L'ÉTRANGE CAS D'HENNY SHERMAN

MR SHERMAN CHANGE DE PEAU, GEORGE MALCOLM-SMITH
ÉDITIONS JEAN FROISSART / L'ÉCUREUIL, 1951

L'histoire est un grand classique des récits absurdes. Au lendemain d'une cuite carabinée, un type se réveille dans une chambre d'hôtel, la cervelle en marmelade et la bouche pâteuse. Il prend une douche, se regarde dans une glace et, stupeur ! constate que son visage est désormais celui d'une autre. Monsieur Sherman vient de changer de peau.
"O.K. Voici donc l'article nécrologique : Henny P. Sherman, âgé de trente-huit ans et, depuis plusieurs années, rédacteur politique au Sacramento Sun, a disparu en plein sommeil, la nuit derniere. Dans son ensemble, son existence fut assez ordinaire. Il travaillait comme un chien, du moins comme ceux qui travaillent, buvait modérément, fumait son paquet par jour, votait socialiste, dormait sans ronfler et savait bricoler dans sa maison. Il mesurait un mètre quatre-vingt-quatre, assez bien bâti. Cheveux noirs, se faisant nettement rares. Pointure des chaussures : 42, des gants : 7 1/2, du chapeau : n'en portait pas. Il laisse une veuve, Eleanor, et deux garçons."
Désormais, Henny Sherman est Baxter Oldershaw, fondé de pouvoir dans une banque de Hartford, Connecticut. Homme de droite, bourgeois, ne fumant ni ne buvant, peu fantaisiste et pas en meilleurs termes avec sa femme. Un mètre soixante, de l'embonpoint, petite moustache, couvre-chef et tout ses cheveux sur la coupole. La transformation est radicale mais Henny n'a pas le choix. Que ça lui plaise ou non, aux yeux de tous, il est réellement Baxter Oldershaw. C'est ça ou l'asile. En avant donc pour assumer le rôle de cette personnalité résolument contraire.
Mais les choses ne sont pas si simples que cela et
, de par son comportement idiosyncratique, Henny va peu à peu chambouler tout le petit monde de Baxter Oldershaw.


La trame est connue certes, mais pas forcement dénuée de surprises. A l'inexplicable transformation de Henny Sherman, George Malcolm-Smith rajoute une histoire d'amour, une sombre affaire d'héritage, une rencontre improbable et une magouille concernant un vieux canasson. C'est rondement mené, sans temps-morts, légèrement cocasse, souvent pince-sans-rire, parfois graveleux et les réactions du personnage principal, déboussolé par une situation qu'il ne peut maitriser, sont parfaitement mises en scène.
Quant aux dialogues, ils arborent un ton badin rappelant le Frank Gruber impertinent de la série Johnny Fletcher et Sam Cragg - mais en bien moins roublard et mouvementé. Car si Gruber a tendance à forcer la dose du coté des péripéties et de la désinvolture - parties de poker enflammées, reparties déchainées, bagarres endiablées - George Malcolm-Smith brosse son récit à une allure que je n'hesiterai pas à qualifier d'anglaise.
Roman flegmatique, modéré, s'étirant tranquillement sur 260 pages, Mr Sherman Change De Peau manque parfois d'un peu d'envergure dans ses facéties mais, au vue de l'attachement que l'on ressent pour l'ensemble des protagonistes de ce récit et de la gaité générale qui émane du texte, je n'aurai certainement pas dit non à un petit supplément de 100 feuillets
(et ça, à mes yeux, c'est un sacré compliment !)

Pour couronner le tout (et décider les récalcitrants), le roman est accompagné par une série d'illustrations intérieures signées Frank Cowles et dont voici un exemple aussi grossier qu'appréciable.

(Arf arf arf arf arf ! Humour, humour !)

Malheureusement, et c'est la seule chose que je puisse reprocher à ce roman aussi distrayant que dépassé (et vaguement sexy, même, comme vous venez de le remarquez), quelques illustrations, placées une ou deux pages trop tôt, gâchent les effets comiques de certaines situations.
Mais ne boudons pas notre plaisir. Mr Sherman Change De Peau (The Grass Is Always Greener en V.O.) est un roman d'humour charmant et enjoué comme seuls les anglo-saxons en avaient la formule dans les années 40.

Aucun commentaire: