AMOUR, GORE ET BEAUTÉ

L'INHUMAINE CRÉATION DU PROFESSEUR LYNK, R.-G. MERA
ÉDITIONS DE LA CORNE D'OR / ÉPOUVANTE # 1, 1954


C'est une histoire de savant fou un peu bâtarde, le cul entre deux chaises.

Le savant fou en titre, le professeur Lynk, n'y est pas fou pour un sou - plutôt le genre chirurgien biologiste avec la tête solidement vissée sur les épaules - et son inhumaine création ne possède rien de véritablement monstrueux, au sens classique du terme.
Pas de pied bot, pas de cicatrices, pas de plaques en métal rivé au crâne ni d'écrous enfoncés dans le cou mais un physique de statue grecque antique, muscles saillants et visage d'ange, doublé d'un cervelet de génie à rendre jaloux un computer ENIAC dernier cri.
Surhomme issu de la science moderne
, Nouvel Adam du vingtième siècle - exactement comme il y eut, presque 70 années auparavant, une Ève Future de la révolution industrielle.
Son créateur ne s'y trompe d'ailleurs pas en le baptisant Adam Newman.
Pourquoi faire fin ? Le roman est tressé d'épais cordages. Aucune surprise dans ses prémices, ni dans leurs développements.

Primo, le professeur Lynk a un assistant. Ce n'est pas l'habituel Igor, avec sa bosse et ses furoncles, mais un certain Peter Hornby, bélatre quarantenaire trousseur de jupons.
Secundo, le professeur Lynk a une fille.
Elle s'appelle Ava, dix-neuf ans, faite au moule comme une pin-up de revue pour camionneurs.

1 plus 2 égale 3.
Hornby trousse les jupons d'Ava, qui n'attendait que cela pour devenir femme. L'amour et ses miracles. Mais faut corser la sauce. Ava rencontre donc Adam et là, c'est le drame. De l'inhumaine création à papa, elle en tombe amoureuse, fifille, et renvoie ce cher Peter Hornby à son célibat de vieux beau. Elle lui tient même, page 123, un discours de rupture sémantiquement hardi :
"Entre nous, Pete, je crois que le mot Amour est aussi imprononçable  qu'un accent circonflexe sur une consonne ! Votre séduction d'un soir aurait voulu être un accent sur ma vie ! Elle n'aura été qu'une faute d'orthographe ! vous espériez écrire ma vie avec des caractères que vous n'étiez pas capable de m'enseigner ! Souffrez donc que votre syntaxe ne soit pas la mienne et que votre faute de prononciation m'ait définitivement choquée !"
Voila qui sent la future institutrice !
Mais Hornby n'en démord pas. Il s'accroche. Car ce qu'elle ignore, Ava, c'est qu'Adam Newman a un petit défaut glandulaire... un petit défaut qui l'oblige, tous les 28 du mois, à se gaver de thyroïdes et d'hypophyses fraichement cueillies sur de fringants macchabées. Régime alimentaire fort sympatoche et qui colore en rouge gore le dernier quart du roman.
Les amateurs de carnage sur papier apprécieront ainsi (et entre autres joyeusetés) l’éventration d'une femme enceinte, via le pubis, par un Adam Newman en pleine fringale hormonale.
Mais malheureusement, pour les plus détraqués d'entre nous, le défouloir de tripaille et d’hémoglobine semblera certainement intervenir un petit peu trop tard dans le déroulement du bouquin. Et si l'écriture de R.-G. Mera constitue toujours, selon les standards du roman populaire rapidement abattu, un certain gage de qualité, on regrettera tout de même que cette Inhumaine Création du Professeur Lynk s'apparente plus à de la romance déviante cocotant méchamment l'eau de rose bon marché qu'à un récit d'épouvante éprouvant et tendu comme on pouvait l’espérer.

Reste une sublime illustration de couverture (serait-ce du Giordan ?), un étonnant chapitre 4 (quasi-indépendant du reste du roman), une chute finale rappelant celle de Morpho dans l'Horrible Docteur Orloff et quelques délicieuses cocasseries involontaires, promptes à ragaillardir le lecteur somnolant, comme cette déclaration de rupture précédemment cité ou ce passage évoquant à demi mots les troubles du service trois pièces d'Adam Newman.
Inutile, donc, de faire le difficile : ce n'est peut être pas très bon mais ça reste gouteux, d'autant plus qu'on tient là le parfait hybride entre les Aventures de Dracula, la collection Delly et un Fleuve Noir Angoisse des débuts.

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