocre. Un roman téléguidé mettant en scène le héros typique des œuvres Bastianiennes, narrateur première personne aux expressions méridionales, voyou reconverti et embarqué dans une sale affaire par une nana - quarantaine radieuse, froide et sensuelle, ancienne meneuse de revue reconvertie en femme du monde et marié à un gogo industrieux. La femme typique des œuvres Bastianiennes donc. C'est par elle que les pires malheurs arrivent mais Bastiani la décrit avec une étonnante déférence, une certaine fascination que l'on ne retrouve nulle part dans le roman noir à l'ancienne, qu'il soit français ou US.
Les femmes de Bastiani / Raphael, ce ne sont ni les nobles gagneuses soumises de Lebreton, ni les vamps homicidaires et venimeuses des polars à la Spilanne. Les femmes de Bastiani / Raphael respirent un amour vache étouffant et passionnel dans lequel le héros se piège de son plein gré, et c'est autour de cette impression que ses romans s'articulent. Il suffit de lire sa trilogie au Scorpion pour s'en convaincre. Ses quatre en Série Noire aussi. Ici, c'est un peu plus dilué, mais tout de même notable.
A part ça, je tranche, rien à sauver. L'intrigue est hautement prévisible, les retournements de situations se voient venir dix pages plus tôt et le final, forcement bâclé, laisse au lecteur l'impression d'inachevé typique de l'écrivain bouclant ses feuillets en catastrophe.
Inutile de perdre son temps, passons au suivant.
Le Tresor Des Nazis, donc. Signé Ange Gabrielli. J'en sens certains frémir d'avance. Bastiani + nazis, c'est un mauvais combo non ? Que nenni !
Moi, déjà, j'adore les nazis. Hola, attention ! Je parle des nazis dans la littérature. Que les esprits grincheux aillent se pendre dans la section commentaire, ici, on parle culture populaire débridé. Faudrait pas confondre, merci.
Ensuite, le roman est excellent - en tout cas, excellent en ce qui concerne le domaine du polar de gare vite écrit et vite lu, publié aux Presses Noires et calibré selon les attentes d'un lectorat en manque d'histoires de détectives privés sans trop de personnalité.
L'intrigue fonctionne d'ailleurs au minimum-syndical, reprenant jusqu'au final les grandes lignes de Nous Irons En Enfer Ensemble (un héros démêlant l'écheveau des sombres affaires d'un couple bourgeois) et accentuant le trait par une suite de scénettes classiques et éculées du polar à l'américaine : à tel instant, notre privé découvre un cadavre dans une pièce; à tel autre il se reçoit un coup sur le crane; le voila ensuite soupçonné de meurtre par la police; plus loin, une voiture roulant tous phares éteints le mitraille dans une ruelle sombre...
Tout a déjà été lu, des centaines de fois, archi-rabattu, digéré, ruminé, régurgité jusqu'à en perdre ses spécificités, sa couleur, presque son charme. Et pourtant, ça fonctionne. Le Tresor Des Nazis, fort d'un récit bien serré, swingue joliment, évite tous les écueils qui coulaient Nous Irons En Enfer Ensemble et fait montre d'un entrain assez peu commun en enchainant actions et retournements à une vitesse plus qu'acceptable tout en soignant savoureusement ses décors et ses seconds rôles.
Parole ! Voila un roman qui semble tout droit sortir d'une page des Mauvais Lieux de Paris. Entre les fetichistes de colifichets nazis hantant les puces de Saint Ouen, les goudous sadiques de montparnasse, les diseuses de bonne aventures aux halles, les escrocs, les jeunesses perdues, le lecteur en a pour sa galette. Et si l'histoire retient honnêtement l'attention, exactement comme un Richard S. Prather (idéal pour les grands trajets donc,) l'intérêt principal de ce bon Presses Noires réside indubitablement dans la description, mineure mais au ton assez juste, que donne Bastiani d'une faune marginale et de l'époque qui l'a engendrée.
Bref, une réussite étonnante pour un roman de gare aux accents extrêmement "campy", c'est à dire jamais sérieux, parfois grotesque mais toujours délicieux (et je parlais de Richard S. Prather, alors voila, Le Tresor Des Nazis, c'est du Richard S. Prather français !)
Quant aux 50 premieres pages et cette plongée dans une minable messe noire pour nazi de pacotille, si elles ne vous donnent pas le sourire typique du lecteur témoin d'un grand moment de littérature populaire, alors, dans ce cas, la preuve est faite que vous êtes un bien triste personnage. Nous n'avons donc plus rien à faire ensembles, adieu.
" Les seuls écrivains noirs que je connaisse et salue sont ceux qui, anonymes, furtifs, clandestins, calligraphient "Merde pour celui qui le lit" dans les pissotières, chiottes de gare, de caserne ou de bistrot. "(Les deux extraits cités sont tirés de Ainsi Soit-Il, Maurice Raphaël, 1946-1947.)
3 commentaires:
super article l'ami! Où as tu trouvé cette photo de Bastiani par ailleurs??
La photo provient de son 4eme série noire, Le Pain Des Jules, publié en format souple. Sur les formats durs avec jaquette (ses trois premiers SN), on trouve une autre photo, Bastiani plus jeune, postée dans un article précédent.
Bonjour, ROBO32.EXE,
À peu près au moment où vous postiez ce billet, je suis tombé sur l'article d'Eibel, et des nues !
J'aimerais tirer au clair cette rumeur nauséabonde, et pour ce faire j'ai concocté un machin à vocation collective auquel votre participation serait plus que bienvenue.
Malheureusement, je ne dispose d'aucune adresse mèle où vous faire parvenir l'invitation.
Si l'aventure vous tente, vous pouvez m'en indiquer une, ici : gwf.weaver@gmail.com
À bientôt, j'espère.
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