DU BRUT POUR LES BRUTES # 2 : LITTERATURE DE PETITES VERTUES


FALLAIT PAS ME DOUBLER !, GEORGE MAXWELL
LE CONDOR / LA MÔME DOUBLE-SHOT, 1952

Il y a à peine une semaine, l'excellent Monsieur Losfeld abordait ici-même le premier volume des aventures de la Môme Double Shot, Fallait Pas Me Doubler. Un roman à double tranchant, par ailleurs, et sans jeux de mots.

George Maxwell, je le répète mensuellement, c'est l'énervé anonyme du polar des années 50. Un type qui écrit vite, sans fioriture et avec beaucoup de gueule les histoires sanglantes du poupée blonde doté d'un fort caractère et d'une belle carrosserie. C'est une absence totale de finesse littéraire, une gigantesque grossièreté de 180 pages, un truc pas très conforme - et plus si affinités.
"Ça pue l'alcool, le linge sale, la sueur, le cigare froid et le vice fashionable. On voit que dalle; trop de fumée, pas assez de lumière; y a une main qui me court sur la jambe, et qui remonte comme un gros rat; un rat qui pinsouille, mordille et me tire les poils, et moi, je suis le mouvement... J'ai les nichons en compote et la peau huileuse à force de transpirer; je glisse sans toucher terre , et j'évite des monticules vautrés, farcis de gémissements; j'écrase de mes pieds nus des bides velus, des doubles et des triples, et des gueules en accordéon qui couinent quand on marche dessus. J'ai l'impression d'être en pièces détachées [...] J'ai envie de dégueuler, tout ça est dégueulasse."
Pour autant, Fallait Pas Me Doubler, passé son premier chapitre entre orgie mondaine hallucinée et écriture automatique, se montre plutôt timoré. Bien entendu, il y a de la violence (les habituelles fusillades et poursuites en voiture). Il y a aussi pas mal de cul (sur le premier tiers du bouquin, elle se fait un gars différent par chapitre). Mais rien qui sorte cette histoire du cadre très formaté d'un polar sexy type La Tarente.
C'est le double tranchant de l'affaire.
Pour du Maxwell, la vitesse de croisière n'est pas très élevée, les situations assez classiques et la déviance plutôt minime. Pour peu que vous ayez lus quelques Double Shot plus tardif, vous serez immanquablement déçus. On est très loin du délire total d'un Pyjama de Sapin, pour citer mon favori actuel.
Et dans le même temps, en ce qui concerne le registre polar sexy, Fallait Pas Me Doubler est bien au dessus de la moyenne. C'est moins stupide, moins raciste, moins gras, sans guimauve et mieux écrit.
Et puis c'est du Maxwell, c'est le premier Double Shot. Un "Spécial Origine" avec l'apparition des futurs triplets de la tatane, Ben, Kiss et le Gorille. Pour le reste, Maxwell essaye certaines choses (du cul ?), tâtonne (du cul ou une intrigue ?), cafouille (deux intrigues ?) puis lance la machine dans un final assez correct. Bref, Fallait Pas Me Doubler est un brouillon stylistique. Une tentative plutôt réussie, à la fois intrigante et ennuyeuse, décevante et fort plaisante à lire.
Dans le genre, j'ai connu bien pire.


FRISSONS DE JOIE, LARRY SAUNDERS
EDITIONS DE LA TARENTE, 1953

Tiens, par exemple, ce truc-là. Frissons de Joie. Ou Bâillements d'Ennui. Ou Gros Yeux de Merlan Frit, car l'intrigue est totalement dégénéré donc, forcement, on lève assez souvent les yeux au ciel. Mais je dis ça en employant le sens le plus positif possible du mot dégénéré.
Frissons de Joie, c'est un roman qu'il ne faudrait jamais lire et pourtant, nous aurions tord de nous en priver.
C'est à l'érotisme suranné ce que la charcuterie est au végétarien. Un vrai concentré de douceur poétique pour mec viril gonflé aux flageolets. Une perte de temps absolue.

Mais permettez moi donc de vous en faire l'article... Je veux dire : de résumer la chose tant que j'en ai encore le courage.

Notre héros, Tom, est un clochard narrateur de type première personne du singulier. Un gars mal rasé et puant qui passe son temps à jurer comme un charretier (un slang vieille france très démodé) tout en traînant ses guêtres sur les routes des Etats Unis. Et qui pratique aussi l'abstinence sexuelle propre à sa classe sociale. Bref, Tom ne mène pas une vie très folichonne. Jusqu'au jour où il sauve Lona La Tigresse d'une bande de va-nu-pieds en rut.
Lona, c'est une super-poupée vagabonde un peu dominatrice sur les bords. Un truc qui remonte grave la libido de notre pauvre Tom. Malheureusement, elle est plutôt du type chaste. "Ah, si la plus hideuse des négresses était passée à ce moment-là, je crois que je l'aurais violée !" déclare, la queue entre les jambes, notre héros à la verve fougueuse.
Mais Lona a aussi une mission. Elle veut venger son mari, assassiné par les truands d'une organisation tentaculaire - une drôle de mafia principalement constituée de clochards libidineux et de nanas dévergondées genre Rosa La Chienne. Lona engage donc Tom comme garde du corps et ils partent ensemble, en vadrouille, châtier les saligauds et, bien entendu, se taper quelques séries de nanas dévergondées.
A partir de là, j'ai quelque peu décroché de l'intrigue à proprement parler, mais c'était pas très grave. Tout l'intérêt, vous l'aurez compris, réside dans le festival de subtilités sexuelles auquel Frissons de Joie nous convie. Un exemple ?
"- Vous allez vite, beaucoup trop vite !
Trop vite, qu'elle disait ! Avec une rombière de cette coupe-là on n'est jamais sûr qu'elle va pas se débiner au bon moment et vous laisser en carafe [...] Quand on est fixé on peut remettre ça avec les hors-d'oeuvres et le tremblement. Et aïe donc, ça n'a pas fait ouf... La réalisation de mon désir avait trouvé un domicile. Ah les anges ! C'étaient eux qu'avaient fait le Técalemit dans cet écrin de velours qui m'allait comme sur mesure. Et revlan. Pas besoin d'attendre le chant du coq. On se comprenait si bien qu'on s'est foutu à hurler tout les deux en même temps."
A la fin, l'auteur y fait une grande révélation. Tom n'était pas un clochard mais un ponte du FBI en mission sécrète. A ce moment là, on ne s'étonne plus de rien. On est même bien content puisque le roman est terminé.
Comme ma chronique d'ailleurs.
Donc, que dis-ai-je à propos du roman noir sexy ? Ah oui : c'est stupide, raciste, gras, guimauveux (car il y a une foultitude de bons sentiments) et mal écrit. Mais à moins d'être une fiotte trop attachée à la noble délicatesse des arts littéraires, c'est tout de même assez marrant.

3 commentaires:

losfeld a dit…

tu avais raison je suis complètement passé à côté du début... honte sur moi!

ROBO32.EXE a dit…

mais à part ça, pour tout le reste du roman, ta critique est parfaite :)

Anonyme a dit…

Merci Mister Robo32 du référencement. Comme j'aime beaucoup (j'adore parce que je me marre) votre prose, je vous re-cite dans une proposition de bouquins de Maxwell et ai mis en place un lien sur votre article : "Littérature de petites vertu(e)s"
Amicalement
Louis from papy-dulaut.com
PS: Si vous avez des propositions d'articles...