Affichage des articles dont le libellé est [EDITEUR] L'ARABESQUE. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est [EDITEUR] L'ARABESQUE. Afficher tous les articles

LE LABORIEUX LABEUR DU CASSEUR DE CRÂNES

LUC FERRAN CHASSE EN ÉTHIOPIE, GIL DARCY
L'ARABESQUE / ESPIONNAGE # 515, 1968

Ça débute plutôt mal, ça sonne même assez maussade. Page 29, après s'être vu assigné son ordre de mission par son chef de service le colonel Morlieux, Luc Ferran reçoit de ce dernier le conseil suivant :

"Cantonnez-vous à la recherche de la bande magnétique. Évitez de vous heurter à l'adversaire."
Évitez de vous heurter à l'adversaire, qu'il lui bonni, le vieux singe. ÉVITEZ DE VOUS HEURTER À L'ADVERSAIRE !
Mézigue, pronto, ça lui coupe le cigare de l'excitation. Car si il lit de l'espionnage, bibi, c'est justement pour la carambole, la tamponette, le rififi, la chourinade, le badaboum, la ratatouille, bref, pour la bagarre.
Faut qu'ça cogne et qu'ça saigne, qu'ça s'dérouille à pleine beigne.

Après, que l'espion se doive aussi de mettre la pogne sur une bande magnétique ultra-confidentielle contenant des informations du même acabit, pourquoi pas. Ça fait, soyons honnêtes, parti des règles du jeu. Un agent secret court toujours après des documents secrets. Nature. Sauf de nos jours. De nos jours, c'est plutôt triste. Un clic droit de souris, une pièce jointe par courriel et l'affaire est dans le sac. Rien de secret, tout se perd. Triste époque. La bande magnétique (et le micro-film), ça, ça avait de la gueule, mon pote !
Et donc, Luc Ferran est envoyé en Éthiopie pour y dégauchir une putain de bande magnétique et l'autre con lui dit : pas de ram-dam !
Mais c'était mal connaitre le gonze qui se cachait alors sous le pseudonyme de l'auteur.
Car à l'époque, Gil Darcy, c'était Roger Vlatimo - un Catalan pas très finaud, un vrai tartineur de saindoux littéraire mais qui, question asticotage d'amabilités brutales, s'imposait comme un as dans la main blême de l'espionnage populaire. Vlatimo, au même titre qu'un Ernie Clerk, qu'un Alain Page (mais sans la distanciation maligne) ou qu'un H.T. Perkins (mais uniquement lorsque ce dernier tenait la forme olympique - chose ma foi assez rare), Vlatimo aimait le barouf, la casse sanglante, les coups d'éclats qui font mal et qui sonnent durs.
Sous son égide, Luc Ferran - qui jusqu'alors n'était finalement qu'une version moins ennuyeuse mais passablement gentillette de Francis Coplan ou d'Hubert Bonnisseur de la Bath - Luc Ferran devint une sorte de super-barbouze castagneuse, "une merveilleuse machine animale obéissant à une intelligence aiguë et à une volonté d'acier. Quand les circonstances le lui imposaient, il était capable de tours de force défiant l'imagination."
Du coup, les recommandations de son patron, Luc Ferran, il s'en tartine le papillon. Et en avant pour la danse du scalp !
Par exemple, chapitre 4, ce sera l'application à un gigantesque mastard d'une ribambelle d'atémis, tobi-kéris, jun-toukis et autres até-souhés foudroyants. Ou encore, chapitre 7, la confrontation mano-a-mano avec un éléphant dressé pour écrabouiller des thorax. Ça ne vaut certes pas le requin affamé de Luc Ferran Traque Le Virus (je m'en suis déjà plaint précédemment) mais ça suffit à produire son petit effet.
Et puis, il y a aussi Aïcha Zemmour, la méchante de l'épisode, qui joue aux réincarnations de la reine de Saba et dont le "corps tout entier était un appel permanent à la volupté." Luc Ferran se rend sous sa tente pour lui distribuer une paire de mornifles mais n'a pas le temps de lui tâter les roploplos : la belle est protégée par une tribu de "collectionneurs de testicules."
Notre héros prend donc la fuite sans demander son reste, il est comme cette société capitaliste dont il défend vaillamment les intérêts : il tient précieusement à ses bourses.

Par la suite, il reviendra tout de même lui faire une petite visite, armé jusqu'aux dents et accompagné de quelques mercenaires patibulaires ("certainement pas la crème de la population") afin d'expliquer son point de vue de mec viril à toute cette bande d'amateurs de roubignoles farcies qui se trimbalent avec un os de poulet coincé dans le tarin et une plume d'autruche vissé au valseur.
Mais tout cela nous éloigne copieusement de la bande magnétique, me dira-tu... Et là, je t'arrête illico mon pote, t'as faux sur toute la ligne !
Car fort de ses rencontres musclées avec la nénette, le mastard, l'éléphant et la tribu de réducteurs d'hommes, Luc Ferran la récupérera, cette foutue bande magnétique.
Il la récupérera à la toute dernière page du roman, dans le régime de casseroles en inox qu'un quincailler Grec entassait au fin fond de son échoppe poussiéreuse de Djibouti.

Quincailler Grec qui devait très certainement fournir en cocottes-minutes et marmites en fonte la tribu des affreux jojos castrateurs afin que ces derniers puissent mitonner les joyeuses de l'homme blanc à toutes les sauces...

La boucle est donc bouclée et, histoire de retomber élégamment sur nos pattes, je conclurai en t'affirmant que oui, c'est bien en remuant la vase, en dérouillant ses ennemis, en faisant du rifle et en foutant des peignées à tout va, en bref, c'est bien en se heurtant à l'adversaire que le héros rempli sa mission... et l'auteur son bouquin... et mézigue son billet.
Ou comme l'écrivent en abrégé les agrégés : CQFD !

ESPIONNAGE AU RABAIS, DERNIÈRE DÉMARQUE...

ÉCHANGES INTERDITS, LUC BARSAC
LUC FERRAN DONNE SA LANGUE, GIL DARCY
LE FURET NE CROIT PAS AU PÈRE NOËL, E. CARTIER
ARABESQUE / ESPIONNAGE # 247, 248, 250, 1962

Comme certains hotus peuvent l'être au pari mutuel urbain, mézigue est accro à l'espionnage sixties.
Pour paraphraser Omar Sharif, l'espionnage, c'est mon dada. La preuve, ce billet est le 65ème à se voir étiqueter sous le label [GENRE] ESPIONNAGE à non-qualité certifiée 100 % Müller-Fokker Pulpbot Effect.

Tu ne me crois pas ?

Mires donc un peu à droite, gars.
En attendant, force m'est de constater que, tout comme le PMU, l'espionnage est une passion qui engendre plus de pertes que de profits.
Miser sur un tocard n'est pas une affaire courante mais plutôt une constante - ce qui n'empêche tout de même pas le passionné de dénicher parfois, et alors qu'il était fin prêt à baisser les bras, le ticket gagnant, le crack d'enfer, l'outsider du tonnerre, le canasson pas ordinaire.

Petit palmarès de mon prix de Diane personnel ? Opération à Froid de Yves Dermeze, Silence Clinique d'Eddy Ghilain, La Panthère se Rebiffe de Paul Berg, Luc Ferran Traque Le Virus de Gil Darcy.
Liste non-exhaustive, l'ami. J'en ai pas mal d'autres en réserve.

Mais faut pas non plus se la berluer. Car ce genre de coup, ça n'arrive qu'une fois sur dix. Le reste du temps, c'est de la marchandise avariée qu'il faut se tartiner, une jaffe propre à envoyer n'importe quel tartempion au refile direct.
Bon, moi, vu comment que je suis constitué et vu comment je suis enchnouffé au genre, j'arrive tout de même à y prendre mon fade dans les petites largeurs, façon période de vaches maigres, mais parfois, oui parfois, ça rate et je suis bon pour douiller une morflée bien lerchem.
Et ce fut le cas pour la pioche du jour.
Je vais donc faire vite.

Dans Échanges Interdits, le héros se nomme Jean Sauvage. Il joue du piano comme un dieu mais en réalité bosse pour la S.D.E.C.E.
Le tapotage de chopinades sur Pleytel de luxe, c'est juste une couverture. Agent Secret, c'est ça qui paye le loyer. Et sa mission du jour ?
Je lui laisse le plaisir de te l'expliquer :

"je suis chargé par les services de l'armée française de savoir pourquoi des appareils vendus en Allemagne, prêts à être démolis, se retrouvent de l'autre-côté de l'Atlantique, en parfaite santé et remis à neuf. "
200 pages plus loin, aidé par une ravissante prostituée à qui il confie toute une série de besognes avilissantes (principalement : coucher avec tous les affreux gugusses de passage pour leur extirper des secrets d'état), notre homme réussi enfin à empêcher le régime cubain de faire voler une triplette de Spitfire datant de la seconde guerre mondiale.
La belle affaire.

Sans compter que l'auteur, un certain Luc Barsac, n'est même pas capable d'épiloguer correctement et torche les 30 derniers feuillets comme le ramoli pressé d'en terminer qu'il est. Les lectrices fleurs bleues seront néanmoins heureuses puisque, à la fin, notre héros joue du piano debout pour la prostituée.
ABATTEZ-LE !
Plus palpitant est Luc Ferran Donne Sa Langue - ce qui, pour le coup, ne veut pas dire grand chose puisqu'il s'agit tout de même d'un imparable tube de somnifère littéraire.
C'est bien simple, les 80 dernières pages, je me les suis envoyées en un laborieux 200 mètres-haies, le saut de ligne devenant vite un saute de paragraphe avant de se muer en saut de pages puis de chapitres entiers. La dernière longueur rudement enquillé, le mot fin m'apporta alors un certain soulagement et pourtant, pourtant, les 50 premières pages de cette purge était foutrement prometteuses.

Penses donc : des communistes bridés, retranchés dans une jungle, façon Vietcong, mettent au point un super-rayon de la mort et partent annihiler leurs adversaires américains.
"J'ai hâte " déclare un méchant jaune page 33 à son camarade de régiment, " j'ai hâte [...] de voir nos amis capitalistes se volatiliser sous nos rayons meurtriers et imparables. "
Moi aussi, j'avais hâte mais malheureusement, je n'ai rien vu.
REMBOURSEZ !
Je termine par le moins pire : Le Furet Ne Croit Pas Au Père Noël - moins pire car, lui au moins, ne promettait rien et donc ne décevait pas. Je savais que j'allai m'y emmerder et en effet, je m'y suis emmerdé.
Poliment mais fermement.

Forcement.
C'est du Eric Cartier, c'est à dire du Claude Moliterni et, autant te l'avouer, malgré ses états de service, ce grand homme de la bande dessinée n'a jamais honoré comme il se devait la litterature de quartier.
Pire : son plus grand méfait (plus grand méfait à ce jour connu de mes services, j'entends) reste ce Étrange Mission signé Marc Jourdan et dans lequel un espion corse se débarrassait de ses ennemis en leur offrant gentiment des myrtilles imbibées à la pisse de renard malade.
Je ne déconne pas. Il faut le lire pour le croire.
Et j'irai même plus loin : après coup, ça en devient presque un bon souvenir, on se remémore le passage avec un certain ravissement : oui, il s'était enfin passé QUELQUE CHOSE dans un bouquin de Moliterni.

Mais calmons nous illico et non, ici, il ne se passera rien.
220 pages durant, notre héros le Furet et son collègue Hans Bauër du C.I.C.E. (Centre International de Contre-Espionnage) courent après une dangereuse Mata-Hari du roman de poche, Noëlle Vargas. Ils courent, ils courent et... ils courent. Et même si le Furet nous promet que " il y aura du Rififi comme dirait Auguste Le Breton..." eh bien... non.
Je fais simple : le rif', tu peux te le carrer là où je pense, et en plus, à la fin, la mère Noëlle, nos deux gustaves du C.I.C.E. n'arrivent même pas à l'alpaguer.
Bref.

Une bien belle leçon de remplissage.

220 pages pour rien. Rajoutes à ça les 440 précédentes et c'est un
coup à dégourer les plus courageux.
Conclusion ?

AU SECOURS !

FIN DE SÉRIES À L'ARABESQUE


LUC FERRAN JOUE SERRÉ, GIL DARCY
LE TOUBIB VEND LA MÈCHE, KAROL BOR
LA PANTHÈRE SE VENGE, RENÉ CHARVIN
ARABESQUE ESPIONNAGE # 605, # 606, # 607, 1969
C'est en 1969 que retomba le soufflet de l'espionnage populaire. James Bond changeait pour la première fois de visage et l'Italie mettaient en sourdine son usine à agents secrets pelliculés. 1966 et ses productions à la chaine, toutes surfant sur les recettes de Goldfinger et de Thunderball, 1966 semblait bien loin.
Fini les Ken Clark, les Lang Jeffries et les Ray Danton en ersatz du gars Connery. Fini les Margaret Lee, les Helga Liné, les Rosalba Neri en potiches joyeuses ou espionnes saphiques.
Le rideau tombait sur tout un pan de la production cinématographique, la caméra changeait d'angle.

Même constat pour le pendant littéraire de la chose. À l'époque, cinéma de quartier et romans de gare marchaient main dans la main et les petites collections mettaient la clef sous la porte.
Le public en avait marre, l'agent secret représentait désormais une valeur moribonde. Avec les mêmes motifs brodés ad-nauseum, la tapisserie ne suscitait plus qu'un paisible ennui. Les mailles se désagrégeaient et les ventes piquaient du nez. Passer à autre chose, re-moderniser le produit, devenait de plus en plus urgent.
Et avec le porno qui toquait à la porte...
Le calcul fut vite effectué.
La fin de l'année 69 marqua ainsi la reconversion des Presses Noires en Euredif et, surtout, la disparition de la SEG, du Gerfaut Sélection Espionnage et de l'Arabesque.
C'est cette dernière collection qui nous intéresse aujourd'hui. Il s'agit en effet de la plus conséquente, juste après le Fleuve Noir.
608 volumes dans le genre, since 1955 - et voila l'éditeur qui, au quatrième trimestre 1969, arrête les frais concernant les manuscrits inédits. Le reste de sa série, jusqu'au numéro final, le 620, ne fut plus constitué que de rééditions d'ouvrages déjà présents à son catalogue.
Adieu Ferran, adieu Toubib, adieu Panthère.
Le présent billet s'attarde sur leur dernière aventure publiée...


Et la dernière aventure publiée de Luc Ferran fut (si je compte bien) son cent-vingtième forfait. Le vingt-quatrieme écrit par Roger Vlatimo. Merci à Pierre Cabriot pour ces précieuses informations...
Dans cet épisode, notre héros, cet être "invulnérable comme ces héros de bandes dessinées [aux] aventures extravageantes," stationne en Italie. Il y traque les indicateurs du réseau Rosso mais semble être prit de vitesse par des agents dormants soviétiques qui pratiquent sur leur propre combine la méthode de la terre brûlée.
"On mourrait trop vite et trop facilement, à Rome, ces derniers temps."
Vlatimo ne se montre pas en très grande forme dans l'exécution de cet épisode. L'intrigue est plus proche de Luc Ferran Affronte Le Loup (Arabesque # 500) que de Luc Ferran Bouzille Du Requin À Mains Nues Après Avoir Echappé À Une Secte De Robots Fanatiques Assoifés De Sang Occidental En Plein Pacifique (Arabesque # 545). Nous sommes dans le domaine du suspense policier anti-communiste, pas dans celui de l'action a-go-go, espionnage débridé et course-poursuites endiablées inclus.
Heureusement, nous sommes tout de même à Rome. On y effectue donc ses filatures en Fiat 500 (avec, très probablement, du Franco Micalizzi dans l'auto-radio) et les nanas à gros parechocs y lisent des romans populaires Segretissimo.
Pincez-moi, je rêve !
Luc s'en envoie d'ailleurs une petite, en page 127 : "Il joua d'elle avec un art raffiné, comme d'un instrument aux multiples cordes. Ce fut assez long, savant et subtil. "
Nous ne sommes plus très loin des éditions Promodifa mais notre héros ne donne pas que dans la pastiquette de greluche, il expérimente aussi quelques classiques de la torture salingue, façon le panaché des plus grands tubes de l'OAS en goguette.
Le coup de la baignoire, que ce soit dans un caniveau puant ou dans un fleuve, et (forcement) celui de l'électrocution avec deux fils de fer et une bougie de voiture sont donc de la partie. Je pourrai citer un "ce fut assez long, savant et subtil " de circonstance mais l'auteur préfère la jouer modéré : "Ce genre de truc lui déplaisait souverainement. Il n'y recourait que contraint et forcé."
Quant au final, il n'est pas franchement satisfaisant : on y trouve quelques révélations sans grand intérêt, un duel sans la classe d'un western romain et une petite mort tragique lourdement téléphonée.
Au niveau de la littérature d'abatage, c'est toujours mieux qu'un Jean-Michel Sorel (si tu ne sais pas ce que cela signifie, tu es un homme heureux) et ça vaut la bonne moyenne des Jean Buré dans cette même collec' - mais comme dernière aventure de Luc Ferran, ce n'est pas très brillant... n'en déplaise à notre héros et son auteur :
"Il aurait aimé finir en beauté, comme ces boxeurs qui se retirent après l'ultime combat qui les consacre champions du monde."
C'est beau... et c'est vrai.
Mais reprenons sur une citation. C'est la dernière aventure du Toubib et c'est le numéro # 606 de la collection. Nous sommes en page 25 et une nana lance à notre (nouvel) héros cette jolie phrase : "Vous êtes un vrai chevalier du moyen-age et c'est Dieu qui m'a guidé vers vous."
Maintenant, rectifions. Ce n'est pas un chevalier du moyen-age mais un espion moderne. Et ce n'est pas Dieu qui le guide mais un auteur à l'inspiration vacillante.
Le héros, c'est donc le Toubib - une quinzaine d'aventures à son actif et précurseur des frasques spatio-temporelles du Docteur Alan.
La nana, c'est Choura, une jeune Turque danseuse de cabaret la nuit, étudiante le jour.
Et comme l'auteur n'est autre que Karol Bor, alias Jan de Fast, alias Jean Buré, alias un petit cochon du roman d'aventure, Choura remercie le Toubib de la façon la plus naturelle qui soit, en page 34. "Et si la sagesse des nations affirme que la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a, il n'est écrit nulle part qu'un galant homme doive se contraindre à le refuser."
Tu l'as dis bouffi !
A ce stade là de l'affaire, l'intrigue n'est pas encore lancée mais les pièces s'emmanchent peu à peu. Le Toubib est victime d'une double grosse coïncidence. Les SR Russes lui proposent un deal, la CIA essaye de le coincer. Il est aussi question d'un mysterieux carnet noir, de drogues, d'ogives nucleaires...
"Tout cela, vraiment, était bien compliqué..."
Passé un mise enroute laborieuse, Le Toubib Vend La Meche s'avere être assez sympa. On y apprend que la plupart des aventuriers ont "un fond de sybaritisme" (traduction : c'est des mecs cools) et que les Ruskoffs sont parfois "emportés par la sauvagerie atavique de l'ame Slave" (traduction : ils sont cons mais gentils.)
Les 30 dernières pages sont par contre assez ennuyeuses. Karol Bor ne sait plus quoi raconter mais faut se montrer compréhensif : tartiner du 220 pages bimestriel, rien qu'avec des truc-muches époustouflants, ce n'est pas aussi facile que ce que l'on pourrait croire.
Nature, non ?


Le petit dernier pour la route. Après l'Italie et la Turquie, voici venir la Syrie et la Lybie.
Le roman fait dans le touffu, l'intrigue est chargée. Pistes et protagonistes se bousculent et l'auteur, René Charvin, se montre très généreux.
Genereuse, l'héroïne l'est aussi. Eve Miller, dit la Panthere.
"1 metre 75, 65 kilos..., une taille de 60 centimetres, qui met en valeur les 95 centimetres du tour de hanches et une poitrine en balcon qui, avec son mètre dix de tour est un defi permanent et victorieux aux lois de la pesanteur."
Ce mec, ce n'est pas un écrivain, c'est une calculatrice qui bande.
Mais reprenons. La Panthere enquête donc à Beyrouth, y traque un politicien en pleins déboires conjugaux, puis met à jour un coup d'état fomenté par des musulmans intégristes.
"Toujours ce vieux conflit entre croix et croissant," note finement son adjoint, David Mallen, dit le Leopard, alors qu'il s'occupe à jouer les backbands dans le désert, incognito rococo dans un camp de terroristes excités.
Disons qu'il assure le quota "aventure virile" du bouquin.
Charvin noue patiemment les deux fils d'intrigue puis, arrivé à la moitié du texte, donne dans le sexy-sadisme d'après-guerre, cet ingrédient populaire qui, en 1969, repointaient le bout de son adorable tarin dans les récits d'espions à couvertures aguicheuses.
I
l faut savoir vendre sa tambouille. Du sexe et du sang.
Le résumé de quatrième de couv' promettait d'ailleurs "un véritable festival d'embuches en tous genres, de cruautés et de violences dans une ambiance plus que malsaine" et le lecteur n'en sera pas pour ses frais.
Femmes violentées, sequestrées, violées. HOURAH ! Il s'en trouve même une, de greluche, pour subir un bon vieux supplice du pal façon Cannibal Holocaust. Et comme l'explique si bien un méchant musulman en page 152 :
"Vous n'ignorez pas que la femme, plus que l'homme, offre des possibilités de raffinement dans la torture."
J'ai presque envie de re-citer Luc Ferran : "ce fut assez long, savant et subtil."
Calmons neanmoins les ardeurs des lecteures tordus du capuchon. La Panthère Se Venge n'est pas un roman gore. L'abominable y est routinier, un peu lisse, un peu fade. Rien à voir avec la complaisance d'un bouquin porno en collection Les Soudards. Tout comme le trio Vlatimo / Maury / Tremesaigues, Charvin donne dans ces petits frissons gentillets, ceux popularisés par la série des SAS, ceux propre à durcir l'entre-jambe des petits fonctionnaires en trip club-med', l'imagination molle et le bermuda tendu.
Il faut bien vivre avec son temps.
En 1969, l'espionnage se mourrait et toutes les audaces étaient bonnes pour réanimer le cadavre. Je l'expliquais plus haut, je ne vais pas y revenir.
Terminons-en donc une bonne fois pour toute avec cet ultime Panthère.
Encore une fois, il pèse 20 pages de trop. Un excès de politique internationale vulgarisée coupe les jambes à un final qu'on aurait souhaité tonitruant.
Et c'est un peu cela que je reprocherai à cette fournée du jour : j'espérai des bastons dantesques, des duels western-modernes enragés, des explosions nucléaires en technicolor super-scope et je me retrouve avec la tambouille habituelle, celle qui ne sort pas de l'ordinaire, celle qui laisse sur sa faim, celle qui appelle à refoutre le couvert.
Manque de bol. L'auberge fermait boutique. C'était la dernière tournée. Le patron calanchait, les futs s'éventaient. Elle laissera, comme beaucoup d'autres, un sévère arrière goût d'insatisfaction.
Pas grave.
Allons tituber ailleurs.

LUC FERRAN NE BOUFFE PAS DU REQUIN A TOUS LES REPAS

LUC FERRAN NE FAIT PAS DE CADEAUX, GIL DARCY
LUC FERRAN BROIE DU NOIR, GIL DARCY
ARABESQUE ESPIONNAGE 550 & 555, 1968

Il y a bien bon 6 mois de cela, j'avais encensé un roman de Roger Vilatimo, écrit sous le pseudonyme collectif de Gil Darcy et contant avec fougue et vigueur une aventure du super agent secret français Luc Ferran.
Le roman se nommait Luc Ferran Traque Le Virus et depuis lors, je l'ai élevé dans mes fantasmes de désaxé littéraire au rang de modèle idéal, de prototype fondamental et essentiel du bouquin de gare burné puisque "crystalisant en 220 pages la trop rare essence du genre : action enthousiasmante, incessant déchaînement des péripéties, exotisme poudre aux yeux, révélations improbables et coups de théâtre rocambolesques, tout cela mené crescendo vers une résolution explosive."
C'est donc empli d'une certaine fébrilité que je me suis attaqué à la lecture des deux épisodes suivants.

Le premier, Luc Ferran Ne Fait Pas De Cadeaux, démarre grosso modo là où Luc Ferran Traque Le Virus se terminait.
Notre héros quitte le Japon, prend quelques jours de vacances à Angkor Vat, rencontre furtivement un agent ennemi à Rangoon puis rentre enfin en France y effectuer l'habituelle visite dans le bureau du big boss, histoire de tâter en douce le terrain du marché de l'emploi pour barbouzes et soldats de l'ombre.
Toc toc toc, bonjour patron, quelle est donc la mission du jour ?
Et la mission du jour, c'est de retrouver un général français disparu à Rangoon, justement lorsque, tu le sentais venir, Luc Ferran y faisait un court arrêt détente.
Pour notre homme, la piste est encore toute chaude. Un plus un égale deux et tout le tremblement. Pour son patron, c'est même du tout cuit (" vous réussirez, cette fois encore, comme toujours..." affirme-t-il). Par contre, pour notre auteur, c'est une toute autre paire de manches. Il y a deux cents pages à remplir, faut donc pas fléchir.

Ainsi, le général disparu se nomme Loursain. C'est une manière comme une autre pour bien nous faire comprendre que son cas reste épineux. Mais c'est pas gagné. Car dans l'affaire de son kidnapping, au gars Loursain, c'est une bien fameuse congrégation de bras cassés et de terroristes à petit pied qui se trouve conviée. On y dégotte pèle-mêle des indépendantistes tahitiens, des étudiants marxistes soixante-huitards, un scientifique-fou allemand aux opinions anarcho-crypto-coco et quelques pulpeuses poupées venimeuses au service de (chut !!! c'est un secret, faut pas le dire !!!!!!)
Bref, pas de quoi trembler dans son bénouze, c'est du tout venant mais cela n'empêche pas Luc Ferran de foncer dans le tas comme un violent impérialiste aux muscles d'acier et à la morale bétonnée.
Il torture donc quelques jeunots léninistes et tire les femelles par le chignon en vue de leur éclater la face sur divers éléments du décors.
"Brutaliser une femme ne lui procurait jamais aucun plaisir..."

C'est con, ça, mec, c'est con !
L'auteur, quant à lui, se montre propre, efficace mais jamais génial. En effet : dans Luc Ferran Traque Le Virus, notre héros combattait à mains nues un grand requin blanc. Dans Luc Ferran Ne Fait Pas De Cadeaux, le requin est aux abonnés absents.
Ça aussi, c'est con.
D'autant plus que je vais devoir réécrire exactement la même chose pour le volume suivant, Luc Ferran Broie Du Noir...
Oui, dans Luc Ferran Broie Du Noir (titre classe et classique) il n'y a pas de requin. Et il n'y a pas non plus de secte asiatique robotisée. Ni même de femmes brutalisées.
A la place, Luc Ferran doit faire face au Scorpion Noir, un musulman illuminé qui veut convertir par la force (" Allah le veut ainsi ") les africains à l'islam.
"Un jour [...], la République Arabe Unie s'étendra de Casablanca à Téhéran, et du Caire au Cap. Ce sera la République Islamique Unie, cimentée par la foi unique des divers peuples qui la composeront."
Il est amusant de constater que, deux années plus tard, notre auteur en viendra à écrire exactement la même tambouille populaire mais destinée à un public strictement Maghrébin et sous le pseudonyme de Youcef Khader. L'espion Français était alors remplacé par un espion Arabe et l'ennemi ne se faisait plus musulman mais juif.
Quant aux requins... ah, ça... je ne pense pas qu'ils pullulent du coté de Gaza... mais je peux toujours me tromper, je suis pas doué en géographie.
Dans tous les cas, je conclu. Il se fait tard et j'ai un Penny S à terminer.
Donc :
Deux romans torchés comme dans une usine de camions 18 tonnes. C'est du bien bâti, du rutilant, ça en impose, ça fait tut-tut et la remorque est remplie jusqu'à la gueule mais ça manque de répondant.

Et de requins, aussi.
Mais ça, je crois te l'avoir déjà dit...

THE ONE AND ONLY, ROGER MAURY

Certains écrivains sont hors-normes. Certains écrivains sont même trop pour un seul homme et Roger Maury l'avait certainement compris puisqu'il multipliait les pseudonymes sans se soucier d'une quelconque logique, autre que commerciale.

Car Roger Maury était un auteur commercial au sens le plus vulgaire du terme et pourtant, malgré cela, malgré aussi son air bonhomme, sa calvitie et son embonpoint bien franchouillard, Roger Maury était mystérieux et multiple, il était pur et improbable, il symbolisait à lui tout seul la médiocrité rayonnante du roman poubelle, la nazerie absolue élevée au rang d'art alimentaire, la bêtise crasse du scribouillard heureux de s'être enfermé dans le carcan d'un style pachydermique, au service d'histoires mille fois entendues et répétées, parsemant ses chef-d'oeuvres d'une idéologie bien réactionnaire et de quelques conceptions (sur les femmes et le sexe, principalement) aussi dépassées que ridicules.
Roger Maury, je l'imagine en quelque sorte comme le personnage de Belmondo écrivain dans le film Le Magnifique - mais sans le panache et avec plus de lourdeur.
Le type esseulé devant sa machine à écrire, épuisé par un trop grand nombre de romans où les même choses ont été ressassés et livrant pourtant, en fin de course, quelques séries d'histoires à la nullité rayonnante, presque folle, sortes de concentrés du meilleur du pire de toute une carrière à se la traîner dans les tranchées de la lumpen-littérature.

Maury débute au milieu des années 60, en pleine crise d'espionnite aiguë. A cette époque, le monde entier veut des histoires d'espions. Le monde veut du James Bond et la France du OSS et du Coplan. Alors, comme la bonne centaine de ses collègues francophones qui gagnait leur croûte dans le genre, Roger Maury en écrivit, du OSS et du Coplan.
Peut être était-ce par goût, va savoir.
Dans tous les cas, il en écrivit.

Il signait de son vrai nom aux éditions Albin Michel, collection Ernie Clerk (dit Le Judoka), et sous le pseudonyme de Jacky Fray aux éditions de l'Arabesque.
Ses intrigues ne sortaient pas de l'ordinaire et évoquaient (parfois d'une façon assez poussive) les sempiternels agents russes et chinois, français et américains qui s'entre-tuent pour des secrets d'inventions spatiales, de plans d'armements hi-tech et de formules chimiques diaboliques.

Pourtant, si la trame générale se montrait assez terne, Maury mettait un point d'honneur à se déchaîner la prose en une indigeste symphonie de mots.
Lorsqu'il écrivait, il se faisait ainsi le Ronsard et le Lamartine des récits d'espionnage et agitait ses personnages comme des pantins grandiloquents, leur faisant débiter des répliques aussi péremptoires que bouffonnes.

"Le paradis des chacals est dans le ventre des vautours ! " déclare sentencieusement Louis Dundee, le héros de Cerveau Pour Un Espion, à un vil arabe qui avait tenté de le doubler.
Quelques pages plus loin, il lance à un autre : "Je suis le seul de ma race, [...], la peur et le
remord ne sont pas des freins pour un homme tel que moi. Non que je sois meilleur ou insensé, mais parce que j'ai depuis longtemps perdu tout contact avec l'humain
."

T'imagines le gars, au super-marché ou à la poste, sortir au caissier de pareils bobards ?
Et Roger Maury, qui n'avait véritablement honte de rien, de renchérir (nous faisant ainsi l'article de son héros) :
"Dundee avait tué et tuerait sans doute encore. Protégé par son indifférence, il ne pouvait être choqué par le spectacle de la mort ; tout comme les entreprises toujours plus stériles des hommes, elle ne suggérait en lui ni émoi ni pitié. Pour ce monde insensé, le passé n'avait pas été une leçon et lui, épargné par un idéal qu'il était seul à connaître, ne faisait pas corps avec l'ensemble. Il avait donc tous les droits, même celui de détruire la gangrène qui souillait la pureté de son univers secret."
C'est foncièrement grotesque, bien entendu, lourd comme du cassoulet aussi (rien de plus logique, notre homme habitait dans les environs de Toulouse), mais l'extrait résume parfaitement l'état d'esprit des premiers héros de Maury... et aussi celui de leur créateur.
Car dans son œuvre, Roger Maury semble aimer à se rejouer la publicité Charles Atlas devant un miroir. Il se transfigure à coup d'underwood en übermensch de papier, sans peur et sans pitié. Tout lui est possible et le monde n'est qu'un moustique face à sa volonté.
"Je suis un aventurier, un intriguant, un solitaire. Le sais-je moi-même ? Peut être ai-je l'esprit chevaleresque d'un redresseur de torts, ou peut être ne suis-je qu'un maniaque jaloux du bonheur d'autrui..." lance, dans Tout A Commencé A Hambourg, Bernard Perucci, dit Benny Pépé, même chose que Louis Dundee - c'est à dire un autre "avatar fictionnel de Roger Maury" - mais publié aux éditions de l'Arabesque et écrit sous le nom de Jacky Fray.

D'ailleurs, avec la fin de la collection Ernie Clerk chez Albin Michel, c'est ce dernier pseudonyme, Jacky Fray, qui va devenir la principale façade éditoriale de l'entreprise en maçonnerie littéraire Roger Maury.
Il pond 19 bouquins sous cet alias et, bien que l'on s'y cache parfois derrière les rideaux d'une fenêtre pour y trouver "l'espérance salvatrice d'une disparition fantomatique," l'ensemble stylistique s'y fait tout de même plus léger dans ses débordements de sève.
Notre homme apprend. Il travaille aussi avec d'autres auteurs maison : Roger Vlatimo, H.T. Perkins, Paul S. Nouvel.
Avec eux, il en vient à former un véritable rat-pack du spy-fiction populaire en provenance du midi de la France. Tous partagent la même conception de la litt' pop' - l'actualité au service d'un blockbuster fauché en 220 pages - et une formule s'y fait systématique : action à gogo !
Le quatuor (ou quintet, selon l'envie...) peaufine les recettes de l'espionnage à la chaîne de la fin des années 60. Vlatimo s'en sort souvent assez bien, Perkins et Nouvel sont en dents de scie mais valent parfois le détour. Maury, quant à lui, force un peu niveau arts martiaux.
Tsaï-sabaki, Shinzo-kuatsu, Maé-geri, Tsuki-age, Han-utchi-ken, Hiji-até, n'en jetez plus ! ce n'est qu'une petite séquelle de son passage chez Ernie Clerk.


Mais les modes sont ce qu'elles sont et début 1970, l'espionnage n'a plus le vent en poupe. Les collections se cachent pour mourir. L'Arabesque fout la clef sous la porte en 1971 mais Maury et ses potes fricotent déjà avec le flibustier de la presse à imprimer, le magnat de la filouterie sous couverture illustrée, j'ai nommé le grand André Guerber.
Ça magouille sec et les pseudonymes pleuvent.
HT Perkins se fait rééditer à tout va, Vlatimo bâcle du gros n'importe quoi. Maury, lui, soigne son entrée. Il garde le nom de Jacky Fray pour l'espionnage et se lance par ailleurs dans le polar de dur de chez dur sous celui de Dan Curtiss.
C'est d'ailleurs sous ce dernier pseudo qu'il signera son premier gros chef d'oeuvre populo-beauf, le multi-publié Du Plomb En Souvenir, véritable concentré de conneries viriles, pièce maîtresse du hard-boiled mogoloïdien émulant les pires travers de Mickey Spillane.
Parallèlement, il entre au Fleuve Noir avec Henri Trémesaigues (alias HT Perkins). Ils y bossent en duo sous le pseudonyme de Henri Trey et Maury, en solo sous son vrai nom. Probable qu'il était sacrement fier d'y retrouver la verve maladroitement pathétique de ses premières œuvres.
Dans tous les cas, il s'y fait plus sérieux. Le Roger Maury que j'aime pointe ailleurs.
(Freud verrait dans la phrase précédente certaines pulsions peu conventionnelles. Bordel ! Sautons plutôt une ligne car, comme le disait San Antonio, quand tu passes pour un con, passes vite.
)

Révolution sexuelle oblige, donc, le lectorat abonné aux publications bas de gamme réclame plus de cul dans ses romans de chiottes. Maury continue ainsi les idioties made in Guerber en mélangeant à son racisme anti-arabes les passages porno que l'éditeur exige.
Par exemple, dans Tu Devras Trahir, un maghrébin "petit et noiraud, au regard fuyant et à la mine rapace," (soit, en quelque sorte, le maghrébin de base dans l'œuvre de Maury) viole une gonzesse... qui, finalement, se met à bien aimer ça, la salope !
"Elle ne sut même pas cacher, en baissant ses paupières, l'instant où le plaisir la toucha."

Pour Maury, qui s'affirme de plus en plus comme le Spillane français raté, taré et moderne, le filon semble tout trouvé.
Surtout que, comme un sale feedback distordu de la première moitié des années 50 revenant en plein dans la tronche des seventies libérées, la mode est à nouveau au sadisme sexuel forcé, au rut furieux forcené, au coït de mauvais goût non censuré.
La collection Les Soudards réveille la pornographie nazie en grand format. Le polar populaire ne se conçoit plus qu'en séries brigade des moeurs et police mondaine. Gérard de Villiers s'y fait une fortune et un empire avec ses gentils SAS mais niveau viol et violence, Roger Maury l'enfonce comme une motte de beurre en plein désert.


Fin 74, il devient donc l'auteur principal d'une toute nouvelle boite d'édition, Promodifa, véritable usine en recyclage de manuscrits et producteur suprême d'inepties sexoïdes.
En effet, chez Promodifa, chaque texte se voit repensé en un rudimentaire roman porno/action débile, en une série Z à la vulgarité aussi beauf que réjouissante. Les collections se nomment Warsex, Sexpionnage, Sexpense, Mysterotic ou Crac et les titres prouvent que l'on a bien affaire à de petits rigolos.
Le Klan Du Ku, La Came Isole, Un Beau Népalais, Femmes à Varier, Bombe à la Nana, etc. Le foirage est complet et le lecteur que je suis, comblé.
Roger Vlatimo y recopie ses Luc Ferran. J'imagine que Maury y replaçait en loucedé des bouts de ses romans Fleuve Noir parus dans les collections Feu et L'Aventurier (toutes deux disparues en 73) - mais cela reste à vérifier.

En tout cas, il s'y active comme un fou-furieux du clavier.
Une bonne soixantaine-dizaine de romans sous 7 pseudonymes différents dont Jacky Fray pour l'espionnage-porno, Jo Brix pour la guerre-porno, Luc Ovono pour l'aventure-porno et Dan Curtiss pour le polar-porno - ces deux derniers faisant parfois office (avec un autre alias, Bébé Guernica) de personnages principaux pour certains des bouquins.

Promodifa marque donc aussi bien l'apogée flambarde que la décadence terminale pour Roger Maury. En dix années de carrière, ses velléités de poétiser (façon charcutier-traiteur) l'espionnage se sont depuis longtemps estompées. Compressé en 180 pages gros caractères, son style se fait désormais aussi simple que grossier. Maury scribouille au kilomètre, il n'a plus le temps de fignoler, il se sent devenir un plumitif primitif.
Du coup, forcement, ses saloperies y gagnent en efficacité louf-dingue.
Caviardés de scènettes pornos tout droit sorties d'un esprit détraqué par les clichés les plus crétins de la fiction populaire (la virginité, la pureté, le viol consentant, etc), ses récits se font surtout de plus en plus vaseux et débilitants.
Et si l'auteur se donne parfois des tons vaguement goguenards ou gouailleurs (comme il était bien souvent de règle dans la litt' pop' des années septante), il semble écrire ses conneries avec un tel sérieux que ses textes en deviennent de véritables petites perles d'humour involontaire.

Il faut lire, par exemple, Pas Si Naif Au Sinai et ses arabes aux sexes boursouflés d'excroissances dégoûtantes, qui veulent défoncer tout ce qui passe et qui ressemble vaguement à une femme.
Il faut lire aussi ses Warsex, avec ses militaires qui, entre chaque fusillade, se tapent des nymphettes nymphomanes.

En fait, IL FAUT TOUT LIRE !
Puis se mettre à baver, l'air hagard et le cervelet en compote.

Malheureusement, en 78, l'aventure Maury s'arrête net. Ou presque. Le Fleuve Noir le lâche et Promodifa disparaît. Fini Jacky Fray, Jo Brix, Dan Curtiss. Fini Roger Maury.
Seul Luc Ovono reste en piste le temps d'une dizaine de bouquins érotiques pour la collection Frivole de chez Euredif.

Enchaînement logique.
A l'orée des années 80, après plus de trente ans d'un far west éditorial où toutes les modes se firent essorées à toutes les sauces, en long, en large et de travers, la littérature populaire pour mecs n'a plus les moyens de soutenir l'aberrante production des petites collections.
Gérard de Villiers et le Fleuve Noir trusteront désormais seuls le marché de la brute éduquée. C'est l'hégémonie du qualité certifiée et du normes bon français. Bref, c'est la fin d'une époque, celle des filous et des timbrés, des photocopieurs foireux et des illuminés du sous-produit.

Roger Maury, mercenaire désaxé à la plume tordue, passa donc à la trappe, comme tant d'autres.
On est en droit de le regretter, certes, surtout si l'on est fou et maso, comme moi, mais avec sa bonne cent-cinquantaine (je vous le fais à la louche, hein!) de bouquins produits, on a encore de quoi tenir un sacré moment.
Et ça, à mes yeux, c'est une perspective foutrement réjouissante.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

PS : j'aimerai remercier les gens du forum à propos de littérature populaire pour les nombreuses informations partagées qui m'ont permit d'opérer le lien entre les divers pseudonymes de cet auteur (...et de quelques autres aussi...)
Et merci aussi à Herbulot, pour les 7 pseudonymes de Maury chez Promodifa (je le cite :
"Maury=curtiss,Ovono,Bébé Guernica,Brix,Dundé,Fray ,W Finn") et à Bibouillou qui, dans le genre, en connait un sacré paquet !
D'ailleurs, si cet article (trop long) égrène trop de conneries, merci de me (les) rectifier dans les commentaires !

DÉTOURNEMENT DE TEXTE

CHEIKH SANS ÉMISSION, ROGER VLIM
PROMODIFA / CRAC #30, 1977

Dès les premières pages, et passé un prologue inutile, j'avais comme une sensation de déjà lu - sensation qui se précisa très rapidement.
Ce Cheikh Sans Émission, signé Roger Vlim, pseudonyme de Roger Vlatimo, je l'avais en effet déjà lu. Pas sous ce titre, naturellement. Et pas en collection CRAC (super intitulé, n'est-il pas ?) des éditions Promodifa. Il s'agissait plutôt d'un roman de Gil Darcy - Luc Ferran Défie Le Diable - écrit par Vlatimo himself et publié dix ans plus tôt aux éditions de l'Arabesque.


L'original débutait par le procès à ciel ouvert d'un ingénieur français, Robert Larreu, accusé par les autorités marocaines d'avoir provoqué l'effondrement d'un barrage.
"Cette accusation d'incompétence ulcérait plus Larreu qu'elle ne l'indignait. En bon Toulousain, il avait le sang chaud et la tête près du bonnet. Il dut faire un effort pour ne pas exploser."
Retiens toi mon gars, retiens toi, la cavalerie est là. Car l'état français, flairant une grosse magouille sous cette embrouille, envoyait Luc Ferran clarifier la situation, c'est à dire : combattre pleins de méchants arabes, rencontrer trois jolies jeunes filles et dédouaner Larreu en démantelant le réseau criminel d'un vil Cheikh nommé El Chitan et qui, avec l'aide d'une bande de sales indépendantistes nord-af' montés sur un terraplane dernier cri, terrorisait les autochtones du coin.


Dans la version Promodifa, c'est tout pareil ... à quelques variations près. Vlatimo racourcit son texte ("Larreu dut faire un effort sur lui-même pour ne pas exploser. En bon Toulousain, il avait le sang chaud et la tête près du bonnet."), remplace Luc Ferran par un certain Patrice Saint-Clair (une référence au Magnifique peut être ?) et effectue du hors-piste pour caser les scènes de sexe - scènes de sexe par ailleurs assez rares, fort courtes et diantrement prudes.
Je donne les chiffres pour vous édifier :

2 accouplements et demi, dont un semi-viol et une danse du ventre, l'ensemble cumulant au total moins de 7 pages de texte et sans aucuns de nos termes porno-retro favoris. Le lecteur pervers en sera pour ses frais.
Pas de verge turgescente, pas de fente humide, pas d'imposante dague de chair pourfendant le moite fourreau d'une femelle aux abois, non, tout juste quelques vertiges sensuels, quelques désirs enfièvres et beaucoup, beaucoup, beaucoup d'ellipses.

UNE HONTE !
Il en est de même quant à la virilité du bouquin. Cheikh Sans Émission a beau se trouver publié en 1977 chez Promodifa, il n'en reste pas moins qu'il s'agit du léger remaniement d'un texte paru à la fin des années 60 aux éditions de l'Arabesque. Malgré ses retouches à la truelle, ça ressemble donc plus à de l'espionnage médiocre qu'à de la fiction couillue et débile pour amateurs de poupées girondes, de gros flingots indescement exhibés et de massacres en chaine sur fond de bande son héroïque, synthés sentencieux et drum-kits en folie.

En bref, une mauvaise pioche, tout juste sauvée (dans mon cas) par la constatation que Roger Vlatimo, en recyclant ses vieux textes pour produire de nouvelles saloperies, se montrait tout aussi filou et amusant qu'un André Guerber ou un R-G Mera.
Mais en ce mois d'Avril thématique, c'est quasiment du hors sujet.