POUPÉE DE CIRE, POUPÉE SANS PLOMB

PÉTROLE-PARTY, RÉGIS TRÉBOIS
ARABESQUE ESPIONNAGE # 430, 1966

La couverture, signée Jef de Wulf, donne les premiers indices. Cette poupée-là, le cinéphile averti la connaît ; et les remerciements de l'auteur en début d'ouvrage confirment l'impression.
« Un grand corps de sylphide » et « un visage de madone moderne surmonté d'une chevelure blonde artistiquement décoiffée. »
Gloria Dams, l'héroïne de Pétrole-Party, a les traits calqués sur ceux de l'actrice et chanteuse Corinne Marchand. Elle-même l'est, actrice et chanteuse, mais ces métiers qu'elle partage avec son modèle sont ici refantasmés jusqu'à l'excès.
Gloria Dams figure la starlette atomique des sixties, l'idole ultime puissance Beatles. Lorsque ses fans l'acclament, c'est avec force de hurlements stridents et d’évanouissements.
En tournée mondiale pour la promotion de sa dernière super-production cinématographique – Je t'aime, t'aime, t'aime baby – et accompagnée de Putsy, son bébé panthère, la voila qui débarque dans la capitale anonyme d'un pays dont l'auteur taira le nom pour des raisons évidentes. Ceci est un roman d'espionnage et les romans d'espionnage se doivent de camoufler certaines choses...
D'autant qu'au même instant, dans cette même capitale, vouant une haine féroce à l'or noir et inspiré par la voix de l'idole interprétant sa dernière scie sur les ondes – Je suis ta chose, chose, chose à toi – un « biochimiste dément » découvre la formule permettant « d'isoler-le-champignon-capable-de-transformer-le-pétrole-brut-en-eau-pure. »
« Eureka ! Eureka ! » qu'il s'exclame, le savant fou, « J'ai gagné ! J'ai gagné ! Je suis le maître du monde ! J'ai transformé le pétrole brut en eau pure ! Merci, Gloria Dams ! Merci ! Soyez bénie entre toutes les femmes. »
La suite est complètement louftingue. À la fois récit dans le vent et équation surprise combinant la Marie-Chantal de Jacques Chazot (celle-là même qui, l'année précédente, affrontait le docteur Khâ chez Claude Chabrol), la ravissante idiote d'un Exbrayat en veine d'humour et les caricatures d'agents secrets pour bande-dessinées bon marché, Pétrole-Party porte bien son nom. « Ce qui commence dans le drame vire à la comédie-bouffe. »
Gloria Dams poursuivie, harcelée, mise en danger par une bande de barbouzes internationales, sans foi ni loi, les « quatre mousquetaires de l'espionnage » - un russe pyromane, un anglais à prothèses, un chinois embaumeur de cadavres et un américain westernien.
Jalmince de la popularité de Gloria, le russe s'écrira même :
« Les vedettes, c'est nous ! »
Il n'a pas tort. Ce quarteron croquignolesque participe grandement à la saturation burlesque du roman. En leur compagnie, c'est une nuit au Gaumont-Palace avec des boulets humains qui crèvent l'écran courbe du cinérama.
On sent que l'auteur, Roger Bastide (camouflé sous le pseudonyme de Régis Trébois), chroniqueur sportif (prix Martini 1958) et compagnon de biture d'Antoine Blondin, s'est amusé comme un petit fou à écrire cette pochade hellzapoppinesque.
Ça se termine d'ailleurs, comme toute bonne farce, par un pied de nez, zyeux qui louchent et langue tirée. On lui aurait bien demandé quelques tournanches supplémentaires, tant la cuvée est franchement chenue, mais ce fut là sa seule incursion dans la fiction d'espions.
Pas grave.
Comme l'aurait dit l'idole : « c'était vraiment chouette ! »

3 commentaires:

Zaïtchick a dit…

ça donne envie !

Et bonne année à toi. ;)

Jerom a dit…

Trop de lectures atterrantes? En espérant un prompt retour sur ce blog et de nouvelles chroniques ;)

Klaus Building a dit…

Déjà cinq mois sans nouvelle de Müller-Fokker. Qu'est ce qui se passe ? Un gros coup de barre ?