REICH TRANQUILLE, ADOLFETTE

LES TROIS VIRAGOS, CERTIGNY & DE WARGNY
LE DINOSAURE # 1, 1965

Dans quelles eaux nage-t-on ? Avec aux commandes de cette drôle d'affaire deux agités du carafon comme Henry Certigny et Guy de Wargny, difficile de le dire. Difficile surtout de s'avancer sans zigzaguer. Encore un de ces carrefours biscornus de la littérature populaire. Plusieurs genres se croisent, improbables, incertains, et aboutissent à une jolie petite impasse fleurie.
Pour définir la chose rapidement et sans prise de risque, causons donc de ces Viragos comme d'un exercice de cabriole dans le registre déjà bien compliqué de l'espionnage burlesque, piano bastringue et tout le toutime.
Surlignons aussi au feutre gras, puisque nous en sommes réduit à ça, qu'il y a du Wodehouse là-dessous, mais du Wodehouse qui négligerait de s’appesantir sur les causes de ses effets, de se plier à quelques convenances narratives élémentaires et, du même coup, laisserait sur le bas coté une bonne part de son sens loufoque – comme lettre morte pour les lecteurs pressés, les pointilleux du registre millimétré, les passionnés du tamponable et de l'étiquetable à vue.
Car introduire un personnage, c'est lui donner une certaine assise, un statut aisément admissible et, là, assurément, Conrad de Viandem, héros en titre du bouquin, se dresse fièrement à côté de ses pompes. À la fois aristocrate et majordome, d'une pierre d'un coup. Disons : noble à tout faire. Voila pour l'aspect primitivement Wodehousien de la chose. Et puis, en complément du curriculum, espion à la manque, grand séducteur un peu niais et représentant improvisé pour le magnat américain de la brosse à dents anti-carrie. Ça peut sembler compliqué, mais non, rien de rien, tout va bien.

« alors qu'il vivait si tranquillement à Chicago, en parasite délicat, quelle fâcheuse idée l'avait donc jeté dans l'aventure ! »
On passera sur la fâcheuse idée, la quête et les motivations de Conrad. Tout cela, finalement, n'a que peu d'importance. Le décorum perverti, par contre, occupe toute notre attention. C'est celui des romans d'espionnage et d'aventures à l'ancienne, personnifiés par Leopold Biske, compagnon de route de Conrad, espion juif, « Rouletabille israélien. »
La formule est étonnante, à une époque et pour un genre ayant substitué aux drôles de héros feuilletonesques du début du siècle les froids surhommes de l'age atomique, elle illustre pourtant à la perfection le pied de nez qu’exécutent ces Viragos. Au diable la modernité ! On est ici plus près d'un Henri Jeanne Magog que du Fleuve Noir Espionnage.
De Magog, on retrouve d'ailleurs cette même structure en trois parts pas franchement égales qu'employaient ses récits Détective Charleval publiés à la fin des années 30 chez l'éditeur R. Simon, collection Allo Police... si tu vois ce dont je cause – dans le cas contraire, pas grave, faisons comme si de rien n'était et sautons une ligne.
Car j'ai gardé le meilleur pour la fin. Forcement. Ces trois viragos, sur lesquelles le hasard fait régulièrement tomber Conrad et Leopold, ces trois grosses matrones mangeuses d'épinards, aux buts pour le moins flous mais assurément sinistres et dont la meneuse n'est autre ...qu'Adolf Hitler... « le tyran qui avait fait trembler l'univers, métamorphosé d'un coup de scalpel en virago ! » ...Adolf Hitler, devenu femme, rebaptisé Fraü Müller et reconverti en « directrice d'une manufacture de broderie. »
Où cela peut-il bien nous mener ? Je n'en ai pas la moindre idée. Il faudrait peut être se procurer les deux volumes qui poursuivent et concluent cette trilogie pas triste – Le Tango des Viragos et Les Viragos Plastronnent, pour référence – mais la marchandise n'est pas du genre à se laisser aisément capturer... à moins d'accepter les tarifs abusifs qu'avancent certains bouquinistes en ligne. Quant à crier à l'escroquerie, c'est à vos risques et périls. Conrad tient rigoureusement les comptes de ses efforts et ne mégote pas avec les dépenses.
Voyez vous-même :

« j'ai été injurié, giflé, roué de coups, ligotés, baîlloné, drogué, revolverisé, bombardé, vitriolé, charcuté, asphyxié, précipité dans une oubliette, et vous osez prétendre que vous n'en avez pas eu pour votre argent... Ah ! tenez, je préfère m'en aller. »

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