LA MULE EST CHARGÉE

FAIS TA PRIÈRE PETITJEAN, JEAN CAILLE
LA DROGUE DE PETITJEAN, JEAN CAILLE
LIBRAIRIE PLON, 1972 & 1970

La littérature d'espionnage, sous sa forme la plus alimentaire qu'il soit, est un genre bourré jusqu'à la moelle d'agents conservateurs.
Stylistiquement parlant, bien entendu - la forme commerciale impose à l'écriture une routine efficace et rassurante - mais surtout idéologiquement : éloge du protectionnisme et des intérêts de la nation, méfiance extreme envers les relations internationales, sans oublier l'aspect militariste implicite derrière les activités occultes de l'espion.

Certes, il s'agit avant tout d'une littérature d'aventure, c'est à dire une littérature d'évasion, mais en raison des péripéties qu'elle présente, elle véhicule aussi des idées qui lui sont propres.
L'espionnage est donc, à quelques exceptions près (Dermèze, Morris, Arnaud), un genre qui porte à droite et si la tendance générale après-guerre fut plutôt celle d'un Gaullisme tranquille, cela n'empêcha pas certains auteurs qui officiaient dans le genre au cours des années 60 et 70 de durcir le ton et de lorgner vers un extrémisme vaguement outré. C'est par exemple le cas de Jean Caille et de sa série Petitjean.

Petitjean, c'est bien entendu le nom du héros, un musclé au regard gris clair, super agent secret et chef incontesté du SLAP (Sécurité et Liaison des Affaires Présidentielles)
Constamment accompagné de son adjoint Robert Morel, dit Baraque, il résout divers affaires ayant traits à la sécurité nationale et, comme nous l'affirme l'auteur : "devant ces deux là, mieux valait ne pas trop faire de vagues."
Mais tout cela, on s'en contrefiche poliment. Ce qui compte, ce sont les intrigues et les énormités qui semblent s'écouler du cervelet en décomposition de Jean Caille.


Ainsi, dans Fais Ta Prière Petitjean, il est question de méchants prêtres maoïstes kidnappant de gentils prêtres intégristes. Petitjean et Baraque sont donc mandatés par le président de la République Française pour régler le bouzin à leur manière et, surtout, délivrer des sales pattes gauchistes nos Ayatollah du catholicisme occidental afin qu'ils puissent reprendre en toute tranquilité leur prêche du dimanche.
Niveau conservateur cul-cul la praline, ça se pose un peu là... mais ça fait aussi tout le sel de la chose.
Car que serait la littérature populaire des années 60 sans ces gens de droite qui écrivaient n'importe quoi sur les mouvements de gauche ?
Je veux dire : des religieux anarcho-maoïstes... t'imagines un peu le mélange ?
Moi, j'imagine surtout que Jean Caille ne carburait pas qu'au vin de messe...
Pour le reste, les 80 premières pages sont écrite dans un style légèrement canaille mais passé le chapitre 4, la prose devient sérieuse comme un prêtre ouvrier mal embouché et le lecteur se fait légèrement (pour rester poli) tartir.
Les 50 dernières pages m'ont d'ailleurs semblé sacrement longuettes, je manquais même de m'endormir entre chaque paragraphe et ce n'était pas l'assaut militaire final anti-maoïste un tantinet confus qui allait y changer quelque chose.
Fais Ta Prière Petitjean peine donc à divertir, manque presque tout ses objectifs mais je resterai néanmoins indulgent car dans le genre, on peut trouver bien pire.

Par exemple : cette autre aventure de Petitjean. La numéro 6, La Drogue De Petitjean.
Le titre dit tout. Le précèdent causait religion, celui-ci cause substances illicites. Et cette fois, plus question de raconter n'importe quoi avec des prêtres mal-froqués et des nonnes nymphomanes à mitraillettes. L'auteur est sobre. Il est sur le sentier de la guerre et ça va chier. La Drogue De Petitjean est un bouquin à charge.
"Nous savons depuis mai-juin 1968 que la drogue est utilisée à des fins politiques. Elle est introduite dans les universités par des organisations étrangères et subversives. Elle sert à rassembler des jeunes, à les mettre dans le cas de ne plus pouvoir se passer de la cigarette de marijuana ou de la piqure d'héroïne."
Et encore :
"Depuis mai 68, la France est devenue la plaque tournante de la drogue pour les jeunes. Il s'est monté de véritables organisations, de véritables trafics liés aux organisations de jeunes. [...] Ça, c'est l'œuvre des maoïstes, des castristes."
Remonté comme pas deux, Jean Caille attaque tous azimut. La gauche, la drogue, le porno, les sectes et surtout, surtout, les jeunes, oui, LES JEUNES ! cette "armada de fils à papa qui modifiaient la face du monde chaque jour en s'empiffrant de steak frites et de pots de beaujolais."
Bon, le steak frites beaujolpif, je pense que c'est uniquement pour le repas de midi car le soir venu, voila-t-il pas que nos jeunes se cament comme des timbrés et filment (pour les revendre sur le marché clandestin du pervers crypto-spontex masturbateur) leurs orgies mystico-nudistes dans des caves éclairées à la discoball. Et une fois leurs cerveaux bien conditionnés par la drogue et le sexe, nos jeunes s'en vont alors commettre des crimes envers la bonne bourgeoisie française.
La Drogue De Petitjean fait d'ailleurs référence, dans son prologue, au massacre de Sharon Tate, transformant ainsi " Helter Skelter is coming down fast " en " Crevez Salopes."
C'est moins poétique mais ça a son charme. C'est d'ailleurs la seule chose a retenir de ce roman, tout le reste étant à jeter. Car si La Drogue De Petitjean se montre aussi con que réactionnaire, il n'arrive jamais à faire rire.
Certes, il y a des jeunes, de la drogue et plein d'autres stupidités en tout genre mais ces énormités potentielles sont gâchées par une écriture terne et une progression narrative poussive.

En bref, il ne se passe rien. C'est le syndrome Jean Caille. Petitjean et Baraque frappent des jeunes cons en France puis vont à Cuba frapper d'autres jeunes cons et enfin, reviennent au point de départ en terminer une bonne fois pour toute avec l'internationale du jeune con moderne. Tout cela dure 250 pages, ce qui, selon mes calculs personnels, fait (au bas mot) 200 pages de trop.
Quant à la dernière page, avec l'espionne qui crève et le héros qui s'en balance comme d'un vieux rock (pour citer Karen Cheryl), c'est tout bonnement le dernier clou dans le cercueil de ce roman aussi ennuyeux que détestable.

Je conclurai par un petit conseil. Lecteur intrépide, toi qui n'a pas froid aux neurones, ton espionnage de droite, il faut toujours le préférer bien agité du cabanon, entièrement dissolu dans sa logique et écrit en très très gros caractères sur du 190 pages.
Jean Caille est donc à éviter comme la peste mais par contre, Roger Maury est à ressaisir vivement.
A bon entendeur...

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