DÉZINGAGE À TOUS LES ÉTAGES !

LE DRAGON VERT, BOB ARNAL
LA FLAMME D'OR / BLACK-OUT # 18, 1953

"Ça bardait, ça bardait !" chantonnait Eddie Constantine à la fin d'un film au titre approximativement similaire – Ça va barder, petit bijou du cinoche pour quartier ouvrier signé John Berry – et, de fait, à l'orée des fifties, ça bardait aussi dur que ça cognait sec. 
Fini les fonds à déductions des commissaires Trucmuche et mam'zelles Chochotte. Le roman policier affichait plein pot son penchant pour la castagne à gogo et le mitraillage à répétition. 
"Ça bardait, ça bardait ! Z'avez jamais vu un truc comme ça !" Dézingage à tous les étages. Le polar swing – puisque tel était son petit nom – devait son appellation autant au style à la godille des pugilistes du dimanche qu'aux rugissements syncopés des big bands américains de la décennie passée.
Bien entendu, sur la courte période qu'il occupa (à la louche, de 1949 à 1955), tout ce chambard connu de franches variations qualitatives. Et si la Série Noire à Duhamel nous offrit le nectar des dieux (d'Arrêtes ton char Ben Hur au Rififi chez les hommes, l'amateur de romance virile aura largement de quoi goder dur), les petites collections fauchées enfilèrent quant à elles les perlouzes contrefaites jusqu'à t'en dégoûter de la lecture à l'arrachée.
Et pourtant, pourtant, dans le lot, en fouillant bien, se trouvent quelques navetons de haut vol qui possèdent cet entêtant fumé faisandé relevant du nanan nougatiné pour vicieux de la fiction ringardoche.
C'est par exemple le cas de ce Dragon Vert, méfait littéraire commis par un certain Bob Arnal (inconnu de mes services) et cumulant toutes les tares possibles du récit de quat'sous – violence frivole et racisme ad-hoc – avec l'entrain d'un cocaïnomane hyperactif en pleine montée de neige. Le bidule démarre sur les chapeaux de roue et fait brûler la gomme sans discontinuer, 190 pages durant, 190 pages imprimées en caractères aussi gros que les ficelles employées.
Chapitre premier. Le héros, Eric le rouge – ainsi surnommé because sa chevelure au ton cuivré – se réveille avec une gueule de bois carabinée lorsque, ding dong !, une pépée du tonnerre sonne à sa lourde. Il ouvre, s'exclame "mâtin ! quel châssis !" en zieutant la partie charnue de la nistonne mais n'a pas le temps de pousser les amabilités plus en avant car, surgissant de nulle part, un niakoué à la face patibulaire kidnappe la belle.
S'en suivent alors, et dans la plus franche tradition du bouquin décérébré, des séries de courses-poursuites, de bastons et de fusillades à rendre fou n'importe quel existentialiste en goguette dans ces sombres parages. Aidé de Maud – une môme "drôlement bath" et qui manie le pétard comme une grande – Eric tente de récupérer Dominique – le blaze de la pouliche du début, référence obligatoire à la grande Dominique Wilms. Pour ce faire, il doit s'attaquer au Dragon Vert, redoutable et tentaculaire organisation de jaunes dealers de drogue dirigée par un sournois antiquaire chinois et sa mousmée chouquette, vamp asiatique portant fume-cigarette en ambre et longue robe moulante, souple comme une liane et adepte des numéros de strips impromptus. Comme l'écrit l'auteur : "pas à dire, c'était une fille avec qui on aurait plaisir à passer quelques heures."
Mais mollo sur le fantasme, les mecs. Ici, nulle place pour la pastiquette. Nos héros passent l'essentiel de leur temps à envoyer "des pruneaux bien durs assaisonnés à la sauce browning" en travers de la viande des canards laqués adverses tout en ponctuant leurs sanglants cartons de quelques punchlines retentissantes, type "encore un chintoc qui ne mangera plus de riz !"
C'est du rudimentaire, du frustre, de l'abattu à l'alimentaire, façon môme double shot (mais sans la poésie ni la folie d'un George Maxwell) et si l'auteur massacre allègrement l'argomuche à papy – comme cette « foiridon » en lieu et place de « faridon », mot masculin signifiant bambole et soirée de débauche – ce n'est pas grave, bien au contraire, ça n'en rend l'affaire que plus plaisante.
Et justement, question plaisir, y'a pas photo, on est comblé. Pour reprendre l'un des rares traits d'esprit parsemant ce roman primitif : les citrons sont pressés jusqu'au zeste. Un peu plus aurait été de trop. Et même si trop n'est jamais assez, parfois, faut savoir s’arrêter.
Exactement comme ça.

4 commentaires:

Chéri-Bibi a dit…

Ô joie! Te rev'là, et en pleine forme encore!
Enchaîne, déchaîne de quoi pas s'laisser abattre! On compte sur tézigue nozigo !

Anonyme a dit…

Welcome back!!

Zaïtchick a dit…

Y a que toi pour nous en trouver des comme ça ! ^^

Kerys a dit…

Un bail que je n'étais plus passé, faute de recevoir les alertes, mais notre robo reste en grande forme !