SANS SOMMATION, PIERRE VIAL-LESOU
FLEUVE NOIR SPÉCIAL POLICE # 1038, 1973
Avant-dernier roman de Pierre Vial-Lesou (l'auteur ne ressurgira qu'une dizaine d'années plus tard pour un ultime titre, Viva Zapatouille), Sans Sommation poursuit la veine politique amorcée par La Mort D'un Condé et, de fait, se retrouve placé une nouvelle fois sous le signe de cette citation de Napoléon : " L'art de la police est de ne pas voir ce qu'il est inutile qu'elle voit."
Roman d'action sous-tendant une réflexion sociale, Sans Sommation semble néanmoins, à l'aune des convenances (encore balbutiantes) du polar contestataire des années 70, relever de l'anomalie voulue et consommée.
Ici, le discours est indistinct, la pensée chaotique. Le propos n'est pas engagé comme il se devrait de l'être mais bien "dégagé" de toute appartenance, donc aussi ambigu que problématique.
De cette conduite étrangement floue, le texte s'érige à la fois comme le pendant négatif du Nada de Jean-Patrick Manchette et comme une suite informelle aux thématiques que La Mort D'Un Condé cherchait à renouveler dans un bain de modernité - Toute cette imagerie du flic et du truand, de l'autorité et des codes, de l'amitié et de la trahison, en bref : toute cette somme d'antagonismes classiques que l'auteur applique à une trame politique-fictionnelle contemporaine et pertinente.
En résulte un roman détonnant mais pas toujours défendable. Un peu comme si la bande à Baader était dirigée par Pierre Loutrel et qu'Action Directe obéissait à la logique virile d'un nouveau Rififi chez les hommes.
Ainsi, dans Sans Sommation, un groupe de terroristes est traqué par la police d'état (" une gentille armada de truands-sadiques et d'espions-grillés, tous promus exécuteurs au nom de l'intérêt public ") tout en essayant de monter un (dernier) gros coup.
Les prémices font penser à Nada. Concomitance créative, les deux romans furent écrit la même année. Celui de Lesou sorti plus tardivement, pour accompagner le film que Bruno Gantillon en tirait.
Mais contrairement à Nada, les révoltés de Sans Sommation ne sont pas des anarchistes armés ou des idéalistes exaltés. Ce sont d'anciens militaires, lâchés par leur patrie, lâchés par leur époque, et continuant à se battre pour leurs idéaux - ou bien même : leur absence d'idéaux - se battant ainsi parce que c'est tout ce qu'il leur reste et aussi parce que c'est tout ce qu'ils savent faire.
Ce ne sont pas des gauchistes, ce sont des réactionnaires. Ils combattent le progrès, concept à l'origine de la trahison dont ils furent victimes. Le spectre d'OAS n'est pas très loin, c'est le troupeau des morts s'en prenant à celui des vivants pour répondre à un code de l'honneur désormais obsolète.
Fantômes contre fantoches, âmes perdues contre sans âmes - il n'y a rien ni personne à sauver ici, juste des salauds et des fous, pour reprendre l'expression d'Alphonse Bourdard.
Sans Sommation se tire donc une balle dans les deux pieds. Un flic manipulateur dit : " vos raisonnements démagogiques me déçoivent. " Un commandant rebelle lance : " je n'aime pas l'hypocrisie, surtout quand elle gouverne. " Le personnage principal lui répond alors : " dans la bouche d'un militaire, c'est plutôt marrant à entendre. "
Sans attaches, le bouquin chancelle. Pour certains, il semblera absurde. Pour d'autres, "fasciste" sera le gros mot à employer. Dans Mystère Magazine, Alain Garsault écrivit qu'il s'agissait d'une "démonstration politique du plus mauvais aloi." C'est passer à coté de l'essentiel. Voire même tomber dans le panneau.
Ou comme le déclare une pute en page 67 : " Z'etes cons, les hommes, avec votre politique [...] Z'avez tous la prétention de détenir la vérité dans vos petites cervelles d'insectes."
Car au delà des curieuses intentions (aberrantes ou néfastes) que l'on pourrait lui prêter, Sans Sommation s'affirme avant tout comme un roman sur les diverses gammes du mensonges. Et comment se regarder ensuite dans une glace.
Le suspense initial (qui est le lieutenant Kieffer ?) est adroitement mené, la fin (marquée d'une résignation en faux semblant) se fait amère et l'écriture de Pierre Vial-Lesou se découvre aussi enragée qu'efficace.
Il est juste regrettable qu'une lourdeur dans l'exécution de certaines scènes et qu'un manque d'ambition dans le développement final de l'action (deux travers sans doute imputables aux considérations budgétaires imposées par le format cinématographique - le roman ayant été à l'origine conçu comme un scenario) empêchent Sans Sommation d'atteindre à la perfection du bouquin de gare en 240 pages.
Quant au film de Bruno Gantillon (réalisateur du très beau long-métrage fantastique Morgane et Ses Nymphes), il accentue toutes les faiblesses du roman original et se paye aussi le luxe de rater les scènes d'action. Je pense à l'attaque (brouillonne et trop vite expédiée) du fourgon carcéral et à l'embuscade héliportée dans un champ, censée être le clou du spectacle et pourtant manquant cruellement de tension.
Tout aussi déplorable : la conclusion au tête à tête final entre Maury et Capra, dans la Ford, sur la route, en fumant un clope et qui passe à coté de toute la tranquille poésie du mécanisme de mort dans l'œuvre de Pierre Lesou.
Néanmoins, cette légère absence de souffle ne gâche pas entièrement le spectacle. Bien au contraire. Les dialogues de Lesou sont solides, Gantillon capte à merveille les instants mélancoliques et les acteurs sont excellents.
Mention spéciale à Maurice Ronet et ses airs d'alcoolique suicidaire. Il porte littéralement le film sur ses épaules de pauvre type désabusé, uniquement préoccupé par l'accomplissement d'une soulographie très active - un délice !
Pour le reste, Mario Adorf est toujours aussi fort, Bruno Cremer est ultra-cool et Annie Duperey super belle pour qui aime les filles plates et élancées.
J'aurai du mal à en dire plus de bien mais, en dépit de ses (énormes ?) defauts, Sans Sommation reste un polar seventies de facture très honnête.
En tout cas, prenez-moi pour un dingo si vous les souhaitez mais je ne l'échangerai jamais contre un Costa-Gavras de la grande époque.
Et j'y peux rien, je suis comme ça... mais je m'assume !
FLEUVE NOIR SPÉCIAL POLICE # 1038, 1973
Avant-dernier roman de Pierre Vial-Lesou (l'auteur ne ressurgira qu'une dizaine d'années plus tard pour un ultime titre, Viva Zapatouille), Sans Sommation poursuit la veine politique amorcée par La Mort D'un Condé et, de fait, se retrouve placé une nouvelle fois sous le signe de cette citation de Napoléon : " L'art de la police est de ne pas voir ce qu'il est inutile qu'elle voit."
Roman d'action sous-tendant une réflexion sociale, Sans Sommation semble néanmoins, à l'aune des convenances (encore balbutiantes) du polar contestataire des années 70, relever de l'anomalie voulue et consommée.
Ici, le discours est indistinct, la pensée chaotique. Le propos n'est pas engagé comme il se devrait de l'être mais bien "dégagé" de toute appartenance, donc aussi ambigu que problématique.
De cette conduite étrangement floue, le texte s'érige à la fois comme le pendant négatif du Nada de Jean-Patrick Manchette et comme une suite informelle aux thématiques que La Mort D'Un Condé cherchait à renouveler dans un bain de modernité - Toute cette imagerie du flic et du truand, de l'autorité et des codes, de l'amitié et de la trahison, en bref : toute cette somme d'antagonismes classiques que l'auteur applique à une trame politique-fictionnelle contemporaine et pertinente.
En résulte un roman détonnant mais pas toujours défendable. Un peu comme si la bande à Baader était dirigée par Pierre Loutrel et qu'Action Directe obéissait à la logique virile d'un nouveau Rififi chez les hommes.
Ainsi, dans Sans Sommation, un groupe de terroristes est traqué par la police d'état (" une gentille armada de truands-sadiques et d'espions-grillés, tous promus exécuteurs au nom de l'intérêt public ") tout en essayant de monter un (dernier) gros coup.
Les prémices font penser à Nada. Concomitance créative, les deux romans furent écrit la même année. Celui de Lesou sorti plus tardivement, pour accompagner le film que Bruno Gantillon en tirait.
Mais contrairement à Nada, les révoltés de Sans Sommation ne sont pas des anarchistes armés ou des idéalistes exaltés. Ce sont d'anciens militaires, lâchés par leur patrie, lâchés par leur époque, et continuant à se battre pour leurs idéaux - ou bien même : leur absence d'idéaux - se battant ainsi parce que c'est tout ce qu'il leur reste et aussi parce que c'est tout ce qu'ils savent faire.
Ce ne sont pas des gauchistes, ce sont des réactionnaires. Ils combattent le progrès, concept à l'origine de la trahison dont ils furent victimes. Le spectre d'OAS n'est pas très loin, c'est le troupeau des morts s'en prenant à celui des vivants pour répondre à un code de l'honneur désormais obsolète.
Fantômes contre fantoches, âmes perdues contre sans âmes - il n'y a rien ni personne à sauver ici, juste des salauds et des fous, pour reprendre l'expression d'Alphonse Bourdard.
Sans Sommation se tire donc une balle dans les deux pieds. Un flic manipulateur dit : " vos raisonnements démagogiques me déçoivent. " Un commandant rebelle lance : " je n'aime pas l'hypocrisie, surtout quand elle gouverne. " Le personnage principal lui répond alors : " dans la bouche d'un militaire, c'est plutôt marrant à entendre. "
Sans attaches, le bouquin chancelle. Pour certains, il semblera absurde. Pour d'autres, "fasciste" sera le gros mot à employer. Dans Mystère Magazine, Alain Garsault écrivit qu'il s'agissait d'une "démonstration politique du plus mauvais aloi." C'est passer à coté de l'essentiel. Voire même tomber dans le panneau.
Ou comme le déclare une pute en page 67 : " Z'etes cons, les hommes, avec votre politique [...] Z'avez tous la prétention de détenir la vérité dans vos petites cervelles d'insectes."
Car au delà des curieuses intentions (aberrantes ou néfastes) que l'on pourrait lui prêter, Sans Sommation s'affirme avant tout comme un roman sur les diverses gammes du mensonges. Et comment se regarder ensuite dans une glace.
" L'amitié, tu vois, ça fait partie de la panoplie des illusions, comme toutes les idéologies. "Argumentation intellectuellement insaisissable mais émotionnellement probante, le roman est beau comme un ratage spontané qui hurlerait phrase après phrase sa franchise maladroite mais nécessaire.
Le suspense initial (qui est le lieutenant Kieffer ?) est adroitement mené, la fin (marquée d'une résignation en faux semblant) se fait amère et l'écriture de Pierre Vial-Lesou se découvre aussi enragée qu'efficace.
Il est juste regrettable qu'une lourdeur dans l'exécution de certaines scènes et qu'un manque d'ambition dans le développement final de l'action (deux travers sans doute imputables aux considérations budgétaires imposées par le format cinématographique - le roman ayant été à l'origine conçu comme un scenario) empêchent Sans Sommation d'atteindre à la perfection du bouquin de gare en 240 pages.
Quant au film de Bruno Gantillon (réalisateur du très beau long-métrage fantastique Morgane et Ses Nymphes), il accentue toutes les faiblesses du roman original et se paye aussi le luxe de rater les scènes d'action. Je pense à l'attaque (brouillonne et trop vite expédiée) du fourgon carcéral et à l'embuscade héliportée dans un champ, censée être le clou du spectacle et pourtant manquant cruellement de tension.
Tout aussi déplorable : la conclusion au tête à tête final entre Maury et Capra, dans la Ford, sur la route, en fumant un clope et qui passe à coté de toute la tranquille poésie du mécanisme de mort dans l'œuvre de Pierre Lesou.
Néanmoins, cette légère absence de souffle ne gâche pas entièrement le spectacle. Bien au contraire. Les dialogues de Lesou sont solides, Gantillon capte à merveille les instants mélancoliques et les acteurs sont excellents.
Mention spéciale à Maurice Ronet et ses airs d'alcoolique suicidaire. Il porte littéralement le film sur ses épaules de pauvre type désabusé, uniquement préoccupé par l'accomplissement d'une soulographie très active - un délice !
Pour le reste, Mario Adorf est toujours aussi fort, Bruno Cremer est ultra-cool et Annie Duperey super belle pour qui aime les filles plates et élancées.
J'aurai du mal à en dire plus de bien mais, en dépit de ses (énormes ?) defauts, Sans Sommation reste un polar seventies de facture très honnête.
En tout cas, prenez-moi pour un dingo si vous les souhaitez mais je ne l'échangerai jamais contre un Costa-Gavras de la grande époque.
Et j'y peux rien, je suis comme ça... mais je m'assume !
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