À LA MASSE SONT LES VERITABLES HÉROS

LA FORTERESSE, MORGON
ALBIN MICHEL / ESPIONNAGE # 12, 1965

« Je ne sais pas quelle mouche a piqué ce gang de bourgeois réactionnaires qui viennent troubler notre tranquillité... » s'interroge, en page 187, un espion de la chine maoïste.
En réalité, le gang de bourgeois réactionnaires est un groupuscule d'agents secrets occidentaux : l'Organisation d'Anti-Subversion.
Anagrammé, ça donne O.A.S. et c'est normal. Le bouquin, écrit à quatre mains, est l’œuvre de deux fameux Hussards, Jacques Laurent et Roland Laudenbach. Deux acharnés de l'Algérie Française sacrement remontés contre Mongénéral. 
Le premier avait sorti, l'année d'avant, le brulot Mauriac sous de Gaulle et le second édita, entre autres joyeusetés, les deux tomes du Testament d'un Européen signé du para Jean de Brem, l'un des livres de chevet du très droitiste Judoka d'Ernie Clerk.
D'ailleurs, tout comme le Judoka, notre héros est lui aussi un bourgeois réactionnaire militarisé, une espèce de Roger Nimier revu et corrigé à la sauce James Bond : John Béryl de son petit nom – Béryl avec un "é" comme au bon vieux temps de ces polars swing usinés par de faux amerloques. 
Membre de cette O.A.S. internationaliste –  275 agents de par le monde – et crypto-fasciste intraitable sur les questions de politique et d'honneur, Béryl n'a rien du petit rigolo. Du coup, lorsqu'il découvre que l'Organisation d'Anti-Subversion est infiltrée par quelques traîtres à la solde de la Chine maoïste, il s'en va à la chasse au renégat.
« Il n'aimait pas le risque pour le risque. Il aimait l'efficacité, il aimait gagner. »
Pour les bridés et leurs alliés-félons, c'est fichu. Béryl est un pur – « Jusqu'au bout, il croira au retournement de l'Histoire en faveur de ses conceptions de l'Histoire. » Tandis que les jaunes, eux, ne croient en rien, ni en l'Homme, ni en la Liberté.
Pire, un sentiment sublime, un sentiment essentiel, le plus beau d'entre tous les sentiments, le sentiment qui fait chanter les petits oiseaux, briller le soleil dans le bleu du ciel et vendre ces foutus bouquins pour gonzesses avec en couverture des hidalgos musculeux et dépoitraillés qui embrassent des greluches blondes comme les blés, ce sentiment-là leur est entièrement étranger : L'AMOUR. « En Chine, l'amour n'existe pas » écrivent les auteurs. « Il n'y a pas de mot pour traduire ce verbe occidental : aimer. »
Laurent et Laudenbach ne pouvaient pas savoir, on leur pardonne, Evariste n'avait pas encore chanté « Woo âi nee, c'est ainsi qu'en Chine on se dit / je vous aime, té quiéro, I love you baby. »
Par contre, nos deux zozos auraient peut être pû s'en abstenir, de l'écrire, ce roman d'espionnage se voulant opération commando à la façon des récits d'Ernie Clerk mais se retrouvant finalement nippé en polar ringard (courses poursuites entre bandes rivales, interrogatoires musclés et bagarres dans un lupanar inclus) totalement boiteux et foncièrement débile. Laurent en serait resté à ce 18e siècle de pacotille qu'il restituait avec succès dans sa saga populo-monarchiste Caroline Chérie, Laudenbach à son boulot d'éditeur éclairé à la Table Ronde et les vaches auraient été bien gardées.
Non, vraiment, je ne sais pas quelle mouche a piqué notre duo d'écrivains réactionnaires venus troubler ma quiétude de lecteur à la gomme...

1 commentaire:

Zaïtchick a dit…

Vraiment à la masse... Comme dirait Jeanne.