LA MORGUE... TERMINUS !, ROGER DUCHESNE
ÉDITIONS LE TROTTEUR, 1953
C'est assez amusant toutes les surprises que peuvent réserver les romans policier des années 50. Je ne parle pas des intrigues lâches et du style essoufflé que l'on retrouve trop souvent dans la petite production de gare, mais plutôt de l'identité même des auteurs.Par exemple, Roger Duchesne - un acteur des années 30, second rôle notoire jusqu'à une fin de carrière forcée à la libération pour cause de collaboration. Il se reconverti alors en tenancier de cabaret, écrit un roman puis monte un casse de 800 000 Francs et passe deux ans en prison. A sa sortie, il se lance à nouveau dans l'écriture, pour le compte de Roger Dermée, l'homme du 5 rue des moulins aux multiples collections de polars violents, érotiques et bon-marché. Au total, il rend 4 ou 5 romans, dont La Morgue... Terminus !, puis disparaît de la circulation.Trois ans plus tard, c'est Jean-Pierre Melville qui le retrouve pour lui proposer le role de Bob Le Flambeur, dans le film du même nom. Duchesne est alors garagiste Porte Saint-Ouen. Bob Le Flambeur sera son avant-dernier rôle, celui de toute sa vie, à la fois testament fataliste renié par l'acteur et pierre d'achoppement de l'oeuvre policière de Melville.Mais revenons-en à La Morgue... Terminus ! - un fort joli titre pour un roman qui s'ouvre comme une autobiographie romancée. Notre héros, Jean Brames, est un honnête travailleur qui vient de purger deux ans de cabane pour un détournement de fond qu'il n'a pas commis. Toute juste libéré, il n'a qu'une idée en tête : obtenir des explications sur sa mésaventure. Il retrouve alors Gerard Jubier, son ex-associé, à la fois meilleur ami et concurrent romantique. Après une entrevue qui tourne au vinaigre, Brames se rend compte qu'il a été manipulé par ce dernier. Pas très revanchard, l'ex-tolard accepte tout de même le million que Gerard lui offre en guise de dédommagement et part à Paris commencer une nouvelle vie. Sauf que, Gerard est retrouvé assassiné le lendemain et Jean devient le principal suspect. S'en-suit une course-poursuite un peu lâche dans laquelle notre héros va tenter de découvrir 1) la vérité et 2) le grand-amour, en incorrigible romantique qu'il est.Tout le monde l'a compris, c'est pas vraiment un polar de haute volée. Au rayon des réussîtes, on peut noter la description des interrogatoires policiers et de la vie carcérale. Pour le reste, c'est du déjà lu, souvent en plus palpitant. L'écriture de Duchesne, bien qu'assez appliquée, est maladroite, alourdie par de trop nombreuses répétitions et une certaine absence de personnalité - des défauts imputables à une production de type "premier jet". Mais si l'ensemble pèche par une chute forcée qui décrédibilise toute la tension dramatique mise en place, il se dégage néanmoins de ce petit ouvrage une forte aura de sincérité. C'est déjà pas si mal.
IL ETAIT MOINS CINQ, JACQUES AUBURTINEDITIONS LE TROTTEUR, 1952On ne peut pas dire la même chose du Il Etait Moins Cinq de Jacques Auburtin, un habitué de la Collection Noire Franco-Americaine qui livre ici 190 pages d'une intrigue poussive à l'écriture bien trop maniéré. Un roman aussi passionnant que son personnage principal, Monsieur Francis, un cave qui boit des tisanes en guise de whisky et n'arrive même pas à assurer avec les gonzesses. Pourtant, ça débute avec un certain entrain.Quatre personnages peu recommandables - un voyou, une pute, un gigolo et un loser aux manières démodées, Monsieur Francis - montent un casse dans la demeure d'un riche notaire parisien. Le plan tombe très vite à l'eau puisque, après avoir doublé le loser, la pute et le gigolo se débarrassent définitivement du voyou et partent avec le magot du coté de Nice.Malheureusement, alors qu'il tenait là les prémices d'un récit burné (genre : la vengeance du loser sur ses deux comparses), Auburtin embraye rapidement sur d'indigestes imbroglios d'espions internationaux même pas marrants : le loser est un ex-agent français en froid avec ses employeurs et la pute une quadruple agente aux accointances pas très nettes, roulant désormais sa bosse pour les services russes. L'ensemble devient assez improbable et peine à impliquer le lecteur. C'est pas violent, c'est pas porno, c'est pas enjoué et surtout, ça boit des tisanes. Bref, c'est ennuyeux. Ça veut être sombre et dur alors que c'est aussi gentil et naïf qu'un Harlequin reformaté pour hommes. C'est presque aussi fatiguant que mon dernier Maurice Limat. Bravo.
JOUJOUX POUR ADULTES, ALLAN BLYTHEDITIONS DE LA FLAMME D'OR, 1952J'allais tout de même pas terminer comme ça, sur une note aussi négative. Il nous faut bien une petite dose d'ultra-violence littéraire à l'ancienne pour se finir. Un petit rush de bon mauvais-goût - ou l'inverse, de mauvais bon-goût. Parce que Roger Duchesne, ça a beau être sympa, c'est trop romantique, trop gentil. Et Jacques Auburtin, c'est mou, pas palpitant pour un sou. Mais Allan Blyth, c'est tout autre chose. C'est du brutal. De la vraie torgnole dans la figure, assénée sans retenue en gros caractères certifiés publications Black Out de la Flamme D'or - parfait pour les lecteurs pressés.Surtout, Joujoux Pour Adultes porte bien son nom. Cette fois, pas de tromperie sur la marchandise. Ce n'est pas de la romance mais du gros noir qui tache, avec des vrai durs qui boivent de la fine à tout heure, fréquentent des lieux de perditions riches en femmes de petites vertus, se dézinguent sans pitié et se traitent mutuellement de salopes. Tout ça pour une sombre affaire de thune, pas vraiment expliqué, pas vraiment importante. Car Joujoux Pour Adultes, c'est tout simplement 180 pages de règlement de comptes, presque sans queue ni tête, juste pour la forme. Un peu comme du George Maxwell sauf que c'est très certainement écrit par André Helena.La quatrième de couverture est signée Budy Wesson, son pseudonyme pour la serie sexy-violente de la Môme Muriel. Mais surtout, ce sont ses obsessions qui hantent chacun des angles de ce petit gare formaté pour majeurs - les nuits parisiennes de Pigalle entre faux glamour et vraie crasse, les heures perdues dans les bistrots à trop boire, la lâcheté face à la mort et les trahisons par dépit, les destins ratés et les fins tragiques.Ça sonne comme du André Helena sous pseudo, première période. Un style sec, dépouillé de toute fantaisie, brusque jusqu'à l'extrême - ne décrivant que par lieux communs, ne s'exprimant que par injures, le tout sepoudré d'erreurs narratives attachantes, comme ses passages intempestifs de la troisième à la première personne du singulier.Pour le reste, Helena rumine son canevas habituel, très certainement régurgité en un seul et unique jet. La production habituelle, nerveuse, écrite en quelques jours, voire moins. A ce petit jeu, Helena était imbattable. D'ailleurs, ça l'a tué. Reste que c'est extrêmement jouissif à lire.