DES OUBLIS ET UNE CONCLUSION

En novembre, pour le mois du roman noir, j'ai commis de nombreux oublis. La faute à ma négligence. J'avais préparé une petite liste de livres à aborder et je ne m'y suis pas tenu. je vais néanmoins tenter de réparer les oublis. Voyons voir ce que ça donne...
En novembre, je n'ai pas parlé du seul roman de Peter Rabe que j'ai lu, Le Tueur, publié aux éditions de la trevisse en 61. L'histoire d'un jeune homme solitaire, tueur à gage de son état, et qui commence à craquer, à perdre le contrôle de ses nerfs, à ne plus pouvoir effectuer ses basses œuvres convenablement.
Un roman noir très froid, presque désincarné, jalonné de réminiscences, d'échos, de répétitions (les mises à morts, les pigeons, les postures) et qui, mises en parallèle, forme une étrange tapisserie, complexifiant le récit sans l'e
ncombrer. C'est intimiste, glacial, joliment imprévisible (même en relecture, une année et demi plus tard) et ça me fait penser, par certains aspects, au Samouraï de Jean-Pierre Melville. J'imagine d'ailleurs plutôt bien Melville s'en inspirer en scénarisant l'épopée tragique de Jeff - n'oublions pas que le cinéaste était connu pour dévorer du polar en grosses quantités.
Quant à Peter Rabe, totalement oublié dans nos contrées (exception faite de l'omnibus Un Mystère volume 3), il s'est vu gratifié dernièrement d'une série de rééditions aux USA, recouvrant ainsi sa place de petit maitre du polar à l'américaine. Un joli coup d'ailleurs puisque le paperback du Tueur a eu droit à une préface de Donald Westlake - vraiment, que puis-je dire de plus ? Peter Rabe encensé par Donald Westlake. Que vous faut-il pour vous décider à rajouter cet auteur à votre liste de course ? Certainement pas un billet de cet alcoolique de robot32 !

En novembre, je n'ai pas parlé de Louis De La Hattais, Louis Dors, Lew Dors, Lew Dolegan, Peter Logan, Jerry Lewray et de la tripotée de pseudonyme que Louis Fournel mit en œuvre pour signer ses romans populaires chez SEG ou Ferenczi. Un auteur découvert, encore une fois, par hasard., dans une poubelle Il s'agissait d'Une Drole De Souris, signé Jerry Lewray, un petit polar de gare joliment emballé sur les airs conjugués de James Hardley Chase et William Irish. De l'angoisse et du cynisme, avec quelques passages sexy, un peu l'argot et des scènes de torture au sadisme exacerbé.
A l'époque, je m'en souvient très bien, j'avais pensé à du George Maxwell en belle forme et à l'esprit non-embrumé. Par la suite, je m'en suis tartiné un sacré paquet, avec moult hauts et bas. Faut dire que la qualité chez Fournel est très variable. Difficile aussi de faire autrement avec la cadence imposée à l'époque par le format gare de SEG et consorts. Je ne sais combien de romans Fournel a pu écrire mais j'imagine que l'on dépasse largement la deux-centaine. J'imagine. Et je n'ai pas lu l'ensemble. De tête, je calcule, voyons... oui, j'ai du en pratiquer une bonne vingtaine. Tous très appréciables dans l'ensemble. Au pire, ça ressemble à un vieux Spécial-Police aussi lisible que prévisible. Au mieux, c'est du gare parfaitement troussé, un peu outré, toujours surprenant et aux artifices d'écriture fort séduisants.
Argot, jeux de mots, phrases bien senties, un certain feeling bande dessinée, Fournel se rapproche souvent d'un Gaston Martin ou du Frederic Dard sous ses divers pseudos La Loupe. Dans le genre, et outre Une Drôle De Souris, je ne peux que vous conseiller Tu Fumes Chéri ? (non mais quel titre ! QUEL TITRE !), bouquin totalement délirant, fou furieux même et introduisant pour la première fois à un lectorat ébahi le génial Commissaire Kidd et son sidekick canin Edy, le chien qui pense ! Qui a dit Tintin et Milou ? Eh ben voila ! Fournel, c'est le Hergé du format gare, c'est la ligne claire du polar pas sérieux, avec du sexe et de l'alcool en sus.

Après, attention, tout n'est pas de ce niveau. Le dernier lu en date, Passage à L'Ouest, était... uhm, disons que si je me mets à la place d'une personne qui n'est pas "moi", il était très chiant. Personnellement, j'ai bien aimé, mais c'était somme toute assez mauvais. Une histoire de gars qui s'évade de prison et part en cavale. il rencontre une chouette gonzesse, butte des flics, blablabla, page 60, tu te rends compte que tu sais très bien comment ça va finir. Bon, ce genre de chose, ça ne me pose pas de problèmes. Et puis la fin était assez poilante, rappelant en parti le tragique Une Paire D'Ange Au Vestiaire de André Duquesne et, attention grosse référence, la chanson Requiem Pour Un Fou de Jeannot Les Vacances, je veux dire, Johnny Halliday.
"
Il y a six balles dans le chargeur. Plus une dans le canon. Qu'on ne vienne pas me chercher des poux dans la tête ! Si on me cherche la petite bête avec moi on la trouvera, et tant pis pour ceux qui seront devant, ils seront les premiers à déguster !" dit-il tandis que les flics l'encerclent, lui et sa dulcinée (qui n'est pas morte comme dans la chanson). Un peu plus tard, par contre, il me coupe tous mes effets : "Il faut bien admettre que c'est plutôt tarte comme situation et qu'il faudrait être complètement cinglé pour avoir envie de chanter comme Johnny Halliday, avec une guitare dans les pognes en faisant les pieds au mur. Il n'y a pas de quoi, vraiment !" Okay, mec, okay, it's cool, mais c'est juste qu'à chaque fois que tu parles, je le lis avec la voix d'optic deux-mille.
...Bon, tout compte fait, j'ai peut être bien fait de ne pas parler de Jerry Lewray en novembre....

En novembre, par contre, je n'ai pas parlé du Vampire Des Grands Magasins de Dan Craft - et ne me demandez pas qui se cache derrière Dan Craft, je ne le sais pas ! A vue de nez, cela pourrait très bien être Michel Lebrun ou Michel Cousin mais Dan Craft, pseudonyme One-Shot (c'est à dire qu'il est le signataire d'un seul et unique roman), ne figure pas sur leurs listes d'identités littéraires tronquées. Bref, le mystère reste entier. Quant au roman, Le Vampire Des Grands Magasins, c'est un drôle d'animal, un texte bancal mais qui se rattrape constamment par ses ambitions stylistiques et son sujet efficace : l'exécution civilisée de son prochain. Je rapprocherai ça des bouquins que GJ Arnaud donna au Fleuve à la fin des années 70, début 80, et plus particulièrement La Tribu Des Vieux Enfants (probablement le meilleur Arnaud, et pourtant, son moins abouti...)
Ainsi, dans Le Vampire Des Grands Magasins, une bande d'anciens copains se retrouve et planifie la mort de conjoints, de proches ou de parents à des fins personnelles. Pour l'héritage, pour la tranquilité, pour diverses autres raisons très terre à terre. Un peu comme dans ce Arnaud où une famille phagocytait ses proches pour maintenir son train de vie. Sauf que, contrairement à Arnaud, Dan Craft ne prend pas le parti des victimes mais celui des bourreaux. L'effet est donc très diffèrent et Le Vampire Des Grands Magasins ne se lit pas comme un roman d'angoisse, un roman de suspense, mais plutôt comme une petite comédie morbide et dotée d'une sensibilité sixties qui aurait très bien pu lui assurer une adaptation cinématographique à l'italienne. J'aurai très bien vu, sur cette base scénaristique, un giallo à la Bava avec Ivan Rassimov et Jean Sorel dans les rôles titres. Quelque chose de cruel et de pathétique, de joli et de distrayant. Du divertissement pop, coloré, un peu vain mais de fort bonne facture.

En novembre, je n'ai pas parlé de Soleil De Sang, signé Leopold Massiera et publié chez SEG. Mais qu'avais-je à dire sur ce bouquin en particulier ? Pas grand chose, malheureusement. Une histoire de meurtre très banale servant de support pour un petit portrait du japon des années 60, cadre assez étonnant pour un gare jetable de l'époque et brossé sans racisme ni traits grossiers, preuve indubitable du talent de son auteur ET ATTENTION, LA, J'ÉCRIS D'ÉNORMES CONNERIES AU SUJET DE LEOPOLD MASSIERA QUI NE SE TROUVE PAS DU TOUT ÊTRE Gilles Maurice Poulain, qui officia longuement dans la littérature populaire sous divers pseudos. J'ai notamment parlé dans ces pages de Maurice Vernon, Boris Stardine et Nicolas Doazit. (QUI SONT DONC DES PSEUDOS DE G-M POULAIN MAIS CERTAINEMENT PAS DE LEOPOLD MASSIERA) Des textes certes sans gros éclats de génie mais toujours vaillamment exécutés, naïf, plein d'un charme enfantin (surtout en ce qui concerne ses récits science-fictifs) et rappelant souvent par l'écriture et l'agencement des situations l'œuvre de Yves Dermeze. Bref, du très bon matériel de lecture pour les dimanches et jours fériés.
ET SURTOUT, BRAVO MONSIEUR ROBO POUR CETTE SPLENDIDE BOURDE (JE M'AUTO-APPLAUDI : HOURRA ! VIVE L'AHURI !) HEUREUSEMENT QUE PFINGE A RELEVÉ MON ERREUR DANS LA SECTION DES COMMENTAIRES. MERCI !


En novembre, je n'ai pas parlé de la novélisation par Max Pecas de son propre polar burné cinéma de quartier Brigade Des Moeurs, et c'est peut être une bonne chose.
Niveau texte, le bouquin vaut un Lebreton de la période Anti-Gangs, l'écriture est alimentaire mais virile, c'est du recit formaté en polar Gérard de Villiers - exactement ce que laisse supposer le titre : Brigade Mondaine et Police Des Mœurs, deux en un.
Niveau intrigue, c'est grosso-modo la même chose. Action urbaine dans la veine des grands succès de Bebel à l'époque, ou des Dobermann de Houssin, en vachement moins palpitant. On y retrouve l'habituel paris interlope et nocturne. propre à ce type de roman - c'est d'ailleurs ça qui en fait tout le sel : paysage rétro-cradingue et petite truanderie en déliquescence. Prostituées, travelos, dealers, arabes. Effluves de merguez et bois de Boulogne transformé en champs de tirs pour la chasse aux pervers. Quant au gentil de l'histoire, c'est un jeune flic aux méthodes à l'américaine et qui, pour faire respecter la loi, démissionne et passe en mode auto-défense, ultra-violence, vigilantisme bronsonnien. Refrain connu, sans surprise, mais doté de quelques variations tragiquement comiques.
Ainsi, le gros méchant, Costa, est un vil homosexuel tout de cuir vêtu, façon motard des village people.
A la fin du bouquin, il pète son dernier plomb et capture, en vue de la torturer, la fiancée du gentil flic mais ce dernier les retrouve à temps, dans une usine désaffectée de banlieue. Grosse fusillade sanguinolente puis, enfin ! le passage d'anthologie du bouquin. Page 183. Le flic vient de tabasser le méchant homo qui est désormais bien H.S. Le flic dégoupille alors une grenade et la carre dans le bénard de l'inverti, au niveau stratégique du postérieur, le trou d'balle quoi, avant de balancer la réplique qui tue, littéralement : "
Tu vas crever comme tu as vécu, Costa ! Comme un enculé !"
C'est plus que charmant, c'est adorable. Merci Max, on t'aimait, t'étais un grand.


En novembre surtout, c'est triste, mais je n'ai surtout pas eu le temps d'aborder l'œuvre de Frank Gruber sous l'angle de sa superbe série des Johnny Fletcher et Sam Cragg et qui résume à elle seule tout l'esprit roublard, comique et délirant du pulp US des années 40.
Deux détectives amateurs, vagabonds flamboyants et qui, lors de leurs périples sans buts sur les routes américaines, tombent constamment sur des cadavres. S'ensuit alors une enquête désintéressée, menée à la dilettante et ponctuée de parties de passe anglaise, de magouilles financières, de mystères de chambres closes, de courses poursuites, de bagarres, de démonstrations foraines et de harangues hilarantes.
Un bel exemple de Harpo Marxisme romanesque
- et pourtant Harpo était muet, et les personnages de Gruber parlent beaucoup, mais son esprit est bien là. Répétitif, endiablé, roboratif. Comme les facéties d'Harpo, les Frank Gruber se suivent et se ressemblent, mais, toujours comme les facéties d'Harpo, ce n'est pas une critique, bien au contraire, c'est la preuve de l'efficacité d'une formule.
Ainsi, au fil des volumes, on retrouve toujours les mêmes ingrédients mais on les retrouve avec le même plaisir et, tel un fin gourmet, on se met à noter les fines variations qui donnent au souper tout son piquant et sa belle identité. Des Johnny Fletcher et Sam Cragg, j'ai bien dû en lire les trois quart et pourtant, si ils se ressemblent tous, je suis foutrement capable de les dissocier, de les résumer et de vous en sortir le panaché. Mais ce sera pour une prochaine fois, parole de robot, là, je termine juste ce bien long billet, je le termine même en queue de poisson, exactement comme ça, hop, voila et joyeuses fêtes parait-il, j'ouvre une bière à votre santé !

5 commentaires:

artemus dada a dit…

En parlant de Frank Gruber, je ne sais pas si tu as lu son autobiographie "Pulp Jungle" aux éditions Encrage, si ce n'est pas le cas et que tu en as l'occasion tente le coup.
C'est un beau témoignage sur le métier d'écrivain au "temps des pulps".

artemus dada a dit…

Oups ! J'avions oublié.

Meilleurs vœux : "dur comme un œuf et solide comme un os en plastique".

ROBO32.EXE a dit…

je me disais bien que j'avais oublié quelque chose... merci cher Artemus pour ce rappel !
D'ailleurs, c'est amusant, mais un autre auteur évoqué dans ce billet, Leopold Massiera, a lui aussi pondu ses mémoires d'écrivain populaire - que je n'ai malheureusement pas pu lire puisque l'ouvrage en question ("Dieu Hait Les Rites", si je ne me trompe pas...) a été publié par un petit éditeur et est épuisé depuis bien longtemps...

pfinge a dit…

Tu as écrit : "En novembre, je n'ai pas parlé de Soleil De Sang, signé Leopold Massiera et publié chez SEG. Mais qu'avais-je à dire sur ce bouquin en particulier ? Pas grand chose, malheureusement. Une histoire de meurtre très banale servant de support pour un petit portrait du japon des années 60, cadre assez étonnant pour un gare jetable de l'époque et brossé sans racisme ni traits grossiers, preuve indubitable du talent de son auteur, Gilles Maurice Poulain, qui officia longuement dans la littérature populaire sous divers pseudos"


Jamais entendu ça ! Léopold Massiéra habitait Nice y est enterré je crois.
Y' a-t-il une référence ?

ROBO32.EXE a dit…

non non, aucune, excepté celle fournie par mon esprit embrumé !
il s'agit en effet d'une énorme bourde de ma part. j'ai sans raison assimilé les deux auteurs... ça remonte à la lecture il y a quelques années d'un vieux Fiction (le #7), dans lequel une nouvelle de Massiera était publiée et j'avais dû, à ce moment là, penser très fort aux écrits SF de Maurice Vernon... d'où ma confusion... bref, je suis tout penaud, tout honteux, ça m'apprendra à ne pas aller vérifier le fondement de toutes les conneries que je profère sur ce blog et à ne pas systématiquement noter les références et pseudonymes des divers auteurs qui m'intéressent. En tout cas, cher Pfinge, merci beaucoup pour ce message, mille merci même - sans vous, j'aurai très certainement continué à me fourvoyer au sujet de Massiera !