HORS CADRE


COMA, FRÉDÉRIC DARD FLEUVE NOIR SPÉCIAL-POLICE # 185, 1959.
Une chute de train, en gare d'Hambourg, pour épater une jolie fille, et Jean Lecoeur, scénariste pour le cinéma (" moi qui était venu à Hambourg pour inventer une aventure ! "), les deux jambes désormais cassées, se voit recueilli dans cette ville inconnue par une famille aussi étrange que terre à terre, aussi fantomatique que bien réelle.
Comme toujours chez Frédéric Dard, il y a la fortuité d'une rencontre qui entraine le héros dans les profondeurs d'une âme.
Et l'intrigue, qui opère comme une réminiscence des demoiselles de C'est Toi Le Venin, d'avancer ses cartes en la personne de deux sœurs allemandes : d'abord Gertrud - à la beauté "si absolue, si évidente" - et ensuite Minna, la triste jumelle au visage brisé lors des bombardements de 1945.

"Minna, avec sa pauvre tête démolie et son cœur ravagé." Un œil plus bas que l'autre, une cicatrice barrant sa face, "elle évoquait un portrait de Picasso."
Et Jean Lecoeur, les jambes coulées dans le plâtre, prisonnier volontaire d'une chambre aux murs recouvert de portraits de famille, Jean Lecoeur a alors l'impression d'être passé de l'autre côté du miroir.

"Vous comprenez, cela me fait un peu comme si une force surnaturelle me permettait de vivre dans un tableau."
Fidèle à ses habitudes d'auteur obsessionnel et désespéré, Dard échafaude une lente montée d'angoisse en huis clos.
Et lorsque l'huis s'ouvre enfin, c'est pour laisser entrer en son sein les courants entremêlés d'un fantastique feutré et d'une mélancolie d'aube blafarde.

Le dernier tiers rappelle d'ailleurs les hallucinations cauchemardesque du narrateur de Ma Sale Peau Blanche et l'errance hivernale de celui du Monte-Charge - entre autres romans noirs de Dard - et si la dernière page dissipe les filets de brumes qui subsistaient dans la conscience du narrateur, le sort, lui, avait déjà planté ses griffes dans l'esprit du lecteur.

"- Une fois que vous avez franchi le cadre, ça n'est plus un tableau, a-t-elle répondu. C'est l'univers que vous avez quitté qui en devient un, car un cadre, ce n'est que la frontière d'une perspective..."

2 commentaires:

Zaïtchick a dit…

De l'autre côté du... cadre. ;)

Kerys a dit…

San Antonio a trop éclipsé Frédéric Dard, auteur de premier plan…