STOP ! DESTRUCTION IMMÉDIATE, F-P BELINDA
LA LOUPE ESPIONNAGE # 6, 1953
Ouvrons ce mois de l'espionnage par un morceau de choix, quelque chose de pas ordinaire du tout, quelque chose d'aussi stupide qu'hors normes : un roman de Frank-Peter Belinda. Et pas n'importe lequel.
Stop ! Destruction Immédiate, l'une des toutes premières aventures du colonel John Kallum, agent secret R.30, et au sujet duquel l'éditeur écrit, dans une quatrième de couverture laudative jusqu'à l'excès :
Mais l'éditeur et ta femme ne sont pas les seuls à se pâmer à la simple lecture du nom de John Kallum. Il y a aussi l'auteur, Frankie Frankie, le Liegeois fou de l'espionnage bas de gamme.
Son héros, c'est bien simple, il n'en peut plus. Il l'a dans la peau, il le transpire par tous les pores et il s'en tartine des tonnes sur l'underwood.
N'y allons pas par quatre chemins. Les aventures de R-30, c'est l'hagiographie de John Kallum. Des pages et des pages de descriptions extatiques concernant sa " mâchoire puissante " et sa " force insoupçonnée." Éloge intarissable de ce " vrai dur " doté d'une " beauté mâle " - Frankie ira même jusqu'à écrire, page 25, " beau comme on en voyait rarement, avec ses cheveux noirs et ses yeux sombres cachés sous des arcades où l'on décelait la franchise et l'audace."
À ce moment précis, l'auteur est tout juste lancé. Son marathon panégyrique a encore 125 pages devant lui pour atteindre à la plénitude du n'importe quoi. Et Frankie, lui, n'a peur de rien. Il est capable d'interrompre le cours d'une action (bagarre, poursuite ou suspense) pour dégoiser interminablement sur les caractéristiques parfaites de son héros de rêve.
Dans l'ensemble, cette héroïsation de Kallum par l'application de couches successives d'une dithyrambe plus que forcée est hautement comique. D'autant plus qu'au fil du roman, notre agent secret se comporte surtout comme un fieffé connard.
Je ne m'avancerai pas trop en affirmant que nous tenons là le personnage principal le plus antipathique de toute la littérature populaire moderne. A se demander même si ses aventures ne constitueraient pas en réalité de petites farces sur les excès des romans de gare, des pochades humoristiques camouflées derrière une façade à la solennité bétonnée, des fictions balourdes qui égrèneraient en toute conscience leurs petites perles d'idioties, à l'image de cette description partielle de Kallum en page 62 : "héros courageux comme un castor, mais modeste et effacé comme un brave chien fidèle " - peut-on écrire pareille phrase sans en tenir une bien dosée dans le cornet ?
Et c'est cela qui reste effarant à la lecture des œuvres de Frankie Belinda. Car l'homme est sérieux. Véritablement sérieux. Il a beau avoir pété les plombs durant quelques pages de Boite de Nuit pour Espions, son Stop ! Destruction Immédiate, comme bien d'autres aventures de Kallum, ce n'est par contre pas de la blague. C'est du sérieux.
Car voici un roman qui, en plus de s'affirmer comme une vraie-fausse parodie du genre, réussit aussi la gageure de mélanger l'espionnage au western et à la science-fiction.
J'ovationne de toute la force de mon clavier.
Ainsi, dans Stop ! Destruction Immédiate, une soucoupe volante attaque les avions militaires US survolant le désert des Rocheuses.
Déguisé en cow-boy, John Kallum part donc à la recherche des responsables de cette faisanderie et débarque à Alsana-City, une " ville genre Western idéale " - et l'auteur de préciser, page 21 : " il y avait toujours la grosse maison du shérif, la prison d'où l'on s'échappait toujours très facilement et la banque, régulièrement attaquée par les bandits de grands chemins."
Peinture saisissante, à laquelle quelques menus détails font néanmoins defauts. Car à Alsana-City, on trouve aussi une espionne russe strip-teaseuse de saloon et quelques mauvais garçons vachers capables de mettre au point dans une grotte de canyon une super soucoupe volante défiant techniquement toutes les super inventions modernes des grandes nations mondiales.
Ce n'est pas un bon roman, c'en est même l'exact inverse, mais sa propension à la fantaisie idiotique, décors en carton-pâte et personnages en papiers mâchés, lui assure une place toute chaude au pavillon des petites curiosités de la littérature d'aventure d'après guerre.
Et puis on y trouve John Kallum, l'agent R-30, ce courageux castor qui n'est pas "une mauviette anémiée."
Et ça, bordel, ce n'est pas rien !
LA LOUPE ESPIONNAGE # 6, 1953
Ouvrons ce mois de l'espionnage par un morceau de choix, quelque chose de pas ordinaire du tout, quelque chose d'aussi stupide qu'hors normes : un roman de Frank-Peter Belinda. Et pas n'importe lequel.
Stop ! Destruction Immédiate, l'une des toutes premières aventures du colonel John Kallum, agent secret R.30, et au sujet duquel l'éditeur écrit, dans une quatrième de couverture laudative jusqu'à l'excès :
"John Kallum vous plaira, Mesdames, parce qu'il incarne celui que vous attendez : dur en même temps que sensible, séduisant, volontaire, résistant et charmeur. Et vous, Messieurs, vous l'aimerez pour ses qualités, mais encore pour ses réflexes prompts de bagarreurs et de tireur hors ligne."Et de conclure, quelques lignes plus bas :
"De minute en minute vous vivrez les aventures de STOP ! DESTRUCTION IMMÉDIATE au point d'en être imprégné jusqu'au plus profond de vous-même."IMPRÉGNÉ JUSQU'AU PLUS PROFOND DE TOI-MÊME ! Avoues que ça fait envie.
Mais l'éditeur et ta femme ne sont pas les seuls à se pâmer à la simple lecture du nom de John Kallum. Il y a aussi l'auteur, Frankie Frankie, le Liegeois fou de l'espionnage bas de gamme.
Son héros, c'est bien simple, il n'en peut plus. Il l'a dans la peau, il le transpire par tous les pores et il s'en tartine des tonnes sur l'underwood.
N'y allons pas par quatre chemins. Les aventures de R-30, c'est l'hagiographie de John Kallum. Des pages et des pages de descriptions extatiques concernant sa " mâchoire puissante " et sa " force insoupçonnée." Éloge intarissable de ce " vrai dur " doté d'une " beauté mâle " - Frankie ira même jusqu'à écrire, page 25, " beau comme on en voyait rarement, avec ses cheveux noirs et ses yeux sombres cachés sous des arcades où l'on décelait la franchise et l'audace."
À ce moment précis, l'auteur est tout juste lancé. Son marathon panégyrique a encore 125 pages devant lui pour atteindre à la plénitude du n'importe quoi. Et Frankie, lui, n'a peur de rien. Il est capable d'interrompre le cours d'une action (bagarre, poursuite ou suspense) pour dégoiser interminablement sur les caractéristiques parfaites de son héros de rêve.
Dans l'ensemble, cette héroïsation de Kallum par l'application de couches successives d'une dithyrambe plus que forcée est hautement comique. D'autant plus qu'au fil du roman, notre agent secret se comporte surtout comme un fieffé connard.
Je ne m'avancerai pas trop en affirmant que nous tenons là le personnage principal le plus antipathique de toute la littérature populaire moderne. A se demander même si ses aventures ne constitueraient pas en réalité de petites farces sur les excès des romans de gare, des pochades humoristiques camouflées derrière une façade à la solennité bétonnée, des fictions balourdes qui égrèneraient en toute conscience leurs petites perles d'idioties, à l'image de cette description partielle de Kallum en page 62 : "héros courageux comme un castor, mais modeste et effacé comme un brave chien fidèle " - peut-on écrire pareille phrase sans en tenir une bien dosée dans le cornet ?
Et c'est cela qui reste effarant à la lecture des œuvres de Frankie Belinda. Car l'homme est sérieux. Véritablement sérieux. Il a beau avoir pété les plombs durant quelques pages de Boite de Nuit pour Espions, son Stop ! Destruction Immédiate, comme bien d'autres aventures de Kallum, ce n'est par contre pas de la blague. C'est du sérieux.
"La satisfaction personnelle, quand on a si bien travaillé dans sa profession, un peu comme le simple artisan du populo, c'est de continuer et de faire mieux encore, car cette même satisfaction faisait que John y allait puiser l'immense courage et la puissance dont tout espion digne de ce nom doit faire preuve à tous les instants de sa vie."Satisfait, Frankie devait assurément l'être en rédigeant Stop ! Destruction Immédiate. Mais se rendait-il compte de son tour de force ? Je l'espère bien.
Car voici un roman qui, en plus de s'affirmer comme une vraie-fausse parodie du genre, réussit aussi la gageure de mélanger l'espionnage au western et à la science-fiction.
J'ovationne de toute la force de mon clavier.
Ainsi, dans Stop ! Destruction Immédiate, une soucoupe volante attaque les avions militaires US survolant le désert des Rocheuses.
Déguisé en cow-boy, John Kallum part donc à la recherche des responsables de cette faisanderie et débarque à Alsana-City, une " ville genre Western idéale " - et l'auteur de préciser, page 21 : " il y avait toujours la grosse maison du shérif, la prison d'où l'on s'échappait toujours très facilement et la banque, régulièrement attaquée par les bandits de grands chemins."
Peinture saisissante, à laquelle quelques menus détails font néanmoins defauts. Car à Alsana-City, on trouve aussi une espionne russe strip-teaseuse de saloon et quelques mauvais garçons vachers capables de mettre au point dans une grotte de canyon une super soucoupe volante défiant techniquement toutes les super inventions modernes des grandes nations mondiales.
Frankie Belinda ne tire pas les cheveux, il arrache la moumoute.Et c'est justement en cela, et malgré son rythme mollasson et ses épanchements lourdingues, que Stop ! Destruction Immédiate remporte toute mon adhésion.
Ce n'est pas un bon roman, c'en est même l'exact inverse, mais sa propension à la fantaisie idiotique, décors en carton-pâte et personnages en papiers mâchés, lui assure une place toute chaude au pavillon des petites curiosités de la littérature d'aventure d'après guerre.
Et puis on y trouve John Kallum, l'agent R-30, ce courageux castor qui n'est pas "une mauviette anémiée."
Et ça, bordel, ce n'est pas rien !
4 commentaires:
Je suis étonné que tu t'étonnes du courage de R30, le courageux castor ; ne connais-tu pas Riri, Fifi et Loulou trois autres courageux castors ?
Ou même Castor et Pollux du manège enchanté ?
Décidément ...
c'est vrai, je n'y avais pas pensé... très certainement, R-30 doit être membre d'une branche parallèle aux Castors Juniors, tel que les Castors Seniors ou les Castors Majors...
quant à Pollux, depuis mes lectures des aventures de Lord Bionic, je n'en ai plus la même vision :
http://muller-fokker.blogspot.com/2008/11/jen-revais-lord-bionic-la-fait.html
Les castors, ces animaux qui ne travaillent ni avec leurs mains, ni avec leurs pieds (dixit Dutronc - qui connaît forcément bien la question)
...oula...
pour le coup, ça me fait penser au "Castor Bouche Ouverte" de Kurt Vonnegut dans le Breakfast du Champion - une espèce que l'on peut facilement trouver dans certaines revues destinées aux hommes matures...
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