L'ENFANCE DE L'ART

LA BANDE DES MASQUES BLEUS, HJ MAGOG
ÉDITIONS R SIMON / POLICE SECOURS, 1937

Charleval, detective privé à l'ancienne, est embauché par une jeune fille pour retrouver son fiancé disparu.
En quelques pages, le roman est lancé. Le fiancé est détenu par une bande organisée et mal-intentionné convoitant l'héritage de la jeune fille. Héros populaire au service de l'amour, Charleval part donc le délivrer au péril de sa propre vie.

L'intrigue est cousue de fil blanc mais, de par sa frugalité bonasse, elle se révèle pleinement satisfaisante.
Car Henri-Jeanne Magog ne se complique pas la vie. La logique déductive propre aux romans policier d'époque, il la balance carrément aux orties. Pour lui, c'est avant tout un récit d'aventure dont il s'agit et le voila qui se complait ainsi dans l'accumulation de petites fantaisies aussi savoureuses qu'improbables.
Passages secrets, grues camouflées dans des jardins en friche, souterrains obscurs mais équipés en téléphonie moderne. Et surtout cette bande de sectateurs, non pas versés dans quelque religion occulte mais plutôt dans de très plates et très idiotiques combines financières.
Le fiancé de la jeune fille, je l'ai déjà précisé, ils l'ont kidnappés afin de mettre la main sur l'héritage de cette dernière. La combine est éventé en quelques paragraphes mais nos gugusses encagoulés n'en démordent pas. Ils s'y accrochent même comme les vilains d'opérette qu'ils sont censés être.


Charleval les poursuit donc sans relâche à travers les quatre histoires qui forment le présent volume. La première se déroule dans des ruines hanté, la seconde prend place à Monival-Sur-Mer (et je pensais, va comprendre, à Bart Keister), la troisième dans une demeure bourgeoise et la toute dernière en Angleterre.
Peu à peu, Magog lâche la bride à son imagination. Par ordre d'apparition, on y croise une chauve souris furieuse, une pieuvre géante meurtrière, un nain adepte des joies du cinématographe en plein air et une souris d'hôtel sexy et vénéneuse (mais ne le sont-elles pas toutes ?)

Dans son délire en crescendo, l'auteur semble comme incapable de s'arrêter. Malheureusement, son roman ne fait que 250 pages. Impossible d'aller plus loin. Ce sont les lois de l'édition. La distribution des feuillets a toujours été parcimonieuse et le final se retrouve souvent bâclé dans les grandes largeurs.
Ç'en est le cas ici. La Bande Des Masques Bleus sprinte comme un dingue sur les dernières coudées et de sa conclusion exhale l'amertume des petites résignations.
Car de ce bouquin, j'en voulait plus. Toujours plus. J'allais même jusqu'à imaginer le récit comme libéré de toute contrainte paginé et s'étalant moelleusement en roman feuilleton fleuve. Le résultat aurait surement été indigeste à la longue (le roman tel quel le sera déjà pour certains) mais le rythme quasi-hypnotique des péripéties, plus la volonté que cultive Magog de rendre possible les choses les plus ridiculement improbables, tout cela joue largement en la faveur de cet irréalisable fantasme.

Il convient néanmoins de descendre de mon nuage et d'affronter la réalité. De La Bande Des Masques Bleus, il reste donc un roman coupé trop court.
Mais il reste aussi un texte naïf aux effets rudimentaires et qui, sous sa forme définitive, personnifie à merveille le récit populaire des années 30 : Rebondissements incessants, pureté sentimentale et enchantement au plus bas prix.
La formule était destiné à faire frémir les petite gens crédules mais, miracle des choses simples, elle fait toujours mouche de nos jours.

En témoigne le franc sourire que ces 250 pages ont imprimé sur mon visage.
Disons qu'en quelque sorte, La Bande Des Masques Bleus, c'est comme une vielle boite à musique qui continuerait à égrener sa mélodie en dépit de la rouille encrassant sa minuscule mécanique.

4 commentaires:

Zaïtchick a dit…

Ce roman ne bénéficiait donc pas d'une prépublication en magazine, mais il gardait le rythme des récits feuilletonnesques, si j'ai bien compris. C'est fascinant de se rendre compte à quel point les auteurs pouvaient être décomplexés et que leur volonté était d'en donner au lecteur pour son argent. J'aime beaucoup la couv' qui s'imprègne de l'esprit surréaliste du roman.
Merci pour cette petite perle.

ROBO32.EXE a dit…

c'est exactement ça. du feuilleton formaté en roman poche - à l'époque, d'ailleurs, c'était la tendance : voir les éditions Jules Tallandier ou Ferenczi. le récit populaire finissait de muter vers la modernité.

quant à l'illustrateur, il s'agit d'un certain Louis Claudel. j'aime beaucoup sa simplicité très évocatrice et son utilisation de couleurs vives.
...sans compter que les types encagoulés, visuellement, ça fonctionne toujours à la perfection :)

DrBis a dit…

Qui sait, peut-être que les "nouvelles technologies" (traduction : on sait pas ce que c'est, mais tudieu, ça en jette !), avec leur vénération du format court lisable entre trois stations de métro et la bière fraîche, donneront une nouvelle génération de feuilletonistes ? J'ai déjà entendu des choses allant dans ce genre. Après tout, l'histoire est un perpétuel recommencement, comme le dit mon chat dans un soupi de profonde lucidité. (Et les bouquins de Philippe LeRoy, avec ses travelogues, son super-héros zen au nom improbable — Nathan Love, je répète, NATHAN LOVE !!! — qui a droit de vie est de mort, son manichéisme outrancier (les bons américains, les vilains métèques)
et ses intrigues foutraques serait un excellent populiste moderne s'il n'avait pas l'air de se prendre très au sérieux. Mais je m'égare, au gorille…)

ROBO32.EXE a dit…

Je n'avais jamais entendu parler de ce monsieur. Et ce qu'il écrit me semble en effet assez terrifiant. Du coup, je pense que je vais continuer à vivre sans avoir lu aucune de ses œuvres...