CASH DANS TA GUEULE !

SCRAMBLE, GERARD CAMBRI
STAR ÉDITIONS / CASH, 1976

Le premier Exécuteur de Don Pendleton, Guerre A La Mafia, paru chez Plon en 1974 et, tout comme aux états unis 5 années auparavant, entraîna dans son sillage une belle flopée de succédanées.
Pourtant, si l'effet de mode avait donné aux USA quelques bonnes séries d'aventures ultra-violentes pour mecs, type Mark Hardin / The Penetrator, la curée fut, en France, bien moins appréciable. Outre les nombreux petits malins cherchant à recombiner à leur sauce le tiercé gagnant de l'écurie Gérard de Villiers (SAS + Mack Bolan + la Brigade Mondaine, tout mélangé, ça ne peut que se vendre, non ?), on vit apparaître diverses photocopies ratées de Mack Bolan, toutes aussi grotesques que peu inspirées.
Citons en vrac le Socco de Stan Olera chez Euredif, le Don de Jacques Colombo (alias Henri Vernes), le PDG un temps Kung-Fu de Gérald Moreau (oh-mon-dieu!), la tétrachiée des titres Promodifia sous étiquette Mysterotic (comme ce magnifique La Chère Et Faible de John King) et surtout, le Cash de Gérard Cambri, un auteur corse qui ne rigole pas : Militaire en Algérie, journaliste à Ici-Paris, élève tardif de l'école Arabesque Espionnage rapidement transformé en free-lance de la plume vengeresse, un temps auto-entrepreneur aux dents longues avec son Star Éditions et premier auteur français à s'être pressé au portillon des outsiders de la soupe de testostérone littéraire en mode vigilantisme bas du front.

On le comprend. La délicatesse version boucherie étant son rayon de prédilection, l'opportunité se devait d'être saisie. Surtout qu'au grand concours d'imitation Pendletonienne, Cambri arrive premier, mention "crapoteux à souhait". Un exemple parmi d'autres, page 54 de Scramble, le troisième volume de la première série Cash :
"Le visage du salaud se transforma instantanément en un magma infect, os brisé et chairs éclatées."
Du tout bon. On dirait presque Auguste le Breton sous speed et dans ses plus mauvais jours, noircissant le tableau pour éblouir le lecteur. Un autre pour la route ?
"L'italien était recroquevillé, la tête éclatée avec un filet de sang qui bouillonnait avant d'aller se diluer dans une flaque d'eau. Ça sentait le chien crevé."
Tiens, là, il manque quelque chose. Une flaque d'eau ? Une mare de pisse aurait été bien plus appropriée. Enfin, passons. L'important est noté. Cambri fait du Pendleton en plus crade, du sous-Spillane en plus moderne. Scramble débute d'ailleurs par le viol d'une nana dans Harlem. "Un dard énorme la pénétrait, lui labourait les chairs." Pendleton préférait les allégories mélodramatiques. Spillane, trop pieu, n'aurait pas osé. Cambri, lui, s'en fout. La quincaillerie déglingo-trash, c'est un bon fond de commerce. C'est vendeur. D'ailleurs, il augmente la mise. Une fois utilisée sous toutes les coutures, la nana se retrouve découpée en petits morceaux et expédiée (via UPS ?) à James Cash, patron d'une société d'aéronautique
(société d'aéronautique qui, je me permets de préciser, bat de l'aile)
Bref. Dans tous ces petits bouts, Cash reconnaît sa secrétaire. Il y voit rouge (normal quoi) et décide de dézinguer les salauds qu'ont fait ça. Refrain classique. Sacramble ne raconte rien mais on s'y amuse bien. Les femmes se font maltraiter, les pourris se font déchiqueter de diverses manières et James Cash joue au chevalier des temps modernes version baroudeur cynique. Quant à Gerard Cambri, il corse allègrement la dose. Son style étant déjà grossier, ça en devient ridicule et c'est tant mieux.
Malheureusement, le bouquin s'essouffle dans son dernier tiers. Des agents secrets apparaissent, il est question d'une affaire avec de méchants arabes et des gouvernementaux pourris. Cash tire un peu moins. Le lecteur baille. Cambri boucle le bouquin à la va-vite. Une dernière tuerie dans une discothèque, un truc risible au possible, et c'est fini. Il était temps.

LE PARADIS DES CHACALS, GERARD CAMBRI
FLEUVE NOIR / CASH # 12, 1982

Mais il en faut bien plus pour me décourager. En plein week-end testostérone (ce sont des choses qui arrivent), j'enchaîne avec Le Paradis Des Chacals, douzième volume de la seconde série Cash - celle parue aux éditions du Fleuve Noir.
Pour le coup, vous me direz : Fleuve Noir, c'est plus classe que Star Éditions et je ne peux en effet qu'acquiescer... Malheureusement, c'est un coup à double tranchant. Car si le style Cambri y gagne en professionnalisme, il se fait aussi plus guindé dans ses effets.
Cette fois, c'est certain, pas de magma infect de chairs explosées, pas de tripaille en pagaille, pas de flaques de pisse dans lesquelles les pourris, une fois leur couenne éclatée à coup de .44 magnum, viennent boire le bouillon de 11 heure. Cette fois, c'est propre comme du Pendleton, c'est de l'ultra-violence littéraire javellisée, briquée, récurée et décrottée... ce qui n'empêche pas pour autant notre bon Gérard de se montrer tout aussi con qu'à son d'habitude.

Ainsi, dans cet épisode, James Cash, devenu Punisher à plein temps (la société d'aéronautique a définitivement capotée) et désormais doté de super-pouvoirs mystiques (je vous raconterai ça une autre fois), est engagé par les services secrets de la maison blanche pour effectuer une petite mission d'agrément.
"Je renifle d'ici l'odeur de la merde qui souille cette maison," leur déclare-t-il page 65. "Vous avez de la crotte dans vos couloirs et vous me demandez de me transformer en balayeur."
En fait, si Cash fait une telle allusion aux matières fécales, c'est que sa mission concerne l'élimination de politiciens marrons. Ah, quel humour que j'ai !
Bon, comme de bien entendu, la suite du bouquin est prévisible. James Cash achète un fusil mitrailleur, un bazooka, divers grenades et s'en va tout faire péter du coté de chez messieurs les méchants. Chouette programme.
Malheureusement (c'est la troisième fois que j'écris ça, non ?), comme nous n'en sommes qu'à la page 88 et qu'il en reste encore 132 à remplir, notre exterminateur du dimanche est obliger de réfréner ses ardeurs.
En bref, on se fait ultra-chier un super grand max.
En plus, ayant finalement réussi à caser ma blague vaseuses sur les politicards marrons, ce qui était l'objectif principal de ce billet, tu t'en doutes, et qu'il se trouve aussi que ma montre indique l'heure de l'apéro, autant te dire que, phrase correcte ou pas, j'en ai un peu plus rien à foutre de cette chronique.
Ça ne m'empêchera pas pour autant de conclure ma petite affaire proprement, je suis quelqu'un de professionnel moi, même lorsque retenti l'appel de la buvette je sais être sérieux et donc, pour ceux qui rodent encore dans les parages, sachez que le Fleuve Noir éjecta Cambri le mois suivant.
Ne pleurons pas sur son sort, le bougre se degauchi rapidement un nouveau boulot. Et dans sa branche qui plus est ! Il devint en effet ghost-writer pour le compte de Gérard de Villier. Et devinez quelle série à " adapter de l'américain " ce dernier lui refila ?

Je te le donne dans le mille...
L'Executeur !
Ironique, n'est-il pas ?

3 commentaires:

losfeld a dit…

quelle aisance dans le jeu de mots tu m'impressionnes !

artemus dada a dit…

"[..] sachez que le Fleuve Noir éjecta Cambri le mois suivant.

Gérard fit donc là son célèbre saut de Cambri.[-_o]

[..] et désormais doté de super-pouvoirs mystiques [..]

Tient, c'est amusant le Punisher (celui de Marvel) a aussi eu une période "pouvoirs mystiques.

Sinon tes billets sont toujours aussi réjouissants.

ROBO32.EXE a dit…

lolo : et encore, je me suis contenu. j'ai essayé d'être sobre. j'ai même évité "gerard cambrise les couilles" en titre de billet.

artemus : tu parles des deux premières mini pupu en marvel knight ? j'essayais de les oublier. merci infiniment.