L'ANGE ET SES DETTES

NUAGES DE SANG, ANGE GABRIELLI
LES PRESSES NOIRES / ESPIONNAGE # 98, 1967

N'y allons pas par quatre chemins. J'ai déjà écrit tout le mal que je pensais des charlatans littéraires qui s'acharnent sans relâche sur la dépouille d'Ange Bastiani.
Je ne reviendrais pas là dessus.
En tout cas, pas directement.

Le cadavre, par contre, a toujours son mot à dire. Il s'exprime à travers le temps. Au detour d'un paragraphe, dans un roman oublié, Bastiani jette ainsi le doute.

Dans Nuages De Sang, second roman d'espionnage qu'il signa sous le pseudonyme transparent d'Ange Gabrielli (le premier étant Les Sirènes D'Anvers), l'auteur met en scène un certain Vic Vorlier. Le nom ne vous sera peut être pas inconnu. Il servit en effet de masque à Bastiani pour un seul et unique polar, Nous Irons En Enfer Ensemble, publié en 58 par Ferenczy en collection Feux Rouges.
Mais ici, Vic Vorlier n'est plus parure de plume. Il est protagoniste principal, agent secret français, " bâti en force, carré de coffre et de visage, le crâne passé à la pierre ponce, l'oeil bleu tour à tour féroce et candide, les lèvres charnues, sensuelles, découvrant volontiers pour un sourire d'homme qui ne sourit qu'aux femmes une double rangée de dents éblouissantes. "
Envoyé par son patron à Toulon, il est chargé de mettre le grappin sur une bande d'espions ennemis sévissant dans une base de recherche militaire française mais, pris au piège du moule géographique de son auteur, il passera finalement la majeure partie de ses phrases à se la trainer dans les mauvais lieux de la cote d'Azur.
Comme roman d'espionnage purement alimentaire, Nuages De Sang assure un spectacle hautement divertissant. Le style est effacé mais efficace, les personnages bien campés, l'action présente et le décor, forcement truculent.
Mais l'intérêt réside ailleurs.

Chapitre 2, Vic Vorlier fait la connaissance d'Irène, une indicatrice. Elle est censée lui servir de guide dans Toulon mais permet surtout à l'auteur d'évoquer une période sombre de l'histoire de France. Ainsi, questionnée par Vic Vorlier sur ses faits d'armes, elle répond : "je n'ai jamais eu affaire qu'à certains messieurs de la rue Lauriston, qui m'ont tailladé les seins au rasoir."
La rue Lauriston, et son numéro 93, de sinistre mémoire. C'était la que se trouvait la Carlingue, pendant l'occupation. Un repère de truands devenus collabos.
Certains oiseaux ont longtemps affirmé que Bastiani en était. Certains l'affirment encore. Comme si notre homme était de la même race que Loutrel, Masuy ou Lafont...

Mais reprenons.
Page 81, Vorlier rencontre un scientifique faisant l'objet de menaces de mort - des séries de petits mots sur lesquels sont écrits " SALE BOCHE ! ON AURA TA PEAU ! "

" une croix gammée paraphée la menace."
Et l'intéressé de s'exclamer :
"Sale Boche, [...] je n'ai jamais été nazi, monsieur, mon frere aîné, qui était colonel dans l'Afrika-Korps avec Rommel, a été fusillé par les S.S. en juillet 44. Pendant que j'étais prisonnier en France, ma femme, qui avait vingt ans à l'époque a été arrêté par la Gestapo, quelque mois avant la débâcle. Elle a eu de la chance, on l'a relâchée au bout d'une semaine. On avait dû la traiter sans doute avec de grands égards, elle a préféré se suicider dans les premières qui ont suivi sa remise en liberté. Voila le sale Boche dont on veut avoir la peau."

"Vic le regardait vitupérer, frappant la table de son poing. En si peu d'instants, il y avait eu un tel changement d'attitude chez cet homme qu'il se demandait jusqu'à quel point il ne se livrait pas à quelque comédie."
De tout cela, je ne tirerai aucunes conclusions. Aucune n'est d'ailleurs nécessaire. Ange Gabrielli ré-évoquera les troubles de l'occupation deux années plus tard, dans Le Trésor Des Nazis, et une seule certitude doit être à retenir. L'homme était une sacrée plume. Il s'agit désormais d'oublier ce que quelques connards essayent de nous faire gober.
Puis se plonger, avec angoisse et ravissement, dans ses œuvres.

Lisez Coup De Typhus. Lisez Arrêtes Ton Char Ben-Hur. Lisez Maurice Raphael. Lisez les deux Mauvais Lieux ou bien même, si vous avez un train à prendre prochainement, lisez Nuages De Sang.
Un écrivain de talent, on ne pinaille pas dessus.

7 commentaires:

losfeld a dit…

bien dit l'ami!

bête mahousse a dit…

En dépit du risque que les lecteurs pensent que je suis partie prenante dans le Müller-Fokker, et malgré la notoire modestie de robo. dut-elle en souffrir (la pauvre), je ne peux que lui adresser de nouveau mes plus vives félicitations. Après avoir flingué avec le panache qu'on lui connaît ces quelques obscurs écrivaillons presbytes en mal de publicité, ces perroquets pignoleurs qui se mêlent de littérature, en deux coups les gros robo. a dézingué cette funeste légende qui faisait de Bastiani un mauvais écrivain. Plus que les séries noires, à mon avis le meilleur de Ange se trouve aux Presses de la Cité, notamment dans la collec' "Un Mystère".
Histoire tout de même de chipoter, je voulais te dire robo. que "Nuages de sang" était sorti en 1958, chez Arts & Créations (Le Monde Secret). A cette époque, Vic Vorlier était l'auteur pas le personnage principal.
Voilà c'est dit. Merci et encore bravo (et vice versa comme diraient les Inconnus!).

ROBO32.EXE a dit…

alors là, je suis extremement confus, cher Bête Mahousse.
Petit 1, je pensais que Vic Vorlier n'avait servit que pour un seul et unique bouquin et, petit 2, je ne connaissais pas cette version antérieure de Nuages de Sang.
bref, va falloir que j'effectue mes recherches avec plus de professionnalisme !
en tout cas, j'ai de la chance que tu sois passé dans les parages pour corriger ma bourde...

mais merci quant même pour les compliments. ça me va droit au cœur et je suis très heureux que tu apprécies ce blog :)

Anonyme a dit…

Ceux qui affectionnent les histoires de trésors cachés par les SS et autres nazis, pourront aussi lire : L'oeil du monocle de Rémy (Hachette, 1962); La quille d'or de Desmond Bagley (Robert Laffont, 1965; il s'agit ici du trésor de Mussolini).
Maciste

ROBO32.EXE a dit…

merci Maciste pour ces deux recommandations.
(tout ça me donne envie de faire un billet consacré à toutes les histoires de trésors nazis...)

DrBis a dit…

…Excellente idée !
(Et le bon docteur d'évoquer la larme à l'œil "L'oasis des morts-vivants", certes d'un ennui insondable doublé d'une crétinerie de trichromosomique hydrocéphale, mais qui présentait tout de même des SS morts vivants gardant un trésor nazi. C'est beau.
Si.
Hop !)

ROBO32.EXE a dit…

Attention ! Ici, il est interdit de dire le moindre mal de Jess Franco. Certes, il est vrai que L'Oasis est l'un de ses pires films mais on y sauvera peut être un ou deux plans...
...j'ai bien dit "peut être"...