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LE MARDI GRAS DES MATRICULES

AGENTS DOUBLES, A. FAVIERES
K-303 APPELLE WASHINGTON, A. FAVIERES
MISSION D.D.P. TERMINÉ, A. FAVIERES
LA LOUPE / ESPIONNAGE # 32, 40 & 44, 1956 / 1957

Bienvenue dans le monde fou fou fou d'André Favières.
André Favières, yes m'am !
I
l était au roman de déduction ce que la revue Détective sera toujours au journalisme d'investigation. Il était à l'espionnage ce que la magie perlinpinpin est aux sciences exactes.
Alors rigoles, rigoles, mais rira bien qui rira le dernier.
Car chez lui, chez Favières, la logique marche sur la tête, les araignées pendent aux plafonds, les douze coups de minuit retentissent à tout instant et voila que tu sursaute comme un mambo griffé par le bras d'un pick-up fonctionnant au courant alternatif.
Ça déménage la pulpe du crâne, ça remue sans prévenir et ça séduit sans se dédire - à l'image de ces phrases tarabiscotées traversées d'une infinité de points de suspension, saccadées par des bruitages cocasses...

( "Zoum... Zoum... Plouf... Plouf..." )
...et autres halètements d'une machine à écrire comblant les vides de l'inspiration...
...À l'image aussi de ces cocktails grammaticaux, de cette temporalité désarticulée - désaccordée même - propre aux bouquins torchés à la va-vite et qui fait qu'un verbe au présent peut débouler dans un paragraphe narré à l'imparfait...
...la fausse note qui distingue plus qu'elle ne dépare...
...À l'image surtout de cet univers aux couleurs encore vives sous la couche poussiéreuse de l'oubli, univers à facettes miroitantes, univers peuplé d'assassins sadiques, de Fantômas du dimanche, de monstres sanguinaires, de femmes masquées (loups de velours, gants de soie), de filles faciles (chattes de gouttières, tigresses de dancing), de chinois fourbes, d'enquêteurs intrépides et d'agents secrets aux matricules tarabiscotés - "Des X... Des Y... Des anonymes."
En bon Niçois, Favières aime le carnaval et ses déluges de sons, de lumières et d'excentricités. Ses personnages sont comme des fêtards un peu éméchés partant à l'assaut des espaces indéfinis de ses textes - ruelle tortueuse, base secrète, laboratoire lambda, pièce obscure, pavillon de banlieue, jardinet en friche - lieu X temps Z - tout se mélange en une géographie variable, donc propice à l'addition + solution d'événements improbables : un meurtre, un cri, une confession, une bagarre, une fuite.
Quatre murs, un drame, douze explications.
Et la farandole grotesque de ces fameux masques d'espions, ces quelques signes agencés par un fana de bataille navale en pleine rêverie éthylique :
S.K./95, X.100, A.713, J.J.O./6, G.W.A.7, J.K.T./13, X.O.S.7, J.B.B./75, P.77, CKT.X, C.13, S.C.S./95, K303,
N'EN JETEZ PLUS !

...Si !
Un dernier...
...X.117 !
Car c'est lui, l'espion star d'André Favières - son OSS 117, son FX-18, son R-30 personnel - L'AGENT X.117 - de son vrai nom le major Mac Tongay, de son surnom l'Increvable Mister X.
Courageux g'man du F.B.I., il répond aux ordres d'un certain mister Yekil (toute l'essence tordue du style Favières, synthétisée en un seul et unique "Y") et apparait pour la première fois - mais sans y tenir la vedette - dans Agents Doubles, un épisode de la série policière mettant en scène l'inspecteur Claude Armand et l'écrivain criminaliste André Gérard.
Ces deux-là, Armand et Gérard, connurent au cours des années 50 - et toujours sous la plume d'un André Favières alors quasi-débutant - un petite quinzaine d'aventures, toutes publiées aux éditions Jacquier : Le Manchot Obsédé, Le Chat gris Ne Répond Pas, Le Terrible Secret de Sonia Marlow... Des bouquins à sensations fortes et redondantes : un cri dans la nuit, un meurtre dans le noir, une drogue qui tue et une autre qui rend fou, un cadavre qui disparait, un singe qui rode et un dingue qui complote...
Favières y pille Edgar Poe, Marcel Allain, Léon Groc, H.J. Magog, malaxe, digère, dégueule et s'affirme en anti-Simenon primaire.
Un génie maladroit du crime maladif, ce Favières. À l'avant-pointe de l'indifférence et du hall de gare, il inventait le giallo littéraire et faisait raisonner sur les touches de son underwood des ébauches de coups de zoom et de filtres couleurs.
Ainsi, dans les romans qui leur sont dédiés, André Gérard et l'inspecteur Armand affrontent des désaxés sexuels, des fous mathématiciens, des voyeurs cruels, des artistes dérangés - toute une faune grotesque qui permet à l'auteur, sous son habituelle cascade stylistique de signes et de bruits, de questionner cette fenêtre qui "s'ouvre sur le secret de la conscience d'un homme" et d'accumuler rebondissements aberrants et situations inextricables sans avoir le moindre petit compte à rendre concernant les "pourquoi" et "comment" des choses racontées à son lectorat. Favières déroule un tapis de Fakir... et qui aime le suive !
"Clarté... Confusion... Pêle-mêle" écrit-il dans Agent Double. Ou comme le note son alter-ego de papier André Gérard en page 84 du même opus :
"À quoi bon chercher à voir clair dans cette histoire embrouillée et invraisemblable ?
À quoi bon chercher une solution ? Elle viendra bien toute seule et au bon moment."
Mais question espionnage d'épouvante, Agent Double ne peut faire figure que de simple mise en bouche et, deux trimestres plus tard, voila Favières qui remet le couvert, poursuivant - en parallèle aux proto-gialli d'Armand et Gérard, - son exploration toute personnelle des imbroglios de la guerre froide dans une série entièrement consacrée à l'agent X.117.
Le premier volume s'intitule K-303 Appelle Washington, le second, Mission D.D.P. Terminée ! et, encore plus agité du citron que dans ses précédents exploits, comme en proie à une louftinguerie de haute compétition, Favières s'y déchaine la binette jusqu'à te rupturer l'anévrisme.
Péripéties farfelues, frénétiques, forcenées, presque fiévreuses, il donne le meilleur de lui-même et tout ce que j'ai pu décrire plus haut - les points de suspension, les bruits cocasses, les frissons à quat'sous - s'y retrouve amplifié jusqu'aux limites de la déraison.
Les mitraillettes crachent des rafales de "zoum... zoum... zoum...", les silencieux font "zzz... zzz... zzz...", les loupiotes multicolores "krch... krch... krch...", le cœur du héros "boum !... boum !... BOUM !" et les touches du clavier broient des bribes d'un anglais ultra-rudimentaire :
"But you are cresy, Suzy !" ...lance X.117.
Cresy, oui, cresy like a foul, le Favières. Cresy comme les ridicules petits poèmes qui ouvrent ses bouquins, cresy comme les incroyables bouts d'intrigues qu'il te déverse sur la poire.
Et exactement comme si les aventures en solo du major Mac Tongay, alias X.117, le libéraient des restes d'un carcan discursif - ce même carcan qui peinait déjà à faire entendre raison aux intrigues du duo Armand et Gérard - Favières prend son envol dans le ciel gris de l'espionnite.
Pas d'imper' couleur muraille, pas de filatures interminables. Il travaille ses récits à l'opposé du spectre d'un Jean Bruce ou d'un Paul Kenny. Des frusques voyantes et des échauffourées tonitruantes. Rien n'est trop beau pour dynamiser (ou plutôt DYNAMITER !) les rails d'incertitudes et de démences sur lesquels naviguent ses histoires.

"Aventures, vitesse, action, danger et bagarres"
X.117, l'increvable mister X, vit dans un kaléidoscope de fictions irrationnelles aux accents héritées des aberrations du Grand Guignol et aux structures en marabout de ficelle.
Dans K-303 Appelle Washington, des agents du M.V.D. tendent ainsi un traquenard aux gars du F.B.I. dans la poterie d'un honorable correspondant Chinois. Les deux camps s'affrontent dans le noir puis les soviétiques prennent le dessus, enferment les espions ricains dans un four électrique géant et font pression sur X.117 en le mettant en marche, condamnant ainsi ses collègues à la rôtissoire.
"Rendez-vous... Et je les libérerai. Sinon, ils cuiront dans leur jus."
Impayable ? Oui da ! Mais Mission D.D.P. Terminée, l'épisode suivant - sorte de super-production spy-fi à la Cecil B. 2000 - fait encore plus fort.
Mac Tongay y infiltre incognito le Pirados, un mystérieux paquebot au pavillon noir frappé d'un crane de mort, véritable tour de babel flottante, laboratoire nucléaire top-secret, salle des fêtes pour noceurs décadents et repère venimeux d'espions en tout genre qui, inlassablement, s'entretuent de coursives en coursives afin d'entrer en possession des plans du V.X.777.
"Dans les angles obscurs, des ombres se rencontraient, se frôlaient, s'empoignaient... Des mots de haine jaillissaient en langues différentes. De ci, de là, un corps se levait au dessus du bastingage, voltigeait, disparaissait dans l'immensité des eaux. Et... Encore des coups de feu et... Encore des silhouettes étranges qui avançaient furtivement, se collant contre les parois, se camouflant derrière les mâts, s'effaçant dans quelques renfoncement."
Rarement ai-je lu bouquin d'espionnage aussi débridé, aussi non-sensique, aussi drôle dans ses effets de manche qu'enthousiasmant dans son trop-plein d'action.
C'est un corso morbide et sanguinolent que l'auteur improvise, page après page. Je me répète mais Favières aimait vraiment le carnaval - jusqu'à peupler ses récits de clowns et de saltimbanques, jusqu'à multiplier les figurants, jusqu'à travestir son héros en chinois... transformant ainsi le major Mac Tongay en mister Mac Tchongh Ay, agent asiatique anonyme, perdu dans la foule des "faces de citron" qui, invariablement, hantent les romans de l'auteur.
Péril jaune, trouille verte et pétards de kermesse. Chez Favières, aucune astuce ne nous est épargnée.
C'est la règle.
De la facilité poussée dans ses ultimes retranchements nait l'insolite.Et l'auteur, élucubrateur extravagant du récit de gare, baryton barbouillé du roman populaire à 1 franc 20 la livraison et dont le répertoire ne se nourrissait que des plus beaux travers du genre, l'auteur devait forcement le savoir...
...puisqu'il ne se privait pas d'en abuser...
... Jusqu'à l'excès !



"En effet, je vis trop intensément la vie de mes héros. Je me mets dans la peau de chacun d'eux : juge, policier, criminel ou espion... Je tue, je juge, je meurs avec eux chaque fois... C'est bête comme tout, mais on ne se refait pas, on est comme on est."
- André Favières,
Mission D.D.P. Terminée ! (1957)
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P.S. : Que soit ici remercié Maciste, participant (ultra-actif) du forum À Propos de Littérature Populaire et animateur passionné de la librairie en ligne Le Rayon Populaire !

AGENT X.11 CONTRE SUPER DRAGON !

MISTER TCHAM DU PEKING HOTEL, ANDRÉ FAVIÈRES
GERFAUT / ESPIONNAGE SÉLECTION # 27, 1968

C'est une aventure du Colonel Mac Tongay, agent X.11 de la CIA, ex-agent X.117 de cette même boîte, surnommé "l'Increvable" par ses proches.
Son supérieur, Mr Jekyl, le lance sur une super affaire, un truc brulant : découvrir ce qui peut bien se tramer à la General Atomic Corporation, une usine de luxe qui fabrique des machins nucléaires.
Au départ, X.11 n'est pas très chaud pour cette mission mais lorsqu'il apprend que deux de ses collègues, les bien-aimés X.100 et P.77, y ont disparut, à la G.A.C., le voila qui nous fait une brusque poussée de fièvre.

"Tout à coup, il était comme un chien de chasse qui sent le gibier. Il ne tenait plus en place."
André Favières, lui non plus, ne tient pas en place. On le connait bien, cet auteur, pour ses élucubrations proto-giallesques. Ses trames sont tordues, son écriture saccadée, son style unique. Pour le meilleur et pour le pire.
Dans les années 50, collection La Loupe, il se fait une réputation en écrivant des romans à sensations fortes, des romans à faire trembler de frousse les minettes et les julots, des romans aux ressorts aussi tortueux que sensibles. Émule d'Edgar Wallace et des fantômasqueries de la belle époque, il ne renâcle devant aucun effet de cape et fait du grotesque son domaine.
"Bz... Bz... Dzn... Dzn..." grogne le moteur d'une automobile.
Aucun tigre là dedans. Ou alors, asthmatique, le félin. Et pourtant, ça fonctionne ! Comme dans tous les romans de Favières, il y a là matière à une moquerie un peu facile mais l'on reste saisi par l'ambiance qui se degage de certaines scenes.

Le colonel Mac Tongay évoque Eddy Constantine interprétant John Kallum, certaines lignes de dialogues confinent au non-sens et des hordes de Chinois, fourbes et rusés, se trouvent embusqués dans les coinstos des paragraphes.
C'est une constante chez l'auteur, les mysteres de l'Asie millénaire. Le Chinois effraie et fait rêver.
X.11, par contre, n'y est pas du tout sensible, à cette poésie populaire de l'extrême orient. Les faces de citron, il les traite de têtes de grenouille, et leurs drôles de sarabandes, pleines de non-dits et d'énigmes étranges, le foutent hors de lui.

"Comment diable, distinguer parmi ces hommes lisses et rusés, les espions des honnêtes domestiques ? Il soupçonna même que son propre boy, le tout dévoué Tchouen Tslang de pouvoir être un espion."
Deux pages plus tard X.11 prend d'ailleurs une décision irrévocable concernant son laqué bridé.
"[...] il était bien décidé à congédier celui-ci dès son retour à Jacksonville et à la remplacer par une Black-girl, dût-elle être moins dévouée et moins intelligente."
Le noir, une valeur refuge.
Malheureusement pour notre héros, l'intrigue est bien trop avancée pour mettre sa volonté à exécution. Ainsi - et alors qu'il boit quelques verres d'alcool chez une femme du monde - des Chinois (ces salauds !) droguent en loucedé sa gnôle et voici que notre espion prend un allé simple direction le pays des songes envapés, le Walhalla du mec tripé.
C'est toujours comme cela, chez Favières. À un certain moment, le protagoniste principal se trouve sous l'emprise de substances narcotiques. L'écriture se met alors à bégayer, à enchainer les points de suspension - c'est la focale psychédélique de l'auteur, sa petite fantaisie personnelle...
"Bzzz... Bzzz... Bzzz... Les Bouddhas... L'encens... La fumée... L'air pesant... Le whisky... La drogue..."
Quant à la situation, elle empire de page en page. Alors que Mac Tongay est raide défoncé, son majordome sauce soja et ses potes Chop-Suey enlèvent sa femme, la belle Neilla. Ils la séquestrent dans le quartier chink de Niou York puis tentent de la violer, comme des enfoirés de niakoués qu'ils sont !
"Même si nous ne sommes que des Chinois, nous sommes des hommes."
Traduction du mandarin : fais gaffe, bébé, je vais sortir mon gros mandrin.
Mais reprenons. Car ça s'aggrave !
X.11 fait une dépression nerveuse. GWA.7, C.13 et XOS.7 lui secouent les puces pour qu'il reparte à l'attaque et pendant ce temps là, des meurtres atroces sont commis dans le noir et des hurlements déchirent la nuit.

Favières torche son espionnage de la même manière qu'il écrivait ses polars d'angoisse ou ses suspenses d'horreur dans les années 50. C'est du Giallo d'agent secret, farfelu et azimuté. Confronté au défilement halluciné d'évènements improbables, le seul repère tangible reste une absence totale de contenance.
La fin est totalement bâclée, l'identité du traitre révélée à la va-vite et le mystère expliqué à l'arrachée. Une loupiote s'allume et les Chinois disparaissent alors comme par enchantement, des volutes de fumée aspirées par un extracteur d'air.
Ça ne s'explique pas. Mais c'est beau, c'est moderne et c'est idiot. Favières aime les scenes choc mais n'arrive pas à les raccorder logiquement à son histoire. L'ensemble laisse donc une forte impression de construction hasardeuse et c'est bien là que réside tout le charme des œuvres de cet auteur si particulier.
Car il signait de très mauvais romans mais, du même coup, ses mauvais romans sortaient de l'ordinaire.
Écrivons-le simplement : je préfère lire un mauvais roman avec beaucoup de personnalité qu'un bon bouquin sans saveur. Le fond de la marmite André Favières restera donc toujours à mes yeux un plaisir de gourmet cinglé.

DIABOLIQUE FAVIERES

DIABOLIQUES RENDEZ-VOUS, ANDRÉ FAVIERES
JAQUIER / LA LOUPE POLICIER, 1958

Il y a dans les petits romans d'André Favières publiés chez Jacquier / La Loupe une certaine excentricité qui rappelle les récits populaires de l'entre-deux-guerres, les succédanés de Fantômas, les imitations ratées de crimes anglais, les aventures exotiques échevelées voire même les improbables délires de Edward Brooker.
Ainsi, dans Diaboliques Rendez-Vous, le commissaire Armand et l'écrivain criminaliste André Gerard, l'habituel duo des policiers de Favières en collection La Loupe, traquent un mystérieux criminel qui assassine des femmes en les étranglant avec leur propre bas.
Comme de presque toujours, le roman se déroule à Nice et l'ambiance se fait plutôt gothique. Ombres menaçantes, brumes maléfiques, hurlements qui déchirent la nuit et les fameux points de suspensions à tout-va, marque de fabrique d'un auteur passé maitre en l'art du frisson à quat'sous et de l'épouvante désuète.

L'ensemble ressemble à un de ces Krimi farfelus que l'industrie cinématographique Allemande produisit en masse dans les années 60 et qui influencèrent ostensiblement les giallo italiens. Meurtriers en gants noirs, détails extravagants, dérèglements sexuels et révélations saugrenues.
Dans Diaboliques Rendez-Vous, des femmes sont enlevées par un sadique en plein délire fétichiste tandis que la police soupçonne un artiste de nu aux apparences de proxénète. Une étrange poudre blanche est retrouvée sur les lieux du crime et une lettre déchirée semble designer l'assassin. Un singe meurtrier s'attaque à nos héros, un sculpteur fou moule ses victimes dans du plâtre et des suites de fusillades éclatent en onomatopées.

"Tacatacatacata... Ziiiiouuum... Tacatacatacata..." écrit Favières.
Aux yeux d'un lectorat sérieux, notre homme passera sans aucun doute pour un sacré clown, un fantaisiste un peu crétin, l'exact opposé de l'écrivain policier appliqué.
A coups d'intrigues bizarroïdes, il malmène le rationnel
, met à pied la logique, décapite la cohérence. Voila un bel artisan du Grand Guignol en littérature. Ses personnages sont des pantins, l'invraisemblable est monnaie courante mais tout cela est parfaitement normal. Il s'agit d'accumuler le plus de rebondissements, le plus de situations inextricables, de séquences aberrantes pour mieux faire frémir le prolo de lecteur, cet être foncièrement crédule.

A l'arrivée, plus rien ne tient debout. Favières tente bien évidement de recoller les morceaux en un long épilogue explicatif d'une vingtaine de pages - mais les dégâts sont trop importants.
Qu'importe ! Si vous aimez les auteurs qui retombent sur leurs pattes, allez voir ailleurs si le plaisir y est. Ici, l'arrivée en bonne et due forme ne compte pas, seul le trajet, alambiqué, tortueux, cocasse, est à considérer.
Et si Diaboliques Rendez-Vous n'est certainement pas ce que les gens tristes appellent un "bon roman", il n'en reste pas moins un divertissement passionnant de par ses accents baroques, ses remugles morbides, ses savoureuses incohérences et sa volonté constante de dépasser la mesure en dépit du bon sens.

Car chez Favières, trop, ce n'est jamais assez.
Et c'est tant mieux !

LES ENQUÊTES DU COMMISSAIRE ROBO

LE TERRIBLE SECRET DE SONIA MARLOW, A. FAVIERES
JACQUIER / LA LOUPE POLICIER # 38, 1955

Petit interlude entre deux polars de choc et quelques fictions pour mec en ce mois de novembre noir, Le Terrible Secret de Sonia Marlow marque un nouveau rebondissement dans l'affaire concernant la mystérieuse identité du scribouillard excentrique Jan A. Rey, signataire aux éditions Jacquier de trois petits romans : La Momie Du Professeur Synistre, L'Horrible Dragon Invisible et Le Croque Mort Fantôme.
Le lecteur attentif (coucou toi !) se rappellera que j'avais abordé l'étrange cas de cet auteur masqué en janvier de cette belle année 2009... sinon, ce n'est pas grave (sauf pour mon égo souffreteux), tout cela se trouve résumé ici-même, là, oui, là, il faut cliquer, oui oui.
Mais une question, majeure, primordiale, essentielle, arrêtes-moi si j'en fais trop, demeurait : qui se cache, ou plutôt se cachait, cette affaire là date d'un poil de double quart de siècle, derrière le pseudonyme J.A. Rey des éditions Jacquier ?
Ne cherches pas plus loin ! Le Terrible Secret de Sonia Marlow, récit policier foutrement alambiqué et ridiculement tortueux concernant le meurtre d'une slave artiste de cabaret le soir espionne le week-end, apporte semble-t-il un embryon de réponse et, après lecture et une fois le mal de crane dissipé (j'exagère, c'est un roman assez agréable dans l'ensemble), il ne reste qu'une certitude (qui est la mienne, que tu peux ne pas partager mais que je vais t'argumenter) : André Favieres et Jan A. Rey ne font qu'un !
(Vous avez vu comment je ménage mes effets ? On dirait presque du André Favieres ! Quelle maitrise du clavier que j'ai !)
Mais trêve d'auto-flagornerie, il est temps de te résumer en détail ce blot fichtrement emmouscaillé. Prépares tes chasses et fais chauffer ta boite à comprenette, je sors ma loupe pour analyser les indices !

Premier point : le style d'écriture de Favieres dans Le Terrible Secret de Sonia Marlow est à l'identique de celui, très spécial et peu commun, de Rey. C'est atypique comme un fascicule des années 30, très imagé, souvent approximatif et surchargé de points de suspensions. On retrouve aussi les entêtes de chapitres, farfelues, bizarres, colorées. "Une nuit d'amour dans un cercueil" "La baraque aux hallucinations" "Les plantes qui rendent fou..." pour Rey, "Supplices chinois" "GP 13 reçoit une mission ultra secrète" "Alcaloïde de la noix vomique et Oxyde de magnésium" pour Favieres.

Deuxième point : le décors. La série des "André Gérard" de Favieres (une dizaine de titres en Loupe Policier et Espionnage) se déroule principalement dans la ville de Nice et Jan A. Rey était, selon la quatrième de couverture de La Momie Du Professeur Synistre, un niçois d'adoption. Et si son premier roman mit en scène, sans la nommer, la ville de Lyon - probablement en clin d'œil aux éditions Jacquier - L'Horrible Dragon Invisible de Rey et Le Terrible Secret de Sonia Marlow de Favieres adoptèrent tout deux comme cadre principal la cote d'azur en entrainant leurs protagonistes dans les rues et les ports de Nice, Toulon et Marseille.

Troisième point :
l'intrigue et ses valeurs ajoutées, puisque l'on retrouve le même penchant pour l'orientalisme mystérieux, l'exotisme bon marché à relent de péril jaune, de Fu Manchu, de sérial colonialiste des années 30 aussi bien chez Rey que chez Favieres - tout comme ce goût pour les scènes incongrues, improbables, pour les retournements de situations à l'infini, les histoires à tiroirs, échevelées, excessives, sans temps morts mais aux ficelles éculées.

D'ailleurs, Le Terrible Secret de Sonia Marlow fonctionne comme un mélange des éléments majeurs de L'Horrible Dragon Invisible (un réseau d'espionnage insaisissable, des asiatiques en pagaille, des marins, une société secrète) et de La Momie du Professeur Synistre (un jeune homme amoureux - nommé André Bertrand, on est pas très loin du André Gérard de Favieres - et qui devient fou, un complot envers sa personne, des hallucinations macabres et sensuelles, une explication rationnelle mais improbable à la fin) - n'en jetons plus. Je dois oublier deux ou trois autres petites choses - et ce billet se fait bien longuet - mais l'essentiel est là.
Si l'éditeur avait inscrit Jan A. Rey à la place de André Favieres sur la couverture du Terrible Secret de Sonia Marlow, non seulement je n'y aurai vu que du feu mais j'aurai même trouvé cela logique. Quant à une confirmation, n'y comptons pas trop. Favieres n'a jamais notifié Jan A. Rey comme l'un de ses pseudonymes. Étrange.
Je préfère donc laisser aux lecteurs potentiels de Favieres et de Rey le choix du mot de la fin. Quant aux curieux, une petite discussion a lieu à ce sujet sur l'excellent forum A Propos De Litt'Pop'
Assurément, un affaire à suivre !

CE SACRÉ JAN A. REY !

LA MOMIE DU PROFESSEUR SYNISTRE, JAN A. REY
JACQUIER / LA LOUPE EPOUVANTE #3, 1953

Un drole de coco, ce Jan A. Rey. Malgré l'anagramme apparent, le bonhomme n'entretenait aucun rapport avec le célèbre auteur des Harry Dickson. Niçois d'adoption (dixit l'éditeur dans ses habituelles présentations dithyrambiques de quatrième de couverture et troisième page de garde), notre Rey factice ne publia que trois petits romans, tous aux éditions Jaquier et un dans chacune des sous-collections de La Loupe. Son premier paru ainsi en Épouvante, son second en Espionnage et son troisième en Policier. Et une fois cette tournée symbolique effectuée (de 1953 à 1956), voila que Jan A. Rey (ou tout du moins son appellation certifiée à La Loupe) disparait à tout jamais de la circulation, ne subsistant alors dans les mémoires qu'en tant qu'exemple parmi de nombreux autres des magouilles éditoriales franchement tarabiscotées de l'époque.

Il est tout de même assez triste de réduire Jan A Rey au sort typique du cheptel de gribouilleurs anonymes des éditions Jacquier et qui, lorsqu'ils ne constituent pas de possibles avatars officieux de Frederic Dard, ne valent plus grand chose aux yeux des tristes amateurs de litt' pop bien coté sur ebay.
Car tout comme Frank Peter Bellinda, et attendant de s'attaquer à Bill Blondy, Francis Richard ou N.T. Bobmarkson, il faut lire Jan A Rey ne serait-ce que pour gouter à la saveur unique d'un roman La Loupe première période (soit entre 52 et 57) et dans cette optique, La Momie Du Professeur Synistre peut faire figure de choix absolument parfait. Voila un roman au déroulement totalement fantaisiste, n'arrivant jamais à tenir en place et pouvant se résumer à cette maxime des Shadoks : "
pourquoi faire simple lorsque l'on peut faire compliqué..."
Car c'est certain, on ne taxera jamais Jan A Rey de faire le radin sur les retournements de situation ou de s'en tenir au strict minimum du genre. Pour ce qui est du service, le lecteur est gavé comme une oie : L'auteur multiplie les rebondissements jusqu'à l'indigestion. Rien que dans les 20 premières pages du présent roman, notre héros, un jeune homme un peu perdu, croise le fantôme d'une reine égyptienne, découvre un collectionneur fou de momies, boit une tisane provenant d'un sarcophage maudit, ressent quelques hallucinations et voyage dans le temps, jusqu'à l'époque des pharaons. Par la suite, des bijoux disparaissent, des cadavres s'accumulent et notre héros devient fou. Traqué par la police, il se refugie chez le professeur Synistre et fait l'amour à un cadavre momifié ! "Une nuit sublime dans un atroce délire érotique," déclare-t-il après. Pour un peu, on se croirait dans un feuilleton de Louis Feuillade, une certaine grâce en moins - chose peu étonnante pour un récit estampillé La Loupe. La bizarrerie se pare de maladresse et Rey ne fait pas dans la finesse. Il chausse ses gros sabots pour faire peur. Ce sont des points de suspensions à n'en plus finir et des balbutiements de phrases interminables, comme sorties d'une nouvelle de Lovecraft trop abimée à la traduction.
"Lorsque j'écris ces lignes, je me demande encore comment, à cet instant, une telle vision surgissant subitement des ténèbres ne m'a pas foudroyé de terreur...
Comment mon cœur ne s'est-il pas brisé sous l'emprise d'une si intraduisible sensation...

Il me sembla que mes nerfs hurlaient !... que mon cerveau craquait !...
Là... A quelques pas... une forme s'avançait, agressive...
C'était une apparition revetue d'un suaire noir !... A la place du visage, il y avait une face hideuse... rongée... décharnée... avec des cavités remplaçant les yeux. Une sorte de masque mou... car tout cela flottait comme une spectre en lambeaux !...
"
Inutile de préciser que La Momie Du Professeur Synistre se lit d'une traite sous peine, non pas d'en perdre le fil, mais bien le courage d'avaler ce gros gâteau sur-chargé à la chute un peu vulgaire car très (trop ?) terre à terre.


L'HORRIBLE DRAGON INVISIBLE, JAN A REY
JACQUIER / LA LOUPE ESPIONNAGE, 1954

Je continue mon (court) périple Jan A Rey avec son deuxième (et avant-dernier) roman, l'Horrible Dragon Invisible qui, contrairement à ce que le titre et la couverture semblent indiquer, n'est pas un récit d'horreur mais bien d'espionnage. De l'espionnage au traitement assez saugrenu au demeurant, jugez plutôt :
Marius Barbencanne, un gros marseillais à l'apparence et au comportement proche d'un Tartarin de Tarascon, chômeur professionnel de son état, gouailleur, bon vivant, est embringué bien malgré lui dans une tortueuse et explosive affaire internationale où se mêlent drogue, kidnapping, chantage, produits cosmétiques, chinois arracheurs de têtes, sous-vêtements à micro-films intégrés dans les coutures, flibusterie moderne, charmeurs de serpents et de multiples autres choses tout aussi farfelues.
Malheureusement, si le cadre est amplement fourni, l'exécution laisse à désirer et semble parfois assez fade. Les touches d'ironie sont tragiques, l'action est peu trépidante, les traits d'humour tombent à plat et l'intrigue est volontairement (et c'est bien là le plus grave) confuse.
On retiendra tout de même l'incroyable enchainement de péripéties donnant l'impression que cet Horrible Dragon Invisible s'agite sur les ressorts ultra-sensibles des fascicules d'aventures colonialistes des années 30. Tout comme dans La Momie Du Professeur Synistre, Jan A Rey déploie un inventivité quasiment infantile dans le renouvellement des tribulations de son héros. Le roman est excessif, alambiqué et retrouve par moment le charme et la naïveté propre au genre populaire.
Si tout le reste avait tenu la cadence, L'Horrible Dragon Invisible aurait alors constitué une lecture jouissive, vivifiante et atypique, mais dans son ensemble dépareillé et mal accordé, tout ce que ce petit roman permet est l'éclosion régulière de minces bouffées d'ennui dans le cœur du lecteur en bravant les 154 pages.
Pour autant, l'art (bon marché) et les manières romancières de ce Jan A. Rey sont tellement désuètes qu'il est assez aisé de tout lui pardonner...