LE MÉDIOCRE, CE N'EST PAS SI MAL...

GRACIAS GRINGO !, HENRY LEWIS
PRESSES NOIRES ESPIONNAGE # 162, 1968

Selon une source aussi infaillible qu'essentielle (le forum À propos de littérature populaire), derrière le pseudonyme d'Henry Lewis se cache Henri Trémesaigues, écrivain Coursannais plus connu sous l'alias d'H.T. Perkins. À la lecture de ce Gracias Gringo, le doute n'est d'ailleurs jamais vraiment permis. On le reconnaitrait entre mille : c'est bien son style alimentaire aux tournures tragiquement peu alimentées qui sévit tout le long de ces 220 pages.
Car l'homme noircit ses feuillets d'une façon toute économique. On est très proche du synopsis de bande dessinée dépouillé de toute préciosité comme de ses plus simples artifices.
La prose est grossiere, brute, sans grâce ni intérêt. Sujet verbe compliment est le cocktail favori de notre auteur. Pourquoi faire compliqué lorsqu'on s'adresse à des simples d'esprit ?
Tout au plus rajoute-t-il de-ci de-là quelques éléments de syntagme en guise d'accompagnement, quelques fioritures lexicales plus utilitaires que décoratives. Pour reprendre l'analogie avec la BD, si l'écriture est l'équivalent du trait, alors Henri Trémesaigues dessine du petit-format importé d'Italie et publié à l'emporte-pièce par André Guerber et ses potes.


Étonnant, du coup, de remarquer qu'il fut grand ami avec Roger Maury, allant même jusqu'à collaborer avec ce dernier sous le pseudo de Henri Trey.
Pareille combinaison laisse rêveur. Trémesaigues, le grossiste de la phrase en kit et Maury, le besogneux Toulousain qui tressait à la truelle d'insensés romans d'espionnage aux envolées (forcement) lyriques et aux images pataudes. L'un se voyait en Lamartine du gare et l'autre usinait tranquillement en mode télégraphique.
Les deux extrêmes du spectre populaire bas de gamme...

Mais ne nous égarons pas. Nous recauserons de Trémesaigues (et de sa clique) très prochainement. En attendant, revenons-en au bouquin du jour.

Dans Gracias Gringo, le héros se nomme Richard Beaumont, agent au service du A.A.A., un sub-bureau ultra-secret de la C.I.A.
Le nom de code de notre homme ? Agent 0777.
"Un matricule de robot attribué par un ordinateur [...]
0 notait le sens de la morale de l'agent.
7 son aptitude aux différents sports de combat et à la survie dans des conditions determinées...
7 son intelligence, son sens des possibilités, sa confiance en soi...
7 sa notion d'homme libre, son attachement à sa patrie et à son idéal..."
Doté d'un quart de sang Français et propriétaire d'une riche demeure sudiste (entourée de champs de cotons dans lesquels des noirs très 'banania-style' s'activent), 0777 est l'agent numéro UNO de son service.
Dans cet épisode, le dernier de sa série, il est envoyé à Cuba. Sa mission ? Sauver la couenne du père Castro qu'une bande de vils arrivistes instrumentalisés par Pékin aimerait bien trouer. Le plan de nos gugusses est hyper-machiavélique, le héros patauge dans les grandes largeurs, l'auteur narre nonchalamment et le lecteur trouve le temps un peu long.

Gracias Gringo, ce n'est ni plus ni moins que de la lecture facile pour dimanches gueule de bois. On notera quelques (rares) apparitions d'une jeune et jolie espionne dotée d'une "opulente poitrine qui gonflait [ses robes] à la limite de l'éclatement" et un final qui rejoue l'assassinat de Kennedy à la sauce cubaine.
En bref : c'est du Henri Trémesaigues typique, ni trop inspiré ni trop ennuyeux.
La routine
, en quelque sorte.



LES FEUX DE SAINT-JEAN, JEAN CLERC
PRESSES NOIRES ESPIONNAGE # 165, 1969

Mais - il faut bien le reconnaitre - la routine n'est pas foncièrement une mauvaise chose. Surtout dans un genre tel que l'espionnage, trop souvent embourbé dans des romans au style balourd et dont les intrigues incompréhensibles peinent à impliquer sur plus de quelques lignes un hypothétique lecteur.
Par exemple, ce bouquin enfourné dans la foulée : Les Feux de Saint-Jean, signé d'un certain Jean Clerc.
Recit grotesque, écriture surchargée.
Un communiste toulonnais projète de faire sauter un sous-marin atomique US stationnant dans la rade. Le héros, Saint-Jean, mi-flic mi-militaire, est lancé à ses trousses.
"Je voudrais bien que nous mettions la main sur le fils de tante qui mijote un pareil projet " grince-t-il en page 37.
De son coté, l'auteur expérimente les fonctions 'MAJUSCULE' et 'italique' de sa machine à chier du texte.

Confronté à pareil régime (corps du texte formaté en depis du bon sens et intrigue soporifique), il est impossible de tenir plus de 40 pages.
J'opère donc ma lecture en mode 'sauts intempestifs de pages' avant de la terminer, sans remords ni pitié, par quelques 'sauts intégraux de chapitres' - ce qui ne m'a pas empêché le moins du monde de gouter pleinement aux tenants et aboutissants de cette aventure passionnante.


Ainsi, chapitre 8, le communiste et ses potes du syndic', une belle brochette de salopards, mettent la main sur un laser acoustique, l'arme ultime pour TOUT FAIRE PÉTER.
Chapitre 9, le coco meurt, doublé par ses potes. Par ailleurs, je me rends compte que ce roman est encore plus chiant que du Service Action. C'est dire le désastre. Je ne pensais pas tel exploit possible.
S'en suivent donc quelques nouveaux sauts de chapitres. Heureusement pour moi, les dernières pages sont en vue. Les méchants marxo-russkoffs se font dessouder dans les rues de Toulon par les gentils espionno-flics et l'auteur nous révèle enfin que le chef du réseau sovieto-vilains, c'est en fait le gonze sexuellement impuissant entrevu lors du chapitre 11.
Voila qui me fait une belle paire de gambettes. Voila surtout qui me permet de relativiser. Car comparé à cette bouillie innommable, le Henry Lewis était vachement génial !

Et c'est un peu ça, l'espionnage populaire français des petites collections sixties. La médiocrité y est constamment réévaluée à l'aune des ratages absolus qui, semble-t-il, caractérisaient majoritairement sa folle production industrielle.

6 commentaires:

artemus dada a dit…

"c'est bien son style alimentaire aux tournures tragiquement peu alimentées" ...

Madre dios, tu as vraiment le sens de la formule qui tue.

Excellent !

Zaïtchick a dit…

Faudrait que je te parle de certaines perlouzes que j'ai trouvées... Mais ce n'est pas de l'espionnage.

ROBO32.EXE a dit…

merci Artie !

Et Zaït', même si c'est le mois de l'espionnage sur le MFPE, les commentaires sont par contre ouverts à tous les genres :)
Alors, c'est quoi, ces petites perlouzes ?
(ben vi, je suis intrigué !)

Zaïtchick a dit…

Oh, en y réfléchissant, rien de bien brillant.
Juste un roman adaptant la série les envahisseurs dont la couverture était laide et le récit plus moche encore.
Et un autre truc... que j'ai oublié.
En fait, je n'ai pas ta patience pour lire les inepties et en tirer un post intéressant.

Kerys a dit…

A moi ! A moi !
Sans doute inspiré par ma lecture extensive du robo, j'ai fouillé les bacs et suis tombé sur :
. Du sang à gogo, d'un certain G. Sardes (Série noire et rose, tout un programme)
. L'étranglée du 114 de Georges Méra, le Moulin Noir.
Ici les studios, à vous Cognacq-Jay !

ROBO32.EXE a dit…

La série Noire et Rose, c'est en effet tout un programme. J'en ai déjà causé sur le Müller, à propos d'un certain Savignac qui imitait San Antonio, version alcoolique chronique.
Quant à (Robert-)Georges Mera, c'est un petit héros du populaire. Et un gros filou aussi. Un pote à André Guerber - ceci expliquant cela. Il refilait constamment les même manuscrits, en changeant les noms des personnages et des lieux. Ce qui ne l'empêcha pas d'écrire quelques bons romans et de voir un de ses héros, le commissaire Renaudin, adapté au cinoche dans les années 50.
On peut le trouver au Fleuve Noir sous les pseudos d'Irving Le Roy et de Susan Vialad.
(je le fais de tête...)