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LES AVENTURES DE DRACULA # 2

LE PIÈGE DU DIABLE, MAX DAVE
L'HOMME DE L'AU-DELÀ, MAX DAVE
BEL-AIR / DRACULA POCKET # 5 & 6, 1966

Je continue sur ma lancée : les aventures de Dracula, volumes 5 et 6. Le résumé des épisodes précédents peut se dégauchir (beaucoup) plus bas, même blog même heure.
Dans tous les cas, j'ai eu du mal. J'ai mis du temps. Ça ne s'avale pas tout seul, les bouquins de cette petite série fantastique. Parole ! Les mecs qui torchaient ces récits devaient en tenir une sévère. DUBONNET, CINZANNO, jusqu'au ras de la glotte, la binette imbibée comme ce n'est pas permis.
AU SECOURS !

Et pourtant, le traducteur nous l'assure en page 12 du Piège du Diable :
"Je suis sûr que vos craintes résulteront sans fondement."
Mais il se trompe.
Lourdement.
Car le fondement repointe son vilain nez poilu quelques feuillets plus tard.
"Je m'approcherai de la maison du côté postérieur..." déclare un protagoniste amateur de marche à pied inversée : le cul en avant, et à reculons. Bravo !
Au registre des exploits physiques, applaudissons aussi, en page 122 du même roman, cette mort particulièrement renversante :
"Son corps fit une chute suffoquée par le tapis."
Mais cessons les galéjades. Reprenons notre sérieux. restons efficaces. Bref : résumons cette paire bouquins. Ou plutôt : inventorions-la. C'est plus simple et plus gouteux.

Ainsi, Le Piège Du Diable, tu pourra trouver : un pianiste aveugle, un garde-chasse obsédé sexuel (" je suis un animal ! " lance-t-il page 56 après un " baiser luxurieux "), un patelin paumé, un pré smaragdin, une nénette nudiste, une étrange malédiction (" le diable a joué avec nous pendant longtemps... maintenant il veut terminer la comédie...") et un canasson nommé Diablo, totalement dingo.
Rapportons aussi, pour les lecteurs pervers, une ébauche d'esquisse de rapports zoophiles entre la nénette nudiste et le canasson nommé Diablo (totalement dingo) et une tête coupée qui balance sa petite giclée de sang, page 151.
Suivant !

Le suivant, c'est L'Homme de l'Au-Delà. Nous y retrouvons Bob et Corinne, le couple héroïque du Sosie Infernal, deuxième volume des aventures de Dracula. Nous y retrouvons aussi la sphère lumineuse extraterrestre qui avait précédemment aidé Bob et Corinne à vaincre le méchant fantôme revanchard qui fabriquait des clones zombies lubrico-anarchistes au fin fond de l'écosse afin de dominer le monde.
Cette fois, Bob et Corinne font un voyage au Mexique et s'opposent à des extraterrestres " très méchants " qui vivent à l'intérieur du cratère Popocatepetl. Comme l'indique, en page 82, un gugusse amateur de CHAMPAGNE CREMANT :
" Ce furent eux qui guidèrent la cruelle civilisation Mayas jusqu'à sa destruction. Ils étaient assoiffés de sang ils voulaient des morts et des ravages."
Hélas, tout ce qu'ils ont récoltés, ce fut mon assoupissement.
Radical et bien baveux.
Je soulignerai néanmoins, pages 112 et 113, l'apparition d'un apéritif médicamenteux catalan, le BYRRH - apéritif qui tombe à pic car de tous les récits publiés dans cette collection, L'Homme de l'Au-Delà en est assurément le byrrh.
Ah ah ah ah.
Quant à savoir pourquoi je lis encore ces romans... eh bien... je ne saurais te le dire exactement... Mais pour citer je ne sais plus quel personnage secondaire du Piège du Diable :
"Il y a des mystères qui ne sont pas fait pour mon cerveau ; je les accepte et c'est tout."

LES AVENTURES DE DRACULA # 1

La journée s'annonçait merdique comme à son habitude lorsqu'au fin fond d'une bouquinerie snob des hauts de Ixelles, dans un recoin sombre et mal-entretenu comme le cul d'une rombière aux soixante-dix berges bien tassées, je me dénichais l'intégrale des Aventures de Dracula.
Quasi-intégrale plutôt, puisque le numéro # 9 pointait aux abonnés absents mais qu'importe, cette dérobade n'allait pas ternir mon embellie. Je me retrouvais enfin avec la quasi-intégrale des Aventures de Dracula dans les pognes !

Ce qui savent de quoi je cause en ont surement déjà quelques bouffées de chaleur. Pour les autres, les cavedus de la bibliophilie perverse, les attardés du roman populaire dégénéré, je vais m'empresser de développer.

Vers le milieu des années soixante, mon éditeur filou favori, André Guerber, alors exilé en Italie, lançait sur le marché français sa toute nouvelle maison d'édition : Bel-Air. L'aventure durera 5 ans, de 1963 à 1968. On y trouvait du polar (Detective Pocket), du western (Western Pocket), du photo-roman à la Satanik (Lord X) et une collection de récits d'horreur, Les Aventures de Dracula, alias Dracula Pocket, adaptations françaises des Racconti di Dracula, série soi-disant culte chez nos amis ritaux.
Comme l'écrit Sergio Bissoli : "I Racconti di Dracula, Prima Serie sono diventati rari, introvabili e i collezionisti pagano milioni per averli."
Traduzionne : c'est rare, introuvable et les collectionneurs sont prêts à débourser leurs millions pour s'en alpaguer un.
Les cons.
D'autant plus cons que ma pomme, elle s'est dégauchi la quasi-intégrale à un blot qui fait passer la conserve de cassoulpif carrouf' discount pour une tambouille de luxe servie en queue de pie chez les trois gros.
25 centimes la pièce, 2 euros 75 le pacsif.
Sur le coup, y'avait pas à dire, les misères de l'existence, je les relativisais sévère. Mais trêve d'auto-fiction. T'es pas venu pour ça et je n'ai pas que toi à foutre.
Reprenons.
Car il y a quelque chose de primordial à bien s'imprimer dans la binette au sujet de cette collection, c'est que ça a beau s'appeler Les Aventures de Dracula, du célèbre suceur de sang, Bram Stokesque, Bela Lugosesque ou encore Christopher Leesque, tu n'en apercevra pas la moindre proéminence dentaire.
Dracula ? C'est bien simple, l'est pas là, repassez plus tard.
En fait, c'est un peu comme les faits divers au père Bellemare, ceux là même qui sont compilés en bouquins pour mémés chez Albin Michel. Le Pierrot, il apparait peut être en couverture mais dans le texte, ce sont d'autres gonzes qui se font écraser par des voitures, mastiquer par des clébards ou voler par des loubards.
Mais tout le charme des Aventures de Dracula ne saurait être réduit à cet amusant subterfuge éditorial. Il se trouve ailleurs : dans le format des romans (tout fins, en 17,5 par 10,5), dans leurs couvertures clinquantes (les 4 premières sont signées James Hodges, la suite est assurée par des Italiens) et surtout dans ce style d'écriture propre aux éditions Bel-Air, cette prose si particulière qui fait qu'entre six fautes d'orthographe, trois problèmes typographiques et douze inversions grammaticales, les personnages déroulent leurs activités, demandent de l'aide à l'externe, donnent des élucidations ou encore se disent affectionnés à un endroit.

Une légende voudrait d'ailleurs que nombreux soient les professeurs de français ayant succombé à la lecture d'un roman Bel-Air - certains se sont suicidés, d'autres peuvent encore être approchés dans des asiles aux couloirs tortueux... pauvres bougres lobotomisés, victimes bavotantes d'une sous-litterature radioactive, on les reconnait à leur manie de recopier sans cesse les même passages sur les murs de leur cellule tout en essayant vainement d'en corriger les erreurs, les membres agités des tremblements spasmodiques caractéristiques d'un sevrage trop intense.


Car Les Aventures de Dracula, en plus d'être de courts bouquins mal torchés et mal traduits, sont aussi des textes qui (comme bien d'autres productions André Guerber) s'essayaient à une forme sournoise de marketing pour lecteurs alcooliques.
C'est bien simple : toutes les marques de bibine consommées par les protagonistes s'y voient inscrites en grosses lettres capitales.

CINZANO ! DUBONNET ! ZIZI COIN-COIN !
(Pardon, je m'emporte... le zizi coin-coin n'existait pas encore à l'époque...)
Enfin, bref, t'as compris le truc. Et moi j'ai soif. Pour citer Roger Duchesne dans son grand classique Faut Les Avoir Accrochées, ce billet, c'est "un véritable chemin de croix avec la différence que c'est ma soif que je traine, moi."
Mais reprenons. Bis répétita.
Et attaquons nous méthodiquement aux quatre premiers romans parus dans cette collection.


TERREUR AU CHATEAU, MAX DAVE
ÉDITIONS BEL-AIR / DRACULA POCKET # 1, 1966

Une marquise recluse, Alba d'Aragon, invite dans sa demeure, un château perdu au fin fond de la campagne anglaise, ses héritiers afin de leur faire part de ses décisions testamentaires.
Mais la nuit venue, le château est en proie à une série d'événements étranges. Les pleurs d'une mystérieuse petite fille raisonnent en écho dans ses couloirs et certains héritiers en viennent à décéder violemment. Il y a ceux qui meurent de peur et ceux qui chutent d'une corniche après leur promenade digestive.
Chouette ambiance !
D'autant plus que Gustave, le majordome, semble connaitre la vérité mais préfère ne rien dire. Albert, un héritier malpoli, le soupçonne d'ailleurs de vouloir faire main basse sur le magot.
Et pendant ce temps, Grant joue aux échecs, Georges et Betty s'aiment tendrement et Charles, le seul non jean-foutre du coin, mène l'enquête à la vitesse d'un escargot de course.


Comme entrée en matière dans la collection, voila une Terreur au Château fort peu folichonne. Toutes les tares du roman Bel-Air s'y trouvent concentrées (récit idiot, remplissage de paragraphe éhonté, personnages sans saveur, confusions en tout genre et tournures de phrases aussi confuses que l'esprit d'un dyslexique saoul...) et pourtant, on ne s'y amuse pas un seul instant.
La faute à cette histoire à dormir debout, mollement raconté, souffrant d'un rythme apathique et d'une absence totale d'excès. Du sang, de la folie, des monstres et du sexe ? Non, juste deux pauvres fantômes au désir de vengeance pas très clair...
Reste, heureusement pour nous, cette marque de fabrique Bel-Air : les publicités pour boissons alcoolisées intégrées au récit. Ici, c'est DUBONNET qui est chouchouté - même si, page 11, le CHAMPAGNE CREMANT est brièvement évoqué et qu'en page 95, un petit CINZANO se fait déguster.
SANTÉ !


LE SOSIE INFERNAL, MAX DAVE
ÉDITIONS BEL-AIR / DRACULA POCKET # 2, 1966

Cette fois-ci, par contre, c'est la bonne. Le moteur à conneries est lancé.
"Peut-il un homme faire la copie exacte de lui-même ? " demande une quatrième de couv' aussi - hips - noire que son fond est rouge.
"Peut-il un roman faire mieux que le précédent ? " ai-je envie de rajouter, en ouvrant - prost ! - une nouvelle KAISER PREMIUM BEER. Et la réponse ne se fait pas attendre. Elle est affirmative. On le sent dès la première page : Le Sosie Infernal sera aussi atterrant qu'enthousiasmant.
Un régal faisandé. Une pâtée pour fin gourmet.


Le héros de cette histoire, narrateur première personne du singulier, se nomme Robert. Bob pour les intimes. Alors qu'il se remet difficilement d'une douloureuse rupture sentimentale ("c'était une petite putain, pourtant j'étais amoureux d'elle..."), le voila qui est contacté par son vieil ami Martin Hogarth, un scientifique qui procède à d'étranges expériences dans son château des Highlands écossaises.
Bob s'empresse donc de rejoindre Martin, visite son labo ("mais c'est un laboratoire atomique - dis-je abasourdi."), y retrouve d'anciennes connaissances, se verse une petite rasade de ZINZANO (sic) BLANCO et, surtout, y apprend avec effarement les recherches auxquelles s'adonne désormais son vieux pote : le clonage !
Ou plutôt, comme cela est écrit dans ce roman : la copie d'êtres humains.
Copies d'êtres humains qui, comme de bien entendu, vont dévier et devenir mauvais. Mais si l'on s'imagine la suite prévisible, c'est sans compter ce gros plaisantin de Max Dave qui, passé le premier tiers de son œuvre, fait apparaitre un esprit maléfique, le fantôme revanchard d'un ancien châtelain, une saleté d'ectoplasme qui souhaite dominer le monde et compte y parvenir en dirigeant une armée de clones.
"Je me sentis suffoquer; le programme de cet être diabolique, invisible, était trop clair; créer une quantité de sosie à en faire un bataillon d'assassins."
Retournement aussi ahurissant que crétin. Et la suite tient le rythme. Max Dave en oublie même d'exécuter le traditionnel numéro des histoires de clone (lorsqu'une copie en arrive à remplacer l'original sans que l'entourage de ce dernier ne s'en rende compte), préférant agiter ses sosies comme de vulgaires zombies.
Pas de finesse, pas de subtilité. Que du bonheur pour les esprits mongoloïdés à la sous-contre-culture que nous sommes.

Notons, en guise de conclusion que le personnage principal et sa compagne réapparaitront dans le numéro # 6 des Aventures de Dracula, L'Homme de l'Au-Dela, pour y éclaircir un mystère resté en suspend à la fin de ce roman, celui du feu follet qui aide le héros à combattre le vilain fantôme...


LES LOUPS DE LA VIOLENCE, MICHAEL SHIOLY
ÉDITIONS BEL-AIR / DRACULA POCKET # 3, 1966

Volume le plus atypique de toute la série puisque bien écrit et mené en main de maitre, Les Loups de la Violence n'aurait certainement pas dépareillé dans la collection Angoisse des éditions du Fleuve Noir.
Rien à voir avec votre Bel-Air habituel. Même le DUBONNET et le CINZANO n'y jouent qu'un tout petit rôle - certainement casés à la va-vite et après redaction par l'éditeur.
Aurait-on, du coup, non pas affaire à une traduction empressée d'un roman italien mais bien à un texte fourni par un auteur français ? C'est ce que semble affirmer Claude Herbulot sur le forum À Propos De Littérature Populaire, donnant par là même le nom de Guy de Wargny comme signataire de ce Loups de la Violence.
Difficile d'ailleurs d'en douter en lisant, chapitre deux, cette description saisissante d'un château (encore et toujours) écossais :
"Nous avons devant nous les éléments les plus contrastant de la vie même, sans le secours d'une figure... sans fiction, ni la présence d'un être vivant ! De la misère qui couve dans l'obscurité méphitique de la Vallée Noire, à la splendeur d'une aspiration atteinte, comme les tours du château qui font un déluge de lumière..."
Nous sommes loin, très loin, du scribouillage malhabile auquel les éditions Bel-Air nous ont habituées. Et il en est de même pour l'intrigue, prenante et adroitement menée, opposant dans une région en proie aux superstitions deux couples d'amis un tantinet bohème à une femme vampire à la beauté fascinante.
La première partie est excellente, la suite manque vaguement d'entrain et le final recourt à la figure fatiguée du rêve prémonitoire mais le tout s'affirme néanmoins comme un fort beau roman de fantastique populaire.
Avis aux amateurs : ces loups de la violence sont véritablement à redécouvrir !


LE MONSTRE DE PRESTON, MAX DAVE
ÉDITIONS BEL-AIR / DRACULA POCKET # 4, 1966

Le grand retour de Max Dave après l'interlude de Wargny et c'est encore une fois l'écosse, sa campagne, ses châteaux et ses affaires d'héritages qui sont à l'honneur.
Maintenant, soyons clair et faisons vite.
De cette première fournée de quatre titres, Le Monstre de Preston constitue la lecture la plus éprouvante. L'auteur semble même s'en rendre compte - c'est dire ! - puisqu'il fait prononcer par le narrateur ce terrible aveu :

"Je dois vous confesser n'être pas très capable de raconter des histoires, même si cette nuit, j'ai décidé de le faire !"
Du fait, cette histoire, nous ne la comprendrons jamais vraiment. Inutile que je résume. Le Monstre de Preston, c'est 160 pages d'une confusion totale, sans enjeux, sans tension, sans aucun rebondissement et que l'auteur tentera en vain d'éclaircir en faisant appel à cette fameuse substance illicite qu'est le haschich.
"Un terrible stupéfiant qui, s'il est fumé, peut provoquer des cauchemars terribles à ceux qui ne sont pas habitués à son usage !"
Bref, rien à voir avec la joyeuse crétinerie du Sosie Infernal. Rien à voir non plus avec cette agréable surprise qu'était Les Loups de la Violence. On en vient même à regretter l'ennui poli du Château de la terreur. C'est dire si ce Monstre de Preston est à éviter...

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La suite des Aventures de Dracula le mois prochain avec les numéros # 5, 6 et 7 de la série : Le Piege du Diable, L'Homme de l'Au-Dela et... Le Chat Noir (!!!)

Ah, c'était vraiment des p'tits rigolos, les mecs de chez Bel-Air !

(et un précédent billet concernant le consternant numéro # 11 peut être ligoté ici :
http://muller-fokker.blogspot.com/2008/09/la-maldiction-de-nostrablairus.html)

LES AVENTURES (PAS TROP) FANTASTIQUES DE VICTOR VINCENT

Le Capitaine Ricardo, ça c'est du Belge ! Du début des années 40 à la fin des sixties, ce nom (qui cachait très certainement une équipe de besogneux à la plume véloce) produisit de la romance pauvrement populaire dans tous les azimuts du genre. C'était l'époque où la Belgique croulait sous le fascicule en 32 pages, 13 par 19 centimètres et imprimé sur papier toilette.
Il y avait les Récits Express de Sacha Ivanov ("Éditions Erasmus, tous les jeudis !") ou l'hebdomadaire des grand récits de Spirou (éditions Dupuis) mais celui qui tenait le haut du pavé, c'était bien évidement le Capitaine Ricardo.
Il était partout, infatigable, inépuisable, increvable.

" EXCELSIOR ! " claironnait-il via le fan-club de ses jeunes lecteurs, 20 à 30 ans avant Stan Lee. Et hop ! Il pondait trois à quatre nouveaux fascicules aux couvertures souvent illustrées par Fred Funcken, dessineux bien connu des amateurs des bédé de cape et d'épée.

Pour les hommes, c'était les Aventures de Victor Vincent, Le Capitaine Ricardo Raconte Une Aventure, Les Nouvelles Aventures de Victor Vincent et divers autres choses encore non identifiées.
Pour les dames, le capitaine se débarrassait de son titre et, redevenant tout simplement Ricardo (" votre écrivain préféré "), il offrait aux poulettes avides de sentiments sirupeux les Contes du Coeur ou Les Romans D'Amour... avant de tardivement s'essayer à un érotisme perclus de rhumatismes dans la Collection Amour - des bouquins de 112 pages propres à faire passer la production olé-olé de l'Arabesque pour de véritables défouloirs ultra-pornographiques.

Mais concentrons nous plutôt sur ses romans pour jeunes garçons. Dans ce genre bien défini, le Capitaine Ricardo éclectisait à tout va, transformant les récits de son héros Belge Victor Vincent en une douce auberge espagnole.
Cow-boys, incas, hindoux, gangsters, cannibales, trappeurs, savants fous, fauves exotiques, détectives privées et demoiselles en détresse. Prends-en une poignée et tu verra : ça se bouscule au portillon.
Ça respire la litterature populaire industrialisé comme on l'aime !

Bien entendu, à l'arrivée, le résultat est bien moins folichon que ce que tu serai en droit d'espérer. Le Capitaine Ricardo, ce n'est ni du Paul D'Ivoi, ni du José Moselli, ni du Albert Bonneau et, à moins d'avoir 12 ans et d'être scout et niais (ou bien d'avoir 95 ans et d'être nostalgique et gâteux), Les Nouvelles Aventures de Victor Vincent, ça ne te bouleversera pas énormément le cervelet.




Et pourtant, un Capitaine Ricardo reste toujours une lecture, si ce n'est plaisante, en tout cas amusante. Le format aide : ça pèse 32 pages et ça se torche en moins d'une demi-heure, pauses comprises. Mais surtout, à tirer dans tous les sens, le Capitaine en arrive à satisfaire tous les goûts.
Par exemple, en ce moment, j'aime lire du fantastique. Des histoires de monstres terrifiants, de châteaux écossais, de sorcières grimaçantes, de bossus sadiques... Et, comme de bien entendu, le Capitaine Ricardo en propose. Du fantastique à 5 francs belge la dose. Je m'en suis donc ligoté cinq d'affilé, dans ce genre précis, mais je ne vais pas faire dans le détail.
Car le fantastique, chez Ricardo, ce n'est pas celui des maitres du genre arpentant les brumes de la mer du nord ou les songes fiévreux d'une nuit des masques à Ostende. Pas du tout. C'est plutôt celui du Scooby-Doo d'Hanna-Barbera.
D'abord, parce que nos héros (Victor, Jenny, Morrison et Épervier Volant l'indien) semblent débarquer tout droit du Mystery Van. Ensuite - et surtout - parce que c'est du fantastique aseptisé. La possibilité d'événements extraordinaires est constamment niée avant de se voir résumé dans la conclusion en une ridicule mascarade d'une bande de mécréant qui ne visait qu'à récupérer un héritage ou se débarrasser d'un voisin trop encombrant.
"Nous avons affaire ici à un bandit, qui exploite vos superstition pour perpétrer ses crimes à son aise " affirme à raison Victor Vincent dans Le Spectre de L'Étalon Blanc.
Bref : pas de monstre, pas de malédiction. Juste un déguisement, du maquillage et une habile mise en scène que nos héros mettront à nue dans les derniers paragraphes de chaque fascicule.
"Voila [...] le mystère est éclaircit. " Et c'est tout.
Ce qui n'empêche néanmoins pas le baston d'éclater.

"Hell ! Gare au body osseux du fantôme, si jamais il me tombe sous la main ! Damned ! Je le renverrai dans le royaume des ténèbres, à l'aide de quelques uppercuts bien placés !"
...hurle Morrison dans l'Horrible Terreur... et dans son style inimitable !
Car, et c'est là le plus grand plaisir que puisse constituer la lecture d'un Capitaine Ricardo, les personnages causent en franglais.

Yes, mille diables !
Plus vite, by Jove ! Hell and Devil ! Gare à l'arret brusque, my boy ! Explique-toi, the devil ! Good, by June ! Nous sommes cuits ! Go on, damned !, le tout ponctué par deux savoureuses exceptions censées mieux caractériser nos héros :
Ainsi, ce bon vieil apache d'Épervier Volant aime à déclarer " HUGH ! " en toute circonstance et Victor Vincent, Belge de naissance, ne se départi jamais de son classique beuglement...
"MILLE MILLIONS DE TONNERRES !"
... beuglement qui, en guise de conclusion, ne saurait mieux tomber car, good bon diou d'good god, je n'ai nothing de plus à vous bonnir tonight, les mates !

LE PORTE-CLÉ DES SONGES, PAR KURT DUPONT

Inutile de présenter Kurt Dupont. Tout le monde le connait. C'est André Ruellan sous pseudonyme. Un Kurt ne trompe pas. Deux Kurt rassurent. Trois Kurt et c'est le bonheur. Dupont exista de 1962 à 1970. Sous ce nom furent écrit des textes pour la presse, principalement Hara-Kiri... à quelques exceptions près - comme ce Petit Manuel du Savoir Dormir, paru dans le numéro hiver 67 de V Magazine et illustré par Jean-Claude Forest.
Un guide essentiel pour ne pas se perdre dans ses rêves - les prévoir, les optimiser, les rentabiliser. Tous les trucs et astuces - une somme d'informations sans précèdent sur le tourisme onirique (et plus si affinités).

Comme la plupart des textes de Dupont, il s'agit là d'une toute petite rareté. Rien d'exceptionnel : Le Porte-Clé Des Songes a en effet connu une réédition en 1999 dans le pavé Fleuve Noir / Bibliothèque du Fantastique consacré à André Ruellan... mais malheureusement sans les illustrations du papa de Barbarella.
Houuu ! La honte !
Bref. Coupons court. J'ai un rêve à prendre. Voici donc, pour ceux que ça intéresse, la version originale du bidule - et inutile de me remercier, j'ai l'âme généreuse. D'autant plus que ma connexion internet clandestine carbure au jus de taureau depuis le début de la soirée... s'agirait peut être pas de s'en priver !






Et tant qu'on y est, l'illustration de première page, mais en version dé-négativée...
Ah ! Quel homme, ce Forest !

IL DÉMEMBRA LE MONDE DE SES MAINS

LES QUATRIÈMES DEMEURES, RAPHAËL LAFFERTY
OPTA / ANTI-MONDES, 1973

Je venais de terminer la lecture d'un mauvais roman d'espionnage et je m'apprêtais à écrire un énième billet sur la série l'Exécuteur lorsque je me senti pris d'une drôle d'humeur. Quelque chose clochait et ce n'était pas un 33 tours des Revolting Cocks qui allaient me remettre sur la piste.
J'ouvre donc une Schulten Bräu 50 centilitres 75 centimes
. Passe à Public Image Limited (Paris au printemps). Remarque un post
La Louve Solitaire dans ma bloglist. Ouvre une autre Schulten. Décide alors de reporter l'Exécuteur à une date ultérieure.
La bière et les dissonances de Keith Levene m'évoquant bizarrement Raphaël Aloysius Lafferty, je me disais que c'était peut être le bon moment pour causer de cet alcoolique céleste, de ce réactionnaire occulte, de cet auteur de science fiction iconoclaste, honteusement boudé par le public (français, anglais, reste du monde) alors que la grande mode de l'époque était justement à la science-fiction iconoclaste.


"Normal. On entre pas facilement dans l'univers de Lafferty" déclarait Michel Demuth à Yves Fremion dans Actuel # 46 spécial Parano de septembre 74 avant de nous détailler quelques aspects farfelus du bonhomme :
"Quand tu rentre chez lui, gros choc : sa baraque est tapissée toute entière d'images de la Vierge et de Jésus, des centaines, des bondieuseries, des images de missel. Il y a un coté mystérieux chez lui, on suppose qu'il est marié comme l'annonce la plaque sur la porte, mais il est seul avec sa petite réserve de biere dans le réfrigérateur. Son bled se situe déjà un peu dans le Sud, avec ses maisons à colonnettes et le rocking-chair ou le hamac qui se balance. Il n'écrit que le matin, une heure ou deux, et il va se balader."
L'année suivante, avec la traduction de Dangereuses Visions chez J'ai Lu, c'était Harlan Ellison, le pape de la New-Thing, qui informait le lectorat français du péril intellectuel que représentait Lafferty ... en laissant la parole au principal intéressé :
"Que peut dire un homme de lui-même ? Jamais les choses importantes. J'ai beaucoup bu pendant quelques années et y ai renoncé il y a six ans. Ça a laissé un vide : quand on abandonne la compagnie des buveurs les plus intéressants on renonce à quelque chose de pittoresque et de fantastique. Alors j'y ai substitué la science-fiction. Une chose que j'ai lue dans un des magazines m'a donné l'impression stupide que la science-fiction devait être facile à écrire. C'est faux, pour moi. Je n'ai pas été nourri de la chose comme la plus part des écrivains de ce genre semble l'avoir été."
Mais Lafferty écrivait-il réellement de la science-fiction ? Tout au plus y ouvrait-il des brèches. Disons même qu'il en élargissait le champ des possibles. Un peu comme le Sladek de L'Effet Müller-Fokker, le Delany de Vice Versa ou encore le Moorcock de La Défonce Glogauer - mais pas exactement comme le Ballard de La Foire Aux Atrocités - (pour tracer une ligne imaginaire sur les back-links de ce blog) - Lafferty donnait à lire des hypothèses de fictions. Il expérimentait son chaos réfléchi sur un territoire balisé, mort-vivant, comme en animation suspendue : la littérature populaire - la littérature tout court - l'art. Les trois en un.
Le texte est un bâtiment, la langue un échafaudage. Chaque appartement est un récit. Il suffit d'enfoncer un mur pour bouleverser les choses.
C'est la science-fiction vue comme la science de la fiction, cet infini de l'art narratif malheureusement trop tôt abandonné au profit du démembrement du corps du délit et de la labelisation en sous-genre réducteurs des quelques menus morceaux récupérés sur le cadavre.
La Science-Fiction.


"Dans cette ample structure, chaque chose avait sa raison d'être" écrit Lafferty dans Les Quatrièmes Demeures, son roman le plus fameux. "Un roman beaucoup plus intéressant que tout ce que l'on peut en dire" affirmait très justement Jacques Sadoul dans son Histoire De La Science-Fiction Moderne. Et notait aussi : "Il est à peu près impossible d'en résumer le thème en moins de mots que n'en compte le roman !"
Ce qui n'est pas tout à fait faux.
Chez Lafferty, chaque paragraphe cache une à deux subtilités. Sur les 270 pages que compte Les Quatrièmes Demeures en édition Opta, avouons que l'ensemble laisse entrevoir un sacré paquet de lignes à déchiffrer, à décoder, à digérer. Gaffe à ne pas choper la migraine - ce trouble intestinal du cervelet.

Car Lafferty pète la culture comme un champion dopé aux anabolisants pète la santé. Sa prose est une course à overdrive déclenché dans laquelle il se fait l'artisan précieux d'une littérature aussi primitive que fulgurante : l'auberge espagnole de la fiction.
Pourtant, Les Quatrièmes Demeures est aussi simple qu'un roman de Ron Goulart. C'est ni plus ni moins qu'un jeu de l'oie dont le pion se nommerait Fred Foley.
Fred Foley. Freddy Foley. Un individu insignifiant, journaliste de son état.
"Toute sa vie, les gens avaient donné à Freddy Foley, qui ne demandait rien, des choses de valeur : cadeaux, pouvoirs, vies, mondes, secrets."
Et voila Lafferty qui lui offre une fiction dont il est le héros - héros aussi absurde qu'improbable - exactement comme si Charlie Brown, transporté dans un roman de Raymond Chandler, se voyait confronté aux techniques modernes d'une magie noire de la révolution, du chaos et de l'ambition.
"Il se peut que tu sois assez bête pour arriver jusqu'au bout."
Ainsi, lancé dans les cordes comme un vieux chiffon inutile, Freddy traque des mystères de série b, des ectoplasmes socio-politiques, des sociétés secrètes lénifiantes, des lieux sacrés terrifiants, renfermant en leur sein diverses bestioles magiques. Et tout cela sur la carte / territoire d'une Amérique down-to-earth, exactement la même que celle du American Gods de Neil Gaiman : un cliché qui prend vie et racine dans le fantasme.
Lafferty, pendant ce temps, dégote une idée à la minute. Les Quatrièmes Demeures est la matrice d'un pavé de 6000 pages qui ne pourra exister que dans nos rêves éthyliques ou dans nos comas acides.
"[...] nous avons eu une poignée d'hurluberlus qui croyaient que les mots et les phrases qu'on voit sur les gaufrettes formaient un code diabolique envoyé du Tibet par un génie du mal."
Mais qu'importe les à-cotés, les fulgurances à la déjante furieuses, Freddy Foley poursuit son petit bonhomme de chemin. Il n'enquête pas à proprement parler, il est plutôt mis en présence des éléments qu'il doit combattre par la main invisible de l'auteur. Un mot se matérialise dans la poche de sa veste et lui donne rendez-vous avec la suite de ses aventure. Suivez la numérotation des pages. Le chemin est balisé mais, attention, il est semé d'embuches. Il ne suffit pas de plonger, il faut aussi savoir s'en imbiber. Concentration totale. Car si le héros est une marionnette, il est (oh !) la marionnette d'une folie lucide qui, entre chaque effet de manche, raconte quelque chose de profondément intéressant et d'implacablement puissant. Par exemple... les ambitions avortées... ou les révoltes inutiles... ou encore la décadence de la modernité...
...Et peut être bien qu'il y est question à un moment ou à un autre de la fin du monde et du renouvellement de l'abonnement.

Bien entendu, j'imagine que certains lecteurs (la majorité ?) seront facilement désarçonnés en moins de 60 pages par ce gigantesque foutoir, par tous les manquements faits à la narration classique, par le malin plaisir que Lafferty semble prendre à se moquer de nos attentes, par sa manie de tout éluder, de ne jamais s'appesantir sur une scène et de s'échiner à raconter les choses de manière différente.
C'est un labyrinthe. On s'y paume. Beaucoup.
Mais le jeu en vaut la chandelle. Car Les Quatrièmes Demeures est un livre qui rayonne la créativité pure et exhale une sensibilité unique. Celle des parcours effectués à l'aveuglette.
Forcement : Lafferty était un explorateur fantasque ; "lâchez-moi dans une ville inconnue et en huit jours j'en aurai exploré à pied chaque centimètre carré."

Combien de lectures des Quatrièmes Demeures pour véritablement y récupérer et en intégrer l'essentiel ? Trois ? Huit ? Ou bien s'agit-il d'un chiffre incalculable ?
Essayez voir. Le bouquin vient justement d'être réédité en France. Il est l'heure de lui donner une nouvelle chance.

IL ETAIT UNE FOI...











Une très jolie bande parue en France dans Creepy (nouvelle série) # 4 (1978 / les éditions du Triton.) Ici, le scenario de Bill Dubay et la période de Noël ne sont que vagues prétextes à l'exercice du trait aussi délicat que délicieux de José Ortiz.
Du noir, du blanc, des démons. Gustave Doré chez Warren publishing.

Quant à votre serviteur (fourbu), il n'a rien de plus à dire. Il la fera donc courte : prends ton pied, bébé, la came est bonne.

JEAN ROLLIN ET LA LITT' POP'

Jean Rollin n'est plus. Coïncidence étrange (?), hier au soir, le Blog of Terror lui consacrait un très bel article. "Jean Rollin voit un monde triste qu'il tente de réenchanter, de rendre à nouveau désirable."
Aujourd'hui, les hommages pleuvent. L'exercice est bien souvent creux. Pour citer monsieur Medusa, "c'est comme ça ici bas, on se rend compte de la valeur des gens une fois qu'ils sont partis !"
Je préfèrerai ne donc pas m'attarder sur le territoire des afflictions patrimoniales. Malheureusement, il existe une facette de Jean Rollin que l'on évoque très rarement alors qu'elle constitue une composante essentielle de son œuvre. C'est celle du Jean Rollin amateur de littérature populaire, toqué de Fantômas, fondu de romans à quat'sous.
Je ne parle pas du Jean Rollin écrivain (une poignée de romans au Fleuve Noir et chez Florent-Massot) mais bien du Jean Rollin lecteur, éponge à mots et à images, formé à la "marginalité anarchisante " par les publications dénigrées du roman de gare.
Exploitation sur papier. Explosion imprimée de fantasmes, de poésie, de folie.
"C'est vrai que cette littérature bon marché à influencé les adolescents que nous étions."
On le savait amoureux des sulfureuses héroïnes de George Maxwell, du style désespéré de Claude Ferny, du Salauds ! de Anta Grey.
De cette éducation en dehors des sentiers battus, Jean Rollin tirera une très belle postface. Elle accompagne la réédition des Anges De La Mort d'André Helena (Fanval Noir, 1988) et si l'écrivain narbonnais occupe dans cette évocation une place centrale, Rollin aborde tout de même une très large portion de sa fascination pour les feuillets poussiéreux des mauvais genres.

"Il ne nous serait jamais venu à l'idée d'acheter un livre neuf."
En quelques phrases, en quelques pages, il donne littéralement corps à cette passion bizarre que la bibliophilie normale récuse, à cette errance/recherche de trésors oubliés, à cette obsession étrange pour des textes qui, aux yeux de tous, ne suggèrent "rien qui vaille."









Et si Jean Rollin n'est plus, rien ne m'empêche cependant d'imaginer que, dans une dimension parallèle à la notre, il réalisa pour le grand écran une adaptation cinématographique des aventures de la Môme Double-Shot avec Brigitte Lahaie dans le rôle-titre.
Chacun son truc, non ?...

DEMONIOS, LE FANTÔMAS BELGE

CRIME AU BOIS DE LA CAMBRE, ROGER D'ARJAC
COLLECTION LE VAMPIRE # 4, 1941

Roger Henri Jacquart, plus connu sous le pseudonyme quasi-transparent de Roger D'Arjac, n'est pas un auteur belge comme les autres.
Architecte le jour, il investissait son temps libre dans la rédaction de récits à faire frémir la populace et se révélait être, par le biais de sa série Démonios, un émule appliqué bien qu'un peu balourd du mythique duo Souvestre et Allain.

Dans le contexte du roman policier belge de l'époque, centré autours de la personnalité de Stanislas-André Steeman et ancré dans un carcan d'énigmes soignées et minutieuses, l'œuvre de Roger D'Arjac ne passa donc pas inaperçue.
Avec ses intrigues calibrées pour les esprits crédules et son écriture aussi rudimentaire qu'agitée, il fut largement raillé par ses pairs mais cela ne l'empêcha pas de persévérer dans le populaire frénétique et de nous livrer, au mitan de sa production, cette perle adorablement aberrante qu'est Crime Au Bois De La Cambre.


Le roman s'ouvre sur la figure éculée (mais efficace) du cri qui déchire la nuit.
Un policier se précipite dans la direction du-dit hurlement et découvre alors un cadavre emprisonné sous une couche de
glace et dont la tête aurait été arrachée par une explosion.
Dépêchés sur le lieu du crime, les enquêteurs officiels concluent, après maintes tergiversations, qu'il s'agit là d'un suicide par introduction d'une cartouche de dynamite dans la bouche.
"Il avait peur de se rater," explique le chef de la police judiciaire.

Le lecteur, qui vient d'encaisser dix pages d'explications scrupuleuses sur le pourquoi du comment de ce suicide impossible, se demande si il lit bien droit.
D'Arjac, par contre, garde son sérieux.
Son héros, Luc Mahor, sorte de Jerôme Fandor bruxellois, va bientôt entrer en scène et pour ce dernier, aucun doute ne subsiste, ce mystère est l'œuvre de Démonios, DÉMONIOS ! LE GÉNIE DU MAL !

"En êtes vous si sur, Luc ? Il y a à peine deux mois et demi que nous n'avons plus entendu parler de lui. Évidemment, la dernière fois que nous avons aperçu sa tragique silhouette, c'était dans un temple en flammes qui a dû s'écrouler sur lui...
Mais qui peut affirmer qu'il y était encore ? Qui nous dit qu'il ne rôde pas dans l'ombre à la recherche de nouveaux et sanglants forfaits ?
L'action quitte alors le bois de la Cambre pour se dérouler dans une grande demeure appartenant à de riches oisifs. Luc Mahor, son jeune assistant Bob Renan et les inspecteurs Léonard et Balthazar mènent l'enquête tandis que l'auteur multiplie les artifices.
Un ombre qui rode dans la nuit, de nouveaux cris qui déchirent le silence et un poignard tibétain enduit d'un poison qui rend fou... on se croirait presque chez Leon Sazie ou H.J. Magog.
Malheureusement, les personnages (en dehors de nos héros et enqueteurs) ne sont que de simples ébauches sans profondeur, sans traits de caractère précis et sans mobiles valables. Du coup, la ronde des suspects et l'identité des coupables, intérêt primordial des romans d'énigme et autres mystères criminels, tourne court. Il n'y a pas d'implication.
Si les apparences sont superflues, le jeu devient superficiel.


Reste néanmoins une pièce de choix : Démonios, et sa silhouette "tragique," "angoissante," énigmatique." Démonios, le visage encagoulé sous un "cylindre flou," fomentant d'improbables plans de domination du monde dans un abri de jardin secret et ridiculisant, par ses actes et ses paroles, une société bourgeoise sans gloire ni honneur véritable.
"Démonios, avec ce mépris des lois qui le caractérisait, ne disait-il pas tout haut ce que Luc Mahor pensait tout bas ?"
En fin de compte, Crime au Bois De La Cambre s'affirme comme une petite réussite drôlement bancale. Faux roman de détection doté de réjouissants accents fantastiques et d'une intrigue idiote, il a les qualités de ses défauts.
Ainsi, trahi par un certain manque d'ambition et assujetti au style Le Jury, il rate sa cible de loin, de très loin, mais retombe sur ses pattes en assurant un spectacle plus qu'amusant, car plein d'une folie contrôlée et imprégné de cette poésie du non-sens et de l'absurde qui caractérise si bien la littérature populaire sans peur et sans reproche.

EN ROUE LIBRE !

COPULA CUM DAEMONE, HUBERT BURGER
LE ROI DU MONDE, HUBERT BURGER
ÉDITIONS GALLIERA / MAX # 1 & 2, 1974

Certains romans font l'effet de bombes. Dans le cas des Aventures de Max Von Grub, signées Hubert Burger, l'analogie ne sera pas suffisante.
Et de loin.
Car les effets que ces deux volumes produisent sur leur lectorat incrédule ne peuvent se comparer qu'à une centaine d'explosions atomiques simultanées.
Et toutes sur un seul et même point d'impact.
Votre crâne.
Je ne blague pas.
440 pages de Max Von Grub équivalent à une exposition intégrale aux brumes terrigènes. Ce n'est pas du tout-venant. Plutôt du tous azimuts bien siphonné.

Bref : nous sommes pas là pour tricoter.
Les demi-portions à l'esprit fragile feraient mieux d'aller lire ailleurs leurs Anticipation. Hubert Burger, c'est une affaire d'hommes, de vrais. Compris ?


Bon. Maintenant que nous sommes entre nous, permettez que je fasse les présentations.
A ma gauche, Copula Cum Daemone, le premier volume de la série. La jeunesse de Max Von Grub, l'enfant aux yeux de chat, né la nuit de la sainte Walpurgis. Fils illégitime de Lucifer et de la sculpturale Madame Von Grub, victime bien malgré elle d'un incubat.
Le premier chapitre annonce la couleur. Possession démoniaque et masturbation féminine.
"L'orgasme la secoua comme une secousse électrique ; un jet glacé l'inonda, un jet d'acide et non de sperme qui paralysa son ventre tout en accentuant sa folle jouissance."
Tu peux le constater, Hubert Burger n'y va pas avec le dos de la cuillère mais cet accouplement surnaturel n'est qu'une aimable mise en bouche. Trente pages plus loin, Max naît et voila notre auteur qui mêle à ses inconvenances cochonnes des complaisances perverses propre à la littérature poubelle d'après guerre.
Nazis sadiques, tortures raffinées, humiliations en tout genre. Madame Von Grub en prend pour son matricule, le lecteur en a pour sa galette et Hubert Burger fait peu à peu monter la mise.
Inceste, nécrophilie, supplice du pal dans les régions rectales. Amusez-vous, la sauce est joyeuse et, déployé sur une trame bassement picaresque, Copula Cum Daemone s'affiche comme un ardent roman populaire rejouant les grands airs du gothico-frénétique à une cadence toute seventies.
Max visite un camps de concentration et croit avoir vu le jardin de Dieu. Max entre au service d'un baron dépravé et étudie les sciences occultes. Max s'initie à l'anarchisme via les écrits de Paul Lafargue.
Pornographie ésotérique, satanisme pop politisé, fantastique beau et biscornu comme une série Z largement dénudée - on croirait Mario Mercier, dépouillé de son style outrancier et s'adressant aux béotiens lecteurs de romans de gare. JE VOUS AI COMPRIS ! Soyons tout à la fois rustres et raffinés. Du cul de haut vol et de la philosophie de bas étage. Une écriture alimentaire et maîtrisée.
Voila le programme. Votez pour lui.
C'est Jean-Louis Bouquet enchaîné par André Guerber dans une chambre de passe minable du quartier Pigalle et forcé à lire des publications Elvifrance
. C'est Charles Nodier transporté 150 ans dans le futur, battu à mort, libidineux et scénarisant pour Jean Rollin un improbable sortilège cinématographique aux dialogues excessifs.

D'ailleurs, évoquons-les, ces dialogues à la prose folle furieuse.
Page 65, un dément expliquant au jeune Max, 6 ans, le mécanisme d'une chambre à gaz.
Page 91, Max violant sa mère dans un songe fiévreux.
"Regarde, mère impie ! Je vais t'enduire de cette bave ! Regarde ! Mon sexe est une vipère !"
Page 149. Un nécrophile en rut faisant l'article de sa passion:
"J'aime les petites filles mortes et pas encore fanées, j'aime quand leur chair, en se décomposant, devient molle et maniable comme de la pâte à modeler ! Je veux jouer avec les cadavres et ne m'occuper de personne d'autre, ha ha ! Ejaculer dans un vagin inerte, introduire la vie dans la mort, remplir le ventre d'un cadavre de ma semence brûlante, oui, par-derrière, par-devant, et quand ce ventre est gonflé de mon foutre, alors il se met à parler et il se vide comme une mégère qui a bu trois litres de bière..."
L'amateur de bizarreries imprimées sera aux anges. Il y a chez Hubert Burger quelque chose de Ernst Rato, de Max Roussel, mais sans le ton outré ni le style flamboyant de ce dernier. Les artifices du sublime sont tronqués au profit d'une narration formaté roman de gare, orienté vers la concision et l'efficacité mais pas dénuée de charme ni de qualités. C'est de la littérature populaire fantastique de belle facture, produite à une époque où l'on mélangeait sans vergogne sexualité et morbidité, où l'on se gorgeait de parapsychologie douteuse et où les sorcières habitaient dans des HLM tandis que les sectateurs satanistes se baladaient dans les campagnes industrialisées habillés en hommes d'affaire respectables, à la recherche de jeunes hippies à violer.

Malheureusement, une grande partie de cet aspect, qualifions-le de fantastique contemporain, de folklorisme post-moderne, disparaît dans les prémices du second volume de la série.
Le Roi Du Monde.
Un roman bancal, raté, mais loin d'être dépourvu d'intérêt puisque Burger, poussant le délire au-delà de 9000 et des brouettes pourcents, y grille ses derniers fusibles.

Disons-le clairement, Le Roi Du Monde est un roman profondément débile. Je pèse mes mots.
Au niveau de la littérature poubelle cochonne et dégénérée, ce bouquin n'a rien à envier à, exemple de choix, Une Belle Gonzesse de Regis Lary. Bien au contraire. Il aurait même certaines choses à lui apprendre.
On croit rêver et pourtant, dès le départ, on se rend bien compte qu'un truc cloche, comme si Burger ne savait pas trop où aller après son premier roman initiatique.
60 pages désorientées, qui voient l'auteur transformer son personnage d'anarchiste démoniaque en un agent secret à la solde d'une société occulte de pornophiles anonymes amateurs de massages thaïlandais.
60 pages de cul à la Gérard De Villiers surtout.
J'imagine l'éditeur faire pression sur l'auteur. "Coco, le lectorat se plaint. Force la dose. Mais attention, pas de tes saloperies contre-natures. Du classique, du solide, ok ? Fellation, p'tite branlette et pénétration. Fais reluire. Dans le sens du poil."

60 pages de ce traitement de choc donc, qui nombre de fois autorise le sourire (échauffement des muscles zygomatiques pour éviter le claquage, merci Hubert) et paf, chapitre 3, le roman débute.
Accrochez-vous.
Tintin au Tibet. Pardon. Max Von Grub au Tibet.
Vous inquiétez pas, le Yeti est bel et bien dans les parages. Un sacré coquin, çui-là d'ailleurs, mais ce ne sont pas nos affaires et je vous sens tout interrogateurs, tout perdus.
Que va-t-il donc y foutre au Tibet, Lucifer Junior ? Eh bien, tout naturellement, il va y faire un petit stage intensif d'introspection Bouddhiste avant de partir à la recherche de l'entrée de l'Agarttha, grosso-modo, l'entrée de la Terre Creuse, y descendre jusqu'à la cité de Shamballah et là, convaincre le Roi du Monde de ramener la paix à la surface de la planète.
Vous suivez toujours ?
Moi non mais on s'en fout. Entré dans l'Agarmachin, ça devient vraiment passionnant.

Nous sommes page 127. La valve de la chambre à conneries sous pression d'Hubert Burger semble montrer quelques signes de faiblesses et Max rencontre un premier peuple souterrain, Les Dzong, qui ont des perceuses en guise de zigouigoui, ne vivent que pour copuler, pondent un million et demi de chiars par an et, pour combattre la surpopulation, emploient une méthode fichtrement radicale, prenez note, ils foutent leurs mioches tout frais pondus dans une fosse commune, agrémentent le cocktails d'explosifs (magiques, dixit l'auteur) et, paf, ils font tout péter !
Ça produit un gigantesque geyser de sang sous lequel nos Dzong organisent une partouse grandeur nature, se perçant la couenne sous toutes les coutures avec leurs multiples organes sexuels contondants et provoquant, par agitation psychique ou un truc dans le genre, une décharge électrique qui leur assure de la lumière pour l'année à venir.
Dantesque, n'est-il-point ?
Et ça ne va pas aller en s'améliorant car déjà la dernière durite de monsieur Burger est en train de rendre l'âme.
Nous pénétrons dans les enivrantes contrées du chapitre 6. Prisonnier Des Wobina. Un titre qui promet... et qui tient ! Les trente pages les plus dingues que tu lira jamais dans ta vie, une histoire de femmes vampires se nourrissant du sperme d'homme.
"Dans le fond, je préfère qu'elles me prennent ma semence que mon sang..."

...déclare Max, inconscient de ce qu'il l'attend : une vidange meurtrière !

Je te laisse la surprise du comment mais attends-toi à une démentielle orgie de papier, à un sommet de folie dans les tréfonds de ce roman poubelle et qui, en plus, se paye le luxe de se clôturer par la vision la plus improbable et farfelue qui soit, pages 188 et 189.

Max Von Grub, vidé par les Wobina d'une bonne centaine d'hecto-litres de sperme et enfin tiré de leurs griffes par les chevaliers de la table ronde, Max Von Grub, égaré, à des milliers de kilomètres en dessous de la surface de la terre et qui rencontre... James Dean. Souffle coupé, fou rire, incrédulité, bonheur infini. Ces deux feuillets sont comme un saint Graal de la littérature qui débloque un maxi-grand max.
"Il faut le sauver, s'écria-t-il d'une voix soudainement raffermie, nous ne pouvons le laisser à la merci de ces tigresses ! Il faut sauver James Dean !"
Et Hubert Burger, enfin, lâche les amarres, s'envole, la boite à idée définitivement cramée après toutes ces fulgurances inespérées. Le dernier chapitre se déroule alors comme en apesanteur, calme, reposant, son auteur résolument retiré de la course à la connerie ultime rémunérée.
Reste qu'au détour d'un dialogue, une question surgit, insidieuse, essentielle.
Qui était Hubert Burger ?
S'agissait-il du pseudonyme d'un auteur devenu fou furieux ? D'un dangereux illuminé ? D'un gourou new age pornographe à ses heures perdues ?
Et surtout, surtout... Était-il sérieux ? Vraiment sérieux ?

"Bien sur. Mais personne ne te croira. Je peux même te dire ce qui arrivera : tes aventures feront l'objet de livres qu'un auteur ambitieux écrira grâce à ta complicité. Et ces livres ne seront pas pris au sérieux..."
...On se demande bien pourquoi...