À BOIRE ET À MANGER...

LES SOURIS VALSEUSES, ANGE BASTIANI
CALTEZ VOLAILLE, ANGE BASTIANI
PRESSES DE LA CITÉ / UN MYSTÈRE # 596 & 638,
1961 / 1962


Il y a à boire et à manger dans le Ange Bastiani des Presses de la Cité. De la prose alimentaire, tu penses, une trentaine de bouquins en un peu plus de dix ans, l'homme assurait un rendement plus que confortable sans pour autant s'enferrer dans le stakhanovisme du clavecin Japy.
Alors naturlich, sa production n'était parfois pas de toute première fraicheur, un peu fripée sur des automatismes de tireur à la ligne, un peu figée sur des intrigues fétiches maintes fois déroulées.
Le mari ex-arcan désormais cocu (ou dans la mouise comme pas deux), l'entourage qui sent mauvais pire que des gaugues de bistroquet, les nistonnes dévergondées qui radinent leur fraise histoire de tout complexifier et la poignée de demi-sels tendance Salut Les Copains qui se chargent d'assurer une petite corrida tous les trois ou quatre chapitres.
Format pré-enregistré et résultat prêt à emballer.
Hélas, le lectorat ne l'est pas toujours, emballé. Certains romans de Bastiani sont bien trop pépères pour être honnêtes. Écrits avec mérite, certes, mais excessivement routiniers - c'est le cas, par exemple, d'Amour, Sang et Zibeline, vaudeville criminel ennuyeux, ou de Requiem Pour Un Chien, polar campagnard un peu tarte et qui, malgré une idée de départ plus qu'attachante (un homme cherche à châtier les meurtriers de son berger allemand) et un premier tiers exemplaire, retombe rapidement dans la banalité typique du genre.
À boire et à manger, disais-je.
Car lorsque l'Ange s'en donne les moyens, son abattage littéraire pécuniairement motivé se montre aussi vivifiant que vigoureux, charmeur comme pas deux, et le lecteur tire alors une toute autre tronche.
Fini l'empalmage, place à l'enthousiasme.
Par exemple, Les Souris Valseuses. Rarement ai-je lu Ange Bastiani aussi acrobate dans l'exercice de sa prose populaire. Exactement comme si Ben-Hur (Série Noire # 222) avait chanstiqué son char antédiluvien pour un buick rutilante et grondante. Un tigre dans le moteur et la gueule qui dévore une nationale nids-de-poulisée.
Il y a la jactance qui décape, l'argot qui côtoie les bons mots, les formes et le fond qui s'enhardissent dans les limites commerciales imposées.
Tout cela est à l'image du "SACRAMENTO" hurlé par la typo du premier paragraphe. De l'artifice, du pur artifice - mais comme les feux du même nom, ça en jète et c'est gratuit, ça brille à tout petit prix, ça flambe et ça boucane.
L'intrigue est bateau (normal, ça se déroule en partie sur une péniche) et les détails savoureux - surtout pour les fanas du bonhomme.
Ainsi, premier sur scène sitôt les trois coups frappés, c'est l'habituel alter-égo Bastianesque, narrateur première personne du singulier à l'existence tracée en diagonale sur l'hexagone - origines bretonnes, les deux pieds à Paname mais le palpitant et l'accent hypothéqués par Toulon - qui donne de sa personne en se dépatouillant dans une soupe au pistou schlinguant le faits divers pour couverture de Détective Magazine.
Un chantage sur partie-fines, une nièce qui tourne comme le lait frais et un cadavre bien encombrant qu'il faut co-voiturer jusqu'au bois de saint Cucufa.

À ses côtés, paré pour l'épauler, un majordome asiatique nommé Tchen, " tout aussi habile à projeter au plafond un malabar de deux cents livres que de tortoner un tchop-sue de première."
Et face à lui, quelques arcans premier prix (" le bon petit truand d'après-guerre, qui déteint au lavage et rétrécit à l'usage "), diverses grosses huiles qui tachent (" Si c'est ça les pontes de la politique, pardon. Ça fait regretter de payer ses impôts ") et une patronne de maison close au pédigrée certifié cent pour cent reflets de France :
" Maquerelle mondaine, tenancière de bouis-bouis, un rien indicatrice, goudou sur les bords, camée à bloc, agent de renseignement de cinq ou six services, barbousarde, gestapiste, résistante, décorée, médaillée, pote avec des ministres, en cheville avec les gangs de stupfs, fourgue, receleuse, trafiquant de tout, des armes, des faux dollars, des devises, des mineures, des cigarettes, des secrets atomiques et j'en oublie.
Un joyau de femme. "
Par instants, on se croirait dans du Boudard. On n'en est pas loin. Ange et Fonfonse, même combat. L'un faisait dans le roman-photo textuel, l'autre dans l'autobiographie fleuve. Et comme l'écrivait Bastiani, dans Caltez Volaille : " Quand on a trouvé son personnage, il faut s'y tenir. On ne peut pas faire autrement. C'est la nature. "
Beau roman, d'ailleurs, que ce Caltez Volaille. Moins formaté que Les Souris Valseuses, assurément moins tonique mais plus étonnant aussi.
Un type, la trentaine bien entamée, beau mec, sort de taule et se lance dans l'arnaque de grosse mitraille via le courrier des cœurs - " Faut croire que j'ai le génie de ce qu'il faut dire pour appâter les langoustes. "
Manque de pot, les langoustes appâtées par son annonce ont beau être huppées et friquées, elle sont tout aussi blindés question avaros. Nistones chercheuses de poisse ou fouteuses de douze, barbe bleu en jupon ou araignée dans le carafon. Une demi-dizaine de sardines dans la palme et autant de coups durs sur la théière.
" C'était trop beau, trop fignolé, ces lettres enamourées. Fallait que ça cache quelque chose de glaireux. "
La suite est tout bonnement fabuleuse dans son enchainement de péripéties néfastes et de rendez-vous galants - les premières concordant avec les seconds, jusqu'à produire un effet boule de neige du tonnerre, mi-rire mi-drame, le tout enluminé par des descriptions d'un Paris qui respire les mauvais lieux et les mœurs légères, renifle le vécu (le folklore de la drague à répétition), sent le Bastiani à plein naseaux.
Il captait des bribes de vérités dans des romans de grande consommation, imprimait sa patte aussi désenchantée que roublarde à des récits d'évasion, la rubrique sensation des journaux du soir étalonné roman de gare, et lorsqu'il tenait la grande forme, il raflait la mise : une clientèle captivée, prête à refoutre le couvert les yeux fermés, appâté par un cuistot à la personnalité aussi débordante qu'attachante.
Alors, il n'aura peut être jamais beau schpile auprès des critiques, des sérieux, des chiants, et on lui en voudra toujours de ne pas avoir su (ou voulu) rester dans le sillon de ses chef-d'œuvres signés Maurice Raphaël, mais basta !
Quand on a trouvé son personnage, faut s'y tenir.
Et dans ce registre, pas à dire, Bastiani était le meilleur.


Notons que, comme pas mal d'autres romans qu'Ange Bastiani écrivit pour les Presses de la Cité, Les Souris Valseuses et Caltez Volaille furent ré-édités dans les années 70 par André Guerber, collection Super-Crime - même maquette que les Jaguar Rouge de France Sud Publication, mais en grand format et avec une couverture souple - couvertures qui arborent d'ailleurs des illustrations (d'origines ricaine) n'ayant absolument rien à voir avec le contenu empaqueté...
Ouais... je ne vois pas du tout ce que Mack Bolan et une mosquée viennent foutrent dans les parages des Souris Valseuses...
Enfin, bon... c'est aussi pour ça qu'on l'aime, le André Guerber !

7 commentaires:

Zaïtchick a dit…

Les illustrations sont chouettes, c'est déjà ça. ça existe encore, ce métier de copiste à la chaine ?

ROBO32.EXE a dit…

Pas mal, le "copiste à la chaine", je peux te l'emprunter ?

(Par contre, comme métier, non, c'est foutu, ça n'existe plus. Mais y'a encore quelques petits artisans qui résistent...)

Zaïtchick a dit…

Les gens ne lisent plus.
Ouais, tu peux.

ROBO32.EXE a dit…

Disons que les derniers "copistes à la chaine" (ceux qui œuvrèrent dans les années 80 au Fleuve Noir, par exemple) bossent désormais pour la téloche.
Et ça doit être moins rose, comme ambiance...

Anonyme a dit…

Ah que d'émotion, j'en ai les paupières toutes humides et des trémolos dans la voix. Alphonse et Ange (deux de mes idoles) côte à côte dans une même phrase. C'est trop (ro) bo!
N.B. Un film a été tiré de "Caltez Volaille", que je n'ai jamais vu, mais le grand Paul Meurisse à le rôle principal masculin.
Bête mahousse/Bibouillou

ROBO32.EXE a dit…

Alphonse et Ange dans la même phrase, je te l'avoue, cela t'était largement destiné, Bib' ;-)

Sinon, la cinémathèque royale de Belgique a diffusé cet été "Méfiez Vous Mesdames", le film tiré de Caltez Volaille, avec Meurisse et Morgan. J'avais noté la date sur mes tablettes, souligné surligné encerclé marque-pagé la notule du programme et, le jour même... ben... trou de mémoire.
Depuis lors, je m'en veux intensément !

Anonyme a dit…

Salut à toi ô grand robo.
Juste un petit mot afin de te signaler que (on le savait déjà, certes) les grands esprits se rencontre. Un éditeur courageux/ inconscient (?!)vient de rééditer il y a quinze jours "Les souris valseuses". Facile à retenir, j'ai reçu mon exemplaire pour mon anniversaire!
Editions Cents Pages
Bibouillou/Bête Mahousse