METAL 2000, PREMIERE PARTIE

LA DIXIÈME PLANÈTE, CHARLES-HENRI BADET
ÉDITIONS MÉTAL SÉRIE 2000, 1954

Au début des années 50, il n'y avait pas que le Fleuve Noir Anticipation pour remplir le paysage éditorial de Science-Fiction Francophone au rabais. Il y avait aussi les éditions Métal avec leur seule et unique collection, la série 2000, collection qui totalisa en deux petites années d'activités vingt et quelques titres - soit le double des Visions Futures de la Flamme D'Or.
Mais les éditions Métal, tout d'abord, c'était une maquette du tonnerre conçue par un certain "GAM", quelque part entre le Ailleurs et Demain de Gerard Klein et les sérigraphies du Dernier cri. Une couverture chromée et une illustration avant-gardiste, étrange ou symboliste, plus proche de certains Rayon Fantastique que des peintures de Brantonne.
Avec une pareille façade, inutile de dire que la collectionnite aiguë s'attrape facilement.

Quant aux textes... Eh bien, c'est une tout autre affaire.

Tenez, par exemple, ce Dixième Planète, premier volume de la collec'. Signé d'un certain Charles-Henri Badet, auteur totalement inconnu de mes services, voila un bouquin que je ne conseillerais jamais à un lecteur de SF actuelle genre Greg Egan ou toute cette saloperie de New Weird pour snobinards.
Bon, je pourrais dire ça de l'ensemble des vieux romans à fusées chroniqué ici-même, mais La Dixième Planète, c'est tout d'même un truc à part.
À se demander, dès les premières pages, si l'on ne ferait pas mieux de lire autre chose à la place. Ce qui, en soi, constituerait une grave erreur, car une fois bien entamé, cette Dixième Planète se trouve être aussi amusante qu'azimutante.

Un petit régal pour cerveaux malades.
Je te résume le blot afin que tu juges sur pièces.

Le héros se nomme Savigny. C'est un clochard parigot, doublé d'alcoolique d'ultime niveau. Un vrai seigneur de la bibine. Et voila qu'un beau jour, sans savoir comment, il se réveille raide cuit dans une fusée spatiale en route vers nulle part. Pour cézigue, c'est la cerise. L'espace, pensez, c'est duraille d'y taper la manche. Alors, afin d'oublier son malheur (et le mal de crâne qui va avec), il se remet à boire. Une réaction parfaitement normale vu que le whisky coule à flot dans sa petite fusée. Et après maintes cuites, voila sa fusée qui atterrie enfin sur LA DIXIÈME PLANÈTE (car, à l'époque, n'en déplaise à ses salauds d'astronomes, Pluton était encore une planète) et qu'est-ce qu'il s'y trouve sur cette fichue dixième planète ?
Des nanas à poils !
Je dirais même plus : des nanas à poils télépathes (les nanas, pas les poils !)
Et aussi des scientifiques, des ouvriers et divers autres gaillards tous autant à poils, pas forcement télépathes et vivant dans des phalanstères. Une utopie ! Le monde parfait de Bob Black et de tout ses potes hippies, 15 ans avant. Notre clochard de l'espace est donc super content.
A quelques détails près, qu'il découvre chapitres après chapitres : L'alcool est prohibé, le sexe rationné et les individus cloisonnés. Pour le coup, notre clodo est vachement moins enjoué mais bien décidé à s'insurger avec ce qui lui reste de bon sens dans ses deux hémisphères cérébraux.

"Voila ce qui nous attend... une vie raisonnable, plate, sans joies ni peines, sans haine et sans amour, sans laideur et sans beauté, sans fantaisie ni liberté... et l'abattoir au bout..."
Bref, La Dixième Planète, c'est de la grosse SF sociale. C'est 1984 à l'envers. Ou plutôt Le Meilleur des Mondes réécrit par un farfelu fantaisiste avec beaucoup de pastis dans le sang et une certaine dose d'humanisme mal placé.

Mais que peut-on attendre d'autre d'un roman qui s'ouvre par "science sans conscience n'est que ruine de l'âme" ?
Je vous le demande !

C'est donc naïf, gentil et stupide. Et pourtant, derrière cet aspect plutôt risible, La Dixième Planète est un roman populaire atypique de par son traitement que je qualifierais de "par dessus la jambe" - voire même de "totalement loufoque..."
Imaginez Crumb et Vonnegut fins raides torchant de la vulgarisation scientifique sans avoir la moindre idée de ce dont ils causent.
"Il nous avait conduit dans un laboratoire et nous montrait une cuve de moyennes dimensions à demi-pleine d'un liquide blanchâtre de consistance sirupeuse
- Le sexo-sélecteur électrique ! dit-il.
La cuve est munie de deux électrodes auxquels est appliqué un léger courant électrique. Les spermatozoïdes mâles se groupent peu à peu autour de l'électrode négatif, les femelles autour du positif. Ceux qui, indécis, flottent entre les deux groupes, manquent de vigueur et sont éliminés.
"
Et puis, histoire de conclure, réalisez un peu ça : dans n'importe quel roman d'Anticipation d'époque, le clochard amateur de fine aurait été remplacé par un astronaute ricain. Ou par un scientifique bien propre de sa personne. Ou par un journaliste casse-cou(ille) et intrépide.
Autant dire que le résultât aurait été sacrement moins délirant.

3 commentaires:

losfeld a dit…

Foutre! Je n'avais jamais vu ni entendu parler de cette collection! Je la rajoute immédiatement dans le sexo-sélecteur électrique, merci pour la découverte!

Clifford Brown a dit…

Collec pas encore croisée non plus, j'aimerais bien au moins arriver à mettre la main sur les Versins.

ROBO32.EXE a dit…

ah les versins, j'aimerai bien les trouver aussi.
et puis, le truc très collector, ce sont les couvertures variantes de cette collection. possiblement chaque volume existe soit en rigide chromée, soit en souple noir et blanc avec une fusée dans un cercle...