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LES BELLES HISTOIRES À ONCLE ROBO

OPÉRATION SOUCOUPE !, ALLAN BRIGHTMILL
LA FLAMME D'OR / VISIONS FUTURES # 2, 1953

Une soucoupe survole la terre. Ce n'est pas la première (ni la dernière) mais celle-ci semble enfin vouloir entrer en contact avec nos pommes. "Nous vivons des moments historiques " clame le commandant Nelly avant de lancer son escadrille d'avions de guerre au cul du véhicule extraterrestre non identifié.
Pourquoi ? Parce que !
(Parce que c'est comme ça qu'on fait d'habitude, parce que j'ai lu ça dans pleins d'autres bouquins, parce que merde, un peu de logique bordel.)

Mais Morton et Clark, nos héros (?) à nous, ne l'entendent pas de cette oreille. Ni de l'autre. Ils piquent donc une jeep et partent là où la soucoupe doit atterrir.
"Les kilomètres étaient dévorés comme des hot-dogs un jour de fringale, le compteur était bloqué sur le maximum et Clark serrait visiblement la mâchoire pour maintenir son allure. "
(...mâchoire, boite à vitesse, même combat...)
Pendant ce temps, la soucoupe est devenue invisible et les avions de chasse l'ont dans le baba. Les arbres-radars qui bougent dans la foret aussi. (Ne me demande pas ce que sont ces "arbres-radars qui bougent dans la foret", je n'en sais strictement rien... dans tous les cas, ils l'ont dans le baba, les arbres-radars qui bougent dans la foret...) Morton et Clark, par contre, sont bien plus vernis. En quelques lignes, ils découvrent le subterfuge... puis se font kidnapper par les E.T. !
"Nous voila bien avancé " grogne Clark.
Et il ne croit pas si bien dire. Car, enfin ! ENFIN ! La voila, cette tant attendue rencontre du troisième type. Un troisième type tendance demi-portion, faut l'avouer : lui et ses compères du type correspondant ne mesurent en effet que 60 centimètres.

60 centimètres. Ce sont les nains de l'espace ! LES NAINS DE L'ESPACE !!!
" Morton n'aimait pas les nains, il aurait préféré avoir affaire à des êtres filiformes. "
Quel con, ce Morton. Il ne se rend pas compte du potentiel comique développé par ces nains, invisibles (sauf lorsque l'on enfile une combinaison intégrale elle-même cousue dans du tissu invisible) et doués de cette fameuse "force synthétique" qui les rend aussi balèzes que les mythiques culbutos catcheurs de Los Campeones Justicieros (je fais bien l'accent mexicain, tu trouves pas ?)
"- Dis donc, Morton ?
- Oui.
- Les nains ?...
- Alors ?
- Ils ressemblent drôlement aux nôtres.
- J'y pensais justement.
- Rien ne serait plus facile pour eux de nous en expédier une bonne cargaison.
- C'est juste, mais encore faudrait leur apprendre pas mal de choses avant, afin qu'ils puissent passer inaperçus. "
Une invasion de la terre par des nains de l'espace ? Nous n'en saurons pas plus car, après un petit voyage en soucoupe volante, mode ultra-vitesse du cosmos qu'on ne saurait mesurer avec nos connaissances scientifiques à nous, les nains de l'espace débarquent Morton et Clark sur leur planète à eux. Elle se nomme "Tefe", sa capitale "To", son centre cosmique (?) "Spa" et son soleil "Tra"... ou "Ta." L'auteur n'est pas totalement fixé quant à cette dernière donnée mais force est d'avouer que dans sa binette, ça carbure sévère. Ouais. Brightmill, il n'a pas l'imagination qui se roule les pouces. Il turbine sec.
Morton et Clark visitent donc la planète des nains de l'espace, façon guide touristique fourni par une office du même nom. Usines de chocolat, hôpitaux, lieux publics, centre commerciaux et tout le tralala. Ça dure bien bon 70 à 80 pages puis comme la fin du roman approche, que nos deux zozos ont un peu le mal du pays, que les nains de l'espace n'ont strictement rien à proposer comme base d'intrigue et que, bon, faut être honnête mais ça fait tout de même un peu plus d'une heure un quart qu'on s'emmerde en puissance maximum à lire cette connerie, l'auteur se décide à faire détourner par ses héros une soucoupe volante et voila Morton et Clark qui regagnent enfin la planète terre.
Fanfare et flonflon ! Ils reçoivent alors une chouette décoration militaire, l'histoire est classé top secret par le gouvernement américain et l'auteur, raide bourré au Berger Blanc, s'effondre enfin dans un grand bruit d'underwood maltraitée sur le "N" du mot "FIN."
Il remettra malheureusement le couvert quelques mois plus tard avec un roman encore plus incompréhensible, pareillement palpitant et tout aussi mal écrit : Stop À L'Invasion...
Mais ça, c'est une autre histoire !

UN ESPION POUR POUPOULE

LORDLING, DU F.B.I., ALAIN MONTBLOY
LA FLAMME D'OR / MISSIONS SECRÈTES # 5, 1952

L'espion du jour est une vraie gonzesse. Un ramolli du bulbe. Un faiblard intégral. Parole d'homme !
Il a pourtant fière allure, le Alan Lordling, agent du F.B.I., sur cette belle couverture peinte par le grand Jef de Wulf mais sous la plume d'Alain Montbloy, c'est une toute autre affaire.

"Écoute Alan, on t'aime bien, on est prêt à tout pour toi, mais écoute, dans cette histoire, on ne peut te suivre," lui disent ses potes du service pendant un repas à la cantine.
Alan, lui, il est buté, il n'écoute pas. Il a une idée en tête. Un truc propre à tenir le lecteur en haleine 180 pages durant. Il veut venger Peter Straker, son collègue, retrouvé mort en Tunisie et coupable d'avoir trahi (contre son gré) le bureau fédéral d'investigation.
"Je sens qu'il y a dans toute cette histoire quelque chose de pas clair, quelque chose de pas rond. Pour vous, tout paraît lumineux parce que vous ne connaissez pas Peter comme moi," répond-il aux sceptiques avec qui il se tape la cloche.
Et le voila parti pour la France, dernière destination connue de Straker.

C'est à Cannes qu'il retrouvera les assassins de son ami, un couple d'agents troubles camouflés en riches oisifs de la Croisette. Nous sommes quasiment au mitam du roman et un plan germe alors dans le crâne de notre héros. Pas de bol pour nous, son plan est aussi excitant qu'une liste de course un samedi après midi à Carrouf'.
On s'attendait à une vengeance âpre et sanglante, pleine de bruit et de fureur, mais on a tout faux sur toute la ligne et la suite du bouquin se résume alors à 100 pages d'une infiltration de la bande adverse à coup de soirées mondaines, de thés dansants, de promenades bucoliques sous les mimosas en fleurs et de divers autres marivaudages de la même espèce.
PAS D'ACTION, PAS D'BASTON, PAS D'SEXE !
Autant dire qu'on s'y emmerde copieusement le coquillard, dans ces parages, et quelque chose de duraille. On regarde voler les mouches.
En page 80, le temps de quelques signes, on se réactive la ciboulette. L'auteur fait référence à Georgius, ce chansonnier populaire qui, sous ce nom ou sous celui de Jo Barnais (dit Jo-le-Baryton), signa au cours des années 50 un jolie poignée de polars à l'argomuche rigolard en Série Noire.
A part ça, rien à signaler, c'est du circulez, y'a rien à lire. Lordling tombe amoureux de deux femmes, la vamp et la fille bien. La première meurt à la fin d'un balle dans le cœur et la seconde console alors notre héros qui chiale comme une putain de greluche.
Les amatrices de romances Harlequin, Nous Deux, Delphine, Rivages, Toi & Moi, Muriel, Turquoise, Médaillon et compagnie seront aux anges, les petiotes.
Ça se termine même par un "la mer toute bleue qui miroitait dans le soleil."

L'auteur devait être sacrement allumé pour opérer pareille substitution.
En tout cas, je ne vois pas de meilleure conclusion abrupte à cette explication possible.

RIEN À SAUVER ... SAUF LES COUV' !

L'ÉPOPÉE TERRIENNE, GASTON RIGAUD
CPE / SÉLECTIONS FANTASTIQUES # 1, 1954
FUSEE X.II, FRANCE POTZ
SOS PLANÈTE EN PÉRIL, FRANCE POTZ
FLAMME D'OR / VISIONS FUTURES # 1 & 4, 1952 / 1953

En suite thématique au fort décevant Rayon Orange de Gabriel Guignard (et après l'interlude Pichard pour faire plaisir aux masses), restons dans la SF poubelle du début des année 50 avec trois romans parmi les pires qui m'aient été donnés de lire dans le genre.
Ce n'est pas rien puisque j'ai tout de même un certain bagage dans le domaine de la SF incompréhensible, abracadabrantesque même, et dont (si on était des êtres censés et rationnels) il ne faudrait garder que les sublimes couvertures et jeter le reste, la lecture des cahiers intérieurs restant une chose toujours très périlleuse et rarement appréciable.

Par exemple, en guise d'introduction, et si vous en possédez un exemplaire, prenez L'Épopée Terrienne de Gaston Rigaud, roman paru dans la courte (2 volumes seulement) collection SF de la C.P.E. Ouvrez-le. Commencez votre lecture. Voila. C'est pas très passionnant mais on arrive à suivre.
Maintenant, je vous mets au défi de dépasser la page 80 - et ce, sans sauter de lignes, de paragraphes ou de pages entières.
Mission impossible.
Aucun rythme, aucun axe narratif distinct, aucune mise en valeur des personnages. Les mots se suivent et semblent ne rien raconter.
D'ailleurs, je ne vais pas essayer de vous résumer le machin - attention, j'en suis capable ! ...mais ça me prendrait tout de même plusieurs heures et, à l'arrivée, ça ne ferait aucun sens.
L'histoire n'est pourtant pas complexe mais Gaston Rigaud enchaine les situations illogiques et stupides à une telle cadence qu'on en perd bien vite son latin.
Certains livres se lisent en une heure trente, L'Épopée Terrienne, lui, nécessite au bas mot une bonne semaine. Et là, au bout d'une semaine, arrivé en page 80, eh bien on se met à sauter des lignes, d'abord, puis des paragraphes, et enfin des pages.
Pas recommandable pour un sou donc, mais quelle couverture tout de même !

même style, mêmes effets, mais écrits bien plus gros donc lisible en une petite heure sans migraine (mais ce n'est pas un gage de qualité), ce sont les deux France Potz en Visions Futures des éditions de La Flamme D'Or.
Je reprends mes phrases précédemment employées et je les re-arrange : il y a des livres qui s'oublient une fois le roman terminé, voici deux livres qui s'oublient pendant la lecture !
Un bel exploit.
Impossible, du coup, de vous en entretenir. France Potz m'a laissé amnésique. Tout juste puis-je dire que Fusée X.II verse sur sa fin dans un étonnant mysticisme morbide (qui ne vaut tout de même pas la lecture de l'ouvrage) et que SOS Planète En Peril lorgne mollement vers la SF catastrophique anglaise (sans pour autant parvenir à en émuler l'impact).
À n'en point douter, les deux ouvrages les plus calamiteux de cette collection qui, pourtant, nous donna à lire d'effarantes purges - à l'image du Stop à L'Invasion de Allan Brightmill.
Comme quoi, il est tout à fait possible de se surpasser dans la nullité.
Et cette fois, avec ou sans alcool, vous n'en tirerez rien de valable.
Ni sourire ni fou-rire, mieux vaut donc en rester aux magnifiques couvertures de Jef De Wulf et c'est déjà pas si mal !

(ah, et la petite question, c'est : quel est l'illustrateur du premier ouvrage ? Personnellement, je n'en ai aucune idée donc, si quelqu'un pouvait m'aider... merci !)

ET UN FLAMME D'OR DE PLUS...

LE ROBOT DE CHAIR, CHRISTIAN BERGEN
FLAMME D'OR / VISIONS FUTURES # 5, 1953

Les Visions Futures se suivent et ne se ressemblent pas - leur seul point commun étant (excepté le Kurt Wargar) de produire une science-fiction calamiteuse dans ses moyens et absconse dans sa narration. Un mélange somme toute assez attachant si l'on sait se montrer patient et pas trop regardant sur la marchandise.
Donc, après les extraterrestres débiles de Stop à L'Invasion, la machine exterminatrice de Et Le Monde Faillit Changer, les aventures ésoterico-spatiales de Planète Atlante et la guerre mondiale des robot-monstres clonés du superbe Alerte Aux Monstres, voici venir Le Robot De Chair, une épopée arctique fort tarabiscotée et quasiment dénuée de tout robot, en tout cas de robot digne de ce nom.

Le roman met 60 pages à démarrer - ou plutôt à en arriver à la partie "épopée arctique" qui semble constituer, aux yeux de l'auteur, le point central de son histoire.
Dans le premier chapitre, un scientifique des années 50, le professeur Valderset, invente une télévision à frimer dans le futur. Tout fier de son œuvre, il se décide à l'étrainer presto et zappe sur 2025 - une façon de se rencarder, ni vu ni connu, sur les destinées à venir des résidus de ses parties génitales. Je veux dire : les destinées à venir de ses petits petits enfants. Excusez-moi, il se fait tard...

"Le professeur Valderset fit un faux mouvement. L'aiguille se deplaça et s'arreta sur l'an 2025... Ils eurent chacun un mouvement d'effroi.
Et ce qu'ils virent...
"
Ce coup là, ça me rappelle l'exergue introductive à la nouvelle de Philip José Farmer pour l'anthologie Dangereuses Visions. C'était, je cite de mémoire (mon exemplaire est sous carton, très loin de mon domicile actuel) : "Si Jules Vernes avait pu voir les années 60, il serait devenu fou. Alors, 2025, oh bordel !"
Et, donc, ce que le professeur et son assistant virent... était pour le moins confus.
Et, pour nous lecteurs, ce n'est pas plus mal !
Car, ne serait-ce que dans ses 60 premières pages, Le Robot De Chair ressemble à un digest de La Foire Aux Atrocités de Ballard façon manuels positivistes des témoins de Jéhovah. Un drôle de cocktail, attachant mais fatiguant. On en vient rapidement à se demander si Christian Bergen, dont Le Robot De Chair semble bien être le seul et unique roman, sait écrire. Car son Visions Futures ne raconte rien et ne ressemble pas à grand chose. Dans l'ensemble surnage tout de même un très étrange paragraphe que Brussolo n'aurait certainement pas renié (Page 19 : "On devinait le délicat travail de l'artiste qui avait su - et avec quel talent ! - détruire l'harmonie physique de ses hommes et de ses femmes, pour s'offrir ce luxe très particulier d'un corp sans foie, sans rate, sans estomac, sans organes sexuels. On était, devant un tel spectacle, pris d'une frayeur qui se doublait d'une bien involontaire admiration.") et quelques amusantes descriptions d'un futur utopiste et naïf typique à la production populaire de l'époque.
La suite, passé le troisième carnet, sombre dans des abimes de médiocrité et d'ennui. C'est l'aventure en terre arctique et non, malheureusement, Christian Bergen ne sait ni écrire, ni échafauder proprement une intrigue. Pendant 120 pages, le lecteur n'est plus là. Il ne prendra la peine de se réveiller que pour une conclusion qui, à défaut d'être explosive, permet de sourire en coin puisque, tel Michel Sardou sur J'accuse, son meilleur morceau (je sens que je vais perdre des lecteurs avec ce post), le méchant du futur déclare, après une magnifique tirade misanthrope (page 184), "oui, je plaide coupable d'avoir voulu recréer l'homme, et d'y être parvenu..."

Mais, Christian Bergen, lui, qu'a-t-il voulu faire, durant les 190 pages de ce roman inepte ? Que désirait-il prouver ? Quel était son but ?
Je n'en ai aucune idée. Et je préfère ne jamais le savoir.

MONSTRES EN GUERRE

ALERTE AUX MONSTRES, KURT WARGAR
LA FLAMME D'OR / VISIONS FUTURES, 1953

Tout premier roman d'André Ruellan (alias, entre autres choses, Kurt Steiner, Kurt Dupont et Kurt Wargar) Alerte Aux Monstres est le seul ouvrage Visions Futures qui se distingue un tant soit peu de l'habituelle bouillie mal-scribouillée constituant le lot quotidien de cette collection (et de, soyons honnêtes, 90 % de la production science-fictive bon-marché du début des années 50.)

Cette assertion introductive ne s'applique, bien entendu, qu'aux personnes considérant la lecture de ces romans d'anticipation dénués de tout sens scientifiques et littéraire comme une activité vaine et sans aucune valeur culturelle.
Je le sais bien, vous n'êtes pas de ceux-la mais tout de même, et en guise d'avertissement, faisons la part des choses !
Il n'est pas véritablement possible d'aborder André Ruellan comme du vulgaire Keller & Brainin psychotronique. Ruellan, c'est plutôt un gars de la trempe de Francis Carsac ou de Gerard Klein. Et n'oublions surtout pas que, si il débuta dans les petites collections d'après-guerre avant de se faire une belle renommé aux éditions du Fleuve Noir, Ruellan est aussi une figure à part de la littérature de ces 60 dernières années, quelle soit populaire ou non.
Car tout en produisant de fort bons récits pour Angoisse, Anticipation, Ailleurs & Demain et Présence Du Futur, Ruellan/Steiner/Wargar/Dupont (et quelque autres) était aussi membre du groupe Panique, collaborateur régulier de Topor, scénariste pour de nombreux cinéastes dont Jean-Pierre Mocky et humouriste très noir dans les pages d'Hara-Kiri. Entre autres choses.
(Tiens, d'ailleurs, il y avait Le Distrait, beau concentré de délires Ruellanesques, diffusé hier soir à la télévision...)

Mais revenons-en à ce premier roman, Alerte Aux Monstres, qui débute en fanfare, comme un feuilleton sur-excité. Wargar y mélange super-sciences et techniques occultes, prouesses télépathiques et champs de force, mutations en tout genre et monstres en furie. On a aussi droit à une pagaille de rayons Z, d'ondes K et d'une foultitude d'inventions follement furieuses.
Comme il se le déclarait à lui-même dans son auto-entretien pour la revue Midi-Minuit (Kurt Steiner et le fantastique à grande distribution, par André Ruellan) "Creuser les caractères de mes personnages n'est pas mon travail, je me tiens à une intrigue et une ambiance, immédiatement accessibles à un lecteur, c'est de la bande-dessinée sans dessin."
Ici, le Docteur K, inventeur des ondes K et savant très maléfique, s'empare de la belle et blonde Jenny, la petite copine de Pierre Dubrison, le héros, jeune et gentil savant, pour empêcher l'avancement des travaux d'électrobiologie de ce dernier.
Bien entendu, 190 pages durant, notre héros va tout faire pour combattre ce génie du mal.

Haut les coeurs ! C'est décomplexé et délirant. Ruellan ne ment pas sur sa marchandise et, dans sa première partie, Alerte Aux Monstres fonctionne comme un strip d'Alex Raymond ou de Fletcher Hanks. Rapide et coloré. Mais 80 pages plus loin, ça se corse un peu. Le Docteur K, épaulé par ses hordes de robots monstres mi-hommes mi-animaux, met l'Europe à feu et à sang.
Ce sont alors des descriptions de villes en ruines et de génocides en masse. La naïveté disparaît et l'ambiance s'alourdit. Tout comme Kurt Steiner le fera 16 années plus tard avec ses Enfants De L'histoire et son mai 68 cosmique (Anticipation #388), Kurt Wargar exécute une métaphore sci-fi de l'actualité récente et aborde de front les événements de la seconde guerre mondiale. C'est très réussi mais, faut l'avouer, je me suis un peu moins amusé.
La faute à mon manque de sérieux.
En fin de volume, l'éditeur nous promet de retrouver "les principaux personnages de ce roman dans La Planète Aux Deux Lunes, en préparation." Six Visions Futures plus tard, la Flamme D'Or mettra la clef sous la porte sans avoir tenu sa promesse. Pas de chance.

DOUBLE COMPOTE DE CERVEAU A LA FLAMME D'OR

ET LE MONDE FAILLIT CHANGER, MAURICE RENAUD
LA FLAMME D'OR VISIONS FUTURES # 8, 1953

Je ne sais pas du tout à quoi carburaient les mecs de La Flamme d'Or / Visions Futures mais ce devait être du sérieux.
Déjà, Stop à L'Invasion (voir ici) était une bouillie propre à retourner mentalement n'importe quel babouin doué des notions élémentaires de logique. Un véritable festin de non-sens écrit à la va-vite.
Je lui reprocherais simplement une représentation technologique assez rustique inapte à combler les besoins conceptuels des accros aux rayons cosmiques, lasers de la mort et autres effets magnétiques en folie. Et aussi son aspect extrêmement laborieux. Allan Brigthmill, l'auteur de ce non-classique, y fait preuve d'une absence d'entrain assez effarante, à croire qu'il voulait établir un record dans le domaine des
maltraitances littéraires alcoolisé.
Mais tout de même, une constatation s'imposait : la collection Visions Futures, c'est génial ! C'est la satisfaction absolue à portée de tout lecteur aux goûts douteux.
Et ne me sortez pas votre top-10 des pire romans d'Anticipation période 1952 à 1966, ça ne tiendra pas la compétition.
La preuve en deux chef-d'œuvre de la fragmentation crânienne ultime, tout aussi délirants que Stop à L'Invasion et pourtant (presque) entièrement compréhensibles.
(Les plus réticents remarqueront donc que ça s'améliore légèrement.)

Je commence en douceur avec Et Le Monde Faillit Changer. Plus qu'un titre, une promesse de foirage en bonne et due forme. D'ailleurs, ce fut le seul et unique sévisse littéraire de son auteur, Maurice Renaud. Pauvre Maurice, tu n'as pas eu de chance. Pourtant, j'en ai connu des bien pires que toi, et certains firent même de l'écriture une lucrative profession.
Mais pourquoi le monde n'a-t-il pas changé ? Ah, mais j'y viens, j'y viens !
Bertrand est un étudiant dénué de toute personnalité. Il est passionné par la science, mais pas trop. Il s'intéresse aussi à la gente féminine, mais pas trop non plus. Et à par ça, rien. Juste un gros loser antipathique et niais.
Dans le cadre de ses études d'ingénieur très moyennement qualifié, Bertrand cherche un logement - une tache ardue, surtout dans le paris du Futur des années 50. C'est à dire : les années 70. Une période assez cool, comme nous en informe Maurice en bas de page :
"Superplanétaire, méta ou ultracosmique sont des épithètes superlatifs remplaçant en l'an 1975 les qualificatifs actuels tels qu'atomique ou du tonnerre."
Ouais, 1975, ça boome grave.
Grâce à Riquette, une fille bassement planétaire rencontré par hasard et dont il tombera par la suite amoureux, Bertrand trouve l'appartement tant espéré. Une véritable aubaine d'ailleurs puisque le précèdent locataire, un étudiant apprenti savant-fou tendance maître du monde désormais interné en maison de repos, y a abandonné, dans une armoire moyennement secrète, sa super-invention propre à changer le monde : le Rayon Laser Télévisé !
Bertrand récupère donc l'invention, l'améliore et se lance, en marge de ses études universitaires, dans la palpitante activité de révolutionnaire up-gradé. Il vole des banques, espionne des personnalités politiques, fait basculer des gouvernements, tue froidement ses adversaires et tout ça sans le moindre effort physique, le postérieur bien engoncé dans un fauteuil grand luxe.
Merci le Rayon Laser Télévisé !
Se trouve aussi dans Et Le Monde Faillit Changer : des sentiments nobles (Bertrand se fait Riquette), des déceptions cruelles (Riquette n'est pas fidèle), un suspense insoutenable (Bertrand va-t-il tout faire péter ?) et de l'action trépidante (le cul de Bertrand dans un fauteuil).
Tout ça et aussi le parcours tragique d'un être humain qui, par misanthropie et désoeuvrement, devient petit à petit un super-villain d'opérette.
Chaudement recommandé pour les dimanches en solitaire.


PLANETE ATLANTE, HENRI KELLER ET GREGOIRE BRAININ
LA FLAMME D'OR VISIONS FUTURES # 9, 1953


Passons maintenant aux choses sérieuses : Planète Atlante, d'Henri Keller et Gregoire Brainin. Un duo assez mystérieux - tout juste sait-on que Keller n'est pas Richard Bessiere (ah ?) et que Brainin fait désormais carrière dans la poésie lourdingue (cf. son magnifique site perso).
Entre 1950 et 1955, et avant de disparaitre à tout jamais de la carte éditoriale, ils écrivirent pour à peu près tout les éditeurs populaires de seconde zone (La Flamme D'Or, mais aussi Le Grand Damier, Metal 2000, le Trotteur et compagnie) des ouvrages de science-fiction para-cosmico-psychique à la Jimmy Guieu.
En pire.
Car Keller et Brainin n'ont aucun style. Et ils ne savent pas écrire. Les phrases sont bancales, les paragraphes estropiés, des chapitres entiers sont repiqués à des publications de vulgarisation scientifiques pour étayer des idées "authentiques" (dixit nos auteurs) mais totalement loufoques. Quant à la cerise surle gateau, c'est nucléaire, mot sur-utilisé dans cet ouvrage (une très bonne chose), qui est constamment épelé n-u-c-u-l-a-i-r-e.
La nucule est une cosse de noix. Ou un fruit sec. Allez donc comprendre les intentions de nos deux larrons derrière le pistolet nuculaire, la fusée nuculaire et la bombe nuculaire.
Heureusement, Magnétique, l'autre élément majeur pour tout ouvrage de S-F années 50 qui se respecte, est écrit sans faute.
"Ce n'est pas moi qui suit auprès de vous en ce moment, leur dit-elle. Par un procède de dédoublement je suis apparue dans cette cage grâce à la lumière de mon corps. C'est le procède de la télévision. Ici sont mes ondes radioactives mais en vérité je me trouve loin de ce lieu; ce que vous entendez de ma voix n'est que ma ligne de son; les unes et l'autre sont transmises à longue portée. Cette cage les a captées, obtenant ainsi une reconstitution de moi-même à trois dimensions
(annotation de bas de page : procédé de la propagation des ondes hertziennes)"
André Guimba et French Clark sont deux inséparables super-scientifiques. Leur mission du jour ? Retrouver les vestiges de l'Atlantide... en Amérique du Sud ! Car nos amis en sont arrivés, après de (très) sérieuses recherches, à la conclusion qu'Azteques et Atlantes ne formaient qu'un seul et unique peuple. Quelques péripéties dans la pampa sud-américaine plus tard (cannibales primitifs inclus), ils atteignent enfin leur but : un Volcan Base Secrète Ultra-Technologique dans lequel vivent les derniers Azteco-Atlantes et leur splendide reine Zureca dont André tombe immédiatement amoureux.
"[Elle] avaient su prendre en son coeur une place aussi grande et aussi belle que celle que, tout comme son amis Clark, il réservait jalousement à la science" déclarent nos auteurs au paroxysme de leur art.
Par Zureca, ils apprennent aussi que certains Atlantes, lors du cataclysme qui coula leur île mythique, étaient parti en fusée spatiale s'installer sur Mars. Nos désormais trois super-copains décident alors de s'y rendre pour continuer leurs recherches. Malheureusement, une fois débarqués sur la planète Rouge, ils ne trouvent que ruine et désolation. La civilisation Atlanto-Martienne a disparue de la surface de ce globe depuis des milliers d'années.
Nos héros ne cèdent pas à l'abattement. Ils ont un plan. A la vitesse supra-luminique de leur fusée, ils comptent franchir la barrière du temps !
"Une fois de plus, l'impossible était tenté. Le temps devenait l'esprit de l'espace et l'espace le corps du temps. Ce n'était pas un voyage dans le temps; c'était une exploration de la lumière."
Ils passent alors dans une dimension supérieure où vivent Les Pharaons de L'Espace - décidément, on aura tout vu ! Ils discutent un peu avec ces Égyptiens Cosmiques, évitent de se soumettre à leurs sacro-saint "test magnétique", deviennent finalement super-potes (ils discutent philosophie) puis repartent en sens inverse.
Les voila de nouveau sur Mars, dans le passé du passé. Et les Atlantes sont vivants. Mais là, c'est le drame. Le retournement de situation absolument incroyable. Les Atlantes et Zureca sont en fait de sales vilains mégalomanes et jettent Clark et André dans des oubliettes.
Heureusement, les vrais Martiens, qui vivent sous terre depuis que l'envahisseur Atlante est venu les emmerder avec sa re-localisation spatiale, délivrent nos deux pauvres héros. S'ensuit une guérilla nuculaire et toute vie sur Mars est atumisée. Sauf Clark et André, reparti vers le présent et vers la terre raconter leurs extraordinaires aventures.
Merci les mecs, vous êtes vraiment les meilleurs.

STOP A LA LECTURE !

STOP A L'INVASION, ALLAN BRIGTHMILL
LA FLAMME D'OR / VISIONS FUTURES, 1953

Lecteur potentiel, attention ! Non satisfait par le niveau trop relâché d'idioties contenu dans le post précédent, j'ai décidé de passer à la vitesse supérieure.
L'espionnage pourri, c'est bien, mais la science fiction encore plus pourrie, c'est mieux. C'est comme de l'oxygène pur à forte dose ; ça vous grille le cervelet direct.

Stop A L'Invasion, c'est du lourd, de l'énorme, de l'incommensurablement incompréhensible. Et malgré les souffrances morales endurées à son contact répété (un contact bien plus long que pour n'importe quel autre Flamme D'Or), je suis heureux de l'avoir lu.
Ce fut épuisant et difficile. J'avais l'esprit saturé par les conceptions déroutantes de cette œuvre monstre. J'ai même dû reprendre mon souffle à de très nombreuses reprises en entrecoupant tout ça de quelques comics marvel.

La typographie a beau arborer une taille pour aveugles et mal-voyants, Stop A L'invasion nécessita donc plusieurs jours de lecture. Un véritable chemin de croix littéraire, en constant zig-zag.
Car je ne voyais pas où Allan Brigthmill voulait aller. Et lui-même, sans doute fortement imbibé de pastis, ne devait pas non plus le savoir. Mais c'est ce qui arrive quand on traine un peu trop dans les environs de Leucate.

(Comment ? Il ne s'agit pas d'André Hélena ? Vous avez des preuves ? Non ? A mon avis, tout les Allan/Alain/Al-quelque-chose de la Flamme D'Or, c'était du Hélena les jours de vaches maigres... trois heures au bistrot et hop, un roman à la con !)

Mais venons-en aux faits. Stop à L'Invasion, c'est une histoire de Martiens. C'est un petit bonhomme, en tout point semblable à l'être humain exception faite de quelques différences que l'auteur ne décrira pas, qui débarque sur terre avec son cigare volant de l'espace. Plutôt mal en point pour des raisons inconnues, il décide d'aller consulter le médecin. Et ce con, il choisi le Docteur Gras, situé à Vatel-La-Rivière.
Mais bordel à queues, pourquoi donc notre Martien va-t-il se perdre directement du coté de Vatel-La-Rivière ? Je n'en ai vraiment pas la moindre idée. (Et pour une consultation médicale, qui plus est ???)
Page 39, un autochtone tente tout de même une ébauche d'explication : "C'est joli, Vatel-La-Rivière ! Son site, sa cuisine... Mais en vérité, vous avez raison ; que serait-il venu foutre à Vatel ?"

SE FAIRE SOIGNER !
Quelques jours plus tard, notre extraterrestre se fait kidnapper par Monestier et Lopez Perez l'espagnol, deux truands à la solde du gouvernement. Le docteur Gras, qui hébergeait le Martien (son petit nom, c'est Kac), est plutôt triste.
Mais, pendant ce temps à Paris, d'autres Martiens totalement inconnus des services de renseignements apparaissent (de temps à autres) dans la rue de Naples.
Pourquoi la rue de Naples ?
là encore, aucune idée. Il semblerait qu'ils aiment bien la traverser de nuit. Mais probablement pas pour consulter un médecin.

Bref, face à cette invasion larvée sans queue ni tête, et dans un effort intellectuel et tactique magistral, les autorités ripostent. Ils déguisent un gendarme en martien. Un coup de maitre qui, malheureusement, tourne mal. L'agent camouflé est retrouvé mort, le lendemain, tout nu dans les ordures.

Après, ça part en velouté de roubignolles.

Les Martiens passent à la vitesse supérieure de leur super-plan diabolique. Ils transforment le docteur Gras et Monestier en Nouveau Martiens puis, via téléportation, envoient Lopez Perez et quatre autres pauvres gars sur Mars. Mais pourquoi donc ? Une fois de plus, je n'en sais strictement rien. Peut être est-ce un plan de naturalisation forcée. Ou bien un projet d'exhibition d'humains dans des zoos extraterrestres. Ou encore des expériences mentales façon Le Temps Incertain de Michel Jeury (chapitre XXI). Sur l'ensemble de ces sujets, nos Martiens restent assez cryptiques.

Malheureusement, l'exécution de tout ces efforts supra-scientifiques dont le lecteur se fout éperdument puisqu'il n'y comprend pas grand chose (...) tout ces projets ont épuisés les ressources du cerveau central Martien.
Car les Martiens, comme toute race extraterrestre années 50 qui se respecte, sont gouvernés par un Cyber Politburo Spatial. Un Cyber Politburo Spatial épuisé par tout ces efforts.
Moi aussi je fatigue mais la fin n'étant plus que l'affaire d'un court chapitre, nos martiens décident abandonner leurs plans de conquête terrestre. Merci les mecs.

"Maintenant, il faut que je vous fasse une confidence à vous, Terriens. Nous voulions ramener votre peuple à la raison... Nos moyens était suffisants... Nos réserves de volonté pouvaient, il nous semblait, permettre cette conquête. Nous sommes passés à l'exécution actuellement sur votre globe... La révolution est en marche, mais... La volonté même s'épuise et c'est le cas, nous avons, autrement dit, essuyé un échec... La cote d'alerte est atteinte et nous ne pouvons continuer notre effort sans risquer de supprimer les trois quarts de notre population..."
(Si tout les Visions Futures sont aussi bon que Stop A L'Invasion, et écrit avec autant de style qu'un Flamme D'Or habituel, ça promet des heures de lectures extrêmement éprouvantes.)

Avant de fermer cette nouvelle parenthèse dédié à la littérature inutile des années 50, et pour le simple plaisir des yeux, voici une autre couverture du grand Jef De Wulf période La Flamme D'Or.
Pour les références, il s'agit de Drôle De Salade d'Al Caussin, collection Black Out # 7, 1952. Par contre, je ne vais pas résumer ce truc, c'est de l'espionnage au rabais incompréhensible, confus à l'extrême dans ses enjeux et pas très raccord dans son action. Ce fut probablement écrit au bistrot avec beaucoup trop de pastis dans le sang et c'est à peu près la même chose que Stop à l'Invasion, en bien moins farfelu.
Car remplacer les Martiens par des Communistes équivaut à l'irrémédiable perte de tout attrait littéraire malsain.

SEMAINE NOIRE # 4 : DE LA PRODUCTION AU KILOMETRE


LA MORGUE... TERMINUS !, ROGER DUCHESNE
ÉDITIONS LE TROTTEUR, 1953

C'est assez amusant toutes les surprises que peuvent réserver les romans policier des années 50. Je ne parle pas des intrigues lâches et du style essoufflé que l'on retrouve trop souvent dans la petite production de gare, mais plutôt de l'identité même des auteurs.
Par exemple, Roger Duchesne - un acteur des années 30, second rôle notoire jusqu'à une fin de carrière forcée à la libération pour cause de collaboration. Il se reconverti alors en tenancier de cabaret, écrit un roman puis monte un casse de 800 000 Francs et passe deux ans en prison. A sa sortie, il se lance à nouveau dans l'écriture, pour le compte de Roger Dermée, l'homme du 5 rue des moulins aux multiples collections de polars violents, érotiques et bon-marché. Au total, il rend 4 ou 5 romans, dont La Morgue... Terminus !, puis disparaît de la circulation.
Trois ans plus tard, c'est Jean-Pierre Melville qui le retrouve pour lui proposer le role de Bob Le Flambeur, dans le film du même nom. Duchesne est alors garagiste Porte Saint-Ouen. Bob Le Flambeur sera son avant-dernier rôle, celui de toute sa vie, à la fois testament fataliste renié par l'acteur et pierre d'achoppement de l'oeuvre policière de Melville.
Mais revenons-en à La Morgue... Terminus ! - un fort joli titre pour un roman qui s'ouvre comme une autobiographie romancée. Notre héros, Jean Brames, est un honnête travailleur qui vient de purger deux ans de cabane pour un détournement de fond qu'il n'a pas commis. Toute juste libéré, il n'a qu'une idée en tête : obtenir des explications sur sa mésaventure. Il retrouve alors Gerard Jubier, son ex-associé, à la fois meilleur ami et concurrent romantique. Après une entrevue qui tourne au vinaigre, Brames se rend compte qu'il a été manipulé par ce dernier. Pas très revanchard, l'ex-tolard accepte tout de même le million que Gerard lui offre en guise de dédommagement et part à Paris commencer une nouvelle vie. Sauf que, Gerard est retrouvé assassiné le lendemain et Jean devient le principal suspect. S'en-suit une course-poursuite un peu lâche dans laquelle notre héros va tenter de découvrir 1) la vérité et 2) le grand-amour, en incorrigible romantique qu'il est.
Tout le monde l'a compris, c'est pas vraiment un polar de haute volée. Au rayon des réussîtes, on peut noter la description des interrogatoires policiers et de la vie carcérale. Pour le reste, c'est du déjà lu, souvent en plus palpitant. L'écriture de Duchesne, bien qu'assez appliquée, est maladroite, alourdie par de trop nombreuses répétitions et une certaine absence de personnalité - des défauts imputables à une production de type "premier jet". Mais si l'ensemble pèche par une chute forcée qui décrédibilise toute la tension dramatique mise en place, il se dégage néanmoins de ce petit ouvrage une forte aura de sincérité. C'est déjà pas si mal.


IL ETAIT MOINS CINQ, JACQUES AUBURTIN
EDITIONS LE TROTTEUR, 1952

On ne peut pas dire la même chose du Il Etait Moins Cinq de Jacques Auburtin, un habitué de la Collection Noire Franco-Americaine qui livre ici 190 pages d'une intrigue poussive à l'écriture bien trop maniéré. Un roman aussi passionnant que son personnage principal, Monsieur Francis, un cave qui boit des tisanes en guise de whisky et n'arrive même pas à assurer avec les gonzesses. Pourtant, ça débute avec un certain entrain.
Quatre personnages peu recommandables - un voyou, une pute, un gigolo et un loser aux manières démodées, Monsieur Francis - montent un casse dans la demeure d'un riche notaire parisien. Le plan tombe très vite à l'eau puisque, après avoir doublé le loser, la pute et le gigolo se débarrassent définitivement du voyou et partent avec le magot du coté de Nice.
Malheureusement, alors qu'il tenait là les prémices d'un récit burné (genre : la vengeance du loser sur ses deux comparses), Auburtin embraye rapidement sur d'indigestes imbroglios d'espions internationaux même pas marrants : le loser est un ex-agent français en froid avec ses employeurs et la pute une quadruple agente aux accointances pas très nettes, roulant désormais sa bosse pour les services russes. L'ensemble devient assez improbable et peine à impliquer le lecteur. C'est pas violent, c'est pas porno, c'est pas enjoué et surtout, ça boit des tisanes. Bref, c'est ennuyeux. Ça veut être sombre et dur alors que c'est aussi gentil et naïf qu'un Harlequin reformaté pour hommes. C'est presque aussi fatiguant que mon dernier Maurice Limat. Bravo.


JOUJOUX POUR ADULTES, ALLAN BLYTH
EDITIONS DE LA FLAMME D'OR, 1952

J'allais tout de même pas terminer comme ça, sur une note aussi négative. Il nous faut bien une petite dose d'ultra-violence littéraire à l'ancienne pour se finir. Un petit rush de bon mauvais-goût - ou l'inverse, de mauvais bon-goût. Parce que Roger Duchesne, ça a beau être sympa, c'est trop romantique, trop gentil. Et Jacques Auburtin, c'est mou, pas palpitant pour un sou. Mais Allan Blyth, c'est tout autre chose. C'est du brutal. De la vraie torgnole dans la figure, assénée sans retenue en gros caractères certifiés publications Black Out de la Flamme D'or - parfait pour les lecteurs pressés.
Surtout, Joujoux Pour Adultes porte bien son nom. Cette fois, pas de tromperie sur la marchandise. Ce n'est pas de la romance mais du gros noir qui tache, avec des vrai durs qui boivent de la fine à tout heure, fréquentent des lieux de perditions riches en femmes de petites vertus, se dézinguent sans pitié et se traitent mutuellement de salopes. Tout ça pour une sombre affaire de thune, pas vraiment expliqué, pas vraiment importante. Car Joujoux Pour Adultes, c'est tout simplement 180 pages de règlement de comptes, presque sans queue ni tête, juste pour la forme. Un peu comme du George Maxwell sauf que c'est très certainement écrit par André Helena.
La quatrième de couverture est signée Budy Wesson, son pseudonyme pour la serie sexy-violente de la Môme Muriel. Mais surtout, ce sont ses obsessions qui hantent chacun des angles de ce petit gare formaté pour majeurs - les nuits parisiennes de Pigalle entre faux glamour et vraie crasse, les heures perdues dans les bistrots à trop boire, la lâcheté face à la mort et les trahisons par dépit, les destins ratés et les fins tragiques.
Ça sonne comme du André Helena sous pseudo, première période. Un style sec, dépouillé de toute fantaisie, brusque jusqu'à l'extrême - ne décrivant que par lieux communs, ne s'exprimant que par injures, le tout sepoudré d'erreurs narratives attachantes, comme ses passages intempestifs de la troisième à la première personne du singulier.
Pour le reste, Helena rumine son canevas habituel, très certainement régurgité en un seul et unique jet. La production habituelle, nerveuse, écrite en quelques jours, voire moins. A ce petit jeu, Helena était imbattable. D'ailleurs, ça l'a tué. Reste que c'est extrêmement jouissif à lire.

SEMAINE NOIRE # 3 : TRAGEDIES NOIRES ET NAVET SCIENCE-FICTIF

BAGARRES A MACAO, DIEGO MICHIGAN
EDITIONS DU GLOBE, DATE INCONNUE

Voici une petite bizarrerie de la littérature jetable des années 50. Bagarres à Macao, dernier numéro de la Collection Noire Franco-Américaine aux éditions du Globe avant leur retitrage en éditions du Trotteur au fameux 5 rue des moulins. J'ai déjà évoqué ces imbroglios de façades éditoriales avec les MômesDouble-Shot de George Maxwell il y a un peu plus de deux semaines. Inutile de s'y appesantir d'avantage. Par contre, ça permet de dater le roman - Probablement 1951.
La vrai énigme, c'est Diego Michigan, pseudonyme faussement américain comme il était de coutume à l'époque. Bagarres à Macao en est la première apparition éditoriale, sous la plume de Françoise d'Eaubonne (masqué en traductrice). A priori, c'est le seul roman de Diego Michigan qu'elle signa.
Par la suite, le nom fut récupéré par Willy de Spens, Gerard Prevot ou encore sa soeur Jehanne d'Eaubonne. Diego Michigan devint alors un pseudonyme récurrent aux éditions de la Seine, qui eurent la fâcheuse tendance de l'attribuer à tord et à travers, avant de terminer sa carrière aux éditions de l'Arabesque.
Mais revenons à Françoise d'Eaubonne - sur laquelle je ne savais strictement rien. Google m'apprend qu'il s'agit d'une écrivaine française, fondatrice de l'écofeminisme, du Front homosexuel d'action révolutionnaire et amie de Simone de Beauvoir avec qui elle fut à l'origine du Manifeste des 343. Bref, pas vraiment le profil que l'on pourrait se faire de l'auteur d'un roman noir burné destiné à des mâles en manque de virilité.
"Le saisissant par ses cheveux noirs et crêpus, elle le secoua en vociferant :
- Nous allons lui peler le dos jusqu'à ce qu'il soit à vif. Nous la frotterons de poivre rouge. Nous mettrons des méches entre ses orteils, et nous les allumerons. Nous lui couperons les oreilles avec une lame de rasoir. Tu entendra ses cris. Tu entendra craquer ses os. Tu verras son sang couler et faire une mare au milieu de cette pièce. Dis, veux-tu voir tout ça ? Dis, veux tu te mettre à table, espèce d'ordure ?"
Car Bagarre à Macao, c'est 230 pages d'aventures orientales dans les milieux interlopes de la drogue et du jeu avec son lot de contrebande, de règlements de comptes et de coups fourrés.
Le héros, Duke O'Conan, ridiculement surnommé Oppossum, débarque à Macao après quelques ennuis continentaux et une carrière journalistique en berne. Le bonhomme a le plus pur style Eddie Constantine. C'est un malabar rigolo, bagarreur et séducteur. En moins d'un chapitre, il est embauché par une vieille connaissance, Sullivan, un ancien agent secret désormais faux barman et véritable patron de la pègre locale, qui le charge de s'occuper de sa rivale, la magnifique et dangereuse Mei Wen. Reconverti agent double, Oppossum fait la connaissance de toute une faune pas très fréquentable, tombe amoureux à deux reprise et se retrouve coincé dans un engrenage tragique et implacable.
Ça ressemble à un film hollywoodien des années 40, une adaptation de Hemmingway façon le Port de l'Angoisse ou Key Largo, en plus brutal. Se jouant des clichés du roman noir colonialiste, mais sans pour autant tourner le genre en dérision. L'intrigue est commune, le style classieux, appliqué, avec quelques audaces stylistiques comme un ciel d'un rose chimique de bonbon ou de gaz asphyxiant.
Du très beau pulp, dur et désespéré... pour nous les hommes.


CHAMPAGNE OBLIGATOIRE, NOEL VEXIN
DITIS / LA CHOUETTE, 1956

Deuxième aventure de Valentin Roussel, jeune avocat sans le sou, tête brûlée de la justice civique et tombeur de ces dames. Le précèdent roman, Ces Messieurs de la Famille, l'avait opposé à une bande de corbillards pas très net menés par une dangereuse veuve noire lesbienne. Cette fois, le voici aux prises avec quatre corses et un marseillais, souteneurs de leur état dans des boites de pigalle et organisateurs de braquages le dimanche. Bref, l'habituelle histoire du coup foireux dans lequel s'enfoncent des petits truands pathétiques. Un genre dans lequel Noël Vexin excelle. A ce titre, la peinture qu'il fait du milieu est véritablement succulente.
"- Et mon zob ? clama Orsoni. Non mais vous me prenez pour qui ?
- Pour un cave, répondit durement César. Pour un demi-sel mal affranchi, un coureur de gonzesses et un bavard dangereux. Voila ce que t'es, Orsoni. Moi, je te le dis, puisque les autres n'ont pas le cran de te le dire. Qu'ils se démerdent avec toi."
Le roman est rapide, enjoué, moins sombre que le précèdent malgré une belle monté tragique sur les 20 dernieres pages. Valentin est un personnage attachant, atypique même. Bref, cette serie, c'est un peu Les Nouveaux Mystères de Paris par Noel Vexin. Et malgré un certain aspect routinier, ça reste du divertissement de premier choix.


L'HOMME AUX HUIT TETES, MARC MINERATH
EDITIONS DE LA FLAMME D'OR, 1953

Pour finir, de la vraie saloperie littéraire publié sur du papier bien poreux comme on n'en fait plus depuis fort longtemps. L'Homme à Huit Tête, l'unique roman d'un dénommé Marc Minerath, mais certainement pas le seul de l'auteur qui se cache derrière ce pseudonyme. Mais encore faudrait-il savoir de qui il s'agit. Pendant cette lecture, éprouvante mais heureusement brève, outre avoir quelque peu souri, j'ai beaucoup pensé à Maurice Limat. Mais un Maurice Limat fatigué, avec un style bien plus pataud qu'à l'habitude, des personnages transparents, presque interchangeables, et surtout, des descriptions édifiantes comme ce club de boxe dans lequel nos inspecteurs pénètrent en page 55 :
"Comme personne ne se présentait, ils poussèrent une porte. Une salle spacieuse s'offrit à leur regard.
Deux rings occupés l'un et l'autre par des mordus qui bataillaient ferme et suaient leur courage pour le plaisir de s'ébattre. Disséminés, à terre ou debout, des gars en slip soumettaient leurs muscles à l'exercice quotidien.
Un bruit d'eau sympathique venait de quelque part : des veinards qui goûtaient la volupté de la douche !
"
Voila qui est bien viril. Mais reprenons notre sérieux. L'Homme à Huit Têtes est un roman policier bâtard, du mystère lourdingue à l'ancienne qui vire dans son dernier quart à la science-fiction du pauvre. Je vais tenter de résumer cette grosse bouillie le plus clairement possible.
Une suite de disparitions, celles de trois sportifs renommés, accompagné par le meurtre sordide d'une jeune femme sentimentalement lié à l'un des disparus, met la France en émoi. La police parisienne est en état d'alerte. Du coup, Un inspecteur, un journaliste et un boxeur se lancent mollement dans l'enquête et, 180 pages plus loin, découvrent qu'un super-scientifique mondialement reconnu est à l'origine de tout ce remu-ménage.
En fait, notre savant fou enlève ce qu'il nomme les spécimens parfait de la race humaine actuelle (c'est à dire : des sportifs) pour leur faire subir des bonds évolutifs de quelques centaines d'années et, par conséquence, les transformer en über-sportifs. Et tout ça, inspiré par Léonard de Vinci.
Prends donc ça dans ta gueule, Dan Brown !