CHEF, UN PETIT VERRE, ON A SOIF !

JUANA ÉTAIT DANS LE COUP, JEAN NORMAND
ÉDITIONS DE LA SEINE / POLICE (195?)

Un super-scientifique rendu amnésique par une drogue ennemie, une ancienne prostituée allemande reconvertie en espionne, un journaliste en vacance qui mène l'enquête sous le soleil de Juan-Les-Pins et des hecto-litres de pastis ingurgités page après page, comme si de rien n'était.
Je le savais dès les premières lignes : je tenais entre mes petites mains un futur champion toute catégorie de la littérature par dessus la jambe, les deux jambes même, et le cul en l'air, renversé sur le comptoir du bistrot pour faire bonne mesure, la tête en bas, machine-à-écrire en bandoulière. A ce niveau, c'est du scribouillage acrobatique.
Car Jean Normand devait tenir une sacrée biture pour pondre un roman pareil puisque, outre d'incroyables tournures de phrases ("Peut-être bien se pourrait-il bien qu'avant peu nous en soyons informés par le jeu même des circonstances" déclare un ahuri anisé, page 117), et de constantes inversions de prénoms (preuve supplémentaire de son fantastique état d'ébriété), il nous offre une intrigue quasi-inexistante, pétrie d'illogismes fascinants et au déroulement aussi implacable que la consommation d'un pack de 6 Maximators 50 cl en plein cagnard, place de la Comedie, Montpellier.

"Voyez-vous [...] avant la guerre c'était bien simple dans les affaires comme celle-là, on reniflait du coté du Fritz et on était certain de faire mouche. Maintenant, allez-y voir ! Maintenant, c'est à un consortium qu'on a à faire. Malgré ça, on pécherai un Fritz dans le bouillon qu'il ne faudrait pas tellement en être surpris."
Et en effet, il y a un ancien nazi dans le coup, fraichement reconverti en contrebandier tendance dandy décadent. Et avec ses amis mécréants le Japonais, le Russe et l'Arabe, il monte une petite affaire, une internationale de la crapulerie. Les enjeux ? Le chaos total, l'anarchie fiscale et la troisième guerre mondiale.
D'ailleurs, page 93 et probablement dans un soucis d'éclairer le lecteur sur les fondements idéologiques de leurs activités, nos super-vilains organisent un meeting-apéritif et s'épanchent tous ensemble sur leurs diaboliques objectifs :
"Le Japonais eut un sourire qui découvrit ses dents jaunes et dit :
- Je dois venger Iroshima ! (oui, sans "H")
- Et moi Hambourg !
- Et moi Stalingrad !
Seul, le chef ne dit rien. Sans doute n'avait-il rien à venger. [...]
- Il faut que l'Afrique du Nord devienne une seconde Indochine, reprit le Japonnais.
- Sois tranquille, Tanaka, assura le chef, nous faisons ce qu'il faut pour que le djehad, la guerre sainte, éclate partout."
Les salauds !!! Heureusement, nos héros sont là : Layrac, le journaliste, Mabel, sa future femme et Robert, son futur beau-frère. De bons français qui n'hésitent pas à prendre sur leurs congés payés pour sauver la patrie. Une équipe de choc, des spécialistes de l'ingurgitation massive d'alcool en toute sorte et par tout les pores, de véritables guerriers des open-bars d'antan, alternant chaque trois pages la fine avec le blanc et l'ensemble avec du pastis.
Bref, nos héros sont des buveurs de compétition. D'ailleurs, ils fonctionnent chronomètre à l'appui.
Par exemple, page 178 : "Nous sommes un peu en retard sur l'heure du pastis." Pas grave, ils s'en versent tout de même un petit. Et page suivante : "Nous ne sommes pas en retard. Nous allons avoir le temps de prendre un coup de vin blanc chez Gustave."
Et ainsi de suite.
A se demander comment ils font pour tenir en échec les quatre coquins internationaux qui, eux, carburent à la cocaïne.
Mais c'est pas grave. Page 192, les méchants se retrouvent derrière les barreaux (sauf le Japonais qui se suicide et l'Allemand qui fait une overdose de coco). Nos héros s'en jettent alors un petit dernier dans le cornet et reçoivent finalement une légion d'honneur foutrement bien mérité.
Quant à moi, j'ai bien soif.


LE RÉSEAU DE LA MORT, JACQUES ALEXANDRE
ÉDITIONS DE L'ARABESQUE / ESPIONNAGE # 35 (1956)

Retrouvons un peu de notre sobriété avec un très mauvais Arabesque des débuts : Le Réseau De La Mort, titre qui sonne toc, couverture d'Aslan routinière, racisme larvé et tout le toutim certifié circa-1950.
Bon, là encore, notre héros est un journaliste et (forcement) il cultive quelque peu "l'habitude de prendre des apéros nécessaires pour [se] permettre de carburer à plein rendement."
Quoted For Truth, comme disent les jeunes sur l'internet (D'ailleurs, moi-même, je ne quitte jamais ma petite flasque de roteuse tiède, c'est une question de principe.)

Pour autant, Jacques Alexandre ne fera pas dépasser le seuil de deux verres par chapitre à ses personnages - ce qui constitue une fréquence de consommation fort raisonnable, limite petit zizi, bref, rien à voir avec la débauche alcoolisée des protagonistes de Juana Était Dans Le Coup. Et c'est probablement le gros défaut de ce Réseau De La Mort... hum... mortellement ennuyeux - si je puis me permettre.

Déja, Jean-Marie Cossin, le héros de cet ouvrage, ne se fait aucune nana. Sur 190 pages : AUCUNE. Il faut vraiment tenir une belle couche de loose pour ne pas arriver à se farcir ne serait-ce QU'UNE gonzesse dans un bouquin d'espionnage.
(bien que, je dois l'avouer, dans Juana Était Dans Le Coup, personne ne baise avec personne mais, étant donné que l'alcool et l'impuissance vont de pair, ça ne me choquait pas plus que ça...)
Donc, Jean-Marie est tout pourri. En plus, sa femme est imbuvable (une rombière qui passe tout ses paragraphes à se plaindre) et son patron un vieux grincheux aux opinions (vaguement) pro-arabe. D'ailleurs, passé le premier chapitre, il se fait mystérieusement tuer. Bien fait, tiens ! Et en plus, ça permet à Jean-Marie de se lancer dans cette palpitante aventure qu'est Le Réseau de La Mort.
Car, surprise, feu le patron acariâtre était secrètement à la tête d'un réseau clandestin faisant transiter bombes et fusils jusqu'en Algérie, via l'Espagne.
Le salaud, il armait l'ennemi !!!
Vous devinez aisément la suite : Jean-Marie part enquêter en Espagne, combat de méchants arabo-espingouins illettrés (exemple d'une missive de menace anonyme : "vous courez avaic votre amie un grend danger. Si vous ne parté pas de Saint-Sebastien dè ce soir vous seré tué car vous en savé tro") et démantèle le Réseau De La Mort. Tout ça sans sauter une seule femelle. Un exploit étourdissant à rendre malade le Commandant René.
En quatrième de couverture, l'éditeur nous promet, non pas du pastis (pourtant, ça manque) mais "du sang, de l'audace, de l'action, des rebondissements imprévus..."
Je m'abstiendrais donc de tout commentaire superflu et m'en vais de ce pas me servir une nouvelle ration du remonte-pente des champions !

Aucun commentaire: