SEMAINE NOIRE # 3 : TRAGEDIES NOIRES ET NAVET SCIENCE-FICTIF

BAGARRES A MACAO, DIEGO MICHIGAN
EDITIONS DU GLOBE, DATE INCONNUE

Voici une petite bizarrerie de la littérature jetable des années 50. Bagarres à Macao, dernier numéro de la Collection Noire Franco-Américaine aux éditions du Globe avant leur retitrage en éditions du Trotteur au fameux 5 rue des moulins. J'ai déjà évoqué ces imbroglios de façades éditoriales avec les MômesDouble-Shot de George Maxwell il y a un peu plus de deux semaines. Inutile de s'y appesantir d'avantage. Par contre, ça permet de dater le roman - Probablement 1951.
La vrai énigme, c'est Diego Michigan, pseudonyme faussement américain comme il était de coutume à l'époque. Bagarres à Macao en est la première apparition éditoriale, sous la plume de Françoise d'Eaubonne (masqué en traductrice). A priori, c'est le seul roman de Diego Michigan qu'elle signa.
Par la suite, le nom fut récupéré par Willy de Spens, Gerard Prevot ou encore sa soeur Jehanne d'Eaubonne. Diego Michigan devint alors un pseudonyme récurrent aux éditions de la Seine, qui eurent la fâcheuse tendance de l'attribuer à tord et à travers, avant de terminer sa carrière aux éditions de l'Arabesque.
Mais revenons à Françoise d'Eaubonne - sur laquelle je ne savais strictement rien. Google m'apprend qu'il s'agit d'une écrivaine française, fondatrice de l'écofeminisme, du Front homosexuel d'action révolutionnaire et amie de Simone de Beauvoir avec qui elle fut à l'origine du Manifeste des 343. Bref, pas vraiment le profil que l'on pourrait se faire de l'auteur d'un roman noir burné destiné à des mâles en manque de virilité.
"Le saisissant par ses cheveux noirs et crêpus, elle le secoua en vociferant :
- Nous allons lui peler le dos jusqu'à ce qu'il soit à vif. Nous la frotterons de poivre rouge. Nous mettrons des méches entre ses orteils, et nous les allumerons. Nous lui couperons les oreilles avec une lame de rasoir. Tu entendra ses cris. Tu entendra craquer ses os. Tu verras son sang couler et faire une mare au milieu de cette pièce. Dis, veux-tu voir tout ça ? Dis, veux tu te mettre à table, espèce d'ordure ?"
Car Bagarre à Macao, c'est 230 pages d'aventures orientales dans les milieux interlopes de la drogue et du jeu avec son lot de contrebande, de règlements de comptes et de coups fourrés.
Le héros, Duke O'Conan, ridiculement surnommé Oppossum, débarque à Macao après quelques ennuis continentaux et une carrière journalistique en berne. Le bonhomme a le plus pur style Eddie Constantine. C'est un malabar rigolo, bagarreur et séducteur. En moins d'un chapitre, il est embauché par une vieille connaissance, Sullivan, un ancien agent secret désormais faux barman et véritable patron de la pègre locale, qui le charge de s'occuper de sa rivale, la magnifique et dangereuse Mei Wen. Reconverti agent double, Oppossum fait la connaissance de toute une faune pas très fréquentable, tombe amoureux à deux reprise et se retrouve coincé dans un engrenage tragique et implacable.
Ça ressemble à un film hollywoodien des années 40, une adaptation de Hemmingway façon le Port de l'Angoisse ou Key Largo, en plus brutal. Se jouant des clichés du roman noir colonialiste, mais sans pour autant tourner le genre en dérision. L'intrigue est commune, le style classieux, appliqué, avec quelques audaces stylistiques comme un ciel d'un rose chimique de bonbon ou de gaz asphyxiant.
Du très beau pulp, dur et désespéré... pour nous les hommes.


CHAMPAGNE OBLIGATOIRE, NOEL VEXIN
DITIS / LA CHOUETTE, 1956

Deuxième aventure de Valentin Roussel, jeune avocat sans le sou, tête brûlée de la justice civique et tombeur de ces dames. Le précèdent roman, Ces Messieurs de la Famille, l'avait opposé à une bande de corbillards pas très net menés par une dangereuse veuve noire lesbienne. Cette fois, le voici aux prises avec quatre corses et un marseillais, souteneurs de leur état dans des boites de pigalle et organisateurs de braquages le dimanche. Bref, l'habituelle histoire du coup foireux dans lequel s'enfoncent des petits truands pathétiques. Un genre dans lequel Noël Vexin excelle. A ce titre, la peinture qu'il fait du milieu est véritablement succulente.
"- Et mon zob ? clama Orsoni. Non mais vous me prenez pour qui ?
- Pour un cave, répondit durement César. Pour un demi-sel mal affranchi, un coureur de gonzesses et un bavard dangereux. Voila ce que t'es, Orsoni. Moi, je te le dis, puisque les autres n'ont pas le cran de te le dire. Qu'ils se démerdent avec toi."
Le roman est rapide, enjoué, moins sombre que le précèdent malgré une belle monté tragique sur les 20 dernieres pages. Valentin est un personnage attachant, atypique même. Bref, cette serie, c'est un peu Les Nouveaux Mystères de Paris par Noel Vexin. Et malgré un certain aspect routinier, ça reste du divertissement de premier choix.


L'HOMME AUX HUIT TETES, MARC MINERATH
EDITIONS DE LA FLAMME D'OR, 1953

Pour finir, de la vraie saloperie littéraire publié sur du papier bien poreux comme on n'en fait plus depuis fort longtemps. L'Homme à Huit Tête, l'unique roman d'un dénommé Marc Minerath, mais certainement pas le seul de l'auteur qui se cache derrière ce pseudonyme. Mais encore faudrait-il savoir de qui il s'agit. Pendant cette lecture, éprouvante mais heureusement brève, outre avoir quelque peu souri, j'ai beaucoup pensé à Maurice Limat. Mais un Maurice Limat fatigué, avec un style bien plus pataud qu'à l'habitude, des personnages transparents, presque interchangeables, et surtout, des descriptions édifiantes comme ce club de boxe dans lequel nos inspecteurs pénètrent en page 55 :
"Comme personne ne se présentait, ils poussèrent une porte. Une salle spacieuse s'offrit à leur regard.
Deux rings occupés l'un et l'autre par des mordus qui bataillaient ferme et suaient leur courage pour le plaisir de s'ébattre. Disséminés, à terre ou debout, des gars en slip soumettaient leurs muscles à l'exercice quotidien.
Un bruit d'eau sympathique venait de quelque part : des veinards qui goûtaient la volupté de la douche !
"
Voila qui est bien viril. Mais reprenons notre sérieux. L'Homme à Huit Têtes est un roman policier bâtard, du mystère lourdingue à l'ancienne qui vire dans son dernier quart à la science-fiction du pauvre. Je vais tenter de résumer cette grosse bouillie le plus clairement possible.
Une suite de disparitions, celles de trois sportifs renommés, accompagné par le meurtre sordide d'une jeune femme sentimentalement lié à l'un des disparus, met la France en émoi. La police parisienne est en état d'alerte. Du coup, Un inspecteur, un journaliste et un boxeur se lancent mollement dans l'enquête et, 180 pages plus loin, découvrent qu'un super-scientifique mondialement reconnu est à l'origine de tout ce remu-ménage.
En fait, notre savant fou enlève ce qu'il nomme les spécimens parfait de la race humaine actuelle (c'est à dire : des sportifs) pour leur faire subir des bonds évolutifs de quelques centaines d'années et, par conséquence, les transformer en über-sportifs. Et tout ça, inspiré par Léonard de Vinci.
Prends donc ça dans ta gueule, Dan Brown !

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