SCI-FI ((( Z ))) POP # 0 : RON GOULART, ECRIVAIN ROBOTIQUE

Ron Goulart, je l'ai découvert un été au détours du bac de livres à 50 centimes d'un bouquiniste de plage. Il s'agissait de 'Séparation de Corps' (Dr Scottflaw en v.o.), un récit de 79 publié chez les presses de la cité dans la défunte collection Futurama de Jean Patrick Manchette, celle avec la grosse typo 3D mega-seventies - un truc qui accroche méchamment l'oeil, surtout quant il se retrouve couplé à une illustration de couverture démente mêlant barbouillage de pulp old-school et iconographie 'résidentielle' du gros bonhomme métallique avec un oeil géant à la place de la tête. Forcement, je ne pouvais pas passer à coté de ça.
A l'intérieur, ça parle d'un écrivain baroudeur parcourant la galaxie à la recherche d'un malfrat robotique sur le point d'être reconstitué pièce par pièce. Le supporting-cast est composé d'une nana débrouillarde probablement attiré par notre héros et d'un photographe tendance national geographic gentiment obsédé par les nichons. C'est de la vraie saloperie littéraire qui se respecte et ne s'embarrasse pas d'artifices pour dissimuler aux lecteurs ses ficelles éculées. C'est 160 pages grassement écrites par un automate du roman de gare aux connexions neurales vrillées par la lecture de trop nombreux comic-books du golden-age et qui remplace une bonne partie de ses descriptions par des onomatopées hyper-inventives faites de thunk!, zowie!, whap! et autres sloop!. L'ensemble encadre à la va-vite une intrigue ultra-linéaire, qui se déroule à un rythme moyennement effréné, et dont la seule finalité est d'assembler avec le plus de souplesse possible une masse assez imposante de situations stupides et de personnages aussi cocasses que grotesques.

Je résume approximativement Séparation de Corps mais les trois précédentes phrases peuvent tout aussi bien s'appliquer à n'importe quel autre roman de ce chantre de la déjante bon marché - qu'il s'agisse d'un super-ordinateur voulant empêcher un coup d'état millénariste, d'un enquêteur flegmatique poursuivant une bande de féministes ultra-belliqueuses ou d'un couple d'espions sixties déjouant les terribles plans d'un savant fou allemand. Car l'intrigue n'est, chez Ron Goulart, qu'un simple prétexte pour écrire à peu près tout sur n'importe quoi, n'importe comment. En fait, l'intrigue est tellement secondaire que l'auteur se permet parfois de passer outre le climax final, un peu comme si le chapitre narrant la sacro-sainte confrontation héros/vilain avait été élagué par l'éditeur pour gagner du temps et atterrir directement en page d'épilogue.
Autant dire que la première fois, arrivé page 155, c'est assez surprenant.

Cette bizarrerie narrative, cette dizaine de pages (volontairement ?) manquantes, est assez emblématique de l'oeuvre de Ron Goulart : on n'ouvre pas ses livres pour vibrer à d'hypothétiques effets de tensions ni pour apprécier la folle originalité de l'intrigue mais juste pour s'amuser, tel un petit androïde acidifié, de ces gros amas de bêtises qui nous sont si gentiment jetés en pâture. Et pour ce qui est des conneries, Goulart est plutôt doué - surtout quant elles ont trait à ses deux domaines de prédilection : les robots et la pop culture. Ce qui donne, entre autre et en vrac, des ordinateurs facétieux, des hypnotiseurs de machines, des androïdes de la mort, des cyborgs baiseurs, Harlan Ellison, un tarzan mercenaire,
des scénaristes de western patriotico-pédérastique, un sigmund freud automatisé, du jazz à marteau-piqueurs et machines à laver, des nazis de fête foraine, tout ça et bien d'autres choses encore plus indescriptibles, parfois indigestes mais toujours délirantes pour peu que l'on soit sensible au post-modernisme débridé des années 70.

Malheureusement, l'aspect décalé (voire faussement pauvre) de son écriture, couplé à son absence totale de sérieux, n'ont jamais permis à Ron Goulart d'effectuer "une percée décisive" (dixit Stan Baret in le Science-Fictionnaire volume 1) sur le marché Français, ni même sur le marché de la Science-Fiction tout court. Authentiquement triste. La couverture U.S. de After Things Fell (Après la Déglingue) plaçait au dessus du titre cette citation promotionnelle de Philip K. Dick : "a sheer delight to read." Et c'était vrai !
Seuls 6 romans de science-fiction Goulartienne furent traduits en français, entre 1973 et 1984. On peut donc se démener pour trouver l'excellent Après La Déglingue (Opta / Anti-Monde, avec une sublime couverture de Caza), Heil Hibbler (Nouvelles Éditions Opta / Galaxie Bis - à noter une superbe typo arial taille 12, parfait pour les lecteurs aux yeux fatigués), L'Effet Garou (Marabout), Sacré Cyborg, L'Empereur des Derniers Jours et Séparations de Corps (tout trois aux Presses de la Cité / Futurama 2, tout trois aussi géniaux les uns que les autres, vraiment !). Aucun n'a depuis été réédité.
Certains de ses romans policiers (dont La Chasse à la B.D. - j'en parlerais prochainement...) furent publiés en Gallimard / Série Noire au début des années 90 mais n'en sont pas moins difficiles à dénicher.

Et si on a du courage, on peut s'amuser à traquer ses novelisations US sous pseudonyme de Vampirella, Flash Gordon (traduit en france) et Captain America, sa série Star Hawk aux cotés de Gil Kane et ses ouvrages d'histoires consacrés aux pulps et aux comics.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Voilà qui me semble diablement intéressant. Je suis à la recherche d'histoires d'ordinateurs (plus que de robots) pour mon blog consacré en grande partie à la culture populaire de l'informatique, je vais aller voir ce Ron Goulart (ce sont les trois "Futurama" qui ont des thèmes "cyber", donc ?). Je prends toute autre référence du genre.

ROBO32.EXE a dit…

Merci pour ce message :)
Des trois futurama (et de l'intégrale Goulart en VF), seul L'Empereur des Derniers Jours met en scene un ordinateur, Barney le super-computer facétieux.
Quant au rapport robot / ordinateur, il faudrait que je fasse un petit post là dessus. Dans beaucoup de romans SF de l'époque (mettons entre 1950 et la fin des années 1970), ces deux figures sont très souvent mélangées... ça reste donc à fouiller...

Anonyme a dit…

Merci pour cette réponse !

Zaïtchick a dit…

Les Star Hawks paraissaient dans Télépoche et trois albums sont sortis chez deux éditeurs différents.

ROBO32.EXE a dit…

Merci, je ne savais pas, pour les Télépoche !
(Les albums, par contre, se dégottent facilement, et pour pas cher...)