INTRODUCTION PARTIELLE AU MYTHE PIERRE VIAL LESOU

Comme toutes les bonnes choses dans la vie (ou presque, n'exagérons pas !), j'ai découvert Pierre Lesou, Pierre Vial, Pierre Vial Lesou, Pierre G. Lesou dans une poubelle de bouquiniste. J'appelle poubelle de bouquiniste les bacs à 20 centimes qui ornent aux grès des intempéries les devantures de certains magasins résolument orientés décharges géantes du livre. Une belle planque pour résidus érotico-espionno-polardeux en voie de décomposition. Mon élément naturel, en quelque sorte.
Ce jour là, le hasard avait bien fait les choses. Pierre Vial et moi, on ne se connaissait pas mais on s'était tout de suite plu. Enfin, j'imagine. Difficile d'attester de la réciprocité des sentiments dans une rencontre avec un vieux bouquin...
Son petit nom, c'était L'Ardoise D'Un Apache. Il s'était maquillé en Spécial Police, noir et rouge, bel état, couverture de Gourdon et surtout, texte majestueux. Un truc à t'accrocher à vie. je peux en témoigner. Après ces 220 pages, je n'étais plus le même homme. J'étais passé camé, totalement envapé, dépendant au Pierre Vial - je te l'ai déjà dit. J'aurai même été jusqu'à me faire tatouer son nom sur le bras mais vu ma frêle condition, ce n'était pas possible. Un cœur à 360 degrés, ça la fout mal. Passons. J'ai bien d'autres choses à te raconter, des choses plus importantes que mes mensurations. Par exemple : Pierre Vial Lesou, c'est du tonnerre, du bonheur, de la pure, pourquoi n'essaye-tu donc pas, n'essaye donc tu pas, n'essaye pas tu donc, hein ?
Je sais, je sais, je me répète, ça saoule mais c'est nécessaire (ah ?). Disons, pour redevenir sérieux, qu'il y a des oubliés tragiques du roman noir - pas forcement pour les vécus mais plutôt pour les conditions de leur oubli - et que Lesou est de ceux là.
Un auteur injustement négligé. Un auteur que les spécialistes citent rarement - et lorsqu'ils le font, c'est toujours du bout des lèvres.
Pire, certains grincheux - et là, ce n'est plus de l'amnésie polie, c'est de l'assassinat - l'assimilent de temps à autres à un sous-Lebreton, un Lebreton du pauvre, un Lebreton de seconde zone.

Faudrait peut être pas abuser.
Lesou, c'est une toute autre came que Lebreton. Même origine chimique, résolument, mais effets différents. Époque différente surtout. Lesou semble porter le polar des truands vers le modernisme. Années 60. années 70. Lebreton, si tu cherches le chef-d'oeuvre, tu restera bloqué en 1953. C'est Du Rififi Chez Les Hommes. Et ce bouquin-là, ce monument, cet indispensable, c'est le niveau type de la moitié de la production à Pierrot. Quant à l'autre moité, elle vaut aisément Le Rouge Est Mis.
Voila pour le mètre-étalon. Rajoute à ça un premier bouquin, Le Doulos, magistralement adapté au cinéma par Jean Pierre Melville et maintenant, explique-moi pourquoi Lesou se la traine encore aux cotés des forçats en guenilles de la littérature poubelle ?

J'avance l'hypothèse du passage de la maison Gallimard au Fleuve Noire. Une transition qui ne pardonne jamais. Prends Serge Arcouet, Ange Bastiani, André Duquesne. Le marathon est meurtrier.
Peut aussi s'agir de l'effet José Giovanni. Un autre coup dur. Car c'est lui, c'est bien lui, aux yeux des critiques, le seul et unique héritier de Lebreton. Les autres peuvent crever, on tient la relève, mon pote. J'te jure, c'est du sérieux ! cui-là, Il a fait de la prison, il argotise simplet et il sait placer des mots à la suite. Houra collectif ! (En plus, t'imagines, Deuxième Souffle, c'est presque métaphorique...)
Calmez votre enthousiasme, les gars. C'est sacrement joli les poster-boys mais faudrait peut être penser aux copains. Lesou mérite bien mieux que son cachot de poussière.
Voila un styliste impeccable, un auteur viscéral, un raconteur implacable. L'architecture de ses intrigues est renversante de simplicité (ça s'appelle un polar, poulette) mais ses bouquins font toujours l'effet de couperets. La tranche est nette, sans bavure, la mise à mort, automatique. Elle en devient presque figure de style, surplombant toutes les autres. On trouve bien entendu les thématiques habituelles du polars à truands - amitiés viriles, trahison, évasion du ch'tar, vengeance tiède - mais le coup de la grande faucheuse reste l'axe primordial, la marque de fabrique, la signature que Lesou exécute au mont-blanc et uniquement pour les grandes occases.

Car chez Lesou, le bouillon de 11 heure est une affaire sérieuse. On ne clamse pas en deux lignes, on crève en cinq pages. Le plat est consistant. Le western spaghetti peut se rhabiller. Ce n'est pas une farandole grand-guignolesque, c'est un ballet cosmique, une distorsion temporelle. C'est Jeff Harles dans La Virgule D'Acier, le corps empli de plombs et qui ne se résout pas à tomber alors qu'il n'a plus rien d'autre à faire, c'est Viletti face à Favenin dans La Mort D'Un Condé et qui ne cesse de se relever pour honorer l'intégralité du barillet, c'est Roy dans Main Pleine qui virevolte dans les airs en cherchant à réparer l'inattendu outrage tandis que son corps se perce de toute part. C'est un souffle qui se repend à l'infini, une micro-seconde en suspension et les pages peuvent se tourner, la mort reste, elle crée son propre microcosme, elle subsiste comme subsisterait une impression rétinienne. L'artifice est saisissant, dépasse la simple tension narrative et oui, finalement, nous ne sommes pas très loin d'un Sergio Leone en apesanteur.
Je pense alors au duel final de Je Vous Salue Mafia, ce duel final et les coups de klaxons qui s'ensuivent, qui s'amplifient, qui étouffent le lecteur jusqu'au mot FIN. Dix pages en apnée. On comprend pourquoi Lesou scénarisa beaucoup pour le cinéma. Le sens du rythme est impartial... mais cela ne doit pas entacher la partie écrite, publiée, la partie litteraire de son œuvre.
Les bouquins de Lesou ne sont pas des brouillons de scénarios. L'homme a du style et des idées. Exactement comme Héléna, comme Bastiani parfois, comme Lebreton en Série Noire. Le moteur ne tourne pas dans le vide.
Je reprends l'exemple de Je Vous Salue Mafia. Il est difficile de croire que ce bouquin ait pu être écrit en 1964. Non pas pour son sujet, qui devance de presque dix ans la mode du tout Mafieux dans le roman d'action, mais plutôt pour son infrastructure narrative. Ces deux exécuteurs en route vers une mission d'équarrissage et qui échangent sporadiquement des réflexions sur leur vie, leur boulot, leurs aspirations.
Drame intimiste sur quatre roues avant déchainement d'ultra-violence mélodramatique.
Lesou ne fait pas dans le froid. Il ne fait pas non plus dans le détournement du genre.
Le genre, il le dépouille, il le gonfle, il le renforce à l'extrême et sans en dénigrer les éléments populaires. Je disais : Il modernise. Dans la forme comme dans le fond. Son argot est léger, ces artifices sont fougueux. Ce sont les même tragédies, mais jouées sur un nouvelle partition. Et dans le cas de Lesou, disons simplement que l'interprète est magistral.
Je m'arrête là.
Il y a beaucoup de choses à dire sur Lesou. J'en ai dit certaines. C'est mineur mais j'y reviendrai. J'essaierai d'en développer d'autres (par exemple Manchette / Lesou). En attendant, espérons que cette longue divagation ne fut point ennuyeuse pour vous et fera pour certains office d'introduction à un auteur d'exception étonnamment dénigré.

6 commentaires:

filo a dit…

de lesou j'avais seulement lu le doulos (après avoir vu le film qui est vraiment un monument) mais ton post me donne envie de lire tout le reste !

Rajah a dit…

Les poubelles que vous fouillez sont des mines d'or. Je ris de plaisir à lire le récit de vos exploits. Lutteur solitaire, vous faites la nique au Temps, aux temps, avec une magnifique insolence: bravo!

artemus dada a dit…

Absolument, un bien beau billet qui non seulement donne envie mais qui à aussi du souffle et de la verve.

Joli coup (si je peux me permettre) !

ROBO32.EXE a dit…

Merci beaucoup messieurs. Si cela donne envie, alors pour moi, c'est mission accomplie. Et je vais essayer de garder le cap...

A. Nolat a dit…

A ce billet, je ne peux ajouter que ceci : en 1957, Pierre Vial-Lesou a écrit, aidé matériellement par sa soeur Gisèle, son premier et meilleur roman (à mon sens): "Coeur de hareng" peut-être inspiré par une certaine réalité. La Série Noire lui doit encore "Main pleine" et "Le doulos". "Coeur de hareng" a été mal adapté à la télévision - à la différence du "Doulos" et d'"Un condé". Vial-Lesou a ensuite été un auteur "Fleuve noir" comme le talentueux Claude Rank ("Du fond de ta nuit") et Ange Bastiani excellent quand il le voulait. Mais rien à voir avec Auguste M. dit "le Breton", un vrai romancier de la rue.

ROBO32.EXE a dit…

Coeur De Hareng, écrit en effet avec sa sœur Gisèle, fut par contre sorti après Le Doulos, en 1958. C'est peut être l'un des Lesou que j'aime le moins (mais ça ne veut en aucun cas dire qu'il est mauvais - bien au contraire !)
Quant au lien que je tisse entre Lesou et Le Breton, ce n'est pas celui de la rue (que l'on retrouve surtout dans un roman comme Les Hauts Murs de Le Breton) mais plutôt celui d'un romantisme noir exacerbé. L'aspect "tragédie de truands" - très présent dans Du Rififi Chez Les Hommes et Le Rouge Est Mis, par exemple. Un certain pessimisme poignant avec des anti-héros fonçant bille en tête vers une mort certaine. A mon sens, chez Giovanni, on ne retrouve pas cela. Il n'arrive pas à faire sourdre dans son texte l'urgence et l'inéluctabilité des situations.