MÉDIOCREMENT PAS ORDINAIRE

L'ANGOLA BROIE DU NOIR, NORMAN ADAMS
ÉDITIONS GALLIERA / ADAMS # 3, 1974

Après avoir lu / adoré / recommandé ici-même les aventures de Max Von Grub, diptyque fantastico-fou-furieux mêlant pour la plus grande joie d'un lectorat en mal de sensations fortes action érotique et frénétisme satanique, j'attendais beaucoup des récits de Norman Adams, l'autre série de gare petit format des éditions Galliera et qui troquaient ici leur habituel ésotérisme farfelu au profit d'un espionnage sexy-sanguinolent bien dans l'air de son temps.

Le titre donne d'ailleurs le ton, traçant sa propre lignée imaginaire sur le fil tenu des romances modernes d'aventuriers populaires. L'Angola broie du noir tout comme, avant lui, Face D'Ange (Face D'Ange Broie Du Noir, par Adam St Moore, en Fleuve Noir Espionnage), Luc Ferran (Luc Ferran Broie Du Noir, par Gil Darcy, en Arabesque Espionnage) et bien entendu le Prince Malko (SAS Broie Du Noir, par Gerard De Villier, chez Plon).
Mais ici, l'Angola n'est qu'une partie du décor. Le héros, lui, se nomme Norman Adams. Crédité comme auteur d'un texte rédigé à la troisième personne du singulier, il fait aussi office de mystère éditorial en papier mâché.
La traduction (de l'Américain) étant signée d'un certain Pierre Dimoni et les notes de bas de pages, rigolardes, inutiles, référentielles, abondant, on en tirera les conclusions qui s'imposent. Mais une petite mention de copyright interpelle tout de même : "1972 Adams and Sady Hjüsteen. Traduction française : éditions Galliéra, 1974. Titre original : ANGOLA."

On se questionne. Pour une farce, c'est pousser un peu loin le détail. Mais qu'importe l'imbroglio. Concentrons nous sur le roman - troisième aventure de Norman Adams, ici envoyé par ses employeurs les Onakandri de Mavao, une organisation secrète de super-blacks révolutionnaires, en Angola pour pouvoir témoigner des actes de barbarie dont les colons portugais font preuve envers les habitants noirs du pays.
La première partie - celle qui, justement, ne se déroule pas en Angola - est la plus interessante. Il s'agit principalement de Norman Adams trainant ses guêtres entre l'Angleterre et la France, rencontrant une prostituée très ouverte puis devenant membre d'un club de nudiste.
"Cette histoire atteignait à des sommets de baroque qui le laissaient pantois et sans souffle."
Je n'irai pas jusque là, mais l'ensemble confirme bel et bien que les productions populaires Galliéra aimaient à verser dans le farfelu et le n'importe-quoi, saupoudrant le tout de discussions gauchisantes surréalistes.

"Depuis mai 68 et la grande peur des bourgeois français" explique la prostituée à Adams, "la police est sans cesse mobilisée contre tout ce qui, dans le domaine de la réflexion politique ou philosophique, peut ébranler les assises fragiles du pouvoir actuel ou mettre en cause ses principes contestables. La liberté, même s'il s'agit de celle de lointaines peuplades noires, inquiète les autorités. Ça peut faire tache d'huile, tu comprends..."
Et de conclure par :
"On commence par les Noirs de l'Angola et on en arrive aux arabes de chez Renault !"
Ce qui, en soit, est censé nous éclairer sur les raisons de la fondation d'un club de nudiste révolutionnaire : "à quoi veux-tu reconnaitre un révolutionnaire d'un mec de droite quant ils sont tous les deux à poil ?"
Décidément, cette prostitué est impayable. Et doublement même, puisque, en sus de ses conversations politiques, elle assure aussi comme une grande la quasi-totalité des scènes pornos de ce roman - scènes partagées entre l'obligation contractuelle envers les règles du genre et les ambitions anti-conformistes de l'auteur.
"J'aime que les hommes bandent à ma vue [...]. Le désir des hommes, c'est la plus belle preuve de mon existence ! Ils bandent, donc je suis !"

Faites graver cette perle dans du marbre. Merci.

Malheureusement, arrivé aux deux-tiers du roman, la prostituée quitte la scène. Adams débarque en Angola. L'auteur, qui se rend compte de l'espace-page perdu avec ses conneries, accélère la cadence. La forme, adoptant celle du journal intime, devient brouillonne. La lecture se fait pénible. Le potentiel est gâché.
Il n'y a pas d'action, pas d'intrigue, pas d'enjeux
. On dirait un mélange non-abouti entre l'Affaire N'Gustro et un épisode lambda de SAS. Si les 100 premières pages n'avaient pas été aussi prometteuses, je n'aurai d'ailleurs même pas pris la peine de vous en causer.

C'est triste. Mais il faudra tout de même vérifier si les autres volumes de la série sont aussi décevants que cet Angola Broie Du Noir...


JEU BLANC POUR SLADEK, ALAIN LACOMBE
JEAN DULLIS EDITEUR / SANG D'ENCRE # 3, 1974

Autre série officiant dans le viril détourné et elle-aussi publiée en 1974 (décidément une année charnière en matière de post-espionnage porno gauchiste et/ou machiste), Sladek n'est probablement pas une référence (ou alors extrêmement vague) à l'auteur de l'Effet Müller-Fokker - roman par ailleurs sorti aux éditions Opta en décembre 1974.
Le Sladek du titre, David de son prénom, n'est pas un écrivain génialissime mais plutôt un tennisman professionnel qui, lorsqu'il ne fréquente pas les grands tournois, travaille en loucedé pour le compte d'une organisation secrète fondée par des scientifiques soucieux quant à l'avenir de notre planète et pratiquant donc un terrorisme écologique à grande échelle.

"Les hommes que nous avons recruté" nous explique l'un des scientifiques, "ne sont pas spécialement motivé par le problème de la pollution ; nous avons choisi des hommes qui avaient le besoin d'une seconde vie, entièrement vouée à l'action. Ils sont amenés à tuer des industriels, à voler des plans, à faire sauter des usines et que sais-je encore."

Dans Jeu Blanc Pour Sladek, notre héros proto-action directe est donc chargé de mettre fin aux activités d'un riche américain spécialisé dans le nucléaire et ayant entièrement pourri une partie du pôle nord avec ses déchets.
Le premier chapitre, froid, dur, sans fioriture, est excellent. La suite, par contre, se révèle bien moins efficace. Jeu Blanc Pour Sladek ressemble à ces bouquins des années 70 qui, tout en se conformant aux règles du genre populaire, cherchaient à les détourner à des fins stylistiques et qui, de fait, sombraient dans une certaine confusion, négligeant l'action, la logique, le sensible - en bref, négligeant tout ce qui pouvait avoir prise sur le lecteur pour mieux (?) pratiquer une autopsie un peu pataude des mécanismes de cette littérature étrange, commerciale, délirante, extrêmement libre dans ses formes et pourtant régie par des principes narratifs très stricts qu'est la littérature des super-marchés, la littérature des poubelles, la littérature des pauvres types frustres qui désirent tuer le temps en imaginant des choses hors du commun et ce, de façon extra-vulgaire.
"Cette affaire était bizarre ; pas d'enquêtes à proprement parler ; une succession de faits où l'on est toujours perdant, une chance invraisemblable qui a permis de se trouver au bon endroit, des femmes fascinantes, et des personnages brumeux. Le tout largement baigné dans une violence implacable."
Jeu Blanc Pour Sladek est donc un roman intelligent, qui s'auto-analyse constamment.
On ne lui en demandait pas tant.
On aurait même préféré le contraire. L'énergie brute, primitive, fantasmatique propre à la littérature populaire est ici absente. Le roman se déroule de façon monotone, trahit par ses ambitions, ralenti par ses réflexions.
"Au fond de lui-même, il se félicitait de l'évolution de ses aventures. Il n'était en rien l'acteur principal et pourtant, on se dirigeait lentement vers une issue."
Lentement est le mot. On espère néanmoins, de temps à autres, un sursaut, une contraction, un regain de vitalité.
Page 134, "une partouze baroque avec la mort se préparait." L'excitation est de courte durée. Un paragraphe plus loin, les mots retombent dans leur apathie naturelle. Cette fois, c'en est bien fini. Il n'y a plus rien à quoi se raccrocher.
Jeu Blanc Pour Sladek est en quelque sorte le miroir négatif des Sept Cercles de TNT. Tout ce que ce dernier réussissait avec brio, Sladek le foire tristement, s'enlisant dans un cynisme facile et des considérations fumeuses.

On est très loin de la cible fixée - cette littérature musclée de bas étage, aux aspirations peu ordinaires et aux résultantes extra-ordinaires.
On est déçu. On a raison.
On recommandera tout de même l'ouvrage aux Mitterrandiens (si il en reste encore...) : c'est en effet Élisabeth Tessier qui nous régale de ses charmes sur la couverture.

Toujours ça de pris !

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