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TOTALEMENT PIQUÉ !

L'HOMME AU CRÂNE D'ARGENT, PAUL EDWARDS
PRESSES DE LA CITÉ / LE MERCENAIRE # 14, 1977

L'essence du style Lyle Kenyon Engel, sous quelque franchise ou pseudonyme que ce soit, est dans l'absence totale de retenue.
Les Killmaster de Nick Carter, les Penny S. de Paul Kenyon, les Mercenaire de Paul Edwards et les premiers Blade de Jeffrey Lord ont tous en commun qu'ils sont crus et vulgaires, bêtes et jouissifs, jamais élégants et pourtant parfaitement mémorables.
Ainsi, à propos d'une secrétaire qui passe innocemment dans les parages du chapitre 3, l'auteur écrit de but en blanc :
"[elle était] aussi bonne dans ce travail que dans ce qu'elle faisait avec sa bouche et son vagin."
Ce n'est qu'une considération graveleuse parmi d'autres. Dans les productions Kenyon Engel, ces phrases-là sont comme les feuilles mortes, elles se ramassent au tractopelle. La nymphomanie n'y est pas un trouble passager de la libido, c'est un état perpétuel et normatif régissant à la seconde les actes de la gente féminine.
BAISER ! BAISER ! BAISER ! comme le hurlait si bien le sexe qui parle dans le film du même nom. Et comme le clame la fille du super-méchant mégalo à qui s'oppose John Eagle, alias le Mercenaire, dans ce roman : "Je n'en ai jamais assez [...] il n'y en a pas assez pour moi dans le monde entier."

Le super-méchant mégalo, justement, parlons-en. C'est (quasiment comme d'habitude chez Kenyon) le plus grand criminel en col blanc de son époque et il ne fait pas dans la dentelle.
"La plus part des milliardaires ont des yachts, Sir Rodney Hamilton, lui, avait un sous-marin privé."
Et si la plus part des méchants de littérature pour mecs ont une petite fantaisie qui sort de l'ordinaire, Sir Rodney Hamilton, lui, a un crâne en argent (séquelle d'un accident automobile) et des désirs incestueux qu'il n'arrive pas à satisfaire sur la personne de sa fille de vingt-et-quelques balais.
"Sir Rodney se regarda dans le miroir de la salle de bain et passa sa grosse main sur la calotte d'argent. Il se demanda, comme il le faisait souvent, s'il n'était pas un peu dérangé dans sa tête. Est-ce que tout le monde ne l'était pas, d'une façon ou d'une autre ? Ce n'était pas un monde sain."
Oui, ce n'était pas un monde sain. En fait, il n'y a même rien de sain - c'est à dire de sensé, de logique, de raisonnable - dans le joli petit univers fictif de Lyle Kenyon Engel et de son pool d'auteurs mercenaires.
Penny S. est une espionne qui pose mensuellement en couverture de revues de mode, Nick Carter fume des cigarettes portant ses initiales en lettres dorées sur le bout filtre et John Eagle répond aux ordres d'un certain monsieur Merlin, milliardaire infirme écrivant des best-sellers d'action dans "une pièce aux murs de verre qui pouvait tourner sur elle même, grâce à un système hydraulique."
Ici, tout est prétexte à la sur-enchère et le commissaire-priseur est dingue comme un shadok à la cervelle anabolisée par la lecture de Playboy.
Pourquoi faire simple lorsque l'on peut alambiquer, complexifier, gadgétiser à foison. Un univers tout en surbrillance, enjolivé comme un bijou toc et qui en ferait trop, beaucoup beaucoup trop, pour se faire remarquer.

L'ensemble possède un charme indéniable, bien souvent loué sur ce blog. Revers de la médaille, l'ensemble génère aussi, de temps à autres, des promesses qu'il ne peut tenir sur la longueur.

C'est le cas de L'Homme Au Crâne D'Argent, pénultième volume de la série aux USA, dernier en France (ne cherches pas à comprendre : les Presses de la Cité se mélangeait souvent les pinceaux sur la numérotation originale de ses diverses importation).
Le sous-marin, les perversions, la coupole en metal précieux, c'était trop beau pour durer. Manning Lee Stokes, qui ghost-write pour l'occasion sous le pseudo de Paul Edwards, tire rapidement la langue. Ce jour-là, il ne devait certainement pas tenir la grande forme.
Ainsi, après une enquête sans grand intérêt concernant une histoire de kidnapping et de concessions pétrolières, le bouquin bifurque sur une morne escapade dans la jungle sud-américaine.
Exactement comme pour un bus de touristes dans une réserve naturelle.

À votre droite, les piranhas voraces. À votre gauche, les indiens réducteurs de tête. Et si vous regardez bien sous les fourrés, vous pourrez apercevoir quelques révolutionnaires castristes.
Merci pour votre attention et n'oubliez pas le guide.

Le guide, lui, s'était clairement oublié. Il en néglige même de conclure son ouvrage décemment, c'est à dire par une confrontation musclée entre le gentil et le vilain. Le vilain meurt par hasard, le gentil retrouve son corps un peu plus tard, affaire classée.
Ce sont des choses qui arrivent, faut pas se leurrer. La came est parfois mal coupée et, contrairement aux héros dont nous dévorons les exploits, nous autres lecteurs, nous ne gagnons pas à tous les coups.

Ce qui ne m'empêchera tout de même pas de t'avouer que je n'en aurai jamais assez. Non, vraiment, de la fiction populaire outrancière et débridée,
il n'y en aura jamais assez pour moi dans le monde entier !

RAYON QUI TUE ET SEXE EN KIT

COSAQUE-STORY, PAUL KENYON
EPP / EROSCOPE # 5, 1975

Troisième aventure de la comtesse / espionne / top model / milliardaire Penny S. - Pénélope Saint John Orsini pour les initiés - Cosaque-Story se présentait sous des auspices qui ne m'excitaient que très mollement l'éponge à phosphore.
C'est bien simple, les récits se déroulant derrière le rideau de fer, ça a plus tendance à m'engourdir le palpitant qu'autre chose. Heureusement (et pour suivre l'habituel adage Spillanien) le premier paragraphe du premier chapitre sut parfaitement capter mon attention.
Il s'agit d'une description de Pénélope par le menu. Et ce n'est pas du menu enfant dont je te cause. On a des formes et du charnel. on a surtout des chevilles "longues et fines et d'une ligne si mélodique qu'on songeait à un poème mis en musique."
L'affaire est dans le sac. C'est balourd et engageant, ridicule et séduisant.
Pénélope, la fille aux gambettes en tracé sinusoïdal non saturé, fait l'amour avec un cinéaste Norvégien de bis auteurisant puis se trouve lancée sur la piste d'un mystérieux rayon laser qui bousille du satellite russe et ricain.
"Très probablement un laser à gaz dynamique" nous informe un spécialiste en la matière, page 111. "On injecte un mélange de bioxyde de carbone chauffé dans un tube à une vitesse supersonique pour obtenir une réaction très puissante par laser."
Ça fait peur. D'autant plus que l'inventeur de ce super faisceau annihilateur se nomme le Professeur Thing.
Le blaze en impose. L'apparence aussi.
Chinois et albinos, il représente le super-vilain typique des productions Lyle Kenyon Engel : un être monstrueux, imbu de sa personne, affligé de quelques encombrantes tares physiques et gonflé du désir maladif de tout détruire.

"Il était extraordinaire. Sa silhouette décharnée et filiforme, étirée jusqu'à la caricature, semblait surgi des phantasmes mystico-morbides d'un Gréco."
N'oublions pas l'essentiel : dans l'orbite creuse de son œil droit scintille un rubis rouge !
Death is a ruby light, dixit le titre original - ou comme le veut la formule anglo-saxonne : God is in the details. Chez Kenyon, le gâteau est toujours sauvé par sa cerise.

Pendant ce temps, la comtesse traverse la Russie. Fait équipe (dans tous les sens du terme) avec Alexei, un espion communiste. Rencontre de méchants autochtones qui la violent sauvagement sous une tente.
L'auteur se permet quelques phrases audacieuses (" son sexe était armé, braqué et prêt à faire feu ") et nous éclaire, de la page 120 à 122, sur le passé romantique et professionnel de notre héroïne.

Les fanas de la série apprécieront l'ensemble à sa juste valeur. Les autres passeront leur chemin mais d'eux, on s'en contre-barbouille grassement l'œilleton lunaire.
Car Cosaque-Story, ça ne vaut peut être pas Opération Extase, ça ne vaut peut être pas non plus Dépravez-Moi Ça mais ça reste très distrayant et ça rempli largement son contrat : emballer du 220 pages de récit pornospionnage premier degré, sans valeur ajouté et sans autres fioritures qu'un style ampoulé, du sexe en kit et quelques menues idées rigolotes.
Je l'écrivais plus haut : c'est balourd, c'est engageant, c'est ridicule et c'est séduisant.
Et si ça ne te suffit pas, désolé, mais je ne peux rien de plus pour toi...

BAISODROME HOLOCAUSTE

OPÉRATION EXTASE, PAUL KENYON
EPP / EROSCOPE # 1, 1975

J'ai déjà causé à 5 reprises de Lyle Kenyon Engel. Le lecteur intéressé pourra se référer au label approprié. N'empêche, laisses moi en remettre un petit coup, ça ne fait pas de mal :
Bulldozer de la vulgarité imprimée, Phil Spector de la littérature virile, bookpackager spécialisé dans tout ce qui jute et qui tache, Lyle Kenyon Engel détournait à des fins purement intéressées les grosses locomotives du roman populaire des années 60/70.
De l'action, des espions, de la violence, du cul, un peu de science-fiction et le tour était joué. Il optimisait la sauce. James Bond devenait américain et queutard, Modesty Blaise se voyait repensée en nymphomane à gros nichons.

Il fit ainsi usiner par son pool d'auteurs-mercenaires des épisodes de Nick Carter Killmaster, de John Eagle Expeditor, de Blade et surtout de The Baroness - crème de la crème du sexpionnage sérieux, écrit sous le pseudonyme-maison de Paul Kenyon et traduit en France dans la collection Eroscope, sous le nom de Penny S.

S COMME SECRÈTE, SENSUELLE, SEXUELLE affirmait l'accroche publicitaire. Me faites pas gober vos couleuvres, les mecs. "S" biscotte placé juste après Penny, ça donne Pénis.
La classe française. Des chibres et des lettres. Ou alors est-ce mézigue qui aurait l'esprit tordu à imaginer telle combinaison.
Car, il faut bien l'avouer, la lecture de Penny S, ça vous chamboule un homme. Après ça, vous n'êtes plus le même, vous voyez le monde différemment. Tout vous semble morne et fade et une question, obsédante comme le clignotement d'un néon détraqué le soir après un acide, vous assaille le cortex :
Où sont-elles donc, ces filles libérées, mannequins meurtriers capables des plus improbables gymkhanas - au lit comme à la ville - et qui combattent, entre deux pauses rimmel, le regard assuré et la hanche hardie, des espions sadiques au priapisme effréné et des savants fous dont l'ébullition de la matière grise ne sert qu'a compenser la triste mollesse de l'appareil génital ?
Réponse : nulle par ailleurs.
On en lit peut être quelques (gros) fragments du coté de La Panthere, de BIS, de OSSEX ou de Cherry O mais jamais les choses n'ont été hissées à ce degré de démesure.

Oui : Penny S représente un monde d'outrance tapageuse, d'exagération sans distinction. On ne monte pas l'ampli jusqu'à 11, on le pousse jusqu'à 1000. C'est la Veuve Noire dévergondée en blue movie, dessinée par Frank Thorne sous viagra, évoluant dans les pages d'une revue de mode au contenu égrillard et suivant la trame générale d'un Matt Helm pleinement conscient de son potentiel pornographique.

Laisses tomber la finesse, bébé. Visualises l'étal d'un boucher sur lequel poseraient quelques playmates surgonflées, mitrailleuses en pogne, éclairées kaléidoscopiquement, rouge, vert, bleu, et sonorisées à gros coups de guimbarde disco et de bruits d'explosions. Visualises Andy Sidaris à la cinecittà, avec la classe de Russ Meyer, avec plus de budget et surtout avec plus d'imagination.
DANS UN MONDE VIOLENT ET ÉROTIQUE, UNE FEMME D'ACTION ET DE PLAISIR !
Top model multimilliardaire, comtesse italienne à l'hyper-sexualité assumée, agent tellement secrète qu'elle en ferait passer la plus discrète des barbouzes pour un candidat de télé-réalité abonné aux couvertures de la presse people, Pénélope Saint-John Orsini, dit Penny S, dit The Baroness, est une majestueuse inflatable doll littéraire, une féministe de papier propre à contenter dans tous ses excès les sales machos à la logique déréglée que nous sommes.

Lyle Kenyon Engel avait parfaitement compris les désirs de sa clientèle et la formule que ses auteurs-anonymes appliquent à ses productions, formule immuable dans ses moindres détails, en était l'exact reflet. Car tous les Penny S se ressemblent. Tous proposent le même dosage des mêmes ingrédients. Une sorte de contrat-confiance scellé dans la routine des séries confectionnées à la chaine.

Dans Opération Extase, son premier forfait (j'ai mis du temps mais j'y arrive !), Penny court après une nouvelle drogue, le Grand D, sorte de super LSD qui tue ses consommateurs en leur refilant une super-trique du tonnerre.
L'homme derrière cette diabolique invention (" elle balaiera les États Unis, corrompra la jeunesse et désintègrera la société occidentale ") se nomme monsieur Sim mais n'a strictement rien à voir avec feu notre chétif comique national.
Sim, version Penny S, est anglais, obèse et en proie à une crampe congénitale. C'est à dire qu'il bande dur et non-stop depuis sa naissance. Un véritable exploit pour le pénis incriminé puisque, en tenant compte de l'ultra-adiposité de son possesseur, il doit constamment " se frayer un véritable sillon dans les vagues inférieures du bas-ventre. "
Miam miam !
L'auteur, de son coté, joue sur du velours. La progression de l'intrigue est parfaite,. Penny S et ses compères enquêtent dans divers endroits des états unis (une communauté hippie, un gang de hells angels, une partouze mondaine et mafieuse) puis partent affronter Mr Sim à Honk Kong.
Là bas, notre héroïne y rencontre aussi son habituelle contre partie masculine, à la fois allié de circonstance et agent double semant le trouble.
Comme le disent les américains, it takes two to tango.
Et comme l'affirme l'auteur, " elle savait qu'il savait qu'ils coucheraient ensemble tôt ou tard, aussi sûr que deux et deux ne peuvent faire que quatre. "

S'en suivent alors les exploits érotiques imposés par le cahier des charges :
"Il plonge maintenant en elle avec la régularité et la puissance d'une bielle fabuleuse"
ou encore :
"[...] elle est glèbe labourée par le soc invraisemblablement doux et puissant de son amant."
Tango tonitruant ! Notons d'ailleurs que chez Penny S, les scènes porno se conjuguent au présent alors que la narration dite "classique" (action, intrigue, enquête) se déroule au passé.
L'effet, maladroit, tend très certainement à inclure dans son cours le lecteur pervers qui ne passe dans le coin que pour se faire reluire le piston en solo, le salingue !
Mais que l'amateur d'action et l'allergique à la branlette ne se sentent pas pour autant floués. Les industries Kenyon ne laissent personne en carafe.

Ainsi, dans Penny S, quand ils ne copulent pas dans toutes les positions concevables, les protagonistes se bastonnent et se dézinguent à tous les étages. Fusillades, courses poursuites, traquenards, il y en a pour tous les gouts.
Amour + guerre = BAISODROME HOLOCAUSTE = grand spectacle assuré.
Ce billet étant trop long, concluons à l'arrachée : Opération Extase est, avec Dépravez-Moi Ça, l'un des meilleurs épisodes de la série. Je dirais même plus : une lecture essentielle pour ceux qui se sentent concernés par le genre.

Dernier point avant d'en terminer pour aujourd'hui : le contrat-confiance scellé dans la routine des séries fabriquées à la chaine, ça n'empêche pas les variations qualitatives d'un titre à l'autre. Petit détour, donc, du coté de trois Penny S clairement moins enthousiasmants...

Par exemple, Le Lit De L'Amazone, deuxième épisode de la série, est aussi (c'est triste mais ç'en est ainsi) la plus ennuyeuse aventure de Penelope Saint-John Orsini qu'il m'ait été donné de lire. Et pourtant, tout y était réuni pour m'exciter un maxi-grand-max : on y trouve des nazis réfugiés dans la jungle de Rio, traficotant un super rayon de la mort avec des diamants, rêvant d'un nouveau Reich de mille ans et se distrayant le dimanche en balançant ennemis et traitres dans un lac peuplé de piranhas ultra-voraces. On y trouve même le fils caché d'Hitler, c'est dire le bonheur !
Las ! L'auteur (Manning Lee Stokes ?) devait probablement être en rupture de son stock d'alcool ou de drogue. On le sent qui renâcle à la tache comme un vieux bourrin têtu. Son potentiel tristement gaché, Le Lit De L'Amazone en devient presque soporifique et les dernières pages sont accueillies avec soulagement.

On s'en sort mieux avec Lune De Fiel, cinquième épisode à l'accroche fabuleuse : "Quarante-huit heures pour détruire l'horreur venue du ciel, et pour seule arme, son sexe..."
J'imagine que le roman est encore une fois écrit par Manning Lee Stokes : on y retrouve son rythme brinqueballant et sa passion pour les freaks sadiques (ici : un nain obsédé sexuel)
Le reste est à l'avenant. Penny combat des ruskoffs dans le désert glacial de l'Arctique, empêche un virus extraterrestre de se rependre sur terre et se fait lécher le clitoris par un loup des neiges. Les standards sont honorés mais je n'en suis pas non plus tout retourné. Disons que le boulot est solidement effectué mais manque un peu d'éclat.

Même chose concernant Fuel Aux As, huitième épisode : c'est solide, c'est agréable mais c'est aussi terriblement terne. Avec plus de folie et un rythme moins lâche, l'affaire aurait aisément pu être dans la fouille. En l'état, ça ressemble un peu trop à Matt Helm Contre La Mort Noire mais sans le talent de Donald Hamilton.

Restons sereins. On ne gagne pas à tous les coups.

LE BARBARE ET LES NYMPHOS

LA HACHE DE BRONZE, JEFFREY LORD
LE GUERRIER DE JADE, JEFFREY LORD
PLON / BLADE # 1 & 2, 1976

De toute la masse des séries produites sous l'égide de Lyle Kenyon Engel, Blade est sans aucun doute possible la plus célèbre en France.
Publiée dès 1976 par indécrottable Gérard de Villiers (alors à la tête d'un empire éditorial en pleine expansion) et reprise après ses 37 premiers numéros US par une équipe d'auteurs français, la série accuse de nos jours une santé de fer avec près de 200 épisodes parus.
Pareil parcours, je l'aurai bien souhaité à Penny S. Malheureusement, dans nos contrées, ce fut Blade le plus chanceux représentant du catalogue Kenyon.
J'aimerai bien m'en plaindre ici-même, te raconter mes improbables fantasmes littéraires (200 épisodes de Penny S. !) mais ce n'est pas tout ça, nous sommes le 31 décembre, j'ai un paquet de bières à descendre alors n'atermoyons pas et passons sans plus attendre au plat du jour.

Donc, Richard Blade, pour te la faire courte, c'est une sorte de Nick Carter anglais (soit une sorte de James Bond Lyle Kenyonisé, si tu m'excuses ce menu barbarisme) que l'on fout dans un super-computer et qui se fait recalculer la tronche en une version 3.0 de Conan le barbare.
Et en route vers de nouvelles aventures !
"[...] son cortex cérébral avait été si brouillé qu'il avait à présent la possibilité de percevoir un monde totalement diffèrent. C'était un monde réel, tout comme lui-même, qui existait cependant dans une autre dimension."
Ainsi, transporté dans d'autres dimensions (pourquoi ? parce que !), voila Richard Blade torse nu, muscles huilés, pectoraux saillants, regard gris acier, traversant avec insouciance les divers tableaux d'une héroïc-fantasy de super-marché, territoire ultra-balisé et qui, à l'époque, se faisait déjà bétonner dans la crétinerie absolue par John Norman et son cycle best-seller, Les Chroniques de Gor.
Richard Blade, c'est donc Nick Carter imitant Gor et le résultat, bien qu'extrêmement frustre, n'est pas forcement déplaisant.

Dans La Hache De Bronze, tout premier volume de la série (signé par le grand Manning Lee Stokes, caché sous le pseudo maison de Jeffrey Lord), Richard Blade est envoyé bien malgré lui dans la dimension de Alb.
(Alb comme Albion mais abrégé de trois petites lettres. Subtil, n'est-il point ?)
Il y rencontre de gros barbares, quelques sorcières bizarres, des pirates écossais et des donzelles nymphomanes.
"En Alb, la nymphomanie devait être la même qu'à Londres."
Forcement. Dans les productions Kenyon, la nymphomanie est toujours de mise.
Il y fait aussi la connaissance d'une pauvre princesse sans défense, d'un gueux débile qui deviendra peu à peu son sidekick comique et d'une mystérieuse magicienne qui, tout en lui suçant le membre noueux page 187, lui déclarera :
"Ah Blade, si l'on pouvait concevoir ainsi j'aimerais que tu me fasses un enfant par la bouche."

Je copie-colle pour les étourdis :
"Ah Blade, si l'on pouvait concevoir ainsi j'aimerais que tu me fasses un enfant par la bouche."
Une petite dernière pour la route :
"AH BLADE, SI L'ON POUVAIT CONCEVOIR AINSI J'AIMERAIS QUE TU ME FASSES UN ENFANT PAR LA BOUCHE."
Merci monsieur Manning Lee Stokes pour cette perle dont je ne me lasserai jamais.

A part ça, le roman est mollement structuré en une suite de scènettes héroïco-érotiques, poussives et grotesques. Blade se balade à loilpé dans la foret, Blade combat des méchants à la hache, Blade défonce des ours geants, Blade se farci des greluches peu ragoutantes, Blade fait des discours pompeux devant pleins de gugusses musculeux, etc, etc.
Le lecteur, quant à lui, se pose deux questions :
1 ) pourquoi que je lis cette connerie ?
2 ) est-ce que Blade, il va enfin se la taper, la pauvre princesse sans défense, qu'en plus elle est vierge la gueuze, bordel de pute !
Je n'ai toujours pas de réponse à la première question mais pour la seconde, je te rassure tout de suite, ce sera un OUI retentissant.

Quant au Guerrier De Jade, deuxième épisode de la série (et toujours écrit par Manning Lee Stokes - faisons vite, j'ai soif), c'est exactement la même chose. On remplace les Albiens et leur bronze par des Mongs et du jade, le sidekick comique devient un cul de jatte pas drôle, un nain énigmatique traine dans les parages et notre héros ne fait reluire aucune princesse vierge... ce qui ne l'empêche pas pour autant de réduire à sa merci, et par la seule force de son vier, deux farouches gonzesses.
Et comme le dit si bien l'une d'elles, en page 125 :
"Aucun homme ne m'a jamais fait éprouver cela, Blade. Je ne comprends plus. Je ne sais même pas si cela me plaît."
Moi non plus, poupée, moi non plus.

NICK CARTER KILLMASTER, ENCORE

IL COURT IL COURT L'ESPION, NICK CARTER
PRESSES DE LA CITE / UN MYSTERE # 765, 1966

Parangon du héros de feuilleton aux multiples incarnations, Nick Carter connu en 1964 sa toute dernière interprétation sous l'impulsion du légendaire book-packager Lyle Kenyon Engel.
Un book-packager, pour résumer rapidement ce que les anglo-saxons désignent sous ce terme, c'est un producteur littéraire, un commercial des idées et de la plume qui conçoit des possibilités de séries fleuves, embauche ensuite des auteurs sous contrat pour en écrire les volumes et termine par vendre le produit fini à des compagnies d'édition.
Lyle Kenyon Engel usinait donc des guides touristiques, des manuels du type 'comment piloter un hors-bord', des romances pour vieilles filles, diverses choses tout aussi bandantes comme Hobbies For Fun and Profit ou The Fred Astaire Dance Book mais son filon se révéla particulièrement fructueux dans les ornières mal-famées du récit de gare pour mecs des années 60 / 70.
Sans scrupules, il s'attaqua aux grosses tendances burnées de l'époque : action para-militariste, vigilantisme urbain, proto-gore bon marché, heroïc fantasy obtuse, espionnage outré et porno clinique. Tout lui convenait. L'homme était éclectique dans le choix de ses matières premières et mélangeait bien souvent l'ensemble en d'improbables cocktails. De ces dosages à l'emporte pièce résultaient d'étranges itérations et Lyle Kenyon Engel s'érigea en une véritable auberge espagnole de la littérature frustre.
Ses multiples franchises se nommaient (liste non-exhaustive) John Eagle Expeditor, The Aquanauts, The Baroness, Blade, The Vigilante, Dracula, Horrorscope, Balzan Of The Cat People, etc, etc, mais il débuta probablement dans le genre en 1964 avec le personnage de Nick Carter, relancé pour l'occasion en agent secret bigger-than-life sous le blaze additionnel de Killmaster.

Premier volume de la série, Il Court, Il Court, L'Espion (Run Spy Run en VO) initie et concentre en 190 pages toute la glorieuse sève à venir des productions Kenyon manufacturées au kilomètre.
Le roman s'ouvre en misant sur la bizarrerie immanente des récits espionnage cinémascope sixties : un homme descend d'avion. Amputé d'une main, il est pourvu d'une prothèse en acier. Soudain, cette dernière cliquette et, sous les yeux incrédules de Nick Carter, l'homme à la main artificielle explose.
Prologue détonant. Le roman est sur les rails. Nick Carter suit donc la piste. Le reste n'est plus qu'une accumulation de poncifs sur lesquels se déchaîne la prose excessive des mercenaires de la maison Kenyon. Pour cet épisode, ce sont donc Michael Avallone (excellent auteur, responsable entre autre d'une très bonne novélisation de Shock Corridor) et Valérie Moolman qui s'y collent. Leur pâte à tartiner n'a pas la consistance du ciment qu'utilisait l'affreux (c'est affectueux) Manning Lee Stokes mais cela fonctionne tout aussi bien. Les phrases ne s'y refusent aucune outrance et les retenues stylistiques sont honteusement bafouées.
Il faut savoir plaire à ces crétins d'illettrés qui bavent en fantasmes imprimés. Nick Carter bâtit ici son ultime mythe d'alpha-mâle. Il dégaine ses armes fétiches en serviette de bain et se fait " merveilleux spécimen d'architecture humaine." De lui, les auteurs écriront même : "En amour comme en guerre, son corps superbe se comportait avec grâce et vigueur." C'est beau, c'est fort, c'est grand. Érigeons une statue à sa gloire !
Car si Nick Carter est maître tueur, il est aussi maître baiseur. Aucune femme ne peut lui résister. D'ailleurs, aucune femme ne lui résiste.
Dans cet épisode, il fait ainsi équipe avec une certaine Julia Baron, de la CIA. " Elle était très décorative, vraiment."
Les plus beaux compliments sont toujours les plus simples.

Ils font l'amour et il la sauve de quelques dangereux périls. La première partie du programme anticipe les futurs dérives porno-charcutière des productions Kenyon, la seconde affirme par contre sa filiation à une litt'pop' moderne et efficace que certains pourraient considérer "sans âme". Car chez notre book-packager favori, les choses se doivent d'être claires et nettes. Balisées et systématisées.
Place au délire lucratif, pas à l'inventivité.

Ainsi, le héros est lisse comme une peau de bébé cadum et son némesis, particulièrement retors et théâtral. Il se nomme Mr Judas. Il est " le personnage numéro un de l'espionnage international." Ou encore : " le génie sans visage du sabotage." Il est surtout pourvu d'une main en acier. C'est le gimmick de l'épisode. Forcement. Il serait bête de gâcher une aussi bonne idée dès le prologue. Elle se doit de durer jusqu'au bout.
Chez Kenyon, on est économe... mais ça n'empêche pas d'être généreux.
Ce roman en est une preuve. Pas la meilleure, pas la pire. C'est du Nick Carter, c'est du Lyle Kenyon Engel, c'est du Michael Avallone : Il y a des longueurs, il y a des lourdeurs mais tout cela m'est foncièrement sympathique.

CHANGES PAS DE STYLE, POUPÉE

GARE AU YÉTI !, PAUL EDWARDS
PRESSES DE LA CITE / LE MERCENAIRE # 9, 1977

Salut mec. J'espère que t'es en forme. Aujourd'hui, je débute sans détour et je te pose directos la question à cent balles : T'as bien reluqué la pépée qui orne la couverture de ce bouquin ?
Eh oui mec, il s'agit bien de Joëlle Coeur, relookée pour l'occase en farouche bergère bien outillée question fusillade.
Pareille introduction, ça te fouette le sang et ça place le bouzin sous d'excellentes hospices.

Surtout que ce Mercenaire-là, ce n'est pas le triste borgne para-militaire des éditions Gérard de Villiers, celui écrit par Alex Kilgore alias Jerry Ahern, mais bien une production farfelue tout droit sortie des industries en littérature lourde Lyle Kenyon Engel, le grand spécialiste de l'espionnage proto-porno anglo-saxon, l'homme derrière les séries Nick Carter Killmaster, Blade ou The Baroness.
Le curriculum vitae qui pèse et en impose, surtout aux grands malades du populaire sans peur et sans inhibitions que nous sommes.

Notre mercenaire en question se nomme donc John Eagle Expeditor. Super agent ultra secret aux origines mi-indiennes mi-ecossaises, il turbine à plein temps pour une organisation hyper-occulte possédant un quartier général propre à rendre heureux tout amateur de spy-fiction allumée qui se respecte puisqu'il s'agit d'une "monstrueuse construction d'acier, de verre et de beton creusée dans les flancs du volcan eteint de l'ile de Makaluha."
Le big boss de toute cette affaire, quant à lui, se nomme Merlin. C'est le personnage le plus intéressant de la série. Physicien nucléaire sur-doué, il se trimbale en fauteuil roulant et passe son temps libre à écrire des romans d'espionnage sous pseudonyme.
Tu parles d'une mise en abime.
Mais ne nous perdons pas en vaines analyses. Aujourd'hui, je te l'ai déjà dit, je fais vite.

Ainsi, dans cet épisode, John Eagle est envoyé par Merlin au Tibet pour y combattre des Yetis cyborgs conçus par un savant fou maoïste.
"Au fond, le cyborg, c'est l'exécutant idéal dont rêvent la plupart des gouvernements. Il est obéissant et il n'a peur de rien."
Bien entendu, production Kenyon oblige, on trouve aussi dans les parages quelques nymphomanes délurées. Et si John Eagle Expeditor ne donne pas dans le porno-clinique façon Penny S, cela n'empêche pas son auteur de nous offrir quelques ravissantes perles de romances masculinisantes, à l'image de ce "je veux que vous entriez en moi comme un taureau furieux," phrase gentiment susurrée à l'oreille de notre héros par une aimable tibétaine moulée grand-style avec bosses et creux là où il faut et plus qu'il n'en faut.

On y trouve aussi une espionne nymphomane. Torturée des mois durant par nos vils chinetoques, elle ne pense pourtant qu'à se faire reluire, n'importe où, n'importe quand et par n'importe qui.
A la fin du roman, elle tombe enfin sur notre vaillant héros. Ni une ni deux, lui saisit donc son petit oiseau (je ne blague pas) et lui murmure (page 166) : "Prends-moi John, [...] si tu savais à quel point j'en ai envie !"
Moi, je me gondole. Ce roman, comme le chantait Karen Cheryl, c'est Venise !
Parce que le John, il est tout de même en plein milieu d'une mission d'infiltration incognito du camp adverse, et faudrait tout de même pas qu'il se fasse prendre en traitre par les méchants avec le bénard au niveau des chevilles, en train de se faire travailler en loucedé le loustic par une mousmée affamée.

Néanmoins, puisqu'il s'agit d'une production Kenyon, le sens des priorité de notre héros diffère nettement de celui de l'espion moyen et comme le déclare si sagement l'auteur : "Autant la satisfaire tout de suite : cela simplifierait la situation, et la remettrait peut être dans son état normal.
Et puis cette fille était diablement excitante...
Autant joindre l'utile à l'agréable."

Quelques pages plus tard, après avoir remplie son office, l'espionne nymphomane meurt sous les balles chinoises. Aucune surprise, on s'y attendait : Gare Au Yeti respecte à la lettre les règles du genre.
Malheureusement, si le contrat "qualité populaire" est honoré avec zèle, le roman manque d'un brin de nervosité et peut être même d'un peu de folie. Car aussi sympathique et débile qu'il soit, Gare Au Yéti reste en effet trop souvent dans les ornières du formaté en série.
Mais qu'importe ces menus défauts : un bouquin avec des cyborgs poilus, des chinois fourbes, des espionnes nymphomanes, une base camouflée dans un volcan et Joelle Coeur en couverture ne peut être qu'essentiel à la survie d'un individu müller-fokkisé.

NICK CARTER KILLMASTER

LE CHÂTEAU DE L'ESPION, NICK CARTER
PRESSES DE LA CITÉ / ESPIONNAGE # 32, 1967

Nick Carter a connu plusieurs vies. Autant clarifier l'affaire d'entrée. Il fut tour à tour (liste non-exhaustive) une variation américaine de Sherlock Holmes, un personnage de films muets français, y affronta d'ailleurs Zigomar, puis fut réinventé en détective privé des années 30, se retrouva éphémèrement traduit sous le nom de Bill Banco en poche, de Nick Carter en format magazine collection Haut Les Mains, devint le héros d'une trilogie cinématographique produite par la MGM, anima une émission de feuilletons radiophoniques, sombra dans l'oubli, prit l'apparence d'Eddie Constantine sur grand écran, connu une série non-officielle aux éditions de L'Arabesque sous la plume de Noël Ward et tomba enfin entre les pattes de Lyle Kenyon Engel qui le remodela en un improbable agent secret délirant pour mieux surfer sur la vague d'espionite aiguë initiée par la série des James Bond.
Nick Carter, anciennement Master Detective, devint ainsi Nick Carter Killmaster, le maître assassin, agent N3 de l'organisation sécrète AXE, super espion international, dragueur patenté, machiste suprême, ultra-baiseur et maxi-flingueur, parfaite combinaison-témoin du système de production littéraire des usines Lyle Kenyon Engel et de leur pool d'auteurs habituels, véritable ratpack atomique de la plume mercenaire dont nous pouvons retenir le grand Michael Avallone, l'efficace Valerie Moolman et le définitivement cramé du cervelet Manning Lee Stokes.
Vous vous en doutez certainement, c'est ce dernier qui nous intéresse aujourd'hui.
Manning Lee Stokes, signataire masqué de ce Château De L'Espion. Un ancien polardeux à la papa (voire même à la grand-papa) devenu dans les sixties un habitué notoire des house-names estampillés Kenyon. On le sait responsable, entre autres choses, des 8 premiers Blade (sous le pseudonyme de Jeffrey Lord), de la première série Le Mercenaire (John Eagle Expeditor, signé Paul Edwards) aux Presses de la Cité et probablement de la moitié la plus mauvaise de ma série de sexpionnage favorite, Penny S. / The Baroness, parue en France dans la géniale collection Eroscope.

Manning Lee Stoke, maître décadent de la production au kilomètre de fictions pour mecs, génial prototype du scribouillard anonyme et pourtant reconnaissable entre tous pour ses effusions de mauvais goût, son écriture lourdingue, sa volonté presque maladive d'en faire trop.
Ses romans sont comme ces gros gâteaux à étages, dégoulinants de crème
. C'est indigeste et pourtant étrangement fascinant. Exactement l'effet de ce Château De L'Espion, que j'ai failli à plusieurs reprises abandonner. Mais on rigole, on est parfois même surpris, régulièrement dérouté. L'aberration est monnaie courante, l'ambiance gentiment psychédélique. Alors on reste.
Car Nick Carter Killmaster est une série plutôt cocasse dans ses premières années. Contrairement à la tendance de l'époque, elle ne met pas trop souvent en scènes ces emmerdants affrontements entre Américains et communistes.
Il s'agit plutôt de Nick Carter contre des apprentis maîtres-du-monde, chefs de super-groupes terroristes d'opérette, retranchés dans leurs super-bases sécrètes, construisant de super-armes de destructions super-massives. On est pas très loin d'un Nick Fury Agent du S.E.R.V.O., la finesse Sterankienne en moins, la sexualité exacerbée en plus - production Kenyon oblige. Manning Lee Stokes s'y complaît d'ailleurs très bien. Son Château De L'Espion ressemble à ses Penny S. (j'en parlerai prochainement), mais sans les longs passages pornos. Juste les préliminaires et le contexte.
Ici, le méchant est impuissant et sa femme souffre de nymphomanie. Tout deux sont fourbes comme seuls des méchants de romans populaires savent l'être. Nick Carter combat le premier, se tape la seconde. "Un homme peut parfois servir son pays [...] par des moyens bien insolites" nous explique l'auteur.

Des phrases comme celle-ci, il en sort une tout les trois paragraphes. C'est le style Manning Lee Stokes. Il ne peut s'en empêcher. Ça fait aussi partie de son contrat. Il faut constamment sur-jouer pour conserver le lectorat. Rien n'est impossible. Rien n'est trop beau.
Une messe noire dans la lande écossaise tourne à l'orgie en pleine air. Un trajet en train devient une aventure digne de Rocambole. Les intitulés de chapitres se mettent au diapason. Un faux James Bond meurt dans d'atroces souffrances. Les armes à feu raisonnent comme des lettrages d'Artie Simek. "Banggggg ! Spangngggg ! Binnggggg !"
Littérature d'évasion, littérature de masse, fantasmes masculins et figures imposées
, tout cela mélangé, trituré, transformé en une invraisemblable fantaisie aux intonations pataudes... mais jalonnée d'images foutrement saisissantes. Paraphrasant Francis Lacassin, Ange Bastiani écrivait d'ailleurs : "la frénésie de l'action, l'insolite des situations, le délirant comportement des protagonistes ne font-ils pas bouillonner de sève poétique toute la série des Nick Carter [...] ?"

Toute la série ? Peut être pas. Mais pour les épisodes de Manning Lee Stokes (et c'est en partie d'eux dont Bastiani causait), oui, assurément, la sève poétique bouillonne bel et bien.
À vous, ensuite, de décider si les effluves qui s'en dégagent vous enivrent ou vous écœurent.

ESPIONNAGE POUR GRANDS GARÇONS

DÉPRAVEZ-MOI ÇA ! (HARD-CORE MURDER), PAUL KENYON
EEP / EROSCOPE # 7 / PENNY S. # 4, 1975 (US:1974)

Avec son accroche géniale ("La mort aux trousses, le désir au ventre, elle doit céder aux étranges caprices du Prince du Porno..."), sa couverture punchy-cheap (WHAM!) et son estampillation en label-qualité Eroscope (sous-branche des Éditions et Publications Premières, ou EPP, l'éditeur favori des routiers circa-1976), je le sentais, je le savais : j'allais en avoir largement pour mon flouze (approximativement 0,33333 centimes d'euros le présent volume - je rentabilise à fond mon temps de cerveau disponible).
En plus, Paul Kenyon, Penny S., tout ça regroupé, ça sonnait un peu comme une tentative d'extorsion en masse du lectorat de Paul Kenny mais je me trompais.
Penny S. (ou The Baroness en V.O.) est bel et bien une série anglo-saxonne. Quant à Paul Kenyon, il s'agit d'un house-name regroupant divers mercenaires de la plume outre-atlantique, dont certains officiaient (plus ou moins à la même époque) sur les méga-franchises Nick Carter : Killmaster ou Mack Bolan : L'Exécuteur.

Ça vous donne une petite idée du niveau global (à l'échelle de la grande littérature pour mecs) de ce bijou pour les pervers du gare détraqué.

Kenyon fait, avec Penny S., dans le roman d'action péchu, tendance espionnage seventies haut en couleur, gadget à gogo, ultra-pop, et tartine le tout d'une grosse couche de pornographie pour gentils garçons. C'est Modesty Blaise revue et corrigée par les Érotique de GDV.
Ainsi, entre deux passages de fusillades, de kung-fu fou, de courses-poursuites endiablées et d'infiltration pas trop furtive en zone ennemie, hop, voila que surgit le long passage (environs 4 pages) d'Harlequin pour mecs appliqué aux travaux pratiques de biologie très intime. Genre : "Trouvant la fleur de son clitoris raidi, il lecha le bourgeon."
C'est jamais vulgaire, mais pas subtil pour autant. L'auteur ne nommera pas le sexe masculin "bite" mais parlera plutôt de "cierge enflammé comme un sceptre", de "harpon raidi " ou de "longue épée" qui "prend sa place dans sa gaine". Ou son fourreau, selon l'humeur.
Bref, un véritable festival, une ode au zizi, le vrai, le dur.
Quant au méchant, il n'est doté que d'une "petite saucisse de Francfort" qui pendouille tristement à longueur de tournage.


Car, dans le présent volume, le méchant est un cinéaste de films pornos un peu snuff sur les bords et les largeurs. Une sorte d'Harry Novak diabolique, financé par la mafia pour tourner un Caligula anachronique, délirant, avec des mises à morts authentiques, des passages zoophiles cinémascope et un plateau de block-buster situé en plein coeur du désert du Nevada, dans une ville fantôme mélangeant l'architecture de la Rome antique aux décors des westerns chantants des années 30.
Ingénieux
, n'est-il pas ?

Notre héroïne, Penny S., ou plutôt Penelope St-John-Orsini (à la fois jeune et richissime comtesse italienne, mannequin super-star et espionne américaine ultra-secrete top niveau), est alors chargée de mettre un terme aux agissements de l'affreux du celluloïd. Et tant qu'elle y est, de récupérer puis de détruire certaines bobines compromettantes mettant en scène, et contre leur grès, des femmes de ministres du gouvernement US.
Kenyon délire un max. Ça pourrait être du Ron Goulart spy-fiction et érotique au premier degré. Et les gadgets sont assortis au propos. Ainsi, et outre les micro-ordinateurs à profusion avec connections satellitaires incluses (figure essentielle du genre), on a droit au magnétophone tampon périodique, au soutien gorge montgolfière (taille 110 E expansif à l'infini) et, clou du spectacle, au pistolet gros calibre maquillé en (et pouvant faire office de) phallus artificiel.
Que du bonheur !