RETOURNEMENT x 7

VICE VERSA, SAMUEL DELANY
CHAMP LIBRE / CHUTE LIBRE, 1975 (1973)

Dans les années 60, en plein boum spéculative et new thing, Samuel Delany faisait figure d'auteur prodigue - l'égal de Spinrad, Farmer et Ballard, possiblement les trois en un. Quelques romans de S-F visionnaire et voila un type bardé de critiques dithyrambiques, de prix prestigieux et qu'Harlan Ellison destine (in Dangereuses Visions, introduction à Ouais et Gomorrhe...) "à devenir un des vraiment grands auteurs produits par la spéculative-fiction. Une espèce d'écrivain qui passera par d'autre genre et deviendra pour la littérature d'une importance delanyforme, comme Bradbury ou Vonnegut ou Sturgeon."
Et effectivement, 1973 sonnant, Delany passa à un autre genre.
La pornographie,
à
sa manière.
Et son statut au sein de la communauté S-F, son appellation certifié "génie du siècle", tout ça prit un sacré coup dans l'aile.
L'époque permettait pourtant pas mal de délires, comme forniquer avec des bêtes spatiales ou dans des voitures accidentées. La Bourrée Pastorale avait déjà 13 années derrière elle et Crash venait tout juste de sortir.

Mais Vice Versa boxe dans une catégorie différente, résolument "autre".

Vice Versa n'est pas un roman de S-F abordant des thèmes sexuels. (Tout juste si il en a la couleur.) Vice Versa est un sale bouquin de cul. Un truc rempli à ras bord d'actes homosexuels, pédophiles et abjects. Le dernier point est purement objectif : Ça se pisse dessus, ça s'insulte racialement et ça baise, stylistiquement parlant, de façon plutôt déstructuré.
Les descriptions d'actes sexuels sont de longues series de 10-20 pages en patchworks littéraires, explosions poétiques, images étranges et couleurs saturées, un peu comme une bande de Nicolas Devil retranscrite en ascii. Ou un bouquin de Dennis Cooper, vingt ans plus tôt. Ou encore un cut-up bien remonté.
Je disais : Delany fait de la pornographie à sa manière. De la pornographie new thing, avec toutes les divagations, les artifices extravagants et les brisures narratives que cela peut comporter.
Comme proposer, entre deux dépassements des limites de la bienséance sexuelle, une histoire prétexte à la relecture de Faust.
"Dans un geyser de boue noire, une brutale éruption d'écume blanche.
(Eruption...)
et il s'est enfoncé : poussée, goutte, pousse, pousse, goute."
Vice Versa débute donc par une partie de jambe-en-l'air abstraite. Le Capitaine noir du Scorpion, un navire pas très marchand, s'ébat avec ses deux très jeunes mousses blanc - Gunner, le garçon, et Kirsten, la fille. Son chien batard Niger y participe aussi un peu en léchant quelques testicules. Et le Capitaine éjacule 6 fois de suites. Puis met pied à terre, à Cugarsville, son escale le temps d'un roman.
Il rencontre alors Jonathan Proctor, l'artiste, la figure Faustienne, et ce dernier lui apprend que sa septième éjaculation marquera une nouvelle ère de chaos sur la terre. Proctor évoque aussi Catherine, son ancienne amante qu'ils chatiront ensemble dans l'orgie finale.
Et pendant tout ce temps, divers personnages font diverses choses avec leurs organes respectifs ("Ohhhh, ouais ! Fous-la, salaud ! ouais, vas-y enfoiré de nègre ! Ouais, rentre là.")
à de très nombreuses reprises...
Disons qu'ils apprennent à mieux se connaitre :

"Tu aime la pisse, mon gars ? Nazi m'a dit que tu aimais boire la pisse d'un type. Tu sais ce qui me plait : quand je suis tout près de décharger, comme mettons dans un petit môme qui est en train de me sucer, je me mets à pisser. C'est exactement comme jouir, à part que ça dure une minute entière, tu saisis ?"
Et on saisit beaucoup de chose. Car Vice Versa n'est pas qu'un bouquin de cul, ce serait trop simple. Vice Versa est l'amalgame de trois processus, qui se répondent et se confondent.
C'est un roman halluciné signé Delany.
C'est un défouloir sexuel déviant, vulgaire et Delanyien.
C'est une réflexion sur l'Ecriture par Delany.
L'ensemble (l'inter-textualité des trois éléments) est parfois maladroit dans ses astuces mais, par son inconvenance et ses idées, Vice Versa se montre constamment fascinant.

"C'est un livre magique. Les mots veulent dire des choses. Quand on les met ensemble, ils parlent. Oui, parfois ils se nivellent et rien de ce qu'ils disent n'est réel, et c'est une sorte de magie. Mais parfois une vision en jaillira, grincera et fera sonner ses ailes fort comme la mâchure de sueur sur le papier sous votre pouce. Et c'est une autre sorte. Je crois que les deux ont quelque chose à voir l'une avec l'autre et avec l'attention mais je ne sais pas."

2 commentaires:

losfeld a dit…

Ces cochonneries ont tout pour me plaire..

Anonyme a dit…

Grandiose! et de plus je l'ai. Mais quand a savoir de qui est la couverture...