Affichage des articles dont le libellé est [EDITEUR] EPP / EROSCOPE. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est [EDITEUR] EPP / EROSCOPE. Afficher tous les articles

RAYON QUI TUE ET SEXE EN KIT

COSAQUE-STORY, PAUL KENYON
EPP / EROSCOPE # 5, 1975

Troisième aventure de la comtesse / espionne / top model / milliardaire Penny S. - Pénélope Saint John Orsini pour les initiés - Cosaque-Story se présentait sous des auspices qui ne m'excitaient que très mollement l'éponge à phosphore.
C'est bien simple, les récits se déroulant derrière le rideau de fer, ça a plus tendance à m'engourdir le palpitant qu'autre chose. Heureusement (et pour suivre l'habituel adage Spillanien) le premier paragraphe du premier chapitre sut parfaitement capter mon attention.
Il s'agit d'une description de Pénélope par le menu. Et ce n'est pas du menu enfant dont je te cause. On a des formes et du charnel. on a surtout des chevilles "longues et fines et d'une ligne si mélodique qu'on songeait à un poème mis en musique."
L'affaire est dans le sac. C'est balourd et engageant, ridicule et séduisant.
Pénélope, la fille aux gambettes en tracé sinusoïdal non saturé, fait l'amour avec un cinéaste Norvégien de bis auteurisant puis se trouve lancée sur la piste d'un mystérieux rayon laser qui bousille du satellite russe et ricain.
"Très probablement un laser à gaz dynamique" nous informe un spécialiste en la matière, page 111. "On injecte un mélange de bioxyde de carbone chauffé dans un tube à une vitesse supersonique pour obtenir une réaction très puissante par laser."
Ça fait peur. D'autant plus que l'inventeur de ce super faisceau annihilateur se nomme le Professeur Thing.
Le blaze en impose. L'apparence aussi.
Chinois et albinos, il représente le super-vilain typique des productions Lyle Kenyon Engel : un être monstrueux, imbu de sa personne, affligé de quelques encombrantes tares physiques et gonflé du désir maladif de tout détruire.

"Il était extraordinaire. Sa silhouette décharnée et filiforme, étirée jusqu'à la caricature, semblait surgi des phantasmes mystico-morbides d'un Gréco."
N'oublions pas l'essentiel : dans l'orbite creuse de son œil droit scintille un rubis rouge !
Death is a ruby light, dixit le titre original - ou comme le veut la formule anglo-saxonne : God is in the details. Chez Kenyon, le gâteau est toujours sauvé par sa cerise.

Pendant ce temps, la comtesse traverse la Russie. Fait équipe (dans tous les sens du terme) avec Alexei, un espion communiste. Rencontre de méchants autochtones qui la violent sauvagement sous une tente.
L'auteur se permet quelques phrases audacieuses (" son sexe était armé, braqué et prêt à faire feu ") et nous éclaire, de la page 120 à 122, sur le passé romantique et professionnel de notre héroïne.

Les fanas de la série apprécieront l'ensemble à sa juste valeur. Les autres passeront leur chemin mais d'eux, on s'en contre-barbouille grassement l'œilleton lunaire.
Car Cosaque-Story, ça ne vaut peut être pas Opération Extase, ça ne vaut peut être pas non plus Dépravez-Moi Ça mais ça reste très distrayant et ça rempli largement son contrat : emballer du 220 pages de récit pornospionnage premier degré, sans valeur ajouté et sans autres fioritures qu'un style ampoulé, du sexe en kit et quelques menues idées rigolotes.
Je l'écrivais plus haut : c'est balourd, c'est engageant, c'est ridicule et c'est séduisant.
Et si ça ne te suffit pas, désolé, mais je ne peux rien de plus pour toi...

LA TRUFFE DU COMICO

HAINE COMME NEIGE, GÉRALD MOREAU
EPP / PDG # 1, 1974

Le gars PDG, j'avais déjà causé de son pathétique cas en septembre 2009 et j'avais conclu mon blabla par un "PDG, PLUS JAMAIS" péremptoire.
Mais c'était fort mal me connaitre.
Car il a fallu que je rempile, con que je suis.

Comme si Le Dragon Blanc ne m'avait pas vacciné, je me suis donc tartiné le numéro 1 de la série, Haine Comme Neige. Titre qui claque et introduction sur fond de rituel mansonnien.
Je salive légèrement.
Nous sommes en 1968. Une bande de hippies drogués tuent la femme et la fille du commissaire de police Pierre David Gall, dit PDG. L'ouverture est faite dans les règles du genre. On imagine que PDG, à la manière d'un allumé de l'auto-défense (exécuteur, exterminateur, pénétrateur) va traquer les responsables sur 180 pages avant de s'en payer une bonne tranche et de jeter ce qui restera de leurs corps dans une décharge quelconque.

Formule éprouvée : les ordures terminent toujours à la poubelle.
Hélas, j'avais tord d'y croire. Et c'est bien là une des nombreuses preuves du constant ratage qui semble caractériser cette série. Car PDG ne va pas se venger. Il s'écrase, demande sa mutation, passe l'éponge. Le truc incompréhensible. Coïtus Interrompus sur un sentier largement balisé. Ça augure mal quant à la suite du programme. Moreau se tire une balle dans le pied d'entrée.

Bouquin boiteux, donc. Et soutenu par un héros ridicule. Le commissaire PDG, ainsi surnommé "non seulement à cause de ses initiales, mais également du fait de sa position sociale."
Car monsieur est milliardaire.
Je te la fais simple : c'est l'inspecteur Harry, minus la niaque réac' et la brutalité gestapiste... mais avec par contre la fortune des Hiltons dans le larfeuille.

Le tout rehaussé par des attitudes gravure de mode guimauve.

"Avec sa chevelure châtain clair ondulée, longue dans le cou et coiffée à la diable, ses ensembles Lapidus et ses chemises en soie, il ne ressemblait guère à ce qu'il était."
Tu parles ! Pierre David, c'est une rubrique élégance dans Cosmopolitan ou Marie-Claire, revival seventies à l'appui. Autant dire que, comparé à ses collègues barbouzards de la littérature virile années septantes - les Mack Bolan, les John Bolt, les Mark Hardin et compagnie - notre bonhomme fait pâle figure, semble même bien falot. Un minable doublé d'un morveux m'as-tu-vu.
En bref, il se met au diapason de l'œuvre que son auteur usine. Il traine en longueur et essaye de faire briller sa verroterie. Du pas grand chose battu en mayonnaise.

Ainsi, Dans Haine Comme Neige, notre héros enquête sur une fusillade liée à un gigantesque réseau de drogue Toulonais. C'est French Connection, épisode 638, mais sans poursuites motorisées.
Accessoirement, Pierre David cherche aussi une certaine Luce Cardi, une hippie qui en sait trop, mais les méchants vendeurs de chnouf, menés par un vil pédéraste, la trouvent avant lui. Ils l'enlèvent, la séquestrent, lui torturent les poils pubiens puis la violent.

Heureusement, PDG est là ! Il laisse faire un petit moment (histoire que son lectorat s'en rince bien l'œil) puis la sauve et la saute - le coup classique. Le courageux chevalier, armure rutilante et piston durci, dument récompensé de ses preux efforts par les parties intimes de la gueuze outragée.
Faut dire aussi que Gérald Moreau s'est enfin rendu compte de l'absence quasi-totale de sexe dans son bouquin. 130 pages d'abstinence. L'éditeur grogne, l'auteur procède donc à la louche.
PDG et Luce baisent des pages 136 à 138 et 139 à 142 avant d'en remettre une couche rapido-presto en pages 164 et 165.

A part ça, rien de très intéressant à signaler.
Le méchant homo meurt mais sans le gouteux panache de Costa dans Brigade des Mœurs de Max Pecas. Pierre David ne se pisse pas dessus comme dans Le Dragon Blanc (véritable morceau d'anthologie) mais continue par contre à parader façon mannequin de la redoute.

En page 61, nous le trouvons revêtant "un pantalon d'alpaga crème et une chemise ton sur ton, cintrée à la taille. Une fine ceinture de serpent marquait la solution de continuité entre les deux vêtements, assortie aux chaussures, au point que l'on aurait pu croire fabriqués à partir du cuir du même animal."
ainsi accoutré (élégance incarnée ou tenue digne d'un maquereau demi-sel, à toi de choisir) Pierre David s'en va se taper la cloche dans un resto de fruits de mer. Le repas dure 5 pages. A un moment donné, l'auteur se permet alors cette phrase audacieuse :
"David goba une grosse moule charnue."
Confronté au marasme généralisé de ces 190 pages à la virilité aussi affectée qu'inefficace, cette combinaison de 6 mots marque durablement. C'est une bouffée d'air frais dans cet insatisfaisant ensemble étriqué, c'est la quintessence absolue de la distinction littéraire - n'en faisons pas trop non plus... mais je l'avoue, je reste un éternel optimiste et ces 6 mots m'ont rentabilisés mes 2 heures de lecture.

BAISODROME HOLOCAUSTE

OPÉRATION EXTASE, PAUL KENYON
EPP / EROSCOPE # 1, 1975

J'ai déjà causé à 5 reprises de Lyle Kenyon Engel. Le lecteur intéressé pourra se référer au label approprié. N'empêche, laisses moi en remettre un petit coup, ça ne fait pas de mal :
Bulldozer de la vulgarité imprimée, Phil Spector de la littérature virile, bookpackager spécialisé dans tout ce qui jute et qui tache, Lyle Kenyon Engel détournait à des fins purement intéressées les grosses locomotives du roman populaire des années 60/70.
De l'action, des espions, de la violence, du cul, un peu de science-fiction et le tour était joué. Il optimisait la sauce. James Bond devenait américain et queutard, Modesty Blaise se voyait repensée en nymphomane à gros nichons.

Il fit ainsi usiner par son pool d'auteurs-mercenaires des épisodes de Nick Carter Killmaster, de John Eagle Expeditor, de Blade et surtout de The Baroness - crème de la crème du sexpionnage sérieux, écrit sous le pseudonyme-maison de Paul Kenyon et traduit en France dans la collection Eroscope, sous le nom de Penny S.

S COMME SECRÈTE, SENSUELLE, SEXUELLE affirmait l'accroche publicitaire. Me faites pas gober vos couleuvres, les mecs. "S" biscotte placé juste après Penny, ça donne Pénis.
La classe française. Des chibres et des lettres. Ou alors est-ce mézigue qui aurait l'esprit tordu à imaginer telle combinaison.
Car, il faut bien l'avouer, la lecture de Penny S, ça vous chamboule un homme. Après ça, vous n'êtes plus le même, vous voyez le monde différemment. Tout vous semble morne et fade et une question, obsédante comme le clignotement d'un néon détraqué le soir après un acide, vous assaille le cortex :
Où sont-elles donc, ces filles libérées, mannequins meurtriers capables des plus improbables gymkhanas - au lit comme à la ville - et qui combattent, entre deux pauses rimmel, le regard assuré et la hanche hardie, des espions sadiques au priapisme effréné et des savants fous dont l'ébullition de la matière grise ne sert qu'a compenser la triste mollesse de l'appareil génital ?
Réponse : nulle par ailleurs.
On en lit peut être quelques (gros) fragments du coté de La Panthere, de BIS, de OSSEX ou de Cherry O mais jamais les choses n'ont été hissées à ce degré de démesure.

Oui : Penny S représente un monde d'outrance tapageuse, d'exagération sans distinction. On ne monte pas l'ampli jusqu'à 11, on le pousse jusqu'à 1000. C'est la Veuve Noire dévergondée en blue movie, dessinée par Frank Thorne sous viagra, évoluant dans les pages d'une revue de mode au contenu égrillard et suivant la trame générale d'un Matt Helm pleinement conscient de son potentiel pornographique.

Laisses tomber la finesse, bébé. Visualises l'étal d'un boucher sur lequel poseraient quelques playmates surgonflées, mitrailleuses en pogne, éclairées kaléidoscopiquement, rouge, vert, bleu, et sonorisées à gros coups de guimbarde disco et de bruits d'explosions. Visualises Andy Sidaris à la cinecittà, avec la classe de Russ Meyer, avec plus de budget et surtout avec plus d'imagination.
DANS UN MONDE VIOLENT ET ÉROTIQUE, UNE FEMME D'ACTION ET DE PLAISIR !
Top model multimilliardaire, comtesse italienne à l'hyper-sexualité assumée, agent tellement secrète qu'elle en ferait passer la plus discrète des barbouzes pour un candidat de télé-réalité abonné aux couvertures de la presse people, Pénélope Saint-John Orsini, dit Penny S, dit The Baroness, est une majestueuse inflatable doll littéraire, une féministe de papier propre à contenter dans tous ses excès les sales machos à la logique déréglée que nous sommes.

Lyle Kenyon Engel avait parfaitement compris les désirs de sa clientèle et la formule que ses auteurs-anonymes appliquent à ses productions, formule immuable dans ses moindres détails, en était l'exact reflet. Car tous les Penny S se ressemblent. Tous proposent le même dosage des mêmes ingrédients. Une sorte de contrat-confiance scellé dans la routine des séries confectionnées à la chaine.

Dans Opération Extase, son premier forfait (j'ai mis du temps mais j'y arrive !), Penny court après une nouvelle drogue, le Grand D, sorte de super LSD qui tue ses consommateurs en leur refilant une super-trique du tonnerre.
L'homme derrière cette diabolique invention (" elle balaiera les États Unis, corrompra la jeunesse et désintègrera la société occidentale ") se nomme monsieur Sim mais n'a strictement rien à voir avec feu notre chétif comique national.
Sim, version Penny S, est anglais, obèse et en proie à une crampe congénitale. C'est à dire qu'il bande dur et non-stop depuis sa naissance. Un véritable exploit pour le pénis incriminé puisque, en tenant compte de l'ultra-adiposité de son possesseur, il doit constamment " se frayer un véritable sillon dans les vagues inférieures du bas-ventre. "
Miam miam !
L'auteur, de son coté, joue sur du velours. La progression de l'intrigue est parfaite,. Penny S et ses compères enquêtent dans divers endroits des états unis (une communauté hippie, un gang de hells angels, une partouze mondaine et mafieuse) puis partent affronter Mr Sim à Honk Kong.
Là bas, notre héroïne y rencontre aussi son habituelle contre partie masculine, à la fois allié de circonstance et agent double semant le trouble.
Comme le disent les américains, it takes two to tango.
Et comme l'affirme l'auteur, " elle savait qu'il savait qu'ils coucheraient ensemble tôt ou tard, aussi sûr que deux et deux ne peuvent faire que quatre. "

S'en suivent alors les exploits érotiques imposés par le cahier des charges :
"Il plonge maintenant en elle avec la régularité et la puissance d'une bielle fabuleuse"
ou encore :
"[...] elle est glèbe labourée par le soc invraisemblablement doux et puissant de son amant."
Tango tonitruant ! Notons d'ailleurs que chez Penny S, les scènes porno se conjuguent au présent alors que la narration dite "classique" (action, intrigue, enquête) se déroule au passé.
L'effet, maladroit, tend très certainement à inclure dans son cours le lecteur pervers qui ne passe dans le coin que pour se faire reluire le piston en solo, le salingue !
Mais que l'amateur d'action et l'allergique à la branlette ne se sentent pas pour autant floués. Les industries Kenyon ne laissent personne en carafe.

Ainsi, dans Penny S, quand ils ne copulent pas dans toutes les positions concevables, les protagonistes se bastonnent et se dézinguent à tous les étages. Fusillades, courses poursuites, traquenards, il y en a pour tous les gouts.
Amour + guerre = BAISODROME HOLOCAUSTE = grand spectacle assuré.
Ce billet étant trop long, concluons à l'arrachée : Opération Extase est, avec Dépravez-Moi Ça, l'un des meilleurs épisodes de la série. Je dirais même plus : une lecture essentielle pour ceux qui se sentent concernés par le genre.

Dernier point avant d'en terminer pour aujourd'hui : le contrat-confiance scellé dans la routine des séries fabriquées à la chaine, ça n'empêche pas les variations qualitatives d'un titre à l'autre. Petit détour, donc, du coté de trois Penny S clairement moins enthousiasmants...

Par exemple, Le Lit De L'Amazone, deuxième épisode de la série, est aussi (c'est triste mais ç'en est ainsi) la plus ennuyeuse aventure de Penelope Saint-John Orsini qu'il m'ait été donné de lire. Et pourtant, tout y était réuni pour m'exciter un maxi-grand-max : on y trouve des nazis réfugiés dans la jungle de Rio, traficotant un super rayon de la mort avec des diamants, rêvant d'un nouveau Reich de mille ans et se distrayant le dimanche en balançant ennemis et traitres dans un lac peuplé de piranhas ultra-voraces. On y trouve même le fils caché d'Hitler, c'est dire le bonheur !
Las ! L'auteur (Manning Lee Stokes ?) devait probablement être en rupture de son stock d'alcool ou de drogue. On le sent qui renâcle à la tache comme un vieux bourrin têtu. Son potentiel tristement gaché, Le Lit De L'Amazone en devient presque soporifique et les dernières pages sont accueillies avec soulagement.

On s'en sort mieux avec Lune De Fiel, cinquième épisode à l'accroche fabuleuse : "Quarante-huit heures pour détruire l'horreur venue du ciel, et pour seule arme, son sexe..."
J'imagine que le roman est encore une fois écrit par Manning Lee Stokes : on y retrouve son rythme brinqueballant et sa passion pour les freaks sadiques (ici : un nain obsédé sexuel)
Le reste est à l'avenant. Penny combat des ruskoffs dans le désert glacial de l'Arctique, empêche un virus extraterrestre de se rependre sur terre et se fait lécher le clitoris par un loup des neiges. Les standards sont honorés mais je n'en suis pas non plus tout retourné. Disons que le boulot est solidement effectué mais manque un peu d'éclat.

Même chose concernant Fuel Aux As, huitième épisode : c'est solide, c'est agréable mais c'est aussi terriblement terne. Avec plus de folie et un rythme moins lâche, l'affaire aurait aisément pu être dans la fouille. En l'état, ça ressemble un peu trop à Matt Helm Contre La Mort Noire mais sans le talent de Donald Hamilton.

Restons sereins. On ne gagne pas à tous les coups.

FRANCIS TIGRONE SEXPIONNAGE

LES FOLLES DU FUEL, FRANCIS TIGRONE
TROP C'EST PAS ASSEZ, FRANCIS TIGRONE
EPP / BIS # 1 & 2, 1974

1. FRANCIS TIGRONE m'avait foutu une sacrée claque avec Ah Les Belles Carabinières, un improbable bouquin porno-comique, croisement démentiel entre La Flic Chez Les Poulets et Prenez La Queue Comme Tout Le Monde, si tu vois ce que je veux dire.
Francis Tigrone écrit d'ailleurs comme parle Anne Libert dans les films de Jean-François Davy et ses personnages masculins, au trois-quart bouffons, ressemblent quasiment tous au duo comique Lino Banfi / Alvaro Vitali.
Le résultat est aussi décapant qu'enthousiasmant - assommant diront certains mais faut pas les écouter ceux là, ce sont des grognons - en tout cas, sur 200 pages, ça produit son petit effet.
Francis Tigrone, c'est soit un electrochoc de bonne humeur, soit le rejet pur et simple de cette prose en roue libre qui semble se dégorger à l'infini.


2. LE SEXPIONNAGE, c'est de l'espionnage avec du sexe. Par exemple, imagines James Bond Contre Docteur No. Maintenant, remplaces Docteur No par Doctoresse Yes, une nymphomane mégalomane à gros parechocs qui veut conquérir le monde et qui est assisté dans sa réalisation par une tripotée de petites poulettes délurées aux incroyables mensurations faisant office de diplômes universitaires (et accessoirement d'armes de destruction massive - genre : de la silicone nucleaire ou un truc du même tonneau...)
Bref. L'espion débarque, il baise toutes les nanas et PAF ça fait capoter tous leurs plans et YOUPI le monde libre est sauvé !
Le sexpionnage, c'est donc de l'espionnage en mieux
D'AILLEURS, SI UN ÉDITEUR PASSE DANS LE COIN, QU'IL SACHE QUE J'AI ÉCRIT UN BOUQUIN DANS LE GENRE / ÇA S'APPELLE PARTOUZE LES TROUS, UNE AVENTURE DE DAN HUBBER, AGENT DE L'O.R.G.A.S.M.E. / ET C'EST SUPER (DIXIT MA MÈRE) / FIN DE LA PAUSE PROMOTIONNELLE ACCABLANTE - - - ÉCLAIRCISSEMENT DE GORGE / SAUT À LA LIGNE / RESPIRATION / DEUX POINTS :
3. LA RENCONTRE DES DEUX (Francis Tigrone + le Sexpionnage) ne pouvait donc que m'exciter. Elle eut lieu en 1974, aux Éditions et Publications Premières, les gars responsables de l'indispensable collection porno de gare Eroscope.
Tout comme Gerald Moreau et son triste P.D.G. (en 1974, tu le sais,tout le monde se kung-fu-battait), tout comme Gerald Moreau, disais-je, Tigrone y a droit à sa propre série, quelque chose dans la lignée de O.S.S.E.X. et de Cherry O. - avec la même maquette aussi : Fond blanc, rond rouge.
Le forfait se nomme B.I.S. L'acronyme signifie Bureau des Investigations Spéciales ("un organisme supra national capable de coordoner des actions à travers toute l'Europe") mais le nom en lui même fait aussi référence aux statut des deux héroïnes, Diane et Patricia, les deux sœurs jumelles.
La première, Diane, est narratrice locutrice et la seconde, Patricia, lui sert de doublure pour certains paragraphes. En quelque sorte, aux yeux du lectorat, Patricia se trouve être le bis de Diane. C'EST BEAU CE QUE J'ÉCRIS, TU TROUVE PAS ? oh merde, tu vas arrêter de nous les briser, connard ?

[...] Donc, toutes les deux sont sous les ordres de l'Ange Gardien du B.I.S., représenté en France par un certain Cousine Nelly (aucune faute de genre dans cette portion de phrase), et toutes les deux combattent le terrorisme avec leurs corps. AVEC LEURS CORPS J'TE DIS ! (bave bave bave) SCULPTURAUX ! DÉSIRABLES ! LA CONCUPISCENCE INCARNÉE (comme un ongle mais sans la douleur)
Elles le font, leur turbin, pour sauvegarder la civilisation occidentale moderne des périls du Mal sous toutes ses formes (bien entendu) mais elles le font surtout, leur turbin... elle le font surtout... (je fais durer)... elle le font surtout ...
POUR LE PLAISIR !
(AH BEN BRAVO ! MAINTENANT, J'AI HERBERT LÉONARD EN TÊTE MOI !)

4. DANS LE PREMIER ÉPISODE, LES FOLLES DU FUEL, Diane et Patricia sont chargées de PETIT UN : empêcher une série d'attentats visant des hauts dignitaires Arabes et PETIT DEUX : démasquer un mystérieux terroriste de l'Amicale (l'ennemi juré du B.I.S.) - mystérieux terroriste dont le seul signe distinctif connu de Diane et Patricia est son zizi, bouzillé sur toute sa longueur par une vipère du Gabon.
Je veux dire : ce gars, il a un serpent tatoué sur la queue. Vache de métaphore ! Nos héroïnes s'en vont donc décalotter un par un le gland de tous les terroristes qu'elles rencontrent sur leur route et, comme de bien entendu, c'est le tout dernier sur la liste qui fait l'affaire, en page 174.
De son coté, Tigrone divague un peu trop et son texte manque de punch. Il aurait du couper dans le tas, condenser, compresser - mais pas en jouant sur la taille des caractères d'imprimerie ! Si t'as le bouquin sous la pogne, ouvre-le : plus petit que ça, ya pas. Et à coté, les éditions de la Pleide, ça ressemble à la bibliothèque Rose, question lisibilité. Les amateurs de littérature de gare tirent la tronche.
Tigrone, c'est trop
.

Trop petit, trop con, trop long.

5. MAIS TROP, C'EST PAS ASSEZ. En tout cas, c'est ainsi qu'est titré le deuxième épisode de la série. Étrangement, et bien que trop ne soit pas suffisant aux dires de la couverture, Tigrone en fait moins... et c'est mieux !
J'en entends certain souffler de contentement mais les dix premières pages donnent néanmoins le ton. Tigrone sera toujours Tigrone et son Trop C'est Pas Assez s'ouvre sur dix pages de diarrhée verbale ultra-jouissive - la présentation d'un faux prêtre / vrai trafiquant de drogue et les conséquences de son arrestation manquée. C'est Ah Les Belles Carabinieres avant l'heure et c'est bien.
Comme l'écrivait San Antonio :
"il faut que la prose déjectionne sinon elle se constipe."
Et pour déjectionner, mec, ÇA DÉJECTIONNE !
Tigrone délire au lance-flamme. Il se soulage de toutes les conneries qui lui encombrent le cerveau en nous les déversant textuellement dans les deux rétines et le cablage qui suit.
Digression sur digression, idiotie sur idiotie, c'est véritablement San Antonio mais sans la reconnaissance critique.
L'intrigue n'est alors plus qu'un mince fil d'Ariane et le lecteur a l'impression d'assister au déroulement en accéléré d'un film burlesque. SOUS ACIDES ! Les personnages piaillent, s'agitent en tout sens. Le seul moyen de rendre compte de toute cette agitation serait de dresser la liste complète de tous les protagonistes apparaissant à un moment ou à un autre de l'histoire.


6. MALHEUREUSEMENT, IL FAUT CONCLURE. Je serais donc fort bref.
LES FOLLES DU FUEL, premier roman évoqué par billet, Les Folles du Fuel donc, ce n'est pas très bon. J'écrirai même : c'est à éviter - à moins d'être, comme moi, un complétiste du genre.
TROP C'EST PAS ASSEZ, deuxième roman évoqué par ce billet, c'est franchement rigolard mais c'est un peu faiblard par endroits. Vaguement conseillé, mention "à vos risques et périls". Ça reste tout de même, à mes yeux, un beau morceau.
FRANCIS TIGRONE, ou tout du moins son œuvre, c'est par contre très chaudement recommandé. Par moi-même. Et j'espère bien pouvoir ré-aborder son cas prochainement.
En attendant, une petite publicité de dos de couverture...

...et une promesse : le prochain billet concernera lui-aussi le sexpionnage avec la meilleure série du genre, j'ai nommé : Penny S !

EROSCOPE EN VRAC

AH! LES BELLES CARABINIERES, FRANCIS TIGRONE
EPP / EROSCOPE # 54, 1977

Cela faisait un sacré bout de temps que je n'avais pas parlé des petits romans de cul de la maison Eroscope et qui constitue, vous le savez probablement, mon éditeur porno favori puisque, outre leur maquette et les sublimes accroches de couvertures au dessus des titres, leur production apparait, dans l'ensemble, comme bien moins fleur bleue que du Euredif Aphrodite et étrangement plus imprévisible que le Bébé Noir / Brigandine de base, celui qui donne dans la fiction mollassonne de détective privé sexuellement actif et non pas dans le délire d'acide lysergique appliqué à la litt' pop' cochonne.

Car question substances psychotropiques, on est pas toujours à plaindre lorsque l'on s'attaque à du Eroscope. Pour preuve ce Ah Les Belles Carabinières..., recit comico-porcin signé Francis Tigrone, coureur de fond de la litt'porno fin 70 début 80 et dont je n'avais jusqu'à présent lu aucun roman.
Honte à moi car son Ah Les Belles Carabinières est un Eroscope génial, exceptionnel, éminemment grisant au point d'en oublier ses nombreux défauts.

"C'est frais, c'est bon, ça détend, ça délasse" déclare la narratrice, une gendarmette d'un pays imaginaire, embringuée sans le savoir dans une sordide affaire de prostitution.
L'intrigue est classique mais le traitement détonne. Ah Les Belles Carabinières ressemble à du théâtre de boulevard sous cocaïne. C'est grotesque, décapant et Tigrone fait preuve d'un réel talent pour ce qui est de pousser la folie furieuse dans ses derniers retranchements. Son style n'est d'ailleurs pas sans agréablement rappeler le Ricardo Vanguardia de L'Une Dans L'Autre, morceau de choix du porno de commande qui dérape dans les territoires résolument autres de la déconnade déchaînée. Le ton est naïf, excessif, décalé, l'écriture semble parfois automatique, jamais bridée - et surtout pas par des effets de bons goûts.
Bref, c'est du roman paillard par excellence. Tigrone a le verbe haut et ses personnages resplendissent d'absurdité. Ils se pourchassent, se hurlent dessus, s'exterminent et s'amourachent dans des suites de scènettes agressivement fanfaronnes. On pense aux sexy comédies italiennes. En mieux. On imagine Lino Banfi et Alvaro Vitali bouffant du lion et s'embarquant dans d'infernaux numéros de cabotinages - jusqu'à l'apoplexie finale.
Au bout de 120 pages, d'ailleurs, Tigrone montre quelques signes de faiblesses. On ne peut l'en blâmer. Il a improbablement exterminé la moitié de son casting. Le reste est occupé en grivoiseries de tout genre.

"Mon gars," lance un docteur lubrique, "les nénés, la fesse, c'est le principal. Rien de mieux. Vous m'entendez ? Rien de mieux ! La fesse avant tout ! "
Face à un tel étalage d'excentricités, le lecteur est de toute manière bel et bien terrassé, sourire aux lèvres, la bave jusqu'au menton. Le diagnostique est simple. Ah Les Belles Carabinières est une lecture porno-dingo essentielle. Je n'en dirai pas plus. Voila un roman qui va rejoindre sans plus tarder la pile des dix meilleurs Eroscope.


BROOKLYN BLUES, RICARDO VANGUARDIA
EPP / EROSCOPE # 51, 1977

De Ricardo Vanguardia, j'ai déjà, et à de très nombreuses reprises, dis beaucoup de bien. Il y eu son Paire De Femme, une découverte décapante, un polar ultra-sombre aux fondations improbables mais avec quelques grands moments et une écriture sublime derrière le masque de la commande quasi-anonyme.
Il y eu ensuite Poupées de Vinyle, qui confirmait certaines choses, comme les structures bancales et l'écriture merveilleuse mais qui gâchait une intrigue géniale à base de 33 tours kraut-noise érotiques.
Il y eu enfin L'Une Dans L'Autre, dont je vous rabâche sans cesse les oreilles et que je considère comme ma meilleure lecture porno-dingo de ses deux dernières années, juste au dessus de Ah Les Belles Carabinières.
Un bouquin fou, un peu comme si les grands humoristes de la litt'pop' anglo-saxonne percutaient les clichés du road-movie polardeux, un peu comme si John Sladek s'attaquait, à la manière de ses pastiches sur Un Garçon A Vapeur, à l'intégrale de Jim Thomson avec en fond musical le yakiti sax de Benny Hill et à la traduction l'adaptateur anonyme des presses André Guerber.
Combinaison détonante.
Il ne me restait donc plus qu'un Ricardo Vanguardia à me farcir. Brooklyn Blues, son deuxième Eroscope juste après L'Une Dans L'Autre, juste avant Paire De Femmes. je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre, déchaînement humoristique ou ambiance plombée... la seconde réponse fut la bonne. Brooklyn Blues est le bouquin avec lequel Vanguardia marqua enfin son territoire, celui d'un Série Noire parsemé de pornographie brutale pour publication alimentaire, celui du polar fantasmé par un auteur ayant trop lu de David Goodis et de Charles Williams.
Plutôt post-polar que néo-polar, donc, pour m'exprimer en terminologie snobineuse. D'ailleurs, le résumé affiche explicitement la couleur.
"Floyd Kramer. Pianiste. Tape l'ivoire dans une boite de strip-tease. Fauché. Paumé. Minable. Rien pour faire un héros."
Vanguardia ressort des rengaines fatiguées sans les dépoussiérer. Tout juste les écrit-il différemment, de façon plus moderne et pour le compte d'un éditeur de porno. C'est du Manchette licencieux, obscène, littérairement abâtardi. Le résultât est prodigieux.
Phrasé court, nerveux, excellemment rythmé, l'écriture de Brooklyn Blues est étourdissante. Qu'importe si le roman ne raconte rien de véritablement essentiel ou nouveau, qu'importe si sa structure se révèle parfois fumeuse, qu'importe si des sexes émergent de leurs futes respectifs toutes les 6 pages. Ici, le style justifie tout et il a bien raison.

"Le dégout, ils jouissent," écrit Vanguardia en page 55. Les mots tombent comme des couperets. Le lecteur ralenti la cadence. Le bouquin impose son impérieuse volonté d'être savouré signe par signe. Des choses sont racontées. Des gens meurent. La fin est légèrement tragique. Page 219, avant de faire la promotion des Eroscope à paraître prochainement, Ricardo Vanguardia se permet une courte notule biographique :
"Quoique d'expression espagnole, Ricardo Vanguardia est l'un des derniers héritiers du roman noir américain. Le depouillement, la brutalité, l'économie du langage et des sentiments, alliés à une tendresse profonde et rare, sont les pans de l'univers qu'il batit minutieusement livre après livre. Suivant L'Une Dans L'Autre, Brooklyn Blues est son second roman. Le troisieme, Carré de Femmes, sera publié l'année prochaine. Lorsqu'il n'écrit pas, Ricardo Vanguardia, qui partage sa vie entre New York, Paris et Mexico, s'adonne à ses deux autres passions : la peinture et la pêche à l'espadon."

LE GANG DES VIOLEUSES, LOPEZ JERGA
EPP / EROSCOPE # 19, 1976

De Lopez Jerga, j'avais déjà lu son second (et dernier) Eroscope, Silvia Et Ses monstres, récit agréable mais peinant à honorer les attentes du lectorat. La couverture et le résumé laissaient entrevoir un Freaks en version pornographique mais le résultât final se révélait bien trop gentillet.
Au sujet du Gang Des Violeuse, je pourrai réécrire exactement la même chose.
Titre exceptionnel, accroche de couverture totalement bis ("un commando de filles prêtes à tout pour satisfaire leurs désirs..."), sujet racoleur traité comme un fait-divers authentique... mais un texte bien trop lâche, bien trop peureux, hésitant constamment entre sérieux tragique de roman policier bien propre sur lui et délire total pour publication populaire bas de gamme.

Sur une durée de 220 pages, la sensation de cul entre deux chaise est un peu pénible. Le Gang Des Violeuses est à la fois médiocre et sympathique, en tout cas jamais mémorable, sauf pour sa conclusion anti-climatic à souhait. En effet : Jamais je n'avais vu un scribouillard de gare traiter son œuvre avec autant de désinvolture. Car il n'y a pas de conclusion. Le roman s'arrête en plein milieu d'une scène. Une phrase reste en suspens, un dialogue inachevé, comme si l'auteur disait "terminus tout le monde ! j'ai rempli mes 220 feuillets, inutile d'aller plus loin."
A noter aussi les deux pages de prologue, qui révèlent l'intégralité du récit sous la forme d'une fausse coupure de presse, avec tout de même une légère différence quant à la conclusion - un peu comme si, entre la page 6 et la page 196, Lopez Jerga avait changé d'avis sans pour autant retoucher les pages introductives à son texte.
Bref, un bel exemple de je-m'en-foutisme et un joli gâchis.


LA CHAIR DE L'ETOILE, ALAN FLOOR
EPP / EROSCOPE # 121, 1980

De Alan Floor - et bien que possédant divers de ses ouvrages en Eroscope (la série L'Innocent), en Fleuve Noir Spécial Police (Le Trucker) et même en Denoël Super Crime Club (un premier roman sous le nom de Al. P. Floor, Temps de Chiens) - je n'avais jusqu'à présent rien lu. Difficile donc de dire si La Chair De L'Etoile est représentatif de sa production.
Dans l'ensemble, et pour faire vite, l'écriture est bien foutue mais l'intrigue et son traitement sont affligeants. Le récit, qui aurait pourtant pu donner un très bon ethno-SF à la Ursula Le Guin revu et corrigé sous le prisme légèrement dépressif d'un Suragne ou d'un Jeury, se traîne en longueur. Chapitre 6, les choses semblent s'accélérer mais tout s'écroule en quelques pages. Il semble qu'Alan Floor à une histoire à raconter mais qu'il ne sait pas par quel bout la saisir.
Et puis il y a les sacro-saintes scènes porno, nécessaires pour une publication en Eroscope et casées à la va-vite, en songes ou en divagations virtuelles. Largement inutiles, elles ne font qu'alourdir un récit pourtant déjà bien mal en point. La Chair De L'Etoile ressemble à un Anticipation période fin-70, saboulé sexy à l'emporte-pièce pour honorer la commande d'une collection de cul.
Le résultât est attristant - d'autant plus qu'Alan Floor semble assez doué pour tous les protocoles de la SF moderne : le futur éclairé au néon, les conglomérats intergalactiques, les divertissements synthétiques, les intérêts économiques à grande échelle. Ça ne l'empêche pas pour autant de rater sa cible. Il va même jusqu'à faire mentir son accroche de couverture. La Chair De L'Etoile ne contient aucun rapport extra-sexuel.
Et si ce n'est pas aussi mauvais que certains Jean-Marc Ligny, c'est tout de même assez ennuyeux pour qui s'attendait à du Dominique Verseau...

BILAN FINAL
1 découverte délicieuse et épatante, 1 très bon Ricardo Vanguardia et 2 déceptions aux aboutissements plus insatisfaisants que véritablement nuls.
Bref, dans l'ensemble, une assez bonne pioche.

PDG KUNG-FU !

LE DRAGON BLANC, GERALD MOREAU
EPP / PDG KUNG-FU # 6, 1975

Prononcer - ou même ne serait-ce qu'écrire - cet intitulé de collection est une expérience jouissive. PDG KUNG-FU ! c'est aussi choucard que WARSEX. Mieux, même : c'est propice à l'imagination. C'est vrai. En lisant PDG Kung Fu sur la couverture, je pense automatiquement à un type guindé, attaché case, costume trois pièces, cravate rayée et clips en toc aux manches qui balance de furieux coups de tatanes pulvérisants à la tronche d'employés renaclants à la tache, probablement des responsables syndicaux d'obédience marxouilliste-leniniste, avant de les terminer, ces crouillats contestataires, en suite d'atemis foudroyants ponctués de petits cris stridents et de pauses acrobatiques. Et voila les prolos qui se retrouvent la face en marmelade, les os brisés et des traces de semelles clarks en gland sur tout leur bleu de travail.
Mais je m'égare.
PDG Kung-Fu, ce n'est pas ça. Pas ça du tout.
Desolé.
Primo, PDG Kung-Fu ne fut PDG Kung-Fu que pour un seul et unique numéro. Le dernier. Auparavant, il était sobrement intitulé PDG (tout court) et ne s'adonnait qu'avec parcimonie aux joies du Kung-Fu fighting en collectif.
Triste pour nous et tragique pour son éditeur qui, croyant réiterer le succés de ses Cherry O et OSSEX à adaptations trafiquées, avait lancé une nouvelle salve d'espionnage porno pop à titres jeux de mots pour finalement la voir se casser la gueule en une année top chrono (estimation personnelle) - Et ce n'était pas un malheureux KUNG-FU noir plastroné à 45° sur un gros PDG rouge qui allait sauver l'affaire... surtout au vue de la qualité du texte que la couvrante était censée emballer.
Car leur PDG Kung-Fu, les p'tits gars d'EPP (l'éditeur, donc), ils auraient tout aussi bien pu l'appeler PDG Disco, PDG Glandouille ou PDG Mademoiselle qu'on y aurait vu que du feu.
Autant t'en informer d'entrée, ami lecteur : le kung-fu, là dedans, tu n'en verra qu'à peine la couleur. Et en plus, ce ne sera même pas la bonne. Belle arnaque. Il n'y a rien qui concorde et pour enfoncer le clou, ce Dragon Blanc (titre de l'ouvrage, dois-je te le rappeler ?) ne se déroule même pas en chine... mais en Inde ! Un sacré bordel qui me rappelle vaguement le marasme géographique du Jigaï de Tibor Tibbs (même éditeur, même calvaire), dans lequel de fourbes petits chinois vicieux réalisaient des pinku-eigas japonais pour blanchir de la coke anglaise.
Mais je m'égare.
J'en vois qui s'impatientent, passons donc au resumé.
Ainsi, dans PDG Kung Fu, épisode numéro 6, Patrick Jourdan, jeune journaliste ambitieux et fils de ministre, est kidnappé en inde par une secte de bridés spécialisés dans le trafic international et sexuel d'héroïne. Je pourrai t'en dire vachement plus (et des biens bonnes) mais ça compliquerait foutrement ma tache, résumer ce bouquin n'étant pas du nanan. Bref, tout ça dure bien bon 40 pages avant que notre héros, PDG, se retrouve chargé par le papa ministre de récupérer le fiston.
Je te préviens, ne te fais pas de fausses idées, PDG, il n'est pas du tout directeur d'entreprise. L'auteur l'appelle PDG en reference à son nom. Pierre David Gall. P-D-G, t'as compris ? Heureusement qu'il a le "Gall" à la fin...
(...quoi que... PD Kung Fu, je suis sur que ça peut trouver preneur...)
Enfin bref (...) pour bien situer le gustave, PDG est une sorte de super-flic super-français, super-multimilliardaire et super-celibataire. Imaginons un peu Pat Magnum, sans sa super-pilosité faciale mais avec une encore plus grosse emphase sur le SUPER. Car on ne s'appelle pas Pierre David Gall pour rien. Épaulé d'un pareil blaze, forcé que notre mastard dégouline le super par tout les pores. Et voila l'auteur bien décidé à super nous l'affirmer en décrivant à longueur de pages et par le menu les multiples variations vestimentaires de son personnage.
Ainsi, page 46, Pierrot est "impeccable dans son complet de flanelle tabac sur un roulé beige en cashmere et chaussé de boots en chevreau de chez Céline." Page 57, on le retrouve en "complet d'alpaga tabac blond sur une chemise de soie marron." Page 80, ce sera "pantalon d'alpaga crème et [...] blazer de soie tête de nègre."
Je m'arrête là mais sachez qu'il y a largement de quoi ouvrir une rubrique rétro dans Vogue ou Harper's Bazaar. Ça ne rigole pas : Pierre David ressemble à ces publicités pour cigarettes kool, matériel hi-fi, alcools russes ou vêtements de sport qui grossissaient le contenu des Playboy dans les années 70.
Du coup, forcement, maxi-looké, Pierre David se farci de la poulette à tour de bras. C'est logique. C'est pas fringué comme une cloche que tu vas tirer ton coup, coco. Quoi que... page 61, "vêtu d'un jean effroyablement usé [...] et d'une chemise rapiécée," Pierre David se fait une hippie. Jane, qu'elle s'appelle.
Mais pendant que notre héros joue à la gravure de mode, s'essaye à l'opium dans des bouges sordides, fait quelques démonstrations de kung-fu pas trop convaincantes, rencontre son auteur dans un deus ex machina à faire palir le Kurt Vonnegut du Breakfast Du Champion (véridique), baise une asiatique karatéka, partouse dans des hôtels de luxe, boit des cocktails et allume des cigarillos, bref, pendant que PDG ne fout strictement rien, Patrick Jourdan (vous vous rappelez ? le mec qui s'est fait kidnapper et justifie toute cette intrigue ?) Patrick Jourdan donc, s'emmerde un maximum dans sa cellule.
C'est compréhensible. Moi même, je dois te l'avouer, j'étais au bord de l'assoupissement. PDG Kung-Fu, c'est tout de même 160 pages où rien, absolument rien ne se passe. Le pire, c'est que, dès la page 40 du roman, PDG sait très exactement où Patrick Jourdan est retenu en captivité (et accessoirement, violenté, torturé et traumatisé à vie) mais il préfère patienter 140 pages avant de passer à l'action.
Et là, tout bascule.
Capturé par les méchants, Pierre David et sa compagne karatéka se retrouvent bizarrement enchainés l'un à l'autre. Un piège vachement complexe au mécanisme duquel je n'ai rien compris. Faut dire qu'à ce moment là, j'étais particulièrement raide mais - si vous me permettez - je pense qu'avec ou sans alcool, l'effet est approximativement identique.
Tenez, jugez sur pièces :
"Il regarda entre ses cuisses écartées. La tête échevelée d'Ajra s'y encadraient. On aurait dit la vision d'un monstrueux accouchement. Pierre David Gall accouchant d'une femme."
(Et pour compléter le tableau, sachez bien qu'il a des pics dans le dos qui menacent de perforer nos deux tourtereaux.)
Bref, le suspense est à son comble ! Pierre David et sa copine vont-ils mourir dans une position grotesque, victime d'un piège débile ? Vais-je m'assoupir, noir comme un bucheron roumain, avant la fin de ce roman stupide ?
Non ! Car ce n'était sans compter l'ingéniosité de l'auteur (Gérald Moreau, quel homme !) qui permet à notre héros de se dégager de l'étreinte meurtrière en... se pissant dessus !
Je ne blague pas. Les difficiles de la crédulité peuvent se référer aux pages 179 et 180. Passage édifiant. Que dis-je ? Un grand moment même, bref, avis aux amateurs !
Après, par contre, une fois nos deux zozios urophiles libérés, le roman retombe dans sa morne routine de pornospionnage peu inspiré. Les méchants dealers de drogue se font contrer, les héros leur foutent une fichue branlée et l'auteur, bien pressé d'en terminer, conclut sur une note machiste du plus bel effet. Quant à moi, le roman refermé, j'étais foutrement appaisé.
Et je peux désormais te l'affirmer : PDG Kung Fu, PLUS JAMAIS !

VANGUARDIA OVERDRIVE

L'UNE DANS L'AUTRE, RICARDO VANGUARDIA
EPP / EROSCOPE # 27, 1976

Après deux romans - lus, appréciés, recommandés ici-même - j'avais l'impression de bien connaitre Ricardo Vanguardia.
À mes yeux, Vaguardia était un gars un peu frustre, traducteur le jour, écrivain malveillant la nuit, et qui produisait du série noire à l'ancienne, type années 60, violent, sans concession, un peu comme du Richard Stark caricaturé à l'extrême, pour le compte d'une collection de cul bas de gamme - étant donné que les éditeurs populaires honorables ne voulaient certainement pas monnayer ses humbles talents pour d'autres travaux que ceux d'adaptions.

D'un coté, Vanguardia écrivait donc des petit romans noirs plombés, avec une ambiance lourdement americanisé, exactement celle que l'on retrouvera plus tard chez Mazarin/Necrorian en collec' Gore - fantasmes classique d'auteur français de populaire agressif : le désert façon western moderne, la route, les rednecks incultes, la frontière mexicaine, les bars miteux dans lesquels l'aube ne pénètre jamais et puis la guerre (Corée, Vietnam) en blessure qui peine à cicatriser, la chaleur, la sueur, la crasse, la poisse, l'alcool fort.
Territoire balisé mais efficace.
Ensuite, pour convenir avec les normes éditoriales d'Eroscope, il y a le cul, que Vanguardia tartine par dessus ses intentions originelles en doses massives. Il faut que les personnages baisent, que le lectorat bande. C'est la règle.
Chez lui, heureusement, c'est bien intégré au texte et sacrement moins tarte que l'Eroscope-moyen avec ses petites hippies en pèlerinage de dépucelage extrême-oriental. Vanguardia officie dans le paragraphe coïtal misogyne et brutal. Du rapidement envoyé, mais n'empêchant pas pour autant les romans de souffrir des travers inhérents au genre porno-populaire : intrigue bancale et relâchement stylistique en deuxième tiers.

De cette dernière considération, il faut néanmoins soustraire L'Une Dans L'Autre car ici nous touchons à l'absolu de la littérature poubelle farceuse. Je m'en voudrais de verser dans l'apologie facile mais cet Eroscope, tout premier récit de Vanguardia, est certainement le meilleur bouquin que j'ai pu lire en cette année 2009.
Le lecteur attentif (y-en a-t-il ?) me dira, à juste titre, que ce n'est pas véritablement un gage de qualité - les six derniers mois du pulpbot n'ont en effet été marqués que par du Don Pendleton classique dans sa bassesse et un Regis Lary énorme dans ses excès. Et c'est d'ailleurs à Regis Lary qu'il convient ici de penser puisque L'Une Dans L'Autre est un roman ahurissant d'humour, de folie et de mauvais gout à peine contenu. Ahurissant surtout dans des velléités à brusquer les normes astreignantes du roman populaire via l'usage d'un ton bêtement grossier et trivial. Ce Vanguardia fonctionne en effet comme un pastiche de roman porno-populo, de roman noir vulgaire, de roman de mec qui ne se la raconte pas, marche droit dans ses santiags et crache en biais dans le bidet.

Le bouquin débute exactement comme Paire De Femme. West, dit Flash, dit Rock, est un ancien boxer, ancien G.I., ancien taulard, ancien routier qui se retrouve par les facéties d'un shérif belliqueux à remonter sur un ring de province. Il est censé s'allonger au quatrième round mais les doux yeux d'une blonde incendiaire lui font changer d'avis. Et le voila qui, après avoir assené un méchant K.O. à son médiocre adversaire, se fait la malle avec la pépée sur une interstate des U.S. of A.
On ne voit pas le coup venir.
L'Une Dans L'Autre ne fait que commencer. 20 pages sérieuses, on lit du Vanguardia typique puis soudain, ça bascule. Le ridicule pointe son nez d'un coup un seul et l'auteur met la gomme niveau rodomontade enjouée et hilarante.
Ainsi, après avoir baisés dans une guimbarde lancée à grande vitesse sur l'autostrade, West/Flash/Rock et sa greluche s'écrasent dans la cabane d'un néanderthalien au bulbe rachitique surnommé Folk. Un gonze pas très net, avec un gros gourdin entre les deux guiboles et l'envie de monter de gros coups foireux. Le trio se débarrasse d'une bande de hell's angels nazillards encombrants puis se lance dans une des combines minable de Folk. Le polar-porno sérieux se transforme alors en remake paillard et poilant d'une cloche et deux associés. Ou plutôt d'un de ces buddy-movie prout-prout et americanisé à la Terrence Hill et Bud Spencer. On a le grand con et le gros débile, dynamic duo par excellence de la comédie lourde qui se respecte.
Affreux, sales et méchants, nos deux gniasses se vautrent donc dans la bouffonade à longueur de pages - sans pour autant atteindre les degrés de dégénérescence ultime dans laquelle se complaisaient quelques années plus tôt et au grand dam de Marcel Duhamel Luz Inferman et La Cloduque dans la série (noire) de Pierre Siniac - à vrai dire, ces deux innommables-là sont définitivement hors compétition. Ils feraient même passer Beru et Pinuche pour deux blondes californiennes siliconées certifiées playmates de l'année.
Mais le compte Inferman/Cloduque n'est pas loin. Rock et Folk sont doués pour le pathétique de basse-cour et Vanguardia s'en donne à cœur joie dans le registre loufoque, surjouant le ridicule avec un style de haute-volée que n'auraient reniés ni Ron Goulart et ses suites infernales de situations burlesques ni Regis Lary ou Jean-Pierre Bouyxou pour le déchainement sémantique du scribouillard de gare amusé par sa propre condition.
Bref, la came est excellente.
Laissons nous donc aller aux joies de la dithyrambe immodérée et terminons par une brève mise au point enflammée.
L'Une Dans L'Autre est LE morceau de bravoure de Ricardo Vanguardia, un roman grassement licencieux et grotesquement séditieux qui s'affirme pages après pages non seulement comme un Eroscope exceptionnel (et cela à plusieurs centaines de pourcents) mais aussi comme un roman populaire à ne pas laisser moisir dans les étagères de bouquinistes et les cartons des vide-greniers de campagne sous peine de passer à coté d'un joyaux de la littérature marginale (ou inutile) foutraquement débridée et foutrement détraquée.
Et puis comment résister à un roman porno débutant par une citation de Maïakovski ?
Vous voilà prévenus.

UNE AFFAIRE D'ACCROCHE


SILVIA ET SES MONSTRES, LOPEZ JERGA
EPP / EROSCOPE # 33, 1977

Ce que je préfère dans les romans de la collection Eroscope, ce sont les quelques lignes d'accroche en couverture, juste au dessus du titre. Bien entendu, j'aime aussi leurs photographies, le logo panoramique, la typo très années septantes et même certains de leurs bouquins mais l'accroche, c'est véritablement un truc à part.
Prenez Silvia Et Ses Monstres, signé par un énigmatique Lopez Jerga.
"
Ce qui me plait chez toi, Limpito, ce n'est pas ton ardeur. Non, Madre de Dios, ce qui me plait, c'est ta bosse..."
Comment peut-on résister à ça ? Voila une accroche qui mérite pleinement son nom. Le résumé de quatrième de couv' se montre lui aussi assez prometteur et le réflexe se fait automatiquement. Deux mois passés sans Eroscope, j'étais en manque et celui-ci semblait suffisamment douteux pour combler mon petit esprit malsain.
Le résultat fut, malheureusement, en dessous de mes espérances.
Car, si Silvia Et Ses Monstres est un roman fou, de par ses intentions, il ne se montre pas particulièrement déjanté dans son déroulement. Tout au plus l'écriture de Lopez Jerga se joue d'une amusante structure en journal intime, mais le roman en lui-même n'arrive pas, et particulièrement dans sa seconde moitié, à concrétiser les attendes du lecteur.

Pourtant, Silvia, notre douce et intrépide héroïne du jour, débute sur les chapeaux de roue. Tout juste âgée de 14 ou 15 ans, dégoutée des bellâtres trop propres sur eux mais tout de même foutrement dévergondée, elle charge un borgne sadique de s'attaquer à son dépucelage. Puis viennent un travailleur populaire alcoolique et fou, un bossu débilitant et illettré, un communiste bégüe. Tous des amants hors-pairs et hors-categories.
"
Moi, ils m'attirent, ils m'excitent, ils m'attendrissent, mes pauvres tordus, et (sexuellement parlant), je jouis facilement avec eux," déclare-t-elle à son psychanalyste de famille avant de poursuivre ses expériences, optant pour une posture rousseauiste affectée.
Mais les monstres ne sont qu'entre-apperçus et les enjeux ne montent pas. Le résumé nous annonce des Jivaros réducteurs de têtes énervés. Nous n'en verrons qu'à peine la couleur. Silvia leur préfère un jongleur hippie aventureux et casse-cou. Et l'auteur préfèrera une conclusion hâtée par une mauvaise gestion de l'espace paginé. L'ambition artistique se complait difficilement dans les cadres étriqués de la littérature populaire sexy. Mais tant pis. Les deux-cent vingt pages ci-présentes sont plutôt recommandables. Lopez Jerga écrit bien. il se montre même, par endroits, plutôt drôle. Tout juste manqu
e-t-il de punch, de concision, de violence et de stupre. Mais peut être nous a-t-il réservé ce festival de voluptés viriles pour son second roman en territoires Eroscope, Le Gang Des Violeuses. Un titre prometteur et une accroche... holala, cette accroche !


POUPEES DE VINYLE, RICARDO VANGUARDIA
EPP / EROSCOPE # 132, 1980

Et puisque nous en sommes toujours aux accroches de cette géniale collection de romans pornos, que pensez-vous de "La fille jouissait en 33 tours, moi j'écoutais la voix de son maître..."
Ça, c'est Poupées De Vinyle d'un certain Ricardo Vanguardia, pseudonyme de Richard Matas. J'avais déjà, et par hasard, abordé le cas de cet auteur avec le grossier et stupéfiant Paire De Femmes mais, à l'époque, je n'en avais pas dit tout le bien que j'en pensais.
Car Vanguardia, à défaut de proposer des intrigues solides et prenantes, écrit merveilleusement bien. Nous sommes là en présence d'un auteur d'une trempe neo-polardeuse sincère et touchante, et son Poupée De Vinyle ressemble par endroits, surtout dans sa seconde partie en forme de road-movie dans la semoule, à l'inestimable RN86 de Jean Bernard Pouy.

Et puis il y a, dans ce bouquin, des phrases aussi fortes et inutiles qu'un "Je me réveillais à l'heure où les alcooliques se jettent par les fenêtres." Le génie éclot parfois au détour d'un paragraphe, mais le problème reste, encore et toujours, l'histoire. Il semble, dans Poupées De Vinyle, y en avoir une mais elle est incompréhensible, comme générée en écriture automatique, sans aucun plan préalable, avec la volonté de faire dans le nébuleux et, surtout, de frustrer toutes les attentes provoquées par l'accroche.
Car ils sont où, les disques vinyles à caractères sexuels et leur allemande qui jouit en stéréo sur un background rock proto-punk rugissant que l'on me promettait sur les rayonnages de ma librairie poussiéreuse habituelle ? Passé le premier chapitre, il n'en reste plus aucune trace, même si le résumé fait miroiter une intrigue crasseuse et alambiquée à grand coup d'un "J'étais mouillé jusqu'au coup dans une combine de disques pornos et celui qui m'avait envoyé l'enregistrement devait avoir plus d'un 33 tours dans son sac."

L'idée est exceptionnelle mais ne dépasse pas le cadre d'ébauche. C'est con, de gâcher un truc pareil. Des 33T pornographiques. Super ! Mais pas ici. Passez votre chemin ou accrochez-vous aux meubles. Le héros traduit des romans de cul pour le compte d'un éditeur minable. Il boit, il baise, il s'oublie. Le lecteur aussi mais les formulations sont agréables. Et puis Richard Matas semble en avoir marre, d'écrire ça. Probablement qu'il s'agit là de son dernier Eroscope. Alors, c'est le cul entre deux chaises. De la fesse et du personnel. Encore une fois, les ambitions littéraires ont la vie dure. Les scènes pornos se font plus calibrés, plus calculées. Vanguardia les case, à la volée, en fin de chapitre. Lapidaires et brutales, elles sont imposées sans finesse comme un tribu à payer pour être publié, coute que coute. Elle deviennent surtout mécaniques et ridicules. "
Je l'enfourchais, ma colonne de chair, prolongée d'une boule de feu palpitante, se perdit dans son ventre entre ses fesses satinées. Nos cris se confondirent. Elle aimait se faire enculer." Tout un art de la formule. Le mélange, entre volonté d'histoire décomposée, stylisée même, et abattage de chair sexuelle au kilomètre, renforce l'impression d'étrangeté. Poupées De Vinyle est un naufrage. Un roman bâtard sans aucun intérêt sauf pour ceux qui sauront s'y arrêter, perdre leur temps sur 220 pages et découvrir, si ce n'est la satisfaction littéraire, au moins une certaine curiosité.
Il me reste 5, ou peut être 6, Ricardo Vanguardia à lire, en Eroscope. Et pour rien au monde (à part la cécité), je ne manquerais ça.

(PS : petit exemple des facultés colorimétriques de mon nouveau scanner : l'étiquette de prix barrant le poupée de Poupées De Vinyles n'est pas blanche mais bien orange dans la réalité. Quant à la couverture de Silvia Et Ses Monstres, elle arbore une teinte rosée et non pas violette. Mais je vais m'appliquer à améliorer tout ça.)

LE BUCHERON DE LA BAGATELLE

JIGAÏ, TIBOR TIBBS
EPP / EROSCOPE # 41, 1977

"Chez les samouraï de celluloïd, quand la mort redevient rite et la souffrance extase ultime" claironne l'accroche de couverture pendant qu'une jeune blondinette boit du coca à la paille. Avec des arguments pareils, je suis conquis d'office. Manque de bol, Tibor Tibbs est loin d'être aussi efficace que le packaging de son bouquin.

Si l'on doit nommer le défaut principal de Jigai, outre son rythme pachydermique et mollasson (j'y reviendrais), c'est la faiblesse des fondements de son intrigue. Voila un roman dans lequel une firme Hongkongaise réalise un film érotique censée illustrer un rite samouraï, le fameux Jigaï du titre. Hé oui, Tibor Tibbs confond production cinématographique cantonaise et pinku-eiga japonais. Étant donné l'antagonisme fondamental entre ces deux pays, c'est un peu balaud.
Mais Tibbs, il s'en fout. Ce n'est pas comme si il écrivait un ouvrage de référence sur le cinéma asiatique. Ou ce genre de machins d'intellos à la con. Jigaï, c'est pour les routiers, les mecs, les vrais, avec leur virilité bien serrée dans le falzar. Car la finalité exclusive de Jigaï, c'est le cul. Le cul pour le cul, le cul non-stop, le cul 24 heure sur 24. Et à ce niveau, faut pas chippoter, Tibbs fait preuve d'un énorme zèle. Il enchaîne levrette, pattes en l'air, sodomie et fellations sans discontinuer. Une scène n'est pas encore conclue que la suivante est déjà sur les rails. Sur 220 pages, dont 190 (au bas mot) de zizi-karate à go-go, la lassitude pointe bien vite son vilain nez. Forcement. Proposer une histoire passionnante dans de pareilles conditions - avec à peine une page ou deux de disponible par chapitre, le reste étant occupé par la bagatelle à tout-va - c'est pas très facile. Mais Tibbs semble tout de même y croire, dur comme fer. Et le voila qui se transforme en coureur de fond du roman pornographique.

Ainsi, Annie, l'héroïne qui aime les sucettes, se fait sauter à Londres, part à Honk-Kong, s'y fait sauter de multiples fois, est embauchée pour tourner dans un film où des asiatiques sautent et se font sauter avant de re-gagner Londres et d'y faire sauter par inadvertance un traffic de drogue.
Consciencieux jusqu'au bout du zob, Tibbs s'assure constamment que l'histoire se déroule loin des yeux du lecteur, préférant décrire, avec une minutie confinant à l'étude macro-biologique, les divers ébats et attouchements de ses personnages interchangeables. Les filles gémissent des "vas-y, plus fort, plus vite" pendant que les bonshommes enchainent l'abecedaire des positions et, une fois arrivés à Z, s'échangent pronto leurs partenaires. On remet donc le couvert, tous en cœur, à l'abordage. Des borborygmes (ho-hoooo ou anh-haaan) rythment alors une gymkhana endiablée jusqu'à ce que tout les sexes mélangés se déversent à n'en plus finir. Ce sont des torrents de fluides, des déferlements de sperme, de la lave en fusion éclaboussant le paysage hongkongais sur des kilomètres et des kilomètres, rompant toutes les digues et allant se plaquer, en bout de course et en multiples vagues, contre les parois de vagins non-identifiés, curés et récurés, à gauche, à droite, au centre et au milieu. Stupre et tremblement ! Tibor Tibbs est en proie à une véritable fringale sexuelle mais son lecteur baille d'ennui à s'en décrocher la mâchoire et faire péter la tranche du bouquin. La braguette, ce sera pour une autre fois. Jigaï est répétitif mais pas roboratif. C'est l'équivalent porno-litteraire des bruits d'oiseaux sur les disques de nature et découverte. On y fait pas gaffe, faut même être sacrement balèze, ou tordu, pour y entendre quelque chose.
Reste tout de même quelques petits paragraphes surnageant dans le bouillon incolore et inodore, des sommets de la poésie du chauffeur-routier, aussi fulgurante que débilitante, et où de mornes coïts bridés se transforment en incroyables expériences ultra-sensorielles.
Ainsi, mon passage favori (page 124) :
"Quelle félicité lorsque la love-machine de Bob se remet en marche sans le moindre raté ! L'enivrant balancement reprend, le va-et-vient recommence, Annie s'efface quand l'homme avance, elle avance quand l'homme recule, deux bucherons accrochés aux deux extrémités de la scie sous le même arbre, deux convives qui ne cessent de se passer pain, sel, beurre, roti, plat de légumes, plateau de fromage, de verser le vin dans la coupe que tend l'autre, à charge de revanche."
C'est beau, l'amour, la gastronomie, les troncs d'arbres. Putain, ouais, c'est vraiment beau.