YVES DERMÈZE, LE ROI DE L'AVENTURE

Si il y eu, en France, un grand spécialiste de la littérature d'aventure et d'action, de la littérature pour garçons qui distrait et fait rêver, de la littérature trépidante et consommable en moins de 2 petites heures dans un fauteuil, ce fut sans aucun doute Yves Dermèze.
De son vrai nom Paul Bérato, Dermèze débuta dans les années 40 avec des feuilletons exotiques et mystérieux publiés dans Coq Hardi ou le journal de Mickey. Il s'essaya parallèlement au roman policier classique et à la romance pour tous puis trébucha enfin sur la littérature d'espionnage.

Début 50, on l'aperçoit ainsi aux éditions Jacquier, collection La Loupe Espionnage avec les aventures du Grand Mec puis, en 56, et alors qu'il vient de donner successivement deux chef-d'œuvres à la SF Française (Le Titan de L'Espace et Via Velpa, tout deux publiés par les éditions Métal en Série 2000), il entre à la S.E.G., petite maison spécialisée dans le petit format - ces livres extrêmement fragiles, constitués de trois cahiers de 16 feuillets à la consistance d'un papier toilette premier prix et agrafés à une couverture légèrement glacée. Une illustration criarde figure en dessous du logo de la collection : 078 Service Secret.
S'en suivront alors, pour Dermèze, et jusqu'à la fin des années 60, une bonne soixante-dizaine de romans - et cela, uniquement dans le genre de l'espionnage. À coté, Bérato poursuit son œuvre dans la littérature d'aventure au sens large.
Il passe de la SF aux récits de cape et d'épée sans sourciller.

Ce n'est pas un homme, ce gars-là, c'est une machine !
On comprend aisément qu'il eut fasciné Michel Jeury, lorsque ce dernier, tout jeunot, aspirait à la profession d'écrivain du merveilleux.

"Paul Bérato-Dermèze habitait en Lot-et-Garonne comme moi ! Mes parents exploitaient une petite métairie dans l'extrême nord du département… Je n'ai pas pensé tout de suite que je pourrais lui rendre visite. Je digérais lentement cette chose ahurissante : on pouvait être un romancier d'aventures et habiter en Lot-et-Garonne. Cela semblait incroyable. Mais tous les espoirs m'étaient permis. Ma vocation date peut-être de ce choc…"
Michel Jeury, entretien uchronique paru dans Opzone # 1, 1979

Mais revenons-en à l'espionnage. De 56 à 61, Bérato allonge du texte sous le pseudonyme de Francis Richard. L'année suivante, il se fixe définitivement sur celui d'Yves Dermèze.
À cette époque, la littérature d'agents secrets truste le marché du divertissement. La concurrence se fait rude sur le secteur et La S.E.G. abandonne alors le fascicule jetable, bien trop démodé, pour le livre de poche. Le nombre de feuillets augmente, la couverture se retrouve imprimée sur du carton souple mais l'illustration tapageuse demeure.
Certaines recettes ne changent pas.

Comme les autres auteurs turbinant dans le genre, Dermèze se crée un héros récurrent, quelque chose d'aussi emblématique que de transparent.
Il lui donne le nom d'Archibald Cartier, le fait travailler pour une branche de la C.I.A. dirigée par un certain Mr Smith. Rien ne distinguera cet espion de ses collègues super-stars si ce n'est que, écrit par Dermèze, sa lecture est mille fois plus passionnante qu'un OSS 117 ou un Francis Coplan lambda.
Bien entendu, les affaires sont routinières. D'un auteur à l'autre, nos hommes de l'ombre se démènent continuellement dans des intrigues aux ficelles identiques.
Ainsi, selon l'humeur du moment, Cartier doit protéger un scientifique, démasquer un traitre, récupérer une formule secrète ou bien encore empêcher une nation ennemie de déclencher une nouvelle guerre mondiale.

Ce qui fait la différence ? Le rythme auquel ces exploits sont narrés. Climax à chaque fin de chapitre et renouvellement constant de l'action et des enjeux.
Si il existe une idée qui résume parfaitement l'art de l'écriture chez Dermèze, ce serait celle du mouvement perpétuel. Ses personnages se courent les uns après les autres jusqu'à épuisement (de l'espace d'impression) et l'histoire s'en trouve parfois réduite à une seule et unique poursuite de 200 pages.
Chasse à l'homme ou course contre la montre.
C'est la fuite en avant, la fuite vers l'aventure.

Toute l'œuvre de Bérato-Dermèze est bâtie sur cette notion, ne laissant à aucune des parties investies dans son déroulement (auteur, lecteur, protagonistes) le temps de récupérer son souffle.

Et c'est bien cela qui constitue la grande force de Dermèze, artisan aussi solide que sublime du récit d'aventure : il roule vite et ne s'arrête jamais. L'intrigue est une route, les incohérences des nids de poule. À la vitesse à laquelle il va, ne se ressentent alors plus que quelques légers cahots.
Et tout le reste n'est qu'illusion de grand spectacle, un tableau d'automates à la mécanique aussi bien huilée que parfaitement saisissante, la littérature d'évasion dans toute sa splendeur.

4 commentaires:

losfeld a dit…

Je me disais bien qu'il devait y avoir quelque chose à sauver dans ce cher Lot-et-Garonne de mes origines...

bête mahousse a dit…

Il a fallu que je relise le passage où tu parles des "autres auteurs turbinant dans le genre...", il y avait quelque chose qui clochait, j'avais compris titubant au lieu de turbinant! Remarque que c'est sans doute possible aussi. Ce quiproquo démontre surtout que moi-même je devais en avoir un sérieux coup dans le cornet.
Viva Dermèze!

Kerys a dit…

Que voilà une excellente définition du roman d'aventure au sens le plus large !

ROBO32.EXE a dit…

Lolo : Dermèze, Jeury et les pruneaux. Comme score, c'est pas mal !

Bête Mahousse : Ce doit être ma faute. J'étais sobre en écrivant ce billet. Et "Titubant" aurait constitué un meilleur choix de vocable que "Turbinant."
Dans tous les cas, Viva Dermèze !

Kerys : Merci. C'était en partie le but de ce petit texte. Montrer que l'espionnage, ce n'est ni plus ni moins qu'une extension (ou une succursale) du roman d'aventure.