ALERTE AUX BIOCYBS !

L'ÈRE DES BIOCYBS, JIMMY GUIEU
FLEUVE NOIR / ANTICIPATION # 160, 1960

J'adore cette couverture de Brantonne. Probablement l'une de mes favorites - avec (liste non-exhaustive) les deux romans robotiques du duo Vandel, Metal De Mort et Heure Zero de Vargo Statten, Humains de Nulle Part de Peter Randa et Les Improbables de Kurt Steiner.
La fille dans son caisson radiographique, inexpressive, exposant au lecteur ses organes métalliques, cela reste pour moi un jalon graphique essentiel dans ma découverte d'Anticipation.
Mais jusqu'à très récemment, je n'avais jamais ouvert ce volume. Je l'avais laissé trainé, préférant fantasmer sur l'illustration, peu presser de briser un mythe.

Car il faut bien l'avouer, Jimmy Guieu ne fait pas parti de mes auteurs de prédilection. Je ne me constituerais pas pour autant farouche détracteur de son œuvre - elle résume parfaitement les aspirations populaires de la SF française à gros tirage des années 50 et 60 - mais la lecture à répétition de ses bouquins ne figure clairement pas dans la liste de mes hobbies favoris.
Jimmy Guieu a beau faire dans le coloré et le naïf, le gentil contre les méchants, la jolie fiancée, le vieux scientifique barbichu, les twist party et les bagarres endiablées, ça ne m'empêche pas de parfois m'ennuyer de sa prose, peu nerveuse, et de bailler à ses enchainements prévisibles de situations.
Mais j'arrête de casser du sucre. Les symptômes sont, somme toute, assez typiques de la production Anticipative de la vieille école et je pourrai exactement dire la même chose au sujet de certains Richard Bessiere, BR Bruss ou M-A Rayjean.

L'Ère Des Biocybs débute donc comme de nombreux Jimmy Guieu première période - le Jimmy Guieu sauce américaine, le Jimmy Guieu d'avant les enquêtes paranormales de Gilles Novak.
Le héros, un scientifique parisien, est lancé sur la piste d'un complot visant à remplacer l'espèce humaine par une race de robots humanoïdes, les biocyborgs.
La première partie est classique, la suite devient surprenante : L'Ère Des Biocybs ressemble à un drôle de croisement entre L'invasion Des Profanateurs de Sépulture et la SF catastrophique d'un Fern / Statten puisque, outre les biocybs, l'humanité est aussi menacé par une étrange peste cotonneuse, maladie farfelue, incurable et décimant jours après jours des milliers d'individus de par le globe.

Les deux affaires sont bien entendu liées mais pas exactement comme le lecteur pourrait se l'imaginer.
Oui, Jimmy Guieu étonne. Jimmy Guieu prend des chemins de traverse, s'essaye à quelque chose qui, sans être novateur pour un sou, change résolument de nos Anticipation habituels.

Dans le propos, on est à la fois dans la fiction progressiste d'un JG Vandel (type La Foudre Anti-D : il faut sauver l'espèce humaine, par tous les moyens possibles, même les moins orthodoxes) et les visions pessimistes des romanciers anglais, mélange assez étrange culminant en un final extrêmement noir, partagé entre la haine, la résignation et la raison.
En poussant un peu, je dirais même qu'on tient avec cette fin une sorte de décalque vaguement flou, à la morale moins habile mais plus ambivalente, du Je Suis Une Légende de Matheson - et avec des robots à la place des vampires.


Malheureusement, si le sujet est ambitieux, le style de Guieu tend à desservir l'ensemble. L'Ère Des Biocybs est pétri de situations grotesques (le héros qui brule sa compagne avec une cigarette pour vérifier qu'elle est bien "humaine"), farci d'italiques à gogo et alourdi par un rythme branquignol.
Des deux tiers du livre transpire une impression de vide absolu. Le héros patine dans son enquête, l'auteur patine dans sa rédaction. Le tout peine à proprement dresser le portrait des derniers jours de l'humanité. On a quelque peu l'impression d'assister à la projection d'un film de SF fauché dans lequel catastrophes et conséquences se dérouleraient hors-champs pour palier au manque de budget.

Ici, le manque de budget, c'est l'imagination de Guieu et son écriture. Le résultat n'est donc pas fameux mais l'on retiendra tout de même l'anti-happy end des quatre dernières pages et les allusions (pages 144 & 160 par exemple) au racisme anti-robot s'emparant d'une population menacé par un péril inconnu.
"ALERTE AUX ROBOTS ! proclamait l'affiche en énormes caractères rouges. Ces monstres synthétiques, insensibles, se cachent parmi vous ; ils enlèvent et assassinent vos semblables pour s'emparer de leurs cerveaux qui, demain, animeront d'autres robots. Votre devoir d'êtres humains est de les dénoncer, de prêter aide et assistance aux forces de l'ordre chargées de les traquer. [...] SOUVENEZ-VOUS-EN ! TRAQUEZ-LES SANS PITIÉ ! EUX N'EN ONT PAS POUR VOUS !"
Une parabole comme celle-ci, chez Jimmy Guieu, c'est assez remarquable.
Rien que pour cela, et malgré ses nombreux défauts, L'Ere Des Biocybs mérite donc bien un petit coup d'œil.

3 commentaires:

artemus dada a dit…

"Ici, le manque de budget, c'est l'imagination de Guieu et son écriture."

Cette citation, montre que tu n'en manques pas d'imagination.

Excellent !

Anonyme a dit…

L'un des moins bons de guieu,qui se débrouille mieux dans ses "romans-vérité" EBE,installant une atmosphère (presque) unique à la X-Files,prenante même si on n'est fan ni de l'auteur ni de la série.

The NightWatch

zelectron a dit…

Le thème en revanche était assez original et transhumaniste sans le savoir
.Après sa parution (années 60) je l'ai trouvé quand même suffisamment bon pour le relire il y a 3 ou 4 ans parmi plusieurs centaines d'autres sélections (sur approx. 3000 SF, de la vraie, de l'origine!)