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PAVÉ D'AMOUR ET PAIN DE FESSE


Méridional par vocation, bien qu'originaire de l'ouest du septentrion français,
Ange Bastiani, dit Victor Maurice Lepage, dit Maurice Raphael, dit beaucoup d'autres choses - dont certaines assez peu plaisantes - Ange Bastiani aimait chanter les mauvais coinstos de Toulon.
Sa rade, ses rades et ses putes.
Surtout ses putes - celles qui officiaient dans le petit Chicago, soit le Pavé d'amour, et à qui l'auteur dédia, dans son Mauvais Lieux de la Cote D'Azur (Balland, 1969) ce magnifique chant d'amour, plein d'une tendresse vaseuse, entre fascination poétique, extase de connaisseur et gueule de bois du consommateur :



"Ah ! cet ancien quartier des claques ! Successivement baptisé le 'Chapeau rouge', puis le 'Pavé d'amour', en aura-t-il fait couler de l'encre et de la salive, entre autres liquides.

Il n'est certes plus un mauvais lieu, ou si peu, mais son souvenir demeure encore si vivace auprès de ceux qui l'ont connu ou en ont rêvé, son existence a si profondément marqué la ville de son sceau, qu'il serait dommage et malhonnête de ne pas le rappeler à la vie pour quelques instants.

C'était l'époque où Toulon ne portait ni cache-sexe, ni ceinture de chasteté et ne s'en portait pas plus mal.

Quartier réservé, mais pourquoi l'appeler quartier quand il était une ville et combien davantage. Une ville qui vibrait, vivait intensément, hurlait ses charmes, ses appâts et possédait, selon les moments, tout à la fois la douceur et l'âpreté de certains petits villages d'Estrémadure.

La ville de luxure... au sud, au nord, à l'est, à l'ouest. Boxons, claques, bouis-bouis,... dans tous les sens, tous azimuts, sous toutes les longitudes.

Ville dans la ville, avec ses placettes intérieures bruissantes de minuscules fontaines feuillues où de petits ânes gris allaient boire. Toute imprégnée de mystère discret, avec ses rites, ses lois, son univers particulier.

Le jour, c'était le grand sommeil. De vieilles sorcières dépeignées, hirsutes, drapées dans des peignoirs à ramages multicolores, traînaient leurs savates de porte en porte, tandis que des gamins efflanqués, noirs de crasse, les yeux brillants, les jambes grêles, jouaient aux billes et à touche-pipi devant les lupanars. Par instants fusaient des cris, des rires gras, des bribes d'altercations par les fenêtres aux persiennes closes. Puis le quartier faisait sa toilette, jetait ses eaux de bidet et se fardait pour la parade nocturne.

Et, chaque nuit, cette parcelle d'infini, ce monde en fleur, brûlait de son désir de vivre, d'aimer, de faire l'amour et de se soûler à mort. Vibrant de tous ses feux, des cuisses des filles, jambons blafards, jambes tordues de varices des sous-maquées aux doigts bouffis cerclés de bijoux faux.

Symphonie des cuisses, des ventres et des fesses. Usines à gonos, temples du tréponème... blennos à la grosse, on ne détaillait pas, dans ces cathédrales de l'amour tarifé à la goutte de semence, serviette en sus.

Ah ! ces petites vendeuses de joie, amies très chères qu'on retrouvait toujours entre deux coupes de champagne vinasseux et de bière à la sciure de bois, dans des décors d'Alcazar, de fête foraine et de mille et une nuits au rabais.

Toi, Fifine-la-boscode qui racolait à l'angle de la rue Traverse-Lirette, qu'il vent ou qu'il pleuve, toujours sur pied, toujours d'attaque. Elle y allait à la besogne, la vipère et le mistral lui auraient plutôt dévissé sa bosse que de lui faire perdre une passe. elle ne manquait d'ailleurs jamais de pratique, une clientèle régulière, fidèle, de celles qui font la prospérité des négoces. Il n'y en avait pas pour tout le monde. Elle jouait à guichets fermés.

Toi qui débarquait tout droit de la poissonnerie où tu criais les moules et les violets.

Toi, la brune aux fesses vertes et toi, décolorée à l'eau de javel, qui cueillait si bien les pièces de cent sous entre les lèvres de ta vulve prenante.

Et la Bretonne de l'Assistance publique, placée en pleine campagne, près de Douarnenez, chez un nourricier qui l'éduquait à coups de fourche et força, dès ses neuf ans, tout ce qui pouvait être forcé en elle.

Et les négresses cafres, bantous, niam-niam, avec leurs nichons en forme de poire à lavement.

Quoi qu'on en dise, vous demeurez la conscience de ce siècle, sa conscience et sa seule poésie...

Poésie de vos bidets, de vos dessus de lit brodés à la main, des roses en papier gaufré de vos chambres, les mêmes qui ornent les tirs forains et les statues en plâtre de la petite Thérèse de Lisieux.

Havres de grâce. Grâces de vos havres. Grâces à prix réduits...

Pouffiasses de mon coeur, filles à matafs, à dockers à nègres, à gnacoués, en avez-vous connus de ces hommes qui suaient la peine, l'effort, la crève, la fièvre, le désespoir et qui, un soir, à la sauvette, venaient jeter entre vos bras humides de blanc gras le poids de leurs chaînes.

Esclaves à la demi-heure des esclaves à perpétuité, courtisanes à galériens, cléopâtres des bastringues, petites soeurs des très pauvres, des damnés, des tordus, des bagnards. Filles de peine de la joie, sur lesquelles se penchaient ces gueules aux yeux vitreux, déjà morts, ces mufles aux dents pourries qui vous hoquetaient dans les narines leur haleine lourde et bavaient des glaires sur vos épaules.

Vos pauvres défroques de travail, oripeaux de fêtes atroces, vos lingeries douteuses, vos déshabillés qui se voulaient coquins et qui n'étaient que lugubres.

Tristesse truculente des boxifs, frénésie désespérée de vos étreintes en série. Apothéose suprême de la fesse."

Le Pavé d'amour, Bastiani lui dédia aussi une piece de theatre, Le Pain Des Jules, qui devint par la suite un roman, puis un film.
Des truands s'y entre-tuaient pour des histoires de gagneuses tandis que les respectueuses en question degoisaient sur leur vie quotidienne aux comptoirs de troquets à gogos du petit Chicago Toulonais.
"Ah ! nota Toussaint, il faut bien dire que les femmes, si on les corrige pas de temps en temps, y a quelque chose qui manque à leur bonheur."
Mais avant le film, avant le roman, avant même la pièce de theatre, il y eu une nouvelle, écrite pour France-Dimanche, publiée dans le numéro 451 du 17 avril 1955, puis reprise dans le Mystere Magazine # 341 de l'été 76.
C'est l'ébauche de la seconde partie du Pain Des Jules, juste après le mauvais coup porté au beau Toussaint par Pascal l'Élégant.
Ce n'est certes pas ce que le grand Bastiani écrivit de mieux mais c'est un document assez passionnant pour qui

petit 1 : a lu Le Pain des Jules
petit 2 : aime cet auteur par trop mésestimé.
Et puis, je l'ai déjà écrit précédemment, du Bastiani, on ne crache pas dessus.
Alors, arrêtes ton char et ouvres tes chasses.
Merci.



















FICTION / JEAN-CLAUDE FOREST / 1

Après le Porte Clé Des Songes et ses quelques dessins accompagnant un texte d'André Ruellan, voici une facette méconnue du talent de Jean-Claude Forest : le collage de gravures du 19eme siècle - soit le mélange de cette imagerie d'encyclopédie entre silhouettes antiques, scènettes hors-contextes et appareils scientifiques démodés - le tout en 5 couvertures exécutées pour la revue Fiction au tout début des années 60.
Il y en a peut être eu d'autres, allez savoir - en tout cas, dans ma collec' de Fiction, je n'en possède pas plus...

Pour information, la couv' au fond jaune pétard (Fiction # 108) est double et fut titrée par son auteur "La curiosité punie ou la vengeance des astres."
J'aime beaucoup l'idée que les astres sont en réalité des diamants, des cristaux de neige, des fossiles paléolithiques et des pseudo-syphono-bidules d'origine inconnue...

J'ai aussi un certain faible pour les singes et gorilles rouges du # 98, une couverture illustrant "La Fin D'Illa " de José Moselli...


IL DÉMEMBRA LE MONDE DE SES MAINS

LES QUATRIÈMES DEMEURES, RAPHAËL LAFFERTY
OPTA / ANTI-MONDES, 1973

Je venais de terminer la lecture d'un mauvais roman d'espionnage et je m'apprêtais à écrire un énième billet sur la série l'Exécuteur lorsque je me senti pris d'une drôle d'humeur. Quelque chose clochait et ce n'était pas un 33 tours des Revolting Cocks qui allaient me remettre sur la piste.
J'ouvre donc une Schulten Bräu 50 centilitres 75 centimes
. Passe à Public Image Limited (Paris au printemps). Remarque un post
La Louve Solitaire dans ma bloglist. Ouvre une autre Schulten. Décide alors de reporter l'Exécuteur à une date ultérieure.
La bière et les dissonances de Keith Levene m'évoquant bizarrement Raphaël Aloysius Lafferty, je me disais que c'était peut être le bon moment pour causer de cet alcoolique céleste, de ce réactionnaire occulte, de cet auteur de science fiction iconoclaste, honteusement boudé par le public (français, anglais, reste du monde) alors que la grande mode de l'époque était justement à la science-fiction iconoclaste.


"Normal. On entre pas facilement dans l'univers de Lafferty" déclarait Michel Demuth à Yves Fremion dans Actuel # 46 spécial Parano de septembre 74 avant de nous détailler quelques aspects farfelus du bonhomme :
"Quand tu rentre chez lui, gros choc : sa baraque est tapissée toute entière d'images de la Vierge et de Jésus, des centaines, des bondieuseries, des images de missel. Il y a un coté mystérieux chez lui, on suppose qu'il est marié comme l'annonce la plaque sur la porte, mais il est seul avec sa petite réserve de biere dans le réfrigérateur. Son bled se situe déjà un peu dans le Sud, avec ses maisons à colonnettes et le rocking-chair ou le hamac qui se balance. Il n'écrit que le matin, une heure ou deux, et il va se balader."
L'année suivante, avec la traduction de Dangereuses Visions chez J'ai Lu, c'était Harlan Ellison, le pape de la New-Thing, qui informait le lectorat français du péril intellectuel que représentait Lafferty ... en laissant la parole au principal intéressé :
"Que peut dire un homme de lui-même ? Jamais les choses importantes. J'ai beaucoup bu pendant quelques années et y ai renoncé il y a six ans. Ça a laissé un vide : quand on abandonne la compagnie des buveurs les plus intéressants on renonce à quelque chose de pittoresque et de fantastique. Alors j'y ai substitué la science-fiction. Une chose que j'ai lue dans un des magazines m'a donné l'impression stupide que la science-fiction devait être facile à écrire. C'est faux, pour moi. Je n'ai pas été nourri de la chose comme la plus part des écrivains de ce genre semble l'avoir été."
Mais Lafferty écrivait-il réellement de la science-fiction ? Tout au plus y ouvrait-il des brèches. Disons même qu'il en élargissait le champ des possibles. Un peu comme le Sladek de L'Effet Müller-Fokker, le Delany de Vice Versa ou encore le Moorcock de La Défonce Glogauer - mais pas exactement comme le Ballard de La Foire Aux Atrocités - (pour tracer une ligne imaginaire sur les back-links de ce blog) - Lafferty donnait à lire des hypothèses de fictions. Il expérimentait son chaos réfléchi sur un territoire balisé, mort-vivant, comme en animation suspendue : la littérature populaire - la littérature tout court - l'art. Les trois en un.
Le texte est un bâtiment, la langue un échafaudage. Chaque appartement est un récit. Il suffit d'enfoncer un mur pour bouleverser les choses.
C'est la science-fiction vue comme la science de la fiction, cet infini de l'art narratif malheureusement trop tôt abandonné au profit du démembrement du corps du délit et de la labelisation en sous-genre réducteurs des quelques menus morceaux récupérés sur le cadavre.
La Science-Fiction.


"Dans cette ample structure, chaque chose avait sa raison d'être" écrit Lafferty dans Les Quatrièmes Demeures, son roman le plus fameux. "Un roman beaucoup plus intéressant que tout ce que l'on peut en dire" affirmait très justement Jacques Sadoul dans son Histoire De La Science-Fiction Moderne. Et notait aussi : "Il est à peu près impossible d'en résumer le thème en moins de mots que n'en compte le roman !"
Ce qui n'est pas tout à fait faux.
Chez Lafferty, chaque paragraphe cache une à deux subtilités. Sur les 270 pages que compte Les Quatrièmes Demeures en édition Opta, avouons que l'ensemble laisse entrevoir un sacré paquet de lignes à déchiffrer, à décoder, à digérer. Gaffe à ne pas choper la migraine - ce trouble intestinal du cervelet.

Car Lafferty pète la culture comme un champion dopé aux anabolisants pète la santé. Sa prose est une course à overdrive déclenché dans laquelle il se fait l'artisan précieux d'une littérature aussi primitive que fulgurante : l'auberge espagnole de la fiction.
Pourtant, Les Quatrièmes Demeures est aussi simple qu'un roman de Ron Goulart. C'est ni plus ni moins qu'un jeu de l'oie dont le pion se nommerait Fred Foley.
Fred Foley. Freddy Foley. Un individu insignifiant, journaliste de son état.
"Toute sa vie, les gens avaient donné à Freddy Foley, qui ne demandait rien, des choses de valeur : cadeaux, pouvoirs, vies, mondes, secrets."
Et voila Lafferty qui lui offre une fiction dont il est le héros - héros aussi absurde qu'improbable - exactement comme si Charlie Brown, transporté dans un roman de Raymond Chandler, se voyait confronté aux techniques modernes d'une magie noire de la révolution, du chaos et de l'ambition.
"Il se peut que tu sois assez bête pour arriver jusqu'au bout."
Ainsi, lancé dans les cordes comme un vieux chiffon inutile, Freddy traque des mystères de série b, des ectoplasmes socio-politiques, des sociétés secrètes lénifiantes, des lieux sacrés terrifiants, renfermant en leur sein diverses bestioles magiques. Et tout cela sur la carte / territoire d'une Amérique down-to-earth, exactement la même que celle du American Gods de Neil Gaiman : un cliché qui prend vie et racine dans le fantasme.
Lafferty, pendant ce temps, dégote une idée à la minute. Les Quatrièmes Demeures est la matrice d'un pavé de 6000 pages qui ne pourra exister que dans nos rêves éthyliques ou dans nos comas acides.
"[...] nous avons eu une poignée d'hurluberlus qui croyaient que les mots et les phrases qu'on voit sur les gaufrettes formaient un code diabolique envoyé du Tibet par un génie du mal."
Mais qu'importe les à-cotés, les fulgurances à la déjante furieuses, Freddy Foley poursuit son petit bonhomme de chemin. Il n'enquête pas à proprement parler, il est plutôt mis en présence des éléments qu'il doit combattre par la main invisible de l'auteur. Un mot se matérialise dans la poche de sa veste et lui donne rendez-vous avec la suite de ses aventure. Suivez la numérotation des pages. Le chemin est balisé mais, attention, il est semé d'embuches. Il ne suffit pas de plonger, il faut aussi savoir s'en imbiber. Concentration totale. Car si le héros est une marionnette, il est (oh !) la marionnette d'une folie lucide qui, entre chaque effet de manche, raconte quelque chose de profondément intéressant et d'implacablement puissant. Par exemple... les ambitions avortées... ou les révoltes inutiles... ou encore la décadence de la modernité...
...Et peut être bien qu'il y est question à un moment ou à un autre de la fin du monde et du renouvellement de l'abonnement.

Bien entendu, j'imagine que certains lecteurs (la majorité ?) seront facilement désarçonnés en moins de 60 pages par ce gigantesque foutoir, par tous les manquements faits à la narration classique, par le malin plaisir que Lafferty semble prendre à se moquer de nos attentes, par sa manie de tout éluder, de ne jamais s'appesantir sur une scène et de s'échiner à raconter les choses de manière différente.
C'est un labyrinthe. On s'y paume. Beaucoup.
Mais le jeu en vaut la chandelle. Car Les Quatrièmes Demeures est un livre qui rayonne la créativité pure et exhale une sensibilité unique. Celle des parcours effectués à l'aveuglette.
Forcement : Lafferty était un explorateur fantasque ; "lâchez-moi dans une ville inconnue et en huit jours j'en aurai exploré à pied chaque centimètre carré."

Combien de lectures des Quatrièmes Demeures pour véritablement y récupérer et en intégrer l'essentiel ? Trois ? Huit ? Ou bien s'agit-il d'un chiffre incalculable ?
Essayez voir. Le bouquin vient justement d'être réédité en France. Il est l'heure de lui donner une nouvelle chance.

DU ROBOT FOU ET DE LA DÉFONCE INTERSIDÉRALE, SECONDE PARTIE

SOFTWARE, RUDY RUCKER
OPTA / GALAXIE-BIS # 145, 1986

Si Ron Goulart œuvra dans la SF Broadway (j'imagine assez bien Sacré Cyborg ou L'Empereur Des Derniers Jours en comédies musicales aussi grasses que pétillantes, décors en carton-pate et costumes improbables, public sous hypnose et les planches qui brulent à la fin) Rudolf von Bitter Rucker, autre oublié culte de la fiction dingo-furibarde, donnait quant à lui dans un mélange de série B détournée et de thématiques Dickiennes parfaitement maitrisées, joliment personnalisées à coup d'équations mathématiques camées et jamais plombées par ces ennuyeuses postures pseudo-philosophiques qui pullulent désormais chez certains émules du haut-châtelain Kindred Dick.
Rudy Rucker, c'est donc un petit rigolo - chose assez surprenante pour une personne ayant du sang hégélien dans les veines (ou alors ai-je trop lu de Jean-Bernard Pouy) - mais un petit rigolo qui vise juste et frappe fort, avec cette efficacité propre aux œuvres pop qui ne payent pas de mine, qui ne semblent avoir été écrites que pour distraire et qui, au final, en disent beaucoup plus que ce que l'on s'imaginait de prime abord.
(MAIS ENCORE FAUT-IL ÊTRE ÉQUIPÉ DU BON DÉCODEUR POUR EN RÉCUPÉRER LES SIGNAUX ET EN ANALYSER LES MESSAGES)
Dans le genre, Software se fait très direct. Comme un film de Brian Trenchard-Smith parasitant le réel, aucune subtilité n'y est autorisée.
Nous sommes en 2020. Cobb Anderson est un ex-scientifique lessivé pour avoir permis aux robots (surnommés le Boppers, comme dans BE-BOP-A-LULA SHE'S MY BABY) de s'émanciper 20 années plus tôt.
"Grâce à lui, il y avait longtemps que les Boppers avaient rejeté les lois racistes et réactionnaires édictées par Asimov."
Depuis, les robots ont colonisé la lune et Cobb Anderson traine sa misère de septuagénaire fauché en Floride, territoire en friche cédé par le gouvernement US aux vieux baby-boomers des fifties.
"Ici, ils ne payaient pas de loyer, et toutes les semaines on les ravitaillait gratuitement en nourriture. Les schnocks avaient rappliqué comme des sauterelles. Ils s'entassaient dans les motels à l'abandon pour écouter leurs vieilles rengaines, organiser des surprises-parties, comme aux plus beaux jours de 1963."
Cobb Anderson, bien entendu, c'est Rudy Rucker réalisant un saut transfictionnel dans un futur de papier et revêtant les apparences d'un Philip K. Dick à la fin de sa vie.
Barbu, fatigué, détaché, il tue le temps en se noircissant les méninges à coup d'alcool fort et en feuilletant des magazines de petites annonces cochonnes - jusqu'au jour où, contacté par son double robotique, un voyage sur la lune lui est offert avec, à la clef, l'immortalité.

Mais les choses ne sont pas si simples : une guerre civile est sur le point d'éclater entre les Boppers et sur terre, les Joyeux Drilles, malades mentaux post-Mansonniens, sèment le désordre en bouffant des cervelles humaines.
Récit déglingué, hyper-azimuté, Software ressemble au croisement jouissif du Sladek de Mecasme (ou de Tik Tok) et du Neal Stephenson de Panique A L'Université. En témoigne certains protagonistes pas piqués des hannetons, comme Sta-Hi, le roi de la défonce, qui accompagne Cobb sur la lune (" Une idée du tonnerre, mon vieux ! On va se soûler la gueule au carburant et s'accrocher des ailes en carton dans le dos ! ") ou Ralph Number, le premier Bopper anarchiste, robot rudimentaire ressemblant à "un classeur de bureau monté sur chenilles."
"[Il] possédait peu de voyants lumineux ou de cadrants extérieurs, aussi était-il difficile de savoir ce qu'il pensait."
N'oublions pas non plus tous les Boppers figurants qui, lorsqu'ils ne se décalquent pas les circuits imprimés à coup d'aimants, prennent leur fade en échangeant des données.
"Si tu veux être mon hardware / Je serais ton Software [...] Ça te dirait, de te connecter à moi, baby ?"
On se croirait presque dans le Techniques du Chaos de Tim Leary. D'ailleurs pour reprendre la comparaison introductive à ce billet, si Ron Goulart est principalement influencé par l'imagerie comic-book du golden-age, Rudy Rucker l'est par les écrits de la beat-generation - mais sous une forme mutante, quelque chose comme du cyber-beat-punk décalé.
SOFTWARE, ÇA POURRAIT TRÉS BIEN ÊTRE BRION GYSIN DANS L'ESPACE, REJOUANT LE DIEU VENU DU CENTAURE EN FUMANT DES PLAQUETTES DE SILICIUM, METAL DE GARY NUMAN DANS LE WALKMAN À CASSETTE.
(OU ALORS ELECTRIC WARRIOR DE T.REX, MAGNÉTIQUEMENT DÉGRADÉ)
(AU CHOIX)
Et si le roman se termine vaguement en queue de poisson (ou plutôt d'esturgeon), vous y apprendrez, entre autres choses, à utiliser la commande informatique d'ivresse chez l'androïde, à apprécier la religion du bruit blanc cosmique des Boppers et à vous méfier des vendeurs de glace ambulants - leurs camions servant bien souvent de sinistres façades à une entreprise d'annihilation de l'espèce humaine.

DU ROBOT FOU ET DE LA DÉFONCE INTERSIDÉRALE, PREMIÈRE PARTIE

HEIL HIBBLER, RON GOULART
OPTA / GALAXIE-BIS # 102, 1984

Statz Kazee, présentateur vedette aux cent quarante million de téléspectateurs, est assassiné alors qu'il s'apprêtait à révéler sur les ondes un " incroyable scandale dans le milieu des affaires."
Pour élucider ce crime et découvrir ce que Kazee avait appris, le gouvernement américain embauche Jake et Hildy Pace, le super couple à la tête de l'agence Enquêtes Bizarres Inc., duo héroïque que Ron Goulart ne prendra pas la peine de nous présenter en profondeur car, voyez-vous, Jake et Hildy, ce sont des héros, ils sont forts et ils sont beaux et c'est véritablement tout ce que l'on a besoin de savoir avant de commencer sa lecture, N'EST-CE PAS ?
(à moins que, mais là c'est ton problème, que tu ne lises que ces trucs emmerdants où aucun espion n'empêche aucun plan de domination mondiale d'aucun vilain et que l'auteur, souvent une gonzesse (la pauvre) ou un vieux fossile radoteur, passe son temps à déblatérer sur des trucs que tu pourrai vivre si tu sortais dehors au lieu de bouquiner, DUGLAND, VA !)
JE REPRENDS / Jake et Hildy suivent la piste. Elle est simple et bien balisée, elle ressemble à un jeu de l'oie revu et corrigé par un artiste de comic loufdingue qui aurait passé un peu trop de temps aux gaugues à feuilleter du Milton Canif et du Wally Wood.
Chaque chapitre correspond donc à un strip et chaque strip relate un évènement et une rencontre.
Comme toujours chez Goulart, l'intérêt nait des décors et des personnages secondaires. Inutile d'analyser. Je l'avais déjà fait 304 messages plus tôt. La suite de cet article a donc été repensé en un mini-listing non-exhaustif des protagonistes fantaisistes apparaissant dans ce roman. C'est moche mais c'est simple, et c'est surtout plus efficace.

AINSI, DANS HEIL HIBBLER, TU TROUVERA :
- Jake, Hildy et pleins de robots !
MAIS TU TROUVERA AUSSI :
- Roots Stackhouse, un politicien souffrant d'un dédoublement de personnalité fort stupide,
- Harlow Lolo (" dans ma lointaine enfance, nous aurions bien rigolé d'un blaze pareil "), un producteur télé qui se déguise en cowboy et vante à longueur de temps son arbre généalogique (" les Lolos ont joué un rôle de premier plan dans le développement de notre nation ")
- Angel Tolliver, une nana que Jake et Hildy recherchent (en réalité, elle se nomme Amanda Tenn et porte un faux nez de patate)
- Billiejean Folly, son amie, spécialiste du tir au bazooka en fête foraine
- Adolph Hibbler, grand expert du Rayon de la Mort, congelé, trimbalé pendant 20 piges comme curiosité par une fête foraine ambulante
ET N'OUBLIONS PAS NON PLUS LES FIGURANTS !
- Steranko le siphonneur
- un major-d'homme anglais aux bras métalliques multi-usages
- un robot gardien de parking souffrant d'un problème d'élocution, la faute à "un axe de bielle défectueux"
- des punks du troisième age officiant dans le Los Angeles du futur
- la classique horde d'androïdes meurtriers ("ces enculées de machines sont toutes au bord de la déjante totale")
- un tueur à gage qui s'est fait tatouer sur tout le corps " une adaptation de l'Ancien Testament en BD quadrichromique."
J'EN PASSE ET DES MEILLEURES, MON POTE !
Mais maintenant, faut conclure. Et en vitesse.

Ainsi, comme un tube de Michel Sardou réorchestré Zizique Zinzin (Looney Tunes en V.O.), Ron Goulart, c'est de la S-F BROADWAY.

Ce n'est peut être pas la vraie de vraie, mais c'est celle qui me plait.
Tu piges ?

HITCHCOCK MAG / MICHEL DUMOND

6 illustrations pin-up/agents secrètes de Michel Dumond pour les couv' de la version francophone de Hitchcock Magazine, aux éditions Opta.




LEAVING THE SOLAR SYSTEM, NOW !

L'ENVOL DE LA LOCOMOTIVE SACRÉE, RICHARD A. LUPOFF ÉDITIONS OPTA / ANTI-MONDE # 5, 1973

Ce n'est plus à prouver, Opta Anti-Monde est une collection foutrement géniale. Tout intrépide de la bouquinerie un tant soit peu versé dans la spéculative y a certainement découvert deux John Sladek fondateurs, un Ron Goulart très sympa, un Lafferty grandement allumé (holala !), un Adolf Hitler signé Norman Spinrad, quelques nouveaux classiques reposants et pas mal de bidules étranges, joliment iconoclastes, comme cet Envol De La Locomotive Sacrée signé Richard A. Lupoff (rock critic californien, fanzineux légendaire, spécialiste de E.R. Burroughs et H.P. Lovecraft) et que Michel Demuth, le directeur littéraire, qualifiait à l'époque de décoiffante étude sur la synthèse analogique et le bruit dans la science-fiction. Ce n'est pas vraiment ça mais comme phrase, ça racole sévère et c'est nécessaire.
D'ailleurs, Demuth confia à Yves Fremion, dans les pages d'un Actuel spécial S-F Parano, que L'Envol De La Locomotive Sacrée constituait l'une des ventes les plus solides de son catalogue - cela étant dû aux rapports pop psychédélique et fiction underground que le roman développait avec brio.

L'Envol De La Locomotive Sacrée, c'est donc le futur des early seventies. C'est 1985 et tout va mal puisque le monde est approximativement comme nous l'avons toujours connu. Sale, puant, bordélique, délirant.
Les nazis occupent en secret l'amerique du sud, le moyen-orient est déchiré par de fausses guerres inter-territoriales pour rassurer l'opinion occidentale, le hockey sur glace est devenu un sport à main armé, la
grenade à fragmentation remplaçant ce bon vieux palet de bois poli, et le rock psychédélique a, encore et toujours, le vent en poupe.
Distorsions cosmiques à tout les étages. Les rues sont ornées de portraits géants de Timothy Leary ou de Jerry Cornelius, les gens s'envoient en l'air chimiquement et Freddie Fong Fine, "
pseudo-adolescent, homme-enfant de trente ans, racaille gauchisante, suceur de came et dingue de musique, peau jaune, cheuveux roux bouclés, habillé mode, symbole de l'avant-pointe,[...] héros d'une centaine d'aventures sur une dizaine de continents", Freddie Fong Fine, donc, détourne un boeing trans-orbit.
À son bord, le Captain Carter, pilote nain doux-dingue et rétrograde, Pat Plaf, la charmante hôtesse du septième ciel aux tenues ultra-wizzz ("ses mules émettaient des éclairs d'un bleu-vert glacial alternant avec des agrandissements de dessins pornos classiques de Crumb"), et surtout, bien installés dans les derniers fauteuils de l'unique classe grand standing de l'appareil, les cinq membres de la Locomotive Sacrée. Max Marx, Bonzo Borzoï, Clark Elmore et Sol Hayakawa. Le plus grand groupe de tout les temps, aux dires des modettes branchées super-pointu de cette dimension - du genre Mavis Montreal, l'énorme groupie pré-pubère de la Locomotive. Une insupportable petite peste débarquée passagère clandestine du boeing trans-orbit à la vue et sus de Freddie.
Mais, au fait, pourquoi Freddie les a-t-il kidnappés, ces quatre zigotos de la déjante symphonique improvisée - et avec eux, toute cette compagnie improbable ? Pour bénéficier d'un interminable jam de noise douce au dessus de l'atmosphère terrestre, entre les débris brulants de satellites oubliés et autres déchets volants non-identifiés ? Pour réaliser pleinement les géniales incantations du Starship des Motor City 5, que ce bouquin semble d'ailleurs suivre au pied de la lettre ? Pour tranquillement déglutir des buvards et respirer de l'oxygène pur ?
Pas uniquement.

Car Freddie Fong Fine, derrière des abords débonnaires, est en fait un agent secret à la solde du M.A.I.S. E.N.C.O.R.E., acronyme pour l'organisation des Anti-Impérialistes Stalinistes Exilés Neo-Communistes Orthodoxes Révisionnistes Étatistes. Sa mission ? Démasquer le membre de la Locomotive Sacrée qui dissimule un agent adverse du groupe B.O.U.G.N.O.U.L.E., Bataillon Organisé pour l'Union et la Gestion Noires des Ouvriers Universalistes Libertaires et Extrémistes.

"Oh, Seigneur ! Pourquoi n'écrivent-ils donc plus ces bons vieux romans bien carrés qu'on écrivait autrefois ?" s'exclame un ronchon dès le second chapitre.
Pas de chance pour toi, coco, ça dégénère radicalement les pages suivantes. L'avion s'écrase en pleine mer. Notre fol équipage se retrouve séparé par les affres de la vie. Freddie Fong Fine court après des espions ennemis à travers un New York ethniquement transfiguré. la NASA se prépare à envoyer la première expédition féminine sur Mars. La Locomotive Sacrée joue dans un stade bondé aux cotés de Moonchild et les Cyclamates et de Curtis Newton et ses Futuremen. La fin du monde est annoncé par un révérend de la Sainte Église Universelle.
"
La fin du monde ? Impossible, je viens tout juste de renouveler mon abonnement !"

Dans la grande tradition des Dangereuses Visions, Richard Lupoff brouille son texte et fait de la science-fiction comme Guy Peellaert faisait du comic-book avec Pravda ou Jodelle. Ou Samuel Delany du porno avec Vice-Versa.
Sa Locomotive Sacrée pourrait même passer pour l'équivalent rock psychédélique (et non pas progressif, non, non, surtout pas !) du Novö-Vision de Yves Adrien, les penchants auto-fictionn
els en moins, la spéculative en plus.
On y trouve, pèle-mêle, passés à la moulinette fuzz halucinatoire et rigolarde de Lupoff,
les penchants pour l'espionnite illogique et les aventures tarabiscotées d'un Ron Goulart, les coïncidences improbables et métaphysiques d'un John Sladek, les flashes informatifs du John Brunner de Tous À Zanzibar, humouristiquement détournés.

"Wow babies, ça balance dément, non ? Flingues, fesse, drogue et rock. On peut pas trouver plus 1985, non ?"
En effet.
Et si je devais ne retenir que deux petites choses de cet Envol, ce serait cette description parfaite et phénoménale d'une montée d'acide, la plus poignante qui m'ait été donné à lire, page 145 à 152, et cette saine déclaration que Freddie Fong Fine, dix ans plus tôt, hébergé par la famille Parker à Poughkeepsie, compté de Dutchess, USA, fait à sa petite amie :
"
Je m'en vais parce que je ne peux plus supporter l'idée de faire partie de cette énorme machine sans âme qui emploie un demi-million de bonshommes à fabriquer des demi-verités, des demi-mensonges, des vérités bien triées, des vérités qui mentent."

Richard Lupoff, malgré quelques 20 bouquins publiés aux Etats Unis, ne fut traduit dans notre langue qu'une seconde fois (un très beau roman sur les comics de super-héros du golden-age, Trinité, en Masque SF) avant d'être jeté, à l'orée des années 80, dans les oubliettes d'une édition science-fictive française devenue trop sérieuse, comme cherchant à expier du trop plein d'extravagance new-thing de la décennie précédente.
L'Envol De La Locomotive Sacrée ne connut par la suite aucune réédition. Un bien triste gachis. Il s'agit là de l'unique exemple, à ma mémoire, d'une S-F groucho-marxiste drôle et toqué, obsolète et plus féroce, plus juste, plus forte dans sa représentation idéalisée (?) des années 70, et du monde en général, que les 120 minutes de Zabriskie Point, l'explosion totale avec focales multiples et longs ralentis inclus.
Mais surtout, il s'agit d'un roman à l'inutilité magnifique, rayonnante même, et l'inutilité, à ce niveau-là et pour tout mammifère post-industrialisé appartenant à la classe moyenne et mordu de culture pop, l'inutilité est terriblement essentielle.

SCI-FI ((( Z ))) POP # 5 : JOËL HOUSSIN !

LOCOMOTIVE RICTUS, JOËL HOUSSIN
OPTA COLLECTION NEBULA, 1975

Enfin ! Du Joël Houssin ! J'aurais dû aborder cet auteur depuis belle lurette déjà. Car, voyez-vous, sans Joël Houssin, je ne passerais probablement pas mes dimanches à mettre à jour ce blog. J'ai découvert Anticipation, la Spéculative-Fiction et les bouquinistes grâce à ses romans - fin 90, juste avant mon bac, pleins de boutons purulents sous le soleil ... Quelle nostalgie, bordel !
Mais trêve d'auto-fiction. Joël Houssin, au milieu des années 70, c'était la relève francophone, les banlieues rouges, la génération électrocutée - en référence à la hung-up generation de Harlan Ellison, grand manitou des Dangereuses Visions, le double missel de la Spéculative.
Houssin débutait alors dans les colonnes de la revue Fiction, encouragé par un Alain Doremieux en pleine montée New Thing. C'était l'époque d'Espaces Inhabitables et de Nouvelles Frontières, d'Anti-Mondes et de Nebula. La période la plus dingue de la S-F, où tout s'écrivait sous substances avec une petite dose additionnelle de cut-up Burroughsien et quelques mesures d'incartade politique en mode ultra-gauche abstraite.

Dans les anthologies fleurissantes et les revues spécialisées, ça se traduisait par la présence répété au sommaire des habituels Daniel Walther, Bernard Blanc, Jean-Pierre Hubert, Dominique Douay et tous leurs amis du parti. Il n'y avait pas foule mais ça constituait une donne de départ plutôt acceptable. Et quant ils ne passaient pas leur temps à se tirer dessus à boulets rouges via des pamphlets abscons sur la place de la politique dans la S-F, nos auteurs écrivaient des nouvelles. Elles était parfois ennuyeuses, parfois illisibles et parfois décapantes. Certains auteurs n'atteignirent pas le cap du premier roman, ni même celui de la troisième nouvelle. Il semblerait que Doremieux ou Fremion recevait de temps à autres des courriers hostiles d'un lectorat pas forcement conquis par ces avant-gardes.
Mais je commence à déraper hors sujet.
Dans cet ensemble hétéroclite de scribouillards à la cervelle en fusion et au poing en l'air, se trouvait Joël Houssin, le jeune loup aux dents longues.
Joël Houssin sortait du lot de la nouvelle Science-Fiction Française pour deux raisons :
l'influence anglo-saxonne en trinité Dick/Spinrad/Ellison totalement assumée et digérée, et un style coup de poing à la puissance de frappe inégalable.
Houssin, c'était de la Spéculative explosé à l'atome, brutale, déchainée, entre Le Grand Flash de Spinrad et Klimax de Daniel Walther.
Comme comparaison, je ne pense pas que ça vous éclaire beaucoup...

Bref, 1975, une année après sa toute première nouvelle (fiction # 249, septembre 74), Opta sort le premier bouquin de Houssin, Locomotive Rictus. Le format est bâtard, façon Galaxie-Bis avec un long récit et deux nouvelles en clôture.
Concentré en 180 pages, Locomotive Rictus, le récit, a déjà la forme d'un Anticipation du Fleuve, revu et corrigé par un camé à l'imagination débordante et malsaine.
Situant son bordel narratif dans une société déglinguée par l'inévitable holocauste nucléaire des années 60-70, Houssin met en scène l'affrontement sans merci des deux classes survivantes : les Laminés, représentants de la norme vivants à leurs aises dans des forteresses de béton, et les Contaminées, hordes de punks mutants à la dialectique marxiste totalement dégénérée.
Le roman se concentre principalement sur la personne de Joe Apocalyps, un nanti laminé, présentateur télé imbu de lui-même et über-exubérant, un peu comme le Jack Baron de Norman Spinrad, minus l'éthique.
Notre gars a mis au point le Mega-Hallucid, une machine incompréhensible destiné à extraire des prophéties d'un fœtus démoniaque enfermé dans le ventre d'une folle. Tout cela pour faire un max d'audimat et, accessoirement, sauver le monde du soulèvement massif des Contaminés désormais en seconde phase évolutive, tendance loup-garou sanguinaire.
La suite, c'est un bombardement de visions infernales et de situations dérangeantes. Bien qu'Houssin cite le Blue Oyster Cult, Locomotive Rictus est aussi jouissif qu'une intégrale live de Throbbing Gristle. Torture corporelle, dimensions de sperme, torrents de violence graphique. Un roman en perpétuelle descente d'acide, de plus en plus sombre, de plus en plus fou. Un soleil noir sur lequel Houssin nourrira ses succès à venir. Un roman jamais réédité depuis la première mort des éditions Opta (circa 79) et pourtant aussi essentiel que, disons, le Gambit des Étoiles.

Quant aux fill-in de luxe qui comblent les 50 dernières pages, il s'agit de Avez Vous Peur du Noir ? suivi par Errat-Homme.
Je passe là dessus rapido : le premier fait dans l'apocalypse raciale, le second dans l'apocalypse politique. C'est court, sans fioriture et radical. Deux belles cerises radioactives sur un gâteau degoulinant d'humeurs cervicale.

SCI-FI ((( Z ))) POP # 0 : RON GOULART, ECRIVAIN ROBOTIQUE

Ron Goulart, je l'ai découvert un été au détours du bac de livres à 50 centimes d'un bouquiniste de plage. Il s'agissait de 'Séparation de Corps' (Dr Scottflaw en v.o.), un récit de 79 publié chez les presses de la cité dans la défunte collection Futurama de Jean Patrick Manchette, celle avec la grosse typo 3D mega-seventies - un truc qui accroche méchamment l'oeil, surtout quant il se retrouve couplé à une illustration de couverture démente mêlant barbouillage de pulp old-school et iconographie 'résidentielle' du gros bonhomme métallique avec un oeil géant à la place de la tête. Forcement, je ne pouvais pas passer à coté de ça.
A l'intérieur, ça parle d'un écrivain baroudeur parcourant la galaxie à la recherche d'un malfrat robotique sur le point d'être reconstitué pièce par pièce. Le supporting-cast est composé d'une nana débrouillarde probablement attiré par notre héros et d'un photographe tendance national geographic gentiment obsédé par les nichons. C'est de la vraie saloperie littéraire qui se respecte et ne s'embarrasse pas d'artifices pour dissimuler aux lecteurs ses ficelles éculées. C'est 160 pages grassement écrites par un automate du roman de gare aux connexions neurales vrillées par la lecture de trop nombreux comic-books du golden-age et qui remplace une bonne partie de ses descriptions par des onomatopées hyper-inventives faites de thunk!, zowie!, whap! et autres sloop!. L'ensemble encadre à la va-vite une intrigue ultra-linéaire, qui se déroule à un rythme moyennement effréné, et dont la seule finalité est d'assembler avec le plus de souplesse possible une masse assez imposante de situations stupides et de personnages aussi cocasses que grotesques.

Je résume approximativement Séparation de Corps mais les trois précédentes phrases peuvent tout aussi bien s'appliquer à n'importe quel autre roman de ce chantre de la déjante bon marché - qu'il s'agisse d'un super-ordinateur voulant empêcher un coup d'état millénariste, d'un enquêteur flegmatique poursuivant une bande de féministes ultra-belliqueuses ou d'un couple d'espions sixties déjouant les terribles plans d'un savant fou allemand. Car l'intrigue n'est, chez Ron Goulart, qu'un simple prétexte pour écrire à peu près tout sur n'importe quoi, n'importe comment. En fait, l'intrigue est tellement secondaire que l'auteur se permet parfois de passer outre le climax final, un peu comme si le chapitre narrant la sacro-sainte confrontation héros/vilain avait été élagué par l'éditeur pour gagner du temps et atterrir directement en page d'épilogue.
Autant dire que la première fois, arrivé page 155, c'est assez surprenant.

Cette bizarrerie narrative, cette dizaine de pages (volontairement ?) manquantes, est assez emblématique de l'oeuvre de Ron Goulart : on n'ouvre pas ses livres pour vibrer à d'hypothétiques effets de tensions ni pour apprécier la folle originalité de l'intrigue mais juste pour s'amuser, tel un petit androïde acidifié, de ces gros amas de bêtises qui nous sont si gentiment jetés en pâture. Et pour ce qui est des conneries, Goulart est plutôt doué - surtout quant elles ont trait à ses deux domaines de prédilection : les robots et la pop culture. Ce qui donne, entre autre et en vrac, des ordinateurs facétieux, des hypnotiseurs de machines, des androïdes de la mort, des cyborgs baiseurs, Harlan Ellison, un tarzan mercenaire,
des scénaristes de western patriotico-pédérastique, un sigmund freud automatisé, du jazz à marteau-piqueurs et machines à laver, des nazis de fête foraine, tout ça et bien d'autres choses encore plus indescriptibles, parfois indigestes mais toujours délirantes pour peu que l'on soit sensible au post-modernisme débridé des années 70.

Malheureusement, l'aspect décalé (voire faussement pauvre) de son écriture, couplé à son absence totale de sérieux, n'ont jamais permis à Ron Goulart d'effectuer "une percée décisive" (dixit Stan Baret in le Science-Fictionnaire volume 1) sur le marché Français, ni même sur le marché de la Science-Fiction tout court. Authentiquement triste. La couverture U.S. de After Things Fell (Après la Déglingue) plaçait au dessus du titre cette citation promotionnelle de Philip K. Dick : "a sheer delight to read." Et c'était vrai !
Seuls 6 romans de science-fiction Goulartienne furent traduits en français, entre 1973 et 1984. On peut donc se démener pour trouver l'excellent Après La Déglingue (Opta / Anti-Monde, avec une sublime couverture de Caza), Heil Hibbler (Nouvelles Éditions Opta / Galaxie Bis - à noter une superbe typo arial taille 12, parfait pour les lecteurs aux yeux fatigués), L'Effet Garou (Marabout), Sacré Cyborg, L'Empereur des Derniers Jours et Séparations de Corps (tout trois aux Presses de la Cité / Futurama 2, tout trois aussi géniaux les uns que les autres, vraiment !). Aucun n'a depuis été réédité.
Certains de ses romans policiers (dont La Chasse à la B.D. - j'en parlerais prochainement...) furent publiés en Gallimard / Série Noire au début des années 90 mais n'en sont pas moins difficiles à dénicher.

Et si on a du courage, on peut s'amuser à traquer ses novelisations US sous pseudonyme de Vampirella, Flash Gordon (traduit en france) et Captain America, sa série Star Hawk aux cotés de Gil Kane et ses ouvrages d'histoires consacrés aux pulps et aux comics.