LES COULEURS DU DEUIL

LA MARIÉE ÉTAIT EN NOIR, WILLIAM IRISH
PRESSES DE LA CITÉ / UN MYSTÈRE # 253, 1956
(Version originale parue en 1940 sous le nom de Cornell Woolrich)

5 hommes à abattre. 5 parties découpant comme des bris de miroir les 220 pages de ce roman glacial.
5 hommes, 5 noms, 5 récits liés entre eux par les actes d'une veuve vengeresse, 5 récits s'ouvrant sur une citation et répondant à une même structure - jusqu'à la fausse note, l'archet qui ripe, l'orchestre qui s'effondre.
La femme, la victime, l'enquête.
"La danse continuait, de plus en plus rapide, la danse du triomphe et de la mort."
Bliss, Mitchell, Moran, Ferguson et Holmes. Les 5 variables d'une équation dont la mariée serait la solution.
"Lorsque j'aurai découvert le point où leurs vies se sont rencontrées, la femme rentrera immédiatement en scène, et je ne tarderai pas à découvrir le motif qui l'a fait agir," affirme l'inspecteur Wanger en grattant d'une craie imaginaire le tableau noir de ses pensées.
Le motif, c'est la vengeance. Ce tropisme virulent, ce puissant carburant à fiction. Le passé est une plaie, le futur une meurtrissure et le présent nage dans le brouillard.
"J'attendais un fantôme."
Premier roman d'angoisse de William Irish - alors tout juste responsable de quelques histoires d'amour jamais traduites de ce côté-ci de l'atlantique, La Mariée Était en Noir surprend par son acuité.
Avec Julie Killeen, mariée tragique aux actes quasi-surnaturels, Irish donne naissance à un nouvel archétype, une figure marquante et dont la fulgurance des apparitions retentirait encore de nos jours en une myriade d'échos et de scintillements.
On ne sait rien d'elle et pourtant, elle existe, presque palpable, presque réelle. En déchirant le voile du souvenir, elle tord aussi celui du roman. Feu follet de papier, de mots et d'idées, elle échappe à un final trop étriqué, pour aller insuffler sa vie à d'autres imaginaires.
Car c'est elle, la femme scorpion, la femme terrifiée, la meurtrière extatique. Miss Muerte ou Louve Solitaire. Entre autres dames et demoiselles fictionnelles.
(Soledad Miranda dans Sie Tötete in Ekstase de Jess Franco)
Et comme l'écrivait Jean-Patrick Manchette, à la toute fin de Fatale, cette autre veuve ténébreuse du roman noir : "Femmes voluptueuses et philosophes, c'est à vous que je m'adresse..."

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Tous ceux qui aiment le polar ne peuvent ignorer William Irish, c'est un auteur majeur du genre. Ce 1er livre est un coup de maître. Hautement conseillé

Kerys a dit…

Entièrement d'accord. Irish fut aussi un excellent nouvelliste.

ROBO32.EXE a dit…

Kerys m'ôte les mots du clavier !
Mais ça ne m'empechera pas de les taper : "Entièrement d'accord," donc :-)