SEMAINE NOIRE # 2 : GEORGE MAXWELL DOUBLE SHOT

QUELQUES ROSES POUR LE TUEUR, GEORGE MAXWELL
UN PYJAMA DE SAPIN, GEORGE MAXWELL
1952, ÉDITIONS DU CONDOR

Le polar français du début des années 50, c'est un peu comme une vaste décharge aux trésors méconnus. A l'exception du très apprécié Leo Mallet, de l'inénarrable San Antonio et de quelques rééditions d'André Helena, toute la production noire de cette époque a sombré dans un oubli populaire et critique des plus profonds, nous laissant sur les bras quelques dizaines de publications mensuelles aux pages racornies par plus d'un demi-siècle de négligence et qu'il faut désormais dénicher à l'aveuglette dans des fonds d'étagères poussiéreuses - et cela, sans aucune certitude quant à la qualité intrinsèque de chaque ouvrage.

C'est approximativement dans ces conditions mêmes (c'est à dire à quatre pattes) que je me suis retrouvé nez à nez avec deux romans de George Maxwell, deux "Môme Double-Shot", sa première série d'aventures mêlant polar et espionnage, bien avant le Jaguar et Miss "One-Shot". Ce sont respectivement les numéros 8 et 9 de la collection aux Éditions du Condor, une des nombreuses façades du 5 rue des Moulin, éditeur coiffant la quasi-intégralité des publications de type pulp à la française du début des années 50. Une production au kilomètre, du roman de gare jetable et sans noblesse, brassant aussi bien du hardboiled type Série Noire en plus racoleur avec la collection Franco-Americaine des Éditions du Globe que les coquineries policières des Éditions du Fetiche aux titres si prometteurs, genre Drôle de Châssis ou T'as les Mains Qui S'égarent.
Et George Maxwell, donc, sévissant aux Éditions du Condor avec des faux romans américains soi-disant traduits par Richard Esposito, probablement son vrai nom. Après un petit tour de piste avec des histoires d'espions et d'agents secrets, genre en vogue dans les années d'après-guerre, il se lance dans le sérial, les aventures de la Mome "Double Shot", une blonde sulfureuse, faisant à la fois office d'agent du FBI et de free-lance de la gâchette. Violente comme un homme et séduisante comme une pin-up de magazine pour homme, n'hésitant jamais, entre deux whiskys, à sortir son Luger favori pour mettre de l'ordre dans des affaires bien nébuleuses. A moins qu'elle ne se dévêtisse pour satisfaire ses désirs de femme libre avec un amant occasionnel. Tout un programme.
"A ce moment, la porte s'ouvre. Je suis derrière le battant, mais, par le rais de la fente, je vois la souris de toute à l'heure armée d'un pétard trop gros pour sa main. Ces trucs-là, pour les manier, faut avoir l'habitude.
Je croche double la détente du Luger. Les pruneaux ricochent sur le métal. Le fourbi s'en va dinguer au diable. J'en profite pour claquer la lourde d'un coup de pied. Ça fait 'bang', et la tordue reste con.
- Pas d'histoire, bonne femme... on est ici en famille."
L'écriture de George Maxwell est nerveuse et sans fioriture, parfaitement rodée pour du 190 pages mensuel, délivré directement pour les relais de gare. Un style brutal, enrichi par de très nombreuses fautes d'impressions - des lettres manquantes ou des mots inversés qui rendent certaines phrases incompréhensibles. Le tout enrobe des histoires clichées, à la fois simplistes et étrangement alambiquées, un peu comme les films noir de Seiju Suzuki - mais sans les cassures narratives à la Nouvelle Vague. Juste du roman noir survolté, bourré à bloc de non-sens et de passages fou furieux en provenance directe du cerveau malade d'un fétichiste du baston et de la bagatelle.

Par exemple, Quelques Roses Pour Le Tueur, où un jeune boxer nommé Kid K-O, petit protège de la Môme, se retrouve empêtre dans des magouilles mafieuses l'empêchant de remporter son titre dûment mérité. Une trame classique, combinaison archi-usée de boxe et de truands, servie dans sa première moitié sur un rythme assez nonchalant pour du Maxwell avant de virer dans les trente dernières pages au règlement de compte sur-violent.
Et là, ça devient franchement hallucinant - surtout en considération de l'époque de production. George Maxwell s'y donne à coeur joie, tapant en plein dans le dérangeant, dans le cradingue proto-gore, avec ses têtes qui explosent dans des geysers de sang et ses tortures brutales accompagnées par des mutilations sexuelles pas très ragoûtantes
"Le museau noir du Luger vient cogner ses mâchoires. Elle fait un "o" énorme avec sa bouche. J'enfonce le tube dedans, tandis que de l'autre main je lui maintiens la tête en la tenant aux cheveux. Ses yeux s'agrandissent de terreur.
Le froid du canon ne doit pas être agréable sur sa langue. Je ressors l'arquebuse d'un coup sec. Le guidon de mire lui emporte deux dents au passage. Du sang dégouline sur son menton. Elle laisse échapper un hoquet de douleur en portant la main à sa bouche. Des larmes giclent par saccades.

Je la repousse et elle retombe en travers du lit. Je lui fourre l'énorme canon double entre les cuisses, et j'appuie fortement.

Son ventre fait un soubresaut terrible.
"
Wouh ! Et ce n'est rien comparé au volume suivant, Un Pyjama de Sapin, un incroyable roller-coaster tendance spy-fiction mais en bien plus dégénéré. D'ailleurs, George Maxwell en oubli carrément d'esquisser une intrigue. Même la Môme, balancée dans l'affaire en quelques lignes par son patron au FBI, n'obtient aucune explication des différents protagonistes - ce qui ne l'empêche pas outre mesure de tirer dans le tas... ou de se faire lacérer à deux reprises la poitrine par des nazi sortis d'on ne sait où. Rajoutons à ça une espionne anglaise à la limite du saphisme, un volume conséquent de maccabés, des courses poursuites à plus de 200 km/h et de la torture en pagaille.

L'ensemble est rapide et insensé. Que ce soit dans ses situations ou dans sa violence, tout dans la Môme "Double-Shot" tient du délire pornographique, c'est à dire complaisant et obscène dans sa narration jusqu'à atteindre un nihilisme grand-guignol où la morale et le bien ne constituent même plus des enjeux de second plan. Ils sont juste absents du cadre. Ici, seule l'image, la représentation d'un choc de perversions et d'interdits compte.
Du coup, on comprend facilement comment, deux années plus tard, la Môme "Double-Shot" et son éditeur fermèrent boutique en raison d'une censure pas très favorable.
Quant à en espérer une réédition, de nos jours...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

La Môme a été un peu rééditée aux Belles Lettres dans la collection Les Anges du Bizarre. Bon ça a coulé mais y'a encore quelques titres dispos sur mamazon... En tout cas rien ne vaut les couvertures de Salva et le vieux papier d'après guerre! Bravo pour ton blog que je viens de découvrir alors que je postais justement des couvs de Maxwell sur le mien. Je t'invite à jeter un oeil de temps en temps. Je suis moins courageux que toi mais je posterai des belles images ou de petits textes de temps en temps. A la revoyure.

Anonyme a dit…

Avis aux amateurs d'argot, les premières œuvres d'Esposito sont des chefs d’œuvres du genre qui n'ont rien à envier à un Simonin ou un Boudard.

Je viens de m'grailler en deux jours La môme double shot "Sans bavure"; même si l'intrigue est très simple, comme le sont d'ailleurs celles de Dard par exemple, la narration se déguste à l'ancienne, et c'est bonnard, c'est bien léché.

C'est vrai, qu'on peut regretter que l'auteur ne fasse pas parti du lot des auteurs de polars de référence. Laissons le temps faire :)