L'AVENTURE ET SES À-CÔTÉS

LE SECRET DU PACIFIQUE, H.J. MAGOG
ÉDITIONS R. SIMON / LA VOILE, 1939

Réédition des Buveurs d'Ocean sous un nouveau titre et agrémenté d'illustrations de Claudel, Le Secret Du Pacifique est un fabuleux petit roman d'aventure teinté de ce merveilleux scientifique si cher aux anticipateurs Français du début du vingtième.
Nous sommes en 2050 et le monde se divise en 5 puissances : la confédération Européenne, les Etats Unis d'Amérique, les républiques Africaine, Océanienne et Asiatique.
Voila pour le décors.
L'histoire, elle, fait preuve d'une légèreté bien plus romantoque dans l'exposition de ses enjeux mais,
hardiment rythmé par ce feuilletoniste génial qu'était H.J. Magog, elle emporte rapidement l'adhésion.
Ainsi, Kasuga, vil arriviste nippon, souhaite la main de mademoiselle Suzanna de Glandève mais cette dernière, soutenue par sa famille (dont l'arbre généalogique se compose à moitié de ricains auto-entrepreneurs, et à moitié d'aristocrates français en exil) s'y oppose.
Primo, Kasuga, c'est un jaune, un bridé, un japonais. Mauvais, ça. Et secundo, Suzanna de Glandève aime Jean d'Entrevaux, un chouette jeune homme bon chic, bon genre, bon teint de peau - bref, un chouette jeune homme tout ce qu'il y a de plus recommandable.
"[...] il était brave et l'aventure l'intriguait beaucoup plus qu'elle ne l'effrayait."
Et il a de la chance, le petit Jeannot. Car l'aventure, il va y gouter. Et pas qu'à moitié. Pénétrer dans le Secret du Pacifique, c'est s'exposer à un torrent d'événements inattendus.
Privé d'amour et aveuglé par de folles ambitions, Kasuga cherche donc à se venger et s'emporte à la manière des mégalomanes machiavéliques de romances à quat'sous : il complote et détruit, saccage et ourdi.
Mais le récit de Magog, comme bon nombre d'œuvres d'époque, ne peut se plier aux caprices d'un résumé. Il faut pleinement s'y plonger pour en savourer toute la folle agitation qui l'habite.
Asiatiques diaboliques aux ruses perfides, intrigues sentimentales qui fleurent l'eau de rose, cataclysmes qui sèment "la mort et l'épouvante" et fins du monde en pagaille...

"Quelle imagination en délire aurait osé rêver cette chose abracadabrante ?"
Et égaré dans les pages du roman, guetté à chaque coin de phrases par d'inimaginables retournements de situations, toute une galerie de personnages savoureusement cocasses : le fidèle Guilledou, majordome de Jean d'Entrevaux, dépressif chronique qui s'imagine persécute par le sort, le marquis de Glandève, père de Suzanna et qui, mis en fâcheuse posture, en vient à évoquer " nos immortels principes de 89 " - " En France, je les condamnais au nom de mes aïeux. Mais à l'étranger, je m'en réclame ! " (rire dans la salle)...
...ou encore le gigantesque et improbable Master Big, scientifique misanthrope à la solde de Kasuga et à l'esprit bien embrumé par de pharamineux projets de destruction totale du globe terrestre.
Et lorsque Jean D'Entrevaux le questionne à ce sujet...
" Pourquoi ? [...] Pourquoi cette volonté atroce ? "
Master Big répond froidement :

"- Parce que je hais les hommes [...]. Parce que je trouve la vie laide et bête et que je crois accomplir une grande œuvre en rendant impossible cette chose incohérente qui se repaît de mouvements vains et de souffrances inutiles et qui, depuis le commencement des mondes, n'a même pas su se trouver un but. "
Derrière la démesure se cache une gravité. Le centre du roman est un puits d'ombre, reflet de l'âme de Kasuga ("Sous ce crâne, de nobles pensées volaient, impatientes de trouver une issue ; mais de vils désirs et d'abominables dessins y rampaient aussi, transformant en cloaque la cage cérébrale qui contenait un peu de ciel."), reflet surtout de cette ville souterraine située "six mille mètres au-dessous du niveau du sol japonais" et où l'on extermine des peuples entiers.
Une visite à glacer l'échine, car ce sont les camps de la mort dont Magog se fait l'haruspice. Description de corps maigres, de souffrances, de charniers et d'une cruauté en plein accomplissement.
"On était trop, là-haut ; nous avons fait de la place " déclare un tortionnaire nippon, avant d'ajouter, sinistre :

"Et nous en ferons davantage !"
L'espace de quelques chapitres, le roman balaye toute naïveté, toute futilité de son horizon. Il y reviendra par la suite , cela fait parti des règles du jeu, mais le ton aura définitivement changé. L'apparition de loups déguisés en hommes laisse une plaie à vif qu'aucun enchantement ne peut cicatriser.
Et c'est certainement là le plus grand accomplissement du Secret de Pacifique.
Être un roman d'aventure qui, en dépit d'un rythme un peu trop épisodique, s'affranchit de son cadre pour faire mouche sur d'autres tableaux.
En bref : Être un roman d'aventure qui, l'air de rien, voit loin.

3 commentaires:

Boutel a dit…

Une approche bien sentie de ce merveilleux petit roman d'un auteur populaire des plus passionnant. J'aime la façon dont tu abordes tes impressions de lecture, cela donne à toutes ces oeuvres inconnues, désuettes mais parfois tellement jouissives , un petit cachet moderne qui ne fait qu'augmenter notre désir de lecture.

Anonyme a dit…

Encore une oeuvre amusante ou intéressante sauvée de l'oubli et qui donne une raison supplémentaire de se s'accroupir sur le pavé glissant de la place du Jeu de balle dans l'espoir de dénicher ce titre parmi les volumes jaunis, parfois déchirés et tachés de pluie. Merci pour votre excellent blog.

AM.

Zaïtchick a dit…

Qu'ils pleurent les chantres de la grande littérature parce que la culture française se meurt. Ils ont banni les romans popu alors qu'ils faisaient le sel de notre culture. Les cons ! Lisez Magog et foutez les reste aux gogues !
Merci Robo pour ce billet.