ANTICIPATION IDÉODYNAMIQUE

LA FOUDRE ANTI-D, JEAN-GASTON VANDEL
INCROYABLE FUTUR, JEAN-GASTON VANDEL
ANTICIPATION # 73 & 24, 1956 & 1953

Des trois premiers auteurs francophones du Fleuve Noir Anticipation, Jean Gaston Vandel est le plus remarquablement moderne.
Contrairement à Guieu et Richard Bessiere, Vandel, c'est à dire Jean Libert et Gaston Van Den Panhuyzen, binôme constitutif de ce nom de plume éphémère, ne donnait que très parcimonieusement dans le barouf spatio-temporel à l'américaine, préférant aux soucoupes volantes et aux guerres totales, aux univers infinis et aux galaxies inconnues pleines d'extraterrestres belliqueux, une SF sociologique teintée d'un catastrophisme à l'anglaise et d'idées étonnamment progressistes.

Ce dernier point est très important. Rappelons d'ailleurs qu'à la même époque, nos deux auteurs signaient parallèlement les aventures de Francis Coplan alias FX-18 sous le pseudonyme de Paul Kenny. En matière de grand écart, il est difficile de faire mieux. Il n'existe pas de genre plus conservateur dans ses idées et dans son style que l'espionnage - et les romans de Paul Kenny sont du même acabit que ceux de Jean Bruce ou de Frank Peter Belinda : à l'ancienne et sans finesse, humour pataud et éloge du protectionnisme, l'inverse même des aventures pacifistes que Jean-Gaston Vandel mettait en scène dans ses fictions anticipatives.
J'ai parfois tendance à dissocier ces deux façades – mais il est intéressant de garder cette dualité en tête lorsqu'on aborde l'oeuvre de Jean Gaston Vandel, ses romans fonctionnant comme des récits d'espionnage futuriste mais aux valeurs inhérentes sensiblement inversées.
Par exemple, dans La Foudre Anti-D, un inspecteur médical, après une enquête sur une micro-épidémie farfelue (un teint de peau cadavérique et une sensation de plénitude totale), se lance sur la piste d'un gigantesque complot scientifique. Le modèle narratif d'une spy-fiction est ici appliqué à la lettre. Le monde moderne, représenté par l'inspecteur, se découvre un ennemi invisible. En conséquence, il doit donc le débusquer et l'éliminer. L'enquête le mène d'abord sur une mystérieuse île du pacifique puis dans l'espace, où se trouve le laboratoire-base sécrète lunaire des savants comploteurs.
Mais si les prémices pourraient être ceux d'un Coplan à la sauce futuriste, le déroulement diffère entièrement. Le complot ne se révèle pas maléfique mais, bien au contraire, a pour objectif l'amélioration sociale des structures administratives terrestres. La foudre Anti-D, c'est la foudre anti-déprime, destinée à combattre les maladies psychiques du futur et à sublimer le quotidien des êtres humains. Notre enquêteur se détourne donc du gouvernement en place, embrasse les idées des scientifiques dissidents et organise une révolution pacifique. Totalement naïf ? Bien entendu. Mais pour des romans de SF populaire écrits dans les années 50, les Jean-Gaston Vandel paraissent bien en avance sur leur temps - et ce, d'au moins 20 ans.

Histoire d'enfoncer le clou, voici le dernier lu en date : Incroyable Futur - un petit Vandel, moins bons que (pour citer mes favoris) La Foudre Anti-D ou Bureau De L'Invisible, mais surprenant agréablement par ses presciences totalement Timothy Learesque. Visez un peu :
Le roman débute par l'invention d'une nouvelle drogue, le XYZ (oui, ça manque cruellement d'inspiration). Le jeune chimiste responsable de cette trouvaille se décide donc à l'essayer sur lui-même - c'est l'ABC du scientifique farfelu de divertissement bon-marché - et les effets, qui ne tardent pas à se faire sentir, se révèlent sacrement cosmiques.
"Un véritable cataclysme s'était déchaîné dans sa tête ; des lueurs pourpres éclataient dans son cerveau, accompagnées de hululements prolongés qui vrillaient littéralement les couches profondes de sa matière grise..."
Supertrip, n'est-il pas ? Mais notre chimiste n'a pas fait tout ça uniquement pour prendre son pied. Sa drogue, une fois les effets hallucinatifs dissipés, permet de lire dans l'esprit d'autrui. S'en suit alors une série de péripéties voyant notre jeune héros chercher à gagner sa croûte grâce à son invention... sans résultât probant. Le XYZ est en effet trop dangereux pour être commercialisé mais surtout, notre chimiste se rend compte que les grands de ce monde, chefs d'entreprises pharmaceutiques ou dirigeants des super-puissances terrestres, n'ont aucunes intentions louables.
"A l'abri de leur prestige et de leur immense autorité, que de passions peu reluisantes on découvre !... Le monde est écœurant, voila la vérité. La société est bâtie sur l'hypocrisie, l'ordre repose sur des bases fausses, les sentiments qu'on affiche et qu'on honore sont méprisés en secret. Chacun pratique un jeu égoïste tout en affectant d'obéir à des mobiles élevés !... Non, franchement, lire dans l'esprit des gens n'est pas un exercice à recommander ; on y récolte que dégoût et déception..."
Mais notre héros ne baisse pourtant pas les bras et décide de se rebeller. C'est là que le roman part en vrille. Il décide de se rebeller... avec l'aide d'une bande d'extraterrestres illuminés, les Sonaghiens, venus d'une autre planète pour préparer la terre à son "troisième age" - l'age du bonheur infini, de la connaissance cosmique et de la paix universelle – un troisième age qui ne peut d'ailleurs être déclenché que par notre chimiste drogué, puisque, grâce à ses cachetons d'acides lysergiques à lire les pensées d'autrui, il est devenu une sorte de nouveau messie du futur psychotropiquement up-gradé.
Vous voyez, quand je parlais de Timothy Leary, on en était pas si loin.
Voilà un roman des années 50 qui anticipe
(involontairement) le psychedelisme revolutionnaire à venir. Les 100 dernières pages d'Incroyable Futur, avec ses explications scientifiques vaseuses et sa philosophie à l'emporte pièce, peuvent même se lire comme un manuel pour apprenti gourou voulant fonder sa secte. Totalement niais ? Oui, mais fort drôle... et parfois même joliment inspiré.
Par exemple, à la fin du roman, notre heros et ses amis extraterrestres déclenchent une révolution mondiale à l'aide de canons idéodynamiques dont "les salves silencieuses [...] bouleversaient de fond en comble l'opinion des peuples." Est-ce du Kirby ? Du Grant Morrisson ? Du Dick ou du Spinrad ? En tout cas, c'est de la belle science-fiction populaire, rétro mais distinguée, bancale mais bizarre, parfois apathique mais suffisamment inventive et en avance sur son temps pour en justifier la lecture.
Bref, du Jean et du Gaston égaux à eux-même et qui nous font ainsi regretter leur choix, une fois leur vingtaine d'Ancipation parus, de couper court à la SF pour se conforter dans l'espionnage.
Car du Kenny en lieu et place de Vandel, et même malgrè mes tendances littéraires masochistes, j'appelle ça y perdre au change.

3 commentaires:

artemus dada a dit…

Je m'associe aux compadres du billet précédent qui louaient ta qualité d'écriture matelot.

Ceci dit je te remercie de ces trouvailles toujours intéressantes, j'ai ainsi pu lire Trinité de Lupoff grâce à toi.

À ce propos de qui sont les couvertures des romans de J-G Vandel ?

ROBO32.EXE a dit…

ah, Trinité, c'est du tout bon, surtout si on est un amateur du Captain Marvel de la Fawcett, de Marvelman ou de Sentry !
et rien que d'y penser, ça me donne envie de le relire !

les couvrantes sont l'œuvre de René Brantonne, affichiste, publicitaire et illustrateur de génie. j'ai scanné deux articles à son sujet ici : http://muller-fokker.blogspot.com/2010/02/rene-brantonne.html
mais il y a surtout un très beau site qui lui est dédié : http://www.brantonne.net/
du régal pour les chasses !

Le Tenancier a dit…

Alias "Jean-Baston Dentelle"... (dixit Roland Wagner, Je crois)