ESPIONNAGE AU RABAIS POUR LECTEURS EN DETRESSE (SUITE)

UN DOIGT DE VODKA, YVES DERMEZE
S.E.G. ESPIONNAGE / SERVICE-SECRET # 18, 1963

L'espionnage est certainement le registre littéraire le plus pauvre, qualitativement parlant, des années 50 à 70.
Pour la quantité, c'est l'inverse. Le genre a été produit jusqu'à épuisement. Quant à l'intérêt actuel que peuvent lui porter les lecteurs de romans populaire, il est proche de zéro.
Car l'espionnage, c'est un genre sans âme, sans chef-d'œuvre et sans ambitions. C'est la branche Fleuve Noir la moins cotée. C'est auss
i une gigantesque production d'époque type L'Arabesque qui se récupère pour quelques dizaines de centimes dans des vides-greniers miteux - Ce qui n'empêche pas de découvrir de temps à autres quelques petites réussites du genre, comme ce Doigt de Vodka signé Yves Dermeze, vieux routier du populaire capable du très distrayant comme du plutôt ennuyeux.

Une double-surprise donc, avec un titre pas très raccord. Ça ne parle pas de vodka et les habituels conflits Est / Ouest servent uniquement de point de départ pour un petit drame noir joliment monté. Le reste, c'est deux agents de la CIA contraint à collaborer.
Le premier, Paulo Fischer, est un tueur froid et calculateur, un type effacé et silencieux, un juif qui a connu tout jeune les camps. Le second, Ernst Gobord, est un diplomate, un être lâche et nerveux, un ancien SS de Varsovie qui tente d'effacer son passé.
Leur travail en commun consiste à escorter en vacances Arturo Figueras, un scientifique à la solde de la NASA et convoité par les Soviétiques. Sauf qu'Arturo n'a pas que les vacances en vue - il ne
s'agit que d'un pretexte pour accomplir une vengence personnelle. Et Ernst Gobord n'est pas seulement employé par la CIA. Du coup, tout dérape et Paulo Fischer, l'implacable tueur, se charge du ménage.

Les ficelles sont usées mais, de par son rythme assez trépidant à enchainement de coups de théâtre, ce petit gare se montre constamment surprenant.
Dans le genre, c'est un minimum syndical qui n'est jamais respecté; la preuve avec quatre autres ouvrages à la médiocrité douloureuse...


L'HONORABLE AGENT DOUBLE, GIL BREHAT
S.E.G. ESPIONNAGE / SERVICE-SECRET # 07, 1962

Commençons en douceur.
Nick Kisly est un super espion américain de la CIA chargé d'une mission super tarabiscotée. Avec son avion U2 super sophistiqué dernier modèle,
il doit survoler certaines zones russes top secrètes, les photographier sur une pellicule qui n'accroche pas puis de s'écraser dans la Tounga pour permettre aux cocos de récupérer l'avion, de l'examiner et de se rendre compte qu'en fait, il n'est pas si super que ça (car la pellicule qui n'accroche pas, c'est une ruse)...
Sauf que le plan méticuleusement orchestré foire pour de vrai et Nick, coincé chez ces salauds de Ruskoffs, se retrouve dans la super merde.
Heureusem
ent que de gentils paysans lui offrent une cache - et aussi leur fille, une petite boulotte super conciliante.
Du coup, Nick passe la moitié du bouquin dans la grange, derrière un tas de foin.

Bilan, un roman pas très super dans lequel, vous l'aurez compris, il ne se passe strictement rien. Et, circonstances aggravantes, le titre et la couverture sont mensongers. Vous ne trouverez dans cet ouvrage ni nénés, ni agents doubles. Une vraie escroquerie.

Dans le genre super-naze, autant lire du Frank Peter Belinda.


LE SOUFFLE DE LA BAGARRE, FRANK PETER BELINDA
LA LOUPE ESPIONNAGE # 52, 1958

Justement, voici Frankie Belinda, le plus grand de tout les agents de gribouillages secrets, l'esthète du bétonnage stylistique, le belge de l'écriture partie en vrille, loin, très loin dans l'absence totale de retenue et de bon gout.
Mais laissons plutôt la parole à son éditeur, qui a des choses très importantes à nous communiquer :

"Il est des auteurs dont on dit qu'ils produisent dix livres sans pour cela accrocher le vaste public et qui sombrent dans l'oubli après un instant de gloire, mais il en est dont on dit qu'ils produiront cinquante livres tout en récoltant toujours plus de lecteurs. Notre maison, qui a lancé Frankie Belinda, savait bien ce qu'elle faisait.
Non seulement il est devenu l'un des meilleurs auteurs d'action d'après-guerre, mais encore continue-t-il à écrire des manuscrits qui accrochent, qui ont tous un son nouveau et se détachent nettement de la littérature contemporaine.
Le cinquante-huitième manuscrit de l'auteur en fait foi. Il vous tiendra haletant pendant plusieurs tours d'horloge. Il vous obligera à reconnaitre que son Souffle de la Bagarre est réel, puissant, unique et promu à un grand avenir, tout comme tous ses autres livres d'action d'ailleurs."
Merci, Messieurs la Loupe.
(Nous noterons au passage que l'éditeur écrit aussi bien que son auteur fétiche...)

Mais abordons tout de même ce fameux Souffle de la Bagarre - un souffle d'asthmatique, si je puis me permettre, vu le niveau pas très élevé d'action et de suspense censé parsemer avec vigueur ses 250 longues pages.
En fait, le bouquin fait plutôt dans le guide touristique de Lièges et de ses environs. Un truc somme toute pas très palpitant : John Kallum, notre héros Belgo-Ricain, passe plus de temps à boire des barons de bière blanche installé à des terrasses liégeoises qu'à traquer le gros espion allemand Herr Gruber et son sbire polonais, le veule Larko.

Comme l'affirme Belinda dans les mentions légales, "le seul but de l'auteur est de promener le lecteur dans l'une des villes qu'il aime et d'y construire une histoire basée entièrement sur la fiction."
Pour le reste, ça ressemble à du Paul Kenny des débuts, mais en bien plus fatigué, écrit dans l'inimitable style lourdingue de Belinda et avec son habituelle ambiance débile. Pour lui trouver une qualité, je dirais que c'est tout de même bien plus drôle que du Kenny. Quant à l'aspect "touristique" de l'ensemble, c'est par moment assez savoureux.
Une petite description de Lièges pour la route ?
"Lièges, ville de souvenir, de grandes choses, de belles choses.
Lièges, une ville riante, un paris en réduction qui s'étend sur les bords de la mouvante Meuse comme les bras d'une maman serrent la poitrine d'un enfant.
Liège, vivant portrait de la Walonnie fière et méritante, combative, ardente, et aussi bonne, aussi douce, aussi agréable qu'un cœur sur la main et que du beurre doré sur une tartine blanche.
Liège, altière Cité martyre de toutes les guerres, de tous les fléaux qui, une fois de plus, s'était reconstituée redressée et avait rapidement pansé ses blessures profondes.
Lièges, ville qui, sous la pluie ou dans la brume recélait la même prenante sentimentalité que Paris ou Lyon, un identique romantisme inaltérable qui en faisait la ville des amoureux, des quais charmants, des pigeons roucoulants nourris par la foule au grand cœur, des mamans promenant leurs gosses, des badauds et des touristes.
John adorait Lièges."
Quelle intensité ! Malheureusement, ce splendide passage (page 24 et 25 pour ceux qui suivent) ne sera jamais égalé dans les 220 pages suivantes. La magie Belinda a parfois des ratés...


MÉFIEZ-VOUS DES PIN-UP, FRANK PETER BELINDA
LA LOUPE ESPIONNAGE # 55, 1958

Celui-ci, c'est tout le contraire. Un vrai roman d'action, violent, tragique, nerveux - dans les limites du Belinda, bien entendu.
Surtout, c'est un roman à message. Un message contenu dans le titre et illustré par trois fois dans le texte. Car Méfiez-Vous Des Pin-Up aurait très bien pu se nommer Les Femmes Sont Toutes Des Salopes.
Je résume rapido.


John Kallum est envoyé clandestinement en Russie pour recuperer un scientifique. "Du boulot préalablement mâché... C'est trop simple..." déclare Kallum, à qui on ne la fait pas.

Il n'a pas tord. Une fois débarqué là-bas, il fait l'expérience du rude tempérament féminin. Car la femme aime faire l'amour, mais la femme parle trop, la femme dénonce, la femme trahit. Et John Kallum, traqué par les politzionners cocos, manquera d'y laisser la peau et d'achever irrémédiablement son pauvre lecteur insomniaque.

Bref, c'est assommant et, pour du Belinda, pas super drôle.
Une déception éducative, tout de même, si l'on considère les quelques rudiments de psychologie féminine que ce roman m'a inculqué (maman, tu avais raison).



LA MONTAGNE INFERNALE, ROL FREDERN
LE COBRA ESPIONNAGE #5, 1960

Le meilleur pour la fin...
Non, je blague.
Vous avez vu cette couverture ? Imaginez le texte maintenant. OK. Vous n'êtes pas très loin de la vérité. Le tout est un petit peu plus tarabiscoté (ça concerne la découverte de l'arche de noé et le sabotage d'un puits de pétrole américain par des fanatiques musulmans), gentiment débile et régulièrement enrichi par un érotisme peu évolué (notre espion, Robert, passe son temps à sauter de jolis petits lots comme si il se trouvait dans un bouquin des éditions de la Tarente).

Pour faire vite, c'est plutôt nul et moyennement infernal. Je suis désolé mais en dire plus est tout simplement au dessus de mes forces.

(Voila ce que nous pouvons appeller un long post inutile... je ferais mieux la prochaine fois, promis !)

3 commentaires:

losfeld a dit…

oeuvrons pour l'inutile, c'est le beau! Sinon j'ai jamais fini un roman d'espionnage de ma vie, je te félicite des deux mains...
Le demi-sel d'Héléna fera l'objet d'un post?

ROBO32.EXE a dit…

inutile et beau, on est d'accord. ça n'est d'ailleurs pas à prouver.
quant à l'espionnage, c'est un genre assez nul en général mais parfois, on y découvre des perles de non-sens assez énormes. donc plutôt jouissives.
c'est ce que je tente de prouver avec ces posts...

Pour Le Demi-Sel... c'est très probable. mais va pas falloir que j'écrive n'importe quoi n'importe comment :)

losfeld a dit…

Tu m'as motivé à lire mon premier roman d'espionnage, tu peux être fier. Résultat du désastre sur mon blog... Encore merci...