ÇA VA BARDER (1955)

Pour causer anglosaxon branché, Ça Va Barder est, hands down, le meilleur Eddie Constantine qu'il m'ait été donné de voir, ever !... (et le premier guignolo qui me sort Alphaville se récolte illico presto mon poing dans la cerise.)
Réalisé par l'américain John Berry, expatrié en France aux cotés de Jules Dassin pour cause de pressions Maccarthystes dans l'industrie cinématographique de son beau pays (rappelons que Berry réalisa en 51 le fameux The Hollywood Ten - ce n'est pas rien !), ce petit polar exotique, humoristique et sautillant est à mille lieux des navrantes adaptations de Peter Cheney par le sieur Borderie - des films attachants, certes (pensons à Dominique Wilms), mais bien mal foutus et au rythme... holala, ce rythme ! Un véritable carnage à faire ronquer n'importe quel hyper-actif en crise d'insomnie.
Non, Ça Va Barder, c'est une tout autre soupe. Question rythme, voila une bobine qui a du répondant. Peu avare en rebondissements, mené à 300 à l'heure (ne possédant pas le permis, prenez mon avis avec des pincettes), le film enchaîne les situations à une cadence assez peu croyable, sacrifiant par là même un certaine lisibilité mais se rattrapant constamment via une mise en scène inventive et classieuse.
Berry
, il n'y a pas à renauder, assure comme un chef. Le budget était certainement fort modeste (en témoignent les nombreux décors studio) mais la sublime photographie noir et blanc a des relents d'hollywood des années 40 et de savants travelings achèvent d'emballer l'affaire sur le plan formel. On est même pas très très loin d'un Bogart grande cuvée, type Le Port De L'Angoisse, mais rejoué à la française - c'est à dire dans la belle tradition du cinéma de quartier : du trivial et du grotesque, humour qui tache à tous les étages et concours de gouaille en pagaille.
Faut voir Roger Saget en homme d'affaire ventripotent ou Jean Carmet en buddy un peu niais de Constantine. Et c'est justement cette bouffonnerie populaire qui permet au beau Eddie de tirer son épingle du jeu.
Car, faut bien l'avouer, dans le registre dramatique, avec ce chansonnier castagneur importé, ça ne fonctionne jamais vraiment. Ça cloche, ça prend l'eau, ça bafouille. Ici, registre comique oblige, c'est du cousu main.
Constantine est merveilleux, toujours juste, souriant et nonchalant, et John Berry, prenant à revers le scénario stupide, cliché et brouillon qu'il a lui-même fourni, se lance dans un exercice de style assez étonnant. Il transforme Ça Va Barder, petit film tranquille et sans challenge, en un cartoon délirant, un live-action Merrie Melodies dont les multiples gamineries répondraient aux codes du polar d'époque.
Clou du spectacle forcement indigeste mais à l'enthousiasme communicatif, c'est la bagarre dans le bar à matelot (l'amateur de ciné bis y reconnaîtra Jess Hahn en marin ricain) et qui voit Eddie Constantine se transformer en un improbable Bugs Bunny des bas fonds, jouant de sales coups à une armoire-normande patibulaire, comptant les échanges de gnons sur une caisse enregistreuse et apostrophant les participants comme si il s'agissait d'un match de boxe - le tout grassement souligné par quelques fanfares guillerette, airs patriotiques, chutes de bombes et explosions, exacto comme dans un bon Chuck Jones.
Le reste est à l'avenant, maladroit (la bonne à tout faire vamp du dimanche, des reparties pas forcement bien senties) mais génereux, balourd mais rafraichissant - et surtout, toujours dechainé, joyeusement excessif et n'accusant aucune baisse de regime.
Ainsi, fort du charisme de son acteur principal en très grande forme et de quelques seconds rôles efficaces (dont un truand lanceur de couteux et jaloux de nature), Ça Va Barder se trouve gonflé à bloc, aussi parodique que référentiel (à une époque où, justement, l'on ne se connaissait pas vraiment de références), et se paye même le luxe, en une heure trente de spectacle, de s'afficher comme l'une des rares productions années 50 française à parfaitement capter l'esprit pulp US sans se défarder de ses sensibilités de terroir, à savoir l'amusante vulgarité du théâtre de boulevard et des numéros de cabaret d'après guerre.

En somme, une réussite sur tous les tableaux qui ne fera ronchonner que ceux qui pensent bêtement qu'un bon film noir français est forcement une adaptation de David Goodis ou un scénario de José Giovanni.

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